Chapitre six

Par Oriane

La petite armée d'Enric avançait lentement. Les éclaireuses n'étaient pas encore revenues. Ils approchaient dangereusement des derniers lieux où l'on avait signalé des raids. Ils ne tarderaient plus à croiser l'ennemi et à engager le combat. Marco jaugea les hommes et femmes devant lui d’un coup d’œil. La tension augmentait dans les rangs des soldats.

Dire que cela ne faisait que trois jours qu'ils étaient partis...

Et que dire de la messagère de la Kharmesi à côté de lui ?

Alara n'avait pas décroché un mot depuis qu'elle s'était vu obligée de rester à l'arrière. De temps en temps, Marco tentait, sans succès, de la dérider. Elle ne lui accordait pas le moindre regard. La situation ne l'aurait pas dérangé s'il ne l'entendait pas soupirer ou marmonner régulièrement.

Harken ordonna une pause. Alara se redressa soudain sur sa selle, une lueur d’intérêt dans ses yeux pâle. Sans attendre de savoir ce qu'il se passait, elle fit avancer sa monture, remonta la colonne. Elle ne mit pas longtemps à rejoindre les deux chefs. Marco talonna son cheval et les rejoignit en maugréant. Ne pouvait-elle pas rester à sa place ?

Ils se mirent un peu à l'écart, la messagère et lui. Enric et la capitaine parlaient avec une des éclaireuses. Déjà, un plan d'action se dessinait. Les pillards se trouvaient au devant d’eux, inconscients de leur présence. C’était l’occasion ou jamais de leur porter un coup terrible.

Marco suivait les échanges, fasciné par la manière dont les deux chefs pouvaient se répondre sur ce genre de sujet. Harken et Enric voyaient les choses de la même manière, lorsqu'un des deux choisissait de mettre tel ou tel groupe sur les côtés ou à l'arrière, l'autre acquiesçait, ajoutant parfois une remarque utile. Rarement l'archiviste avait vu une telle alchimie. Si les réunions avec la Kharmesi avaient pu se dérouler de cette manière plus souvent, peut-être n’en serait-on pas là.

Les ordres passèrent de file en file dès que la capitaine les transmit à ses subordonnées. Les guerriers se mirent en place, près au pire. Enric se tourna vers Marco et la messagère. Il semblait quelque peu énervé de les voir là, tous les deux. L’archiviste serra les mâchoires. Alara n’allait pas apprécier la suite, il le sentait.

— Vous deux, en arrière. Je ne veux plus vous voir remonter la colonne comme ça. Est-ce bien clair ?

Le regard du jeune comte se fixa sur la femme. Elle le soutint un instant avant d'opiner du chef. Elle se détourna des deux chefs de guerre sans un mot, le visage fermé. Marco la suivit en silence. Ce n’était pas le moment d’ajouter quoique ce soit. Il la côtoyait assez pour savoir qu’elle s’en prendrait à lui.

Ils arrêtèrent leurs montures plusieurs mètres en arrière, bien derrière la ligne d'archers.

Marco n'aimait pas l'attente d'avant combat. La tension qu'il ressentait le mettait plus mal à l'aise qu'autre chose. Dans ces moments-là, il se demandait pourquoi Enric voulait tant qu'il soit à ses côtés. Bien qu’il eut reçu la même formation militaire que son ami, il se sentait bien mieux dans ses archives à parcourir les étagères pleines de vieux parchemins.

— Ils ne viendront pas jusqu'ici.

Il sursauta en entendant la voix d'Alara. Une main en visière devant ses yeux, elle observait ce qui allait se transformer d'ici peu en champs de bataille.

— Ce n'est pas ce qu'ont prévu le seigneur Enric et la capitaine Harken.

— Ils se sont trompés. Enfin, il s'est trompé, corrigea-t-elle. Elle, elle sait parfaitement ce qu'elle fait. Ses éclaireuses ont déjà fait la moitié du travail. L'autre va être faite par la petite troupe qui part vers la droite. Les pillards n'auront pas le temps d'arriver jusqu'à nous.

— Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

— Je connais la manière de fonctionner de Lara Harken. Et je ferais pareil. Histoire de bien montrer qui a le dessus aussi bien à ceux d’en face qu’aux hommes avec nous. Surtout aux hommes avec nous.

— Pourtant, ils semblent s'entendre, remarqua Marco.

Alara ricana. Elle tourna la tête vers lui, planta son regard dans le sien.

— Vous êtes naïf, archiviste, si c'est ce que vous croyez. Les Mères ont bien trop habitué les femmes vivant avec elles à se croire supérieures à n'importe qui. Harken vit dans leur ombre depuis qu'elle est enfant. Elle se doit d'être la meilleure. Quitte à faire croire qu'elle est copine avec tout le monde et ensuite écraser ses alliés.

— C'est cela qu'on vous apprend à la Maison des Mères ?

