CHAPITRE V – Les quatre chemins se rallient dans la clairière - Le second conseil du GRAAL Partie 2

Notes de l’auteur : Bonjour à tous, j’espère que cette scène vous plaira et vous donnera envie de lire la suite.
Finalement, que pensez-vous de la réunion du Conseil ? Elle est à la hauteur de ce que vous imaginiez ou, au contraire, trop peu engagée ? Et, bien sûr, vous avez hâte de partir en expédition avec eux ?
Si c’est le cas, vous aurez l’opportunité de les suivre dans un grand chapitre à scène unique (comme le III), de Genève jusqu’à cette mystérieuse Forêt d’en Bas…
En revanche, le chapitre 6 arrivera dans trois semaines plutôt que deux (j'ai besoin de reprendre un peu plus d'avance et je préfère m'assurer de pouvoir publier tout le chapitre sur un bon rythme).
N’hésitez pas à commenter ou partager mon travail autour de vous, et portez-vous bien.

Le second conseil du GRAAL

 

Il faut agir contre l’altération des corps et des esprits, tel qu’elle le clama d’emblée, ce n’est pas moins important que les divisions de l’AP ou les tumultes de la Révolution, et cela concerne tous les êtres vivants. Pourtant, même Maria était loin de s’attendre à ce qu’elle leur confia ensuite, en serrant parfois son cher médaillon de bois quand elle se sentait douter du choix si délicat de ses mots. Hormis l’emplacement de la cachette de son mentor ou les avertissements qu’il avait formulés contre ses trois amis, Alessia leur révéla tout ce qu’elle avait appris ou supposé durant ces derniers mois. Perplexes, ils l’écoutèrent ainsi prétendre un lien entre le LM et le grand dessein divin, puis annoncer l’existence du Testament et de son Code, ou d’une civilisation angélique dont l’héritage se trouverait encore sur Terre, enfoui, attendant d’être déterré par le lent travail des échos sur les roches du monde. Enfin, elle en vint même à leur avouer ce qu’elle espérait faire dans la Forêt d’en Bas : suivre les appels d’un Ange.

Malheureusement, à l’issue de ces longs monologues entrecoupés de questions dubitatives, ses trois amis d’Alessia ne se rejoignaient que sur une chose : personne ne croyait ses histoires. Cependant, aucun d’eux n’arrivait à se mettre d’accord sur ce qui relevait de la science d’Alessia ou sur ce qui relevait de sa croyance, visiblement trop forte pour ne pas empiéter sur son rationalisme. Certes, sa meilleure amie voulait bien admettre l’existence d’êtres supérieurs ou alternatifs, mais l’idée d’une apocalypse la faisait plus rire qu’autre chose, tout comme celle que les Anciens auraient déjà étudié le LM avec autant de maîtrise. Quant à l’Anglais, il se refusait tout simplement à croire en l’existence de Dieu, ni en un quelconque projet divin. En revanche, Arcturus n’avait aucun problème à imaginer qu’il puisse exister toutes sortes d’artéfacts curieux ou de savoirs anciens autour du LM, laissés par une civilisation supérieure qui serait devenue angélique aux yeux des premiers hommes, grâce à leurs connaissances si avancées. En bref, il croit au surnaturel et à la transcendance lorsque ça l’arrange, pensait Alessia, tandis qu’elle s’essayait à clarifier une énième question pleine de doute de William, celui qui parut avoir l’avis le plus inattendu sur la question. Loin de ce qu’elle attendait d’un socialiste comme lui, il parut admettre l’existence d’un dieu et de toute une hiérarchie divine au passé trouble, mais rayonnant. En revanche, il n’y voyait aucune grandeur, plutôt un potentiel danger si cela était avéré, car quelque chose au fond de lui le poussait à se méfier de ce grand dessein, sans s’y soumettre. Après tout, il a toujours cru que Dieu était le pire père que puisse avoir l’Humanité, se lamentait Alessia en entendant chacun de leurs avis, j’ai peut-être été trop optimiste, je n’aurais peut-être pas dû tout leur révéler.

