Sous le regard désapprobateur des infirmiers, il m'aida à me relever. J'étais si faible que mes jambes tremblaient. Pourtant, je tiens le coup. Je le devais. À chaque pas, je menaçais de tomber. Pourtant, cela n'arriva pas. Je parviens à marcher jusqu'à chez lui. Avec difficulté. Avec lenteur. Avec hésitation. Mais seul.
Sa maison était simple mais grande. Près de l'Entre-deux. Près du champs de bataille. C'était le jardin où je m'étais réfugié. Il n'y avait plus de corps. Il n'y avait plus leur odeur. Il restait juste quelques tâches çà et là. Souvenirs du combat. L'intérieur était habituel. Pas de luxe. Pas de meuble prestigieux. Pas de superflus. Pourtant bien décoré. De bois et de pierres. Moderne mais adapté. Deux gardes à l'entrée nous saluèrent. Ce fut le seul indice du propriétaire de la maison.
Ce dernier, apparemment habitué à recevoir des invités, me rassura que je pouvais faire ce que je voulais. Puis me laissa pour préparer ma chambre. Gené. Ne sachant pas comment réagir. Je hairai dans le salon. M'appuyant sur ce que je pouvais. Luttant contre ma fatigue. Le voyage d'une quinzaine de minutes m'avait puisé mon énergie. Mais je ne voulais pas me reposer. Je ne me sentais pas bien ici. Pas réellement à l'aise. Chaque faux pas pouvait faire valdinguer ma couverture. Chaque faux pas pouvait me tuer. Même si ça n'avait pas l'air d'être la préoccupation de mon hôte.
Malgré tout. Après quelques minutes dans ma chambre. Je m'assoupi sur les couvertures moelleuses. Les images de la bataille me revinrent. Les coups. Les blessures. Les cris. Les tirs. La mort. Avant de laisser place au néant. Ce fut l'une des premières fois où je me reposais depuis celle-ci. Cependant, elle fut la première à m'apparaître lorsque je me réveillais. Et je sus qu'elle ne partirai pas de sitôt. Malgré le confort de cette maison. Malgré la douceur de son hôte. Elle rôderait encore.
Je dû rester longtemps à ruminer ainsi. Allongé au travers de mon lit. La respiration haletante. C'est lui qui vient à ma rencontre. Appuyé sur le chambranle tout d'abord. Puis assit sur le bord du matelas.
« Je te dérange. »
Je secoue la tête. Elle était toujours là, tapis. Mais je devais en faire abstraction. C'était elle qui allait me faire faire une erreur. Alors je l'oubliais.
« Je ne t'ai pas demandé ton nom d'ailleurs. »
J'hésitais. Mentir. Dire la vérité. Se cacher. Être crédible. Après quelques secondes, je me décidais. Ce n'était pas banal. Mais même en cherchant, il ne trouverai pas.
« Sigwald »
Mon prénom. Celui que m'ont donné mes supérieurs. Mes camarades. Mes soldats. Mon prénom. Qui a été choisi avec précision. Scandé avec passion. Entretenue avec soin. Mais qui est pourtant resté secret. Mon prénom. Il a enterrer mon passé. Et prévoit le futur.
« Ce n'est pas banal. Quelles sont tes origines. »
« Il vient d'Allemagne. »
Il attendait que je continuais. Mais je ne le fis pas. Il n'y avait rien d'autre à dire. Alors il se releva et m'invita a mangé. Elle était encore là. À me souffler toutes les façons dont il pourrait me tuer durant le repas. Mais je l'ignorais. Elle avait raison. Mais il fallait l'oublier.
Les journées passaient ainsi. Entre la fatigue et les conversations. Entre le repos et les cauchemars. Entre elle et lui. Des émotions bien distinctes.
On s'était créé un quotidien. Une routine. Chaque jour il me laissait quelques heures seul. Après manger. Chaque jour il revenait se poser sur mon lit. Parfois ses mains se perdaient dans mes cheveux. Calme. Rassurante. Plus mes mèches blondes poussaient. Plus ses doigts osaient. Plus on se rapprochait. Il y avait toujours une latence. Venant de moi. Parce qu'elle me rappelait toujours ma place. Mais notre relation s'améliorait.
De même que mes insomnies s'estompaient petit à petit. Pour certaines fois invoquer les mauvais rêves. Mais c'était tout de même réparateur. Je pus finalement reprendre quelques activités normalement. Il m'insita à recommencer doucement le sport, ayant peur que mon état rechute. Je l'écoutait, malgré mes envies de plus.
Mes camarades me manquaient. Les entraînement me manquaient. Les soirées avec eux me manquaient. Pourtant, la vie de ce côté était paisible. Il y avait moins de pressions. Moins d'obligations. Moins besoin de prouver notre force. La dignité des soldats était toujours présente. Elle n'était pas entachée. Je ne les côtoyais effectivement pas souvent. Mais le simple fait qu'il parle d'eux comme des humains et non de simples militaires prouvait cette valeur morale. Je me ne sentais plus prisonnier de mes devoirs.
C'est donc dans ces conditions là que j'ai appris à le connaître. D'abord ses expressions. Ses tics. Ses habitudes. Puis ses qualités. Ses joies. Ses envies. Et enfin ses pleurs. Ses peurs. Ses obsessions. C'était étrange. Qu'il se confie. D'apprécier qu'il le fasse. Mais c'était d'autant plus étrange que je ne savais pas qui l'écoutais. L'ami. Ou l'ennemie. Les deux se mélangeaient. Comme deux mondes que l'on fait s'entre-choquer. Deux univers étrangers.
Je ne voulais parler de moi. Je sentais que je pouvais tout révéler. Un seul instant d'inattention et je n'étais plus chez la personne qui voulait me tuer. Chez l'homme qui soulevait terres et mers pour me trouver. J'étais chez la personne qui ne voulait que mon bien. Chez l'homme qui a accueilli un étranger. Alors il le faisait à ma place. Récitait. Contait. Affirmait. Il remplissait les blancs que je laissais. Me racontant sa journée ou son enfance. Pour parfois n'installer qu'un doux silence entre nous. Cela ne nous gênait pas. Pendant ces moments là, chacun restait avec ses pensées. Liés seulement par ses doigts dans mes cheveux. Liés seulement par cette acceptation de l'autre.
Nous n'étions plus de simples étranger réunis par la violence des combats. Nous étions autre chose. Quelque chose de bien plus abstrait. De bien plus vague. Quelque chose qui nous plaisait sans qu'on pose de mot dessus. Quelque chose pourtant qui allait nous détruire.
25 mars 2023