Chapitre un : Ghalia 1-2

Notes de l’auteur : Salutation,
Ce chapitre a été coupé en deux, pour vous permettre une lecture moins longue.
Prenez garde, Ghalia est une jeune femme révoltée !
Bonne lecture.

Une chose ne va pas, cela devient net, comme l’arbre perdant ses feuilles en hiver, mon esprit se galvanise d’une force qu’on voudra taire.

Devant moi, se dresse une pierre sanglante, un simple trou en son centre crache un filet rougeâtre. Je ne bouge pas, l’observe incrédule, avec tout de même, cette peur qui se noue à ma gorge. Est-ce réel ? C’est étrange comme cet objet, posé au milieu de ce sentier, parait imposant et à la fois me procure un apaisement dont j’ai dû mal à comprendre le sens. La bouche entrouverte, j’inhale l’air glacé qui danse autour de moi. Pourquoi fait-il si froid ? Ce n’est pas habituel. Dois-je en conclure que je me suis perdue dans un lieu peu engageant ? Un frisson parcourt mon corps, s’engouffre sous cette chemise ample que je ne porterais pas en temps normal. D’ailleurs, ce pantalon, qui emprisonne mes jambes, n’a rien de commun, où me le suis-je procuré ? Je me sens dépassée par cette vision, ce réel si étrange. Comment suis-je arrivée ici ? Pourquoi ?

Oh ! que…

Un parfum de fer envahit le lieu, mes narines se dilatent, respire la fragrance. Je plis mon nez dérangée par l’âpreté voguant dans l’air, puis porte ma main à mon visage. L’odeur est plus forte et soudain du rouge brouille mes yeux écarquillés.

Pourquoi ai-je un poignard à la main ? Quel est tout ce sang badigeonnant mes doigts, mes paumes ? Je n’aime pas la tournure que prennent les événements. Les battements de mon cœur ralentissent, éprouvés par l’odeur de fer qui ressort du liquide.

On me regarde ! Oui, il y a un regard braqué sur moi, j’en suis convaincue. Lentement, je me tourne, le cœur battant, la tête envahie d’appréhensions, puis je dépose mes pupilles sur un tas de corps gisants, le souffle coupé. Ils ne vivront plus jamais. Est-ce moi qui ait fait cela ? Pour quelle raison ? Je devrais me sentir mal, cependant, je contemple le spectacle terminé, sans une once de culpabilité. C’est là, comme il y aurait pu avoir autre chose.

Un homme. Un vieillard se hisse vers cette masse répugnante d’autres vieux. Les visages sont ridés, l’anatomie mal engagée, de toute façon, ils sont morts. Ils finiront par pourrir éliminé par le sol qui les retient. Mes jambes avancent d’elles-mêmes, ma poigne se serre sur le manche de l’arme et mon esprit s’oublie. Je ne pense plus ou du moins mes sentiments ainsi que mon empathie disparaissent enfouis sous le froncement de mes sourcils.

— Non, ne faites pas ça, madame. Je vous en conjure ! NON !

Je ne retiens pas le coup, et abat le poignard en plein cœur du vieil homme suppliant. Que m’arrivait-il ? Pourquoi mon corps répond à une telle violence, qu’ont fait tous ses vieillards, Femme et homme, je n’avais épargné personne.

Moi…

Dans quel but ai-je tué ces gens ? Est-ce vraiment moi ou quelqu’un de plus sombre ?

Horrifié, et pourtant sereine, je garde la pose en fixant cette pile inerte.

— Le changement, Ghalia. C’est le changement d’une époque à une autre. Ne crains pas cela, ne pleure pas face à la mort. Tu devras être forte pour offrir un monde meilleur.

Qui parle ? Je ne vois personne. Il n’y a ici, que moi, cette pierre et ces cadavres.

— Tu sauras comprendre cette vision que je t’envoie, plus tard dans le temps. Résiste, ne laisse personne corrompre ton esprit et ton envie de liberté. Tu y as droit et les enfants à venir, aussi.

— Qui es-tu ? fini-je par demander, anxieuse.

— Adéna, une sorcière de Hongoria. Tu as si souvent parasitée mes prémonitions, j’avais envie de te rencontrer et de te rassurer. Tu sembles si troublée depuis quelque temps. J’en comprends la raison. Je te vois, je t’entends, je sens ton oppression, ta peur…

— Hongoria, qu’est-ce donc ?

— Un pays, derrière la barrière. Je dois y aller. Peut-être à bientôt, Cher Ghalia.