Cependant, il en fallait beaucoup plus pour décourager le Cœur Astral de sa foi en ses amis ou son devoir, alors elle s’obstina à leur expliquer les signes avant-coureurs de cette fameuse apocalypse, tel que Marco-Aurelio l’avait fait pour elle – mais sans ce petit jeu de piste qui n’avait finalement pas été si inutile que ça pour lui faire ouvrir les yeux. Et, en s’appuyant sur les phénomènes célestes dont ses deux confrères avaient été témoins, ou sur les évènements de Fatima que Maria ne contestait qu’à voix basse, elle parvint presque à les faire changer d’avis, ou au moins à les laisser pensifs, jusqu’à ce que l’un d’eux finisse par briser ce silence gêné : mais si nous admettons l’Apocalypse, qu’est-ce que tu attends de nous ?

Car le principe d’une épreuve, c’est d’être réussi selon les consignes fixées par un juge, en l’occurrence ce Dieu, devant qui le Conseil devrait rendre des comptes, lorsque nous y serons tous prêts et que ce jour lointain viendra. Malheureusement, ces derniers mots de la religieuse ne suffirent pas à atténuer les réactions de ses trois amis, désormais menacés dans leurs intérêts personnels ou idéologiques. Certes, William pouvait concédait une chance à son Dieu, mais il n’obéirait pas aussi aveuglément, et le Conseil n’avait pas vocation à devenir le relais d’une autorité divine sur Terre – puisqu’il n’était pas non plus celui de la Cause après tout. Ce dieu et ses anges pouvaient bien avoir leurs objectifs, l’Allemand et ses trois amis devaient avoir les leurs au nom de l’Humanité, et bien qu’Alessia en soit peinée, elle comprenait son point de vue. William ne demande peut-être qu’à croire finalement, croyait-elle comprendre, rien à voir avec les tristesses que me répondent Maria et Arcturus. En clair, la première refusait tout simplement de le servir, ni elle ni l’Humanité, et le second craignait maintenant plus pour son bonheur que pour sa liberté. Si une quelconque loi divine venait à s’appliquer sur Terre, il en serait fini des rêves de grandeur de la Lune Pâle tout comme il en serait fini des rêves de plaisir du Soleil Marin ; plus d’élévation de l’homme par le LM, plus d’aventures extra-conjugales arrosées d’ivresse, plus de fuite en avant si débridée, l’ordre allait devoir s’imposer et chacun rester à sa place. Alors, cette bonne fille qu’était Alessia eut beau le défendre du mieux qu’elle puisse, son frère et sa sœur du Conseil refusaient catégoriquement de se plier à un père aussi indigne et ingrat que son prétendu Créateur. Mais comme tout à l’heure, elle s’acharna à leur prouver que Dieu était bon.

Seulement cette fois, avant même le premier petit silence, une nouvelle question gênante fusa : pourquoi as-tu caché autant d’informations durant ces derniers mois ?

— Je veux dire que tu n’as pas pu pécher par fierté comme moi, ni par crainte de nous inquiéter sur tes véritables intentions comme William. Tu ne nous inventes pas tout ça, juste pour donner du poids à tes craintes, si ? » finit par s’étonner Arcturus, après avoir vu Alessia balbutier un début de réponse avec difficulté.

— Bien sûr que non. Seulement … D’abord, je n’ai rien dit parce que je doutais moi-même, je refusais d’admettre que le LM, qui devait être l’outil de notre Conseil, puisse se révéler aussi dangereux. Il a fallu que je voie de mes propres yeux le sanctuaire de Fatima, le dernier Carnaval de Venise ou le Code du Testament pour commencer à saisir les écrits de Maître Marco-Aurelio. Je ne suis pas si différente de vous et j’ai toujours à cœur nos idéaux. » leur avoua-t-elle en espérant les convaincre alors que Maria enchaînait sur le vif du sujet.

