Chapitre V

Par Fidelis

Aussitôt les murs de l’enceinte franchis, une pluie battante accompagna le véhicule. Le Titan dévorait la piste à grande vitesse.

Corkos semblait entrer en communion avec l’engin.

Les deux meurtrières froncées à l’avant laissaient à penser que sa visibilité était réduite. À l’intérieur il n’en était rien, un panorama à 180° s’offrait au conducteur, restitué par les objectifs surpuissants planqués dans les fentes métalliques.

Le troll caressait amoureusement le volant, ses yeux brillaient d’une étincelle de désir ardent comme envoûté par la bête. La structure reposait sur une suspension magnétique, et malgré cela, les deux passagers ressentir l’arrière de l’engin chasser et se secouer sous les ornières qu’il effleurait.

Nuissandre lui jeta un regard froid, qui ne laissait rien présager de bon.

— Corkos ralentit ou tu vas te retrouver dans la tourelle !

Le pilote sortit de sa rêverie en faisant la gueule, et leva le pied pour adopter une allure plus sécurisée.

L’elfe lui fit le topo.

— On doit effectuer un arrêt, au kilomètre 77, un capteur-sonde c’est mis en veille je dois le relancer ou le changer. Il se situe dans une cache sous le sol, tu placeras le Titan au-dessus de la trappe d’accès, alors baisse ta vitesse pour ne pas la manquer.

Il redevint aussitôt le militaire aguerri.

— Reçu lieutenant.

Les traces de la piste, bien dessinées à la sortie de l’enceinte, se dissipaient en s’éloignant. La végétation se refermait sur cette brèche, pour reprendre ses droits, bien plus vite que les véhicules n’y circulaient, remarqua le vautour positionné en hauteur.

Les cycles passaient, Scalp observait les branches et les lianes se ployer de plus en plus près du Titan. Il avait une capacité étonnante à détecter des objectifs camouflés parmi cette masse verdoyante grâce à sa vision thermique. Cependant, l’appareil se déplaçait si rapidement que les cibles avaient à peine le temps de s’apercevoir de sa présence avant d’avoir disparu. Il avait pourtant l’index qui le démangeait, une envie démesurée de faire cracher la mitrailleuse sur l’une de ces anomalies biologiques qui peuplaient ce no man land.

Pour s’occuper, il s’enivrait à pivoter la tourelle sur son axe à trois cent soixante degrés comme une toupie en chantonnant un air débile.

…I'm so happy 'cause today I found my friends

They're in my head

I'm so ugly, that's okay, 'cause so are you

Broke our mirrors…

 

La rotation de l’équipement de défense, ancré sur le toit de l’engin, créer une instabilité sur son pilotage, réalisa Corkos quand il découvrit son petit jeu.

Il l’interpella au micro, que l’elfe avait provisoirement suspendu pour se rendre à l’arrière et s’occuper du déverrouillage de la trappe sur le plancher en prévision de sa sortie.

— Scalp ! arrête de jouer avec la tourelle tu commences à me gonfler, et cesse aussi de chanter cet air débile, on sait que t’es taré inutile de t’en vanter !

Le vautour continua en haussant la voix en signe de bravade.

-  I LIKE IT I’M NOT GONNA CRACK I MISS YOU I’M NOT GONNA CRACK I LOVE YOU I’M NOT GONNA CRACK I KILLED YOU I’M NOT GONNA CRACK…

Repris aussitôt à l’ordre par l’elfe, qui même sans micro finit par entendre.

— SCALP TU LA FERMES !

Pour le faire définitivement taire. Il dressa ses deux majeurs, qu’il était le seul à voir du haut de sa position.

— Reçu lieutenante !

La vitesse du Titan se réduisit, avant de s’immobiliser, Corkos annonça.

— Kilomètre 77 nous y sommes, mais y a rien !

Nuissandre qui avait rebranché son micro leur donna des instructions.

— Corkos, il doit toujours apparaître une zone moins dense avec des débris carbonisés, range-toi à une dizaine de mètres. Scalp, tu me couvres le périmètre d’une bonne giclée de napalm.

Le pilote opéra la manœuvre et le vautour fut ravi de pouvoir se servir de ses nouveaux jouer en cramant tout ce qui se trouvait devant eux. Après un petit demi-cycle, le feu s’éteignit tout seul et il distingua une buse métallique émerger du sol. Le Titan vint stationner au-dessus pour que l’Elfe à l’arrière puisse s’y plonger.

Dehors la pluie s’était calmée, mais le manteau végétal obstruait la faible luminosité, pour les maintenir dans une semi-obscurité.

Nuissandre équipée léger déverrouilla les accès et leur lança avant de descendre.

— J’en ai pas pour long, restez attentif, à l’arrêt on devient vite une cible. Utilisez le moins possible la mitrailleuse, le bruit nous attirerait plus d’ennuis qu’autre chose, lâcha elle avant de disparaitre dans la trappe.

Le Quart de siècle ronronnait à l’arrêt comme un félin prêt à bondir. À l’intérieur, le troll gardait un œil sur les radars de détection, il savait d’instinct que ce calme d’apparence pouvait basculer à tout moment.