Un claquement de doigt retentit dans ma tête, l’image sous mes yeux ondule comme si rien de tout cela avait pu exister et doucement, j’ouvre mes paupières sur le plafond de verre. Dans mes draps, le corps figé, je reste pensive.

— Un rêve, ce n’est rien qu’un rêve.

*

 Encore un mariage. Encore une pauvre jeune femme que l’on sacrifiera à l’aube. Si jeune, si belle et promise à la mort. N’y a-t-il point de solution à sa survit ? Ne peut-on pas lui venir en aide ? J’ai besoin de croire que d’ici quelques minutes un être, imaginé ou non, viendra la soustraire de l’injuste sacrifice qui l’attend. Elle est vive, si en pleine santé, cela me fend le cœur d’admettre qu’il ne lui reste qu’une soirée à passer. Et en même temps, je l’envie, car une fois loin d’ici, dans un lieu plus secret, peut-être sous la terre, elle vivra sa mort en paix. En patientant devant la scène, je rumine sur ce jeu qui se joue sous mes yeux.

Comment mon père et les autres conseillers du sultan peuvent accepter tant de cruauté ? Il m’est insupportable de voir un homme tuer des femmes dont il ne connaît même pas le nom. Qu’est-ce qui ne va pas chez lui ? A-t-il pris goût à son pouvoir ? Ce sultan me révolte, un peu comme le monde qui m’entoure. Une poignée de conquérant et une masse étendue de soumis, voilà comment nous vivions. Ici, comme surement ailleurs, les plus puissants plaçaient des oreillers sur nos visages pour nous empêcher de respirer. Oui, j’ai de plus en plus de mal à trouver de l’air et à m’en gorger. Je suffoque dans la barbarie, les lois castratrices et l’impunité des crimes.

Le regard lancé vers ce faste mariage me brûle les yeux. Cette vision me tord l’estomac, tout comme ces mascarades. Il me tarde de partir ou peut-être de devenir sourde et aveugle, pour qu’enfin je n’ai plus à participer à cette immondice. Je serais là, sans vraiment y être. Juste un corps, une sensation dans un cadre révoltant, mais dont je ne connaîtrais rien des supplices. Mon ouïe puissante me laissera écouter les oiseaux et le temps… Comment ne pas désirer plus de beauté dans ce paradis de cruauté ?

Dans le royaume de Mekdebel, au palais de Raouja, le Sultan Hadi III, épouse une septième femme. Une belle demoiselle aux sages paroles à qui il tranchera la gorge pour la simple raison qu’il le désire et qu’il méprise les femmes plus que toute chose ici-bas. J’aimerais croire qu’un démon — de ceux qui vivent dans la forêt au nord du pays — possède cet homme, mais je conçois qu’il est juste fou, écrasé par le poids de la trahison, et peut-être curieux de savoir jusqu’où il peut exercer son pouvoir. Seule la haine le consume et elle ne s’arrêtera pas d’aussi tôt. Quelle horreur, cette honte qui vous octroie le droit de tuer pour oublier sa favorite, son épouse première du nom, la sultane Amina. Sa fuite aura causé bien des soucis.

En observant cette union illusoire, j’ai espoir qu’un jour, les âmes errantes du désert de Sinaï-Lade punissent cet homme. Oui, je voudrais que les spectres qui nimbent le sable d’une lumière rougeâtre, l’égorgent. Cependant, qui suis-je pour juger la vie d’un autre ? Ne serait-ce copier sa bassesse ? Il faudrait une colère dévastatrice au fond de mon cœur pour qu’à l’instar de mon rêve je commette un assassina. Mais pour le changement d’une époque, j’accepterais d’être la main du danger. Ou peut-être le murmure dans les oreilles des enfants. Et si je leur apprenais à se respecter, eux, fille, garçon, et pourquoi pas, chat errant ? Si demain soir, je tapissais les rues de la capitale de tract en y déposant toutes mes revendications ? Est-ce que j’aiderais Mekdebel à changer ?

Les yeux déportés sur Hadi, je ne peux mesurer mon déplaisir, néanmoins je sais qu’il n’est pas la seule cause à ma colère. Ma mâchoire se contracte, ce que je donnerais pour le voir brûler instantanément dans un brasier miraculeux, lui et tous ceux qui cimentent des lois auxquels je n’ai aucun droit.