— Ça m’étonne d’une fervente croyante comme toi. Enfin, je veux bien te croire sur tout Alessia, mais il va falloir que tu ramènes ces trésors au Conseil pour que je les voie également, notamment ces artéfacts angéliques. En plus, c’est notre devoir que de conserver l’héritage du Premier Conseil, nous sommes leurs héritiers.

— Non, Maria, je ne peux pas, ils ne nous appartiennent pas, nous ne les pillerons pas. Gaël m’a gracieusement offert de les étudier, et je partagerai toutes mes découvertes avec vous, mais je ne renierai pas ma parole et je ne le volerai pas, nous ne sommes pas des criminels. » résistait-t-elle, sous les soupirs lassés de son confrère Allemand.

— C’est très louable de ta part, Alessia, mais c’est tout de même dommage que nous n’ayons aucune preuve de tout ce que tu avances, nous n’avons que ta bonne foi, même si cela nous suffit. Seulement rien ne nous dit que tu ne te sois pas un peu trop emballée sur certains sujets, c’est aussi ce qui fait ton talent et ton charme, nous le savons bien …

— Vous pouvez venir voir par-vous-même à la Dolce Lupe où Gaël et moi traduisons le Testament, cela vous donnera l’occasion de le revoir, il s’agit du fils de Marco-Aurelio tout de même. Et c’est bien parce que la situation est urgente, parce qu’il faut débuter la traduction du Testament au plus vite que je ne l’ai pas amené ici avec moi. Mais je vous promets de venir avec quelque chose pour notre prochaine réunion. » se justifia-t-elle une dernière fois, avant que les visages de ses amis ne s’enferment dans la réflexion, jusqu’à ce que sa fidèle amie lui fasse remarquer qu’elle aurait dû lui parler de tout ça lors de leurs vacances.

 

Néanmoins, au vu des errements de ses deux confrères, l’Italienne ne pouvait qu’être pardonnée à son tour, au nom de l’amitié du Conseil, dans l’attente que ses avertissements puissent être davantage étayés comme la Lune Pâle le rappela avec ce ton supérieur qui ne la quittait plus.

Cependant, Maria qui se croyait aussi miséricordieuse qu’intouchable fut très vite déçue lorsque vint son tour, après que les quatre élèves eurent reporté le vote demandé par Alessia à l’issue du voyage dans la Forêt d’en Bas – selon ce qu’ils allaient découvrir là-bas. Pourtant, c’est avec une voix pleine d’assurance qu’elle débuta l’exposé de ses six derniers mois, des avancées scientifiques qu’elle avait réalisées aux partenariats qu’elle avait remplis, en passant par le don de la parole offert à un singe ou l’altération du meilleur de ses chasseurs de mutants, sans même parler de sa victoire de Verdun. Tout se déroulait parfaitement du côté de la Française, un succès digne des rêves du Conseil du Graal à l’entendre raconter ses derniers mois comme des coups sur un échiquier. Mais elle comprit bientôt qu’elle était la seule à partager ce point de vue et, à l’inverse du cas de ses trois collègues tout le monde était unanime sur le sien : Maria avait péché par un zèle effroyable. Selon eux, elle était en grande partie responsable de l’ivresse barbare qui imprégnait maintenant les armées de Gabriel, elle était complice de chaque exaction, et Dieu seul sait tant elles étaient nombreuses.

Elle avait ainsi contribué à l’entretien d’un terrible cycle de haine, ainsi qu’au passage d’un nouveau cap dans la sauvagerie des conflits militaires, elle avait rendu le monde plus mauvais sans même le faire au nom du Bien – un véritable péché pour les Sages du Conseil, inscrit dans leurs Lois. Seulement, elle n’allait pas se laisser faire …

— J’étais parfaitement en droit de me défendre. Les lois du Conseil me le permettaient et c’était nécessaire à la création du Déméne. » fit-elle froidement valoir avant qu’Arcturus n’essaie de faire la médiation – lui qui prenait aussi sa part du marché du côté de l’Entente franco-anglaise.