Elle ne répondit pas. Marco n'insista pas, il avait sa réponse. Voilà peut-être qui expliquait les manières de la messagère depuis le départ. Elle aussi devait avoir suivi les leçons des Mères.

Ils restèrent aux aguets, attendant de voir les troupes ennemies arriver sur la plaine. Rien ne vint durant plusieurs minutes. Il lui sembla bien entendre au loin des bruits de combats. Il n'en était pas sûr. Si c'était bien le cas, Alara avait eu raison. La capitaine Harken s'était jouée d'Enric. Il entrevoyait déjà les problèmes que cela entraîneraient. Son ami ne laisserait pas passer un tel affront.

Alara se retourna plusieurs fois sur sa selle, le sortant de ses pensées. Il tenta de suivre son regard sans rien voir. Il tendit alors l’oreille. Ce qu’il pensait être des bruits de combat s’éloignait. Elle n’avait pas la moindre raison de s’inquiéter comme elle le faisait. Ce n’était pas logique.

Elle attrapa son arc et y encocha une flèche.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— J'ai fait une erreur de jugement, lui répondit-elle trop calmement. Ils se sont trompés tous les deux. Et moi avec.

— Comment ça ?

Elle banda l'arc, mit l’empennage de la flèche à son œil, visa. Rien ne la perturbait. Marco regarda une nouvelle fois derrière eux. Il ne voyait toujours rien.

— Ils nous ont contourné, lui indiqua-t-elle.

Elle lâcha la corde. La flèche disparut entre les broussailles cachant l'horizon. Un cri retentit. Elle avait fait mouche.

Et donner un signal aux troupes adversaire par la même occasion. Une dizaine d'hommes bondirent de derrière leurs cachettes. En cottes de mailles, armés de haches ou de courtes épées, ils fonçaient vers eux.

Alara encocha une nouvelle flèche. Marco sortit son épée du fourreau. Ils étaient prêts à défendre durement leur peau. Elle tira, encocha tout aussi vite. Elle ne tremblait pas, ne bougeait presque pas. Un véritable ballet exécuté à la perfection. L'archiviste aurait pu la regarder faire durant des heures si l'urgence ne se faisait pas autant ressentir.

Déjà, l'ennemi n'était plus qu'à une centaine de mètres d'eux.

— Il faut rejoindre les archers, s'entendit-il dire.

Elle ne répondit pas, concentrée sur sa tâche. Il approcha son cheval du sien et attrapa les rênes qu'elle avait lâché pour mieux s'installer. Elle ne lui jeta qu'un rapide coup d’œil. Elle avait compris ce qu'il s’apprêtait à faire. Ses genoux se refermèrent un peu plus sur les flancs de l’animal, la stabilisant autant que cela lui était possible. Il entraîna sa monture avec lui tandis qu'elle continuait à tirer. Il les amena vers les archers. Ceux-ci se retournèrent enfin, alertés par les cris de l'archiviste. Les dernières lignes bandèrent leurs armes sans plus attendre, appuyant ainsi Alara. Leurs poursuivants furent décimés avant que les deux jeunes gens ne fussent en sécurité.

Ils attendirent, prêt à faire face à une nouvelle vague. Aucun pillard ne se montra. La tension redescendit petit à petit. Alara enleva sa main du dessus de son carquois. Elle relâcha ses épaules, souffla.

Le plus gros venait de passer.

La capitaine Harken vint à leur rencontre peu de temps après. Elle avait quitté les premières lignes où aucun combat n’avait eu lieu, comme l'avait prévu la messagère. Elle se planta face à Alara, la regarda sous toutes les coutures. Cela sembla beaucoup énerver la jeune femme.

— Je pensais que vous aviez tout prévu ! Rester donc à l'arrière, Alara. Il ne vous arrivera rien, imita la jeune femme.

Ses yeux lançaient des éclairs. Marco se recula un peu, de peur de se retrouver pris à parti par la messagère.

— Vous avez beaucoup de chance, capitaine, continua-t-elle froidement.

— Nos éclaireuses étaient formelles, aucun groupe ne pouvait nous contourner.

— Et ça, c'est quoi d’après vous ?

Alara pointa du doigt les corps percés de flèches. Marco crut voir la capitaine diminuer soudainement. L'aura de la messagère s'approchait de ce qu'il avait déjà pu voir avec la Kharmesi. Elle irradiait autant de colère que de puissance.

— Vous m'en voyez désolée, ma dame.

Marco tiqua. Personne n'avait appelé Alara autrement que par son prénom. Et voilà que Harken lui donnait du ma dame. Il regarda Alara avec une attention accrue. La jeune femme continuait de crier vertement sur la capitaine qui baissait de plus en plus la tête. Harken n'osait plus répondre de peur d'envenimer les choses. Etait-il possible qu'Alara soit plus que ce qu'elle disait être ? 