Je n’arrête pas de le regarder, dans l’espoir de lui transmettre mes idées, d’esprit à esprit. Cependant, il m’est impossible d’accepter son image. Son simple reflet me répugne et pourtant, son visage cuivré resplendit. Encadré de sa chevelure et de sa barbe dorée, il rayonne comme un soleil d’été prisonnier de la froideur du marbre. Ce poison aveuglerait bien des prétendantes. Combien ont cru qu’elles pourraient le changer ? Futile idée, sottise enfantine de rêveuse trop sensible. Même ses concubines n’osent plus se rendre dans ses appartements lorsqu’il les envoie quérir. Toutes les femmes du palais et des environs sont terrifiées à l’idée que le beau Hadi pose son regard hémimorphite, perçant et hypnotique sur elles. Moi la première. Comme chacune des nobles dames invitées à l’hymne, je reste en retrait afin de me cacher du sultan. Hélas, mon père, Loudaq, veut me le faire rencontrer, c’est ainsi que je brille plus fort que l’épouse du jour. Mes frères lui ont supplié de rien en faire, invoquant le fait qu’une femme comme moi, avec ses propres convictions, et d’une beauté atypique, devrait se marier avec un homme qui l’aimerait qu’importe ses choix. Pour mes proches, ceux qui me respectent et qui m’offrent leur amour, je suis déterminée et insoumise. Cependant, ici, une femme avec des opinions se voit bien souvent pendue ou la langue tranchée. C’est plus que révoltant ! Quand cela cessera-t-il ? Puis-je croire en ce rêve, en la voix d’Adéna ? Je prends conscience de ma différence, de mon envie d’aller à l’encontre des codes. Cependant, aurais-je le courage de me proclamer libre ?

Certains membres de ma famille cherchent encore à m’aider, à me sauver de cette misérable fin vie que mon père semble vouloir accepter. Malheureusement ce dernier est intransigeant et adore le pouvoir. Plus vaniteux et orgueilleux que lui ne doit point exister. Ses yeux avides et sa façon de bomber le torse prouvent combien il désire la suprématie. Au fond, j’aimerais avoir une part du gâteau, cet héritage qu’il ne paraît pas vouloir donner. Pourrais-je lui voler ?

Me concernant, je ne suis rien de plus qu’une femme qui admire la liberté et les jeux féroces. Courir ne m’effraie pas, marcher dans la pénombre m’amuse, pénétrer dans des lieux non autorisés, créent en moi un flux d’adrénaline. J’aime terriblement les interdits. À Meckdebel, je n’ai ni le droit de penser, ni le droit de croire en mes possibilités. Dans le secret des lois, cachée par mes frères et sœurs, je fais ce qu’il me plait ou du moins ce qui ne me coûtera pas la vie. Si mon père imaginait une seconde que, loin des regards, sa fille aînée montait les murs et chevauchait comme un garçon, je sais que je passerais un mauvais quart d’heure et qu’il m’enfermerait pendant des jours sous la tutelle d’un de mes oncles. Il avait agi ainsi avec Safira, l’une de mes plus jeunes sœurs. Promise à un homme depuis sa naissance, elle avait osé en aimer un autre. Comment interdire à une jeune fille de quatorze ans de maîtriser son cœur, de ne point se rebeller contre les diktats d’une société qui change si lentement ? Serons-nous à jamais soumises dans ce royaume caché du monde où les hommes ont tous les droits ? En a-t-il toujours était ainsi ? Je suis lasse de cet archaïsme. Fatiguée de fermer ma bouche, comme j’ai envie de crier, là, toute suite, toutes mes vérités, et celles, j’en suis sûre, de millier d’âmes semblable à la mienne. Pourtant, au fond de mon cœur, je sais que la mort me guettera si j’ose bousculer la parole d’un homme, d’un puissant. J’aurais tant voulu ne jamais naître dans ce corps de pantin réfléchi. Et cela me fait souffrir d’y songer…Comment puis-je avoir honte de qui je suis ? Oh ! Rage, je te sens parcourir l’étendue de la raison, mais tu resteras muette, seule moi ait la clé de ta voix. Pardonne-moi d’avoir peur, malgré toutes mes pensées de révoltes.

Triturant une de mes bagues, je ne peux m’empêcher de réfléchir ainsi. De croire que je ne mérite pas d’être Ghalia. Je secoue la tête, et replonge dans ma colère.

Si je dois être une épouse plus que moi-même, je voudrais croire que mon mari sera aussi bon qu’un de mes frères. Ainsi, me parer devant ce Hadi, ne me viendrait pas à l’esprit. Je m’éloignais toujours, ne cherchais jamais ni son regard ni ses faveurs (s’il daignait à m’en faire.). Je désire que l’on me respecte comme une reine, que l’on m’écoute, et surtout, de ne point être monnaie d’échange entre pouvoir et envie.

Les musiciens redoublent d’ingéniosité pour nous offrir de nouvelles mélodies, toujours guidés par le Nay. C’est un jeune garçon qui en joue avec virtuosité. Les yeux clos, il semble réfléchir au son qu’il fera sortir de son instrument et quelle image celui-ci représentera.

Je laisse courir mes yeux dans le jardin des noces, renommé dans les rues du marché : le jardin des morts. Des danseuses du ventre ondulent au gré des sons aigus. Leur tenue légère offre un spectacle mirifique à chacun et leurs voilages transparents, aux nuancées de bleus et d’orangés, inondent l’air. Elles tournent sur elles-mêmes, semblent voler. Leurs draperies se transformeront-elles en ailes ? Elles sont rejointes par des paons domestiqués qui font la roue sur commande. Ça n’a pas l’effet escompté sur moi, je me demande juste ce qu’ils ont dû subir pour réagir aux gestes de leur dresseurs. À croire que tout était dirigé par la terreur…

Assise sur un tapis et entourée de quelques coussins, je m’exaspère de revenir demain et d’assister à nouveau à la noce mortelle d’une jeune épouse. Cela me fend le cœur rien que d’y penser. Je hais cet homme, je hais ceux qui le conseille, je hais le destin des femmes de mon royaume et crains pour tout être qui viendra à y naître.

– Ghalia ? Tu n’as rien mangé. Goûte au plat. Il est si bon. Plus savoureux que celui de la veille.

Ma sœur cadette, Mina, se penche sur moi. Sa longue tresse brune glisse sur son épaule et rejoint le sol, tandis que ses immenses yeux noirs peignés de longs cils, me fixent sous un voile d’inquiétude.

– Je n’ai pas faim. Tout ce faste répétitif me fatigue, me désole… m’effraie un peu. J’ai la sensation de revivre en boucle les mêmes soirées : seule la femme se trouvant au côté du sultan change. Ne te sens-tu pas désolée pour elle ?

Je referme mes doigts bagués sur le tissu de soie bleu nuit de mon caftan. Mina pose sa main couleur caramel sur mon visage et caresse ma joue tendrement.

– Bien entendu, ma petite lune. Je suis peinée et touchée dans mon âme. Savoir qu’une si gentille fille mourra quand le matin s’épanouira, me blesse. Mais que puis-je à cela ? Aucun homme ne se risque à contredire le sultan et ses agissements, alors crois-tu que moi, je le puisse ? Je ne suis pas magicienne, et si je l’étais et que je parvenais à déstabiliser cet homme, ma tête se balancerait sous un soleil ardent. La famille serait déshonorée et tu serais vendue pour un sou, comme le reste de nos sœurs.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Aube26
Posté le 31/01/2021
Bonsoir !
Ce chapitre était vraiment très bien et j'apprécie beaucoup les valeurs que défend Ghalia.
J'ai lu dans les commentaires précédents que cette histoire est la revisite des Mille et unes nuits. Si cela t'intéresse, je connais une maison d'édition qui ne publie que des revisites de contes ^^ Elle s'appelle Magic Mirror Editions.
NM Lysias
Posté le 08/02/2021
Je sais merci. Malheureusement, je ne suis pas sûr de leur envoyer celle-ci. Tout dépendra de ce qu'ils auront pensé des chaussons du cordonnier. ^^ Je me suis prit pas mal de râteau de leurs part. Donc... je reste un peu en arrière avec ce texte.
Mais merci de cette proposition. Elle me réconforte. ^^
Aube26
Posté le 08/02/2021
Je croise les doigts pour toi ;)
Sam68
Posté le 12/01/2021
Bonsoir.
Votre revisite de quelque chose qui s'apparenterait aux Mille et une nuits est forte intéressante.
J'ai vraiment a coeur de poursuivre ma lecture!
NM Lysias
Posté le 14/01/2021
Bonjour,
C'est effectivement une revisite des mille et une nuits, si votre intérêt vous guide sur une poursuite, je serais ravi de connaître vos sentiments concernant les chapitres.
Ne craignez point cette aventure, elle vous tend les bras.

Bonne année. ^^
Joly
Posté le 10/12/2020
Salut,
c'est un début vraiment triste et angoissant.
Je me sens mal pour ghalia. Le père est cruel.
L'histoire est assez intéressante. J'ai hâte d'en lire plus.

Bye
J.F.Sebastian
Posté le 24/11/2020
Bonjour,
Super début! C'est très intéressant cette approche des "Mille et une nuit", au-delà des contes.Et ce n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît! Bonne continuation!
NM Lysias
Posté le 25/11/2020
Salutation,

Merci pour ton passage et ton avis.
Effectivement, les contes sont souvent édulcorés. ^^
Vous lisez