— Nous ne te reprochons pas de t’être défendue, mais il y a un certain … dosage à adopter, toi qui es scientifique, tu devrais le soupçonner. Tu n’étais pas obligée de concevoir des produits aussi puissants et de continuer à les améliorer jusqu’à ce que nous nous retrouvions devant le fait accompli. Enfin … nous avons tous des erreurs à nous reprocher semble-t-il …

— Je n’ai pas commis d’erreur, j’ai simplement réuni nos savoirs en quelques synthèses. Quant aux horreurs qui se passent en Allemagne de l’Ouest, vous exagérez, la guerre n’a jamais été joyeuse et le LM n’y change pas tant que ça, ces massacres seraient advenus quoiqu’il arrive. J’ai travaillé au mieux pour stabiliser le risque de mutation. » persévérait-elle à expliquer sans trouver un regard approbateur dans le salon, et certainement pas celui de William qui se retenait avec un talent olympien, même pour lui qui était d’un naturel calme.

— Arrête de relativiser ce genre de choses, Maria. Ceux ne sont pas que les mutants qui causent ces drames, loin de là même, tu le sais pour avoir étudié l’expédition franco-anglaise dans les Balkans. Les exactions que ta thérapie excite, ceux sont des meurtres gratuits, des tortures et des viols qui le sont encore plus, sur des innocents et des enfants. Ce n’est pas pour rien que le général français en est rendu à décimer ses propres troupes, les conséquences de tes agissements, les tiens et ceux de ton Déméne, sont autant condamnables que celles d’Arcturus et Solar Gleam si ce n’est pire. D’ailleurs, nous pourrions facilement te retourner les accusations faites à Arcturus, si le RFA a pris des mesures contre toi ou moi, ce n’est peut-être pas étranger au fait que tu aies attiré l’attention d’Emil. D’ailleurs, maintenant que je suis banni d’Allemagne, nous ne sommes plus qu’un réseau de scientifiques ennemis à ses yeux. Rien ne dit que David est la pire menace qui plane au-dessus de nous, la vengeance du RFA pourrait être terrible.

— Emil ne fera rien contre nous. Et j’ai fait le meilleur choix possible, réfléchissez ne serait-ce que quelques secondes. Mon mandat auprès de l’Armée Française doit être renouvelé et je suis censée consacrer le Déméne a des recherches qui seraient aussi civiles. Je pourrais très vite nous créer un outil de rechange à Solar Gleam avant la fin de l’année. Quant à cette guerre, elle se terminera bientôt et ramènera la nappe alpine ainsi que toutes les archives d’Emil dans notre escarcelle. C’était et ça reste une opportunité incontestable. » continuait à s’obstiner, avec son éternel ton sans-émotion qui poussa la Florentine à intervenir avant que William ne réagisse.

— C’est vrai que nous allons mettre fin à cette guerre, mais tous ces partenariats militaires vont s’arrêter avec elle. Vous savez tous que c’était une erreur d’aller intriguer là-bas, je vous l’ai toujours dit. La situation s’aggrave chaque jour, alors même que nous progressons dans tous les domaines à chaque mois que Dieu fait, des temps difficiles se préparent et nous devons nous ressaisir pour y faire face. » asséna la religieuse, d’un ton sec qui s’adoucit au fur et à mesure qu’elle dispensait de saintes paroles, sous les acquiescements des deux hommes du salon qui laissaient Maria tourner son regard vers les volets fermés de la fenêtre, agacée.

 

Finalement, tout ne se déroulait pas comme prévu, c’est … contraignant, en conclut-elle intérieurement avant d’encaisser piteusement les critiques coalