Chapitre quatre

Par Canopus

De temps en temps, il s'absentait. Quelque heures. Un jour ou deux. Il revenait avec quelques personnes. Une ou deux. Qui restaient peu. Mais cela faisait du bien de voir de nouvelles têtes. Les soldats du camps d'à côté m'étaient devenus familiers. Si bien que rencontrer de nouvelles personnes était agréable.

Lors de ces quelques jours d'absence, j'ai pensé quelques fois à partir. À fuir. À retourner chez moi. Mais je ne pouvais. Je m'étais attaché aux lieux. Aux personnes. A la routine. À lui. Je ne pouvais trahir ceux qui m'avaient accueilli. Ceux qui m'avaient nourri. Ceux qui m'ont aidé. Alors je restais. À contre cœur. Ou de bon cœur. Un tressage de ces deux sentiments. Père et mère de tous les autres.

De plus, mon départ signerai mon arrêt de mort. Il saurait qui je suis. Il saurait comment me détruire.

Je reste donc. J'attend son retour. En espérant qu'elle n'ait pas raison. Que ses soupirs près de mon oreille ne soient que des balivernes.

Cette fois ci, quand il revint, il était différent. Comme dérangé. Comme tendu. Comme gêné. Il devait me dire quelque chose. Ce quelque chose lui pesait. Alors encore une fois, lorsque ses doigts rencontrèrent mes longues mèches, je le fis parler de lui. Il hésitait. Commençait quelques mots. Se reprenait. S'arrêtait. C'était compliqué pour lui. Cependant il finit par le formuler. Par m'interroger.

« Accepterais-tu d'accueillir, ici, deux enfants. »

Ma surprise fut telle qu'un petit rire s'échappa de mes lèvres. Pas de moqueries mais d'amusement. Parce qu'il était chez lui. Parce qu'il faisait ce qu'il voulait. Parce que je n'étais qu'un étranger de passage. Et parce que malgré cela il me demandait mon avis. Alors, pour donner mon accord, je lui demande des précisions.

« Ils sont trois. Baltasar. Fougueux. Essayant de faire de son mieux. Kanyka. Sa jumelle. Ils ont une huitaine d'année. Ne se rend pas compte de ce qu'il lui arrive. Très drôle. Et Olyve. Deux années de plus. Qui fond toutes la différence. Intéressée. Attentive. Mais très silencieuse. »

Je souris. Trois petites têtes de plus. Ça ne fait pas de mal. A son grand plaisir, j'accepte. Il est heureux. Je le vois. Pas seulement à son visage illuminé. Pas seulement à ses yeux pétillants. Mais grâce à son corps qui vient s'échouer sur le mien en un soupir.

« Merci. »

Ses bras enroulent mon torse et ma hanche. Sa tête se pose sur mon épaule. Et il répète ce mot en boucle. Si bien que cela devient comme un mantra. Si bien que je ne sais plus si c'est pour cela ou autre chose. Mais j'étais bien. Et inconsciemment, je lui rend son étreinte. Une accolade hésitante. Un câlin timide. Pourtant. Malgré la douceur du moment. Il nous sépare. Pour créer un lien visuel. Pour créer un sourire contagieux. Mais nos corps ne partageaient plus leur chaleur. Et je sus que ça allait être le cas pour encore longtemps. Il restait juste ses mains dans mes cheveux.

Quelques heures ou jours après, il revint avec les enfants. Et pendant tout ce temps d'attente, elle rôdait près de moi. Me crachait dessin. L'insultait. Et pendant tout ce temps d'attente, l'appréhension me gagnait. L'envie de bien faire. L'envie de ne pas le décevoir. Mais lorsque les trois petites têtes brunes we levèrent vers moi, tout disparus. Les benjamins étaient téméraires. Ils n'hésitèrent pas à me rejoindre. À me sauter dessus. À me tourner autour. L'aînée était plus réservé effectivement. Son regard trahissait la nervosité. La méfiance. La peur.

Ce fut difficile au début. Elle ne sortait pas. Elle restait dans leur chambre. Je ne la voyais que quand on mangeait. Et aucun de ses quelques mots ne m'était adressés. J'essayais. J'essayais de me rapprocher doucement. D'obtenir sa confiance. Aucun progrès n'était visible. Mais il m'encourageait. Il ne me laissait pas abandonner. Il savait que ça serait long mais que ça marcherait. Il savait que peu à peu, je ne serai plus un inconnu pour elle. Que mes paroles la toucheront. Que mes moqueries la feront rires. Et il avait raison.

Elle était un renard solitaire. Un renard qui veillait sur ses petits. Parce que oui. Elle faisait ça pour eux. Pour qu'ils puissent s'amuser. Pour que s'il devait y avoir une répercussion, ce soit sur elle. Parce qu'ils avaient déjà trop souffrir. Trop connues la guerre. La trahison. Cependant tout renard s'apprivoise. Celui-ci aussi. Cela a pris du temps. Mais petit à petit elle s'est laissé approcher. Elle a commencé à faire quelques pas vers moi. Elle s'est ouverte. Alors, tout sourire, il m'a fait comprendre pourquoi il voulait tant les accueillir.

Rapidement ils sont entrés dans notre routine. Les furies de Kanyka. Les tristesses de Baltasar. Les mutismes de Olyve. Chacun des trois avait ses habitudes. Ses règles. Ses préférences. Chacun des trois était une occupation. Un défi. Un jeu. Il fallait sans cesse s'adapter. Et cela me permettait d'oublier ma caste. D'oublier mes amis. D'oublier ma famille. D'oublier mes soldats. Du moins pendant la journée. Mais plus je me plaisais. Plus leurs souvenirs se faisaient fort. Plus leur absence se faisait marquée.

Les soirs. Alors que le silence régnait enfin dans la maison. Les larmes dévalaient mes joues. Encraient dans ma peau leur sel. Répandaient en moi le doute. De plus en plus elle venait ma caresser le dos. Me procurait des frissons incontrôlable. De plus en plus elle m'appelait dans la nuit.  Voulait que je m'enfuis. Mais je ne pouvais toujours pas. J'étais incapable de choisir. Encore plus avec les trois nouvelles têtes. Je voulais les protéger de ça. Cependant, partir n'était -elle pas la solution pour cela. C'était un choix impossible. Parce que je les aimais. Le l'aimais. Mais de l'autre côté de l'Entre deux, je les aimais aussi. Tous étaient ma famille. Ici ou là-bas. Alors pour l'instant je ne faisais rien. Je restais dans l'ombre avec mes idées noires. Je ne les montrais à personne. Surtout pas à lui. J'espérais que ça passe. Cela ne faisais qu'empirer.

Et avant de n'avoir pu faire quelque choix possible mon dilemme avait évolué. En quelques secondes j'avais changé ma vie.

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