La messagère se calma peu à peu. Elle n'avait plus rien pour nourrir sa colère alors que la femme face à elle ne pipait plus un seul mot. Elle n'attendit pas l'arrivée d'Enric auprès d'eux. Elle s'éloigna, seule.

Le jeune noble n'adressa pas le moindre reproche à la capitaine. Lui non plus n’avait pas prévu que les pillards se montreraient à l'arrière de leur troupe. C’était tout autant sa faute que celle de Harken. Lorsqu’il apprit le comportement d’Alara, il demanda à Marco de la retrouver et de la ramener vers le campement. Ce n'était pas le moment de la voir disparaître on ne savait trop où.

L'archiviste accepta, bien qu'il aurait préféré rester avec son ami. Il avait beaucoup de chose à lui dire et pas mal de question à poser aussi. Mais peut-être aurait-il sa réponse en questionnant directement l’intéressée.

Avant de partir à la recherche d'Alara, la capitaine l'arrêta en posant une main sur son bras. La culpabilité se lisait sur ses traits. Pourquoi s’en voulait-elle comme ça ? Pour ne pas avoir protéger la messagère ? Ce n’était pas tout à fait de sa faute. En tant de guerre, on ne pouvait pas prévoir toutes les manœuvres de l’ennemi. Parfois, il réussissait à vous prendre par surprise.

— Faites attention à elle, archiviste. Elle est plus précieuse que vous le pensez.

Elle marqua une pause. Puis, comme si elle venait de se rendre compte qu'elle venait de dire une bêtise :

— La Kharmesi n'acceptera pas sa perte.

— Ne vous inquiétez pas pour Alara, répondit-il. Je ferai attention.

Harken lui lâcha le bras, anxieuse. Il tenta de la rassurer d'un sourire. Elle se détourna sans y répondre. Marco soupira. Il était temps de retrouver Alara.

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Edouard PArle
Posté le 01/09/2021
Hey !
Je suis très bien re-rentré dans son histoire après quelques jours de pause, c'est bon signe !
L'escarmouche est sympa, ça met un peu d'action. Tu aurais peut-être pu la faire durer un peu.
Bien à toi
Oriane
Posté le 01/09/2021
Salut,
Je suis contente de te lire. Ca me fait vraiment plaisir de voir que tu arrives à reprendre sans problème.
Oui, pour l'escarmouche, faut que je la revois. Elle ne me plait pas tout à fait et comme vous, je la trouve un peu trop légère.
Ella Palace
Posté le 05/08/2021
Coucou Oriane,

j'ai eu plus de facilité à entrer dans ce chapitre que dans le précédent car il y a plus d'action.
Je pense qu’il y a une belle occasion ici, de décrire un combat avec des détails palpitants, un suspense prenant, tout en crescendo. C’est un peu dommage que cela soit si bref. Je m'attendais à plus de spectacle, en d'autres termes.
Aussi, qu'il devine aussi vite et si facilement qui est Alara m'interpelle. Tu as de bons éléments que tu n'exploites pas suffisamment, selon moi. Comme si tu était un peu pressée...
Pour plus de surprise, j'aurais, pour ma part, opté pour le cacher également aux lecteurs, d'ailleurs...

Remarques:

-« une lueur d’intérêt dans son regard pâle », redondance de « regard » (un peu plus haut).
-« Ils restèrent un peu à l'écart », redondance du verbe « rester » (un peu plus haut).
-« C’était l’occasion où jamais », ou.
-« lorsqu'un des deux choisissaient » , choisissait.
-« quoique se soit », ce.
-« les femmes vivant avec elles à se croire supérieure », supérieures
-« Elle ne répondit pas. Marco n'insista pas », redondance .
-« Elle avait fait mouche. Et donner un signal aux troupes adversaire par la même occasion », enlever le point après « mouche » et relier les deux phrases par le « et ».
-« Ils étaient prêt », prêts.
-Je trouve que les termes « regard », « regarder », « encocher », reviennent un peu trop.
-« concentrée sur sa tache », tâche.
-« les rênes qu'elle avait lâché », lâchées, je pense.
-« Je pensais que vous aviez tout prévu ! Rester donc à l'arrière, Alara. Il ne vous arrivera rien, imita la jeune femme », je ne comprends pas le « imita la jeune femme ».
-« Avant de lpartir à la recherche », partir.
-« que vous le le pensez », un « le » de trop.
-« de se rendre compte qu'elle venait de dire une connerie », le mot « connerie » ne va pas dans ton texte.
-« Je ferais attention », ferai.

Pour toute question ou autre, n'hésite pas!

Chaleureusement,
Ella
Oriane
Posté le 25/08/2021
Bonjour Ella,
Désolée de répondre un peu tard, j'étais en vacances.
Les combats sont mon point faible, j'avoue. Je vais toujours trop vite, j'essaie de m'améliorer sur ce point, mais c'est un peu compliqué encore.
Je vois ce que tu veux dire pour Marco et le fait qu'il se doute de qui est Alara, c'est un point que je dois vraiment revoir.
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