En haut de sa tourelle, Scalp s’étira, et lâcha au pilote par le micro avant d’ouvrir la trappe du dessus.

— J’vais pisser un bol, tu me couvres mec !

Corkos n’eut pas le temps de protester que l’autre marchait déjà sur le toit de l’engin.

— Non sort pas…

Il tourna son regard dans son rétro et le vit glisser le long des flans et s’éloigner du Titan.

— Bordel de vautour !

Il actionna sa portière, bien décidé à le choper pour qu’il remonte à bord.

— Scalp reviens immédiatement tu vas pas me sucrer ma prime ce coup-ci !

L’autre pissait détendu et lui lança sans se retourner.

— Ouais c’est ça et c’est toi qui vas me faire rentrer peut-être ?

Les trolls étaient une classe de guerrier, et s’il y a bien une chose qui les mettait vite en colère, c’était l’arrogance dont usaient les vautours en toute circonstance.

Corkos n’échappait pas à la règle.

— J’vais t’écraser la gueule sale nabot !

Au moment où Scalp se tourna, la masse de muscles lui fonçait dessus, le vautour blêmit et sortit ses Eagles.

Il tira deux balles, mais aucune ne le toucha. Au lieu de cela Corkos entendit dans son dos un corps s’écrouler sur le sol et se retourna. Un lézard vert de belle taille gisait devant le Titan.

Scalp lui lança un sourire moqueur aux lèvres.

— Je croyais que c’était toi qui devais me couvrir ?

Le regard du troll allait du reptile au vautour, au moment où une ombre apparut sur le véhicule qui attira leur attention.

Les deux se figèrent, le plus grand murmura en serrant les dents.

— C’est une tremblante, ne bouge surtout pas d’un micropoil, elle ne détecte que les cibles mobiles.

L’arachnide gigantesque descendait lentement sur le flan du blindé. Elle possédait des pattes immenses couvertes de poiles qui vibraient en permanence pour repérer les déplacements d'air formés par le mouvement. Son abdomen pouvait les contenir tous les deux sans se créer la moindre remontée gastrique. De ses quatre paires d’yeux rouges, elle surveillait avec attention tout ce qui l’entourait, et gardait ses mandibules ouvertes, d’où s’échappait une bave fétide.

Le vautour déglutit avec difficulté. Il estimait mentalement ses chances s’il vidait les chargeurs de ses deux Eagles sur cette apparition cauchemardesque.

Le troll qui le sentit sur le point de paniquer, lui murmura.

— N’y pense même pas, ne bouge pas je t’ai dit.

L’araignée évoluait avec une lenteur calculée, pour arriver au pied du Titan. Elle leur barrait à présent toute retraite possible, ses orbites oculaires ne les quittaient pas, elle émettait de petits sons à la tonalité presque métallique qui provenaient de l’intérieur de son corps.

De grosses gouttes de sueur parsemaient le visage de Scalp qui était à deux doigts de perdre son sang-froid. Ses mains se mirent à trembler sans qu’il parvienne à y remédier. Ses yeux écarquillaient, ne lâchaient pas les mandibules de la créature qui semblait sentir sa peur et s’en délectait.

Corkos qui espérait le retour de la lieutenante n’eut pas le temps de rajouter une parole. Le vautour, paniqué, braqua ses deux Eagles. L’araignée comprima ses huit pattes pour bondir en même temps qu’ils virent apparaître au travers de son corps massif, des pointes chromées. La transperçant de part en part, pour la figer dans une posture de supplice. Ces membres remuèrent encore quelques secondes, pour s’immobiliser sans parvenir à expliquer ce qui l’avait terrassé.

Scalp n’avait pas eu le temps de tirer un coup de feu, les deux, partagèrent un regard chargé de surprise. Les pieux d’acier disparurent de l’abdomen de la créature comme ils étaient venus. Ils comprirent qu’il s’agissait des défenses latérales du Titan qui s’étaient déclenchées, avant de se rétracter.

Sans échanger un mot, ils se précipitèrent à l’intérieur du véhicule, étonné d’être encore en vie, et prêt à se faire engueuler pas la lieutenante qui leur avait sauvé la mise.

Ce n’est qu’une fois dedans que la tension qui les habitait commença à diminuer, avant de réaliser avec effroi que Nuissandre n’était toujours pas revenue.

Le vautour perturbé par son absence demanda.

— Si elle n’est pas là… qui a déclenché les protections ?

Corkos haussa les épaules quand la tête de l’elfe fit son apparition par la trappe sous le ventre du Titan.

— Voilà c’est fait, mission réussit le capteur-sonde est changé.

Elle s’appuya de ses deux mains sur les bords pour se hisser d’un bond hors du trou, puis se tourna vers ses coéquipiers qui l’observaient avec de grands yeux ronds.

— Ça va tout s’est bien passé ici ?

Le troll s’installa sans traîner derrière son volant pour ne pas avoir à croiser son regard et lâcha juste.

— Oui oui très bien.

Pendant que le vautour s’était vite glissé dans la tourelle sans un mot.

Elle fronça les sourcils en les voyant faire.

— Vous en faites une tête, j’étais persuadée que vous étiez en train de vous engueuler, je crois que je vous ai mal jugé, dit-elle en refermant l’accès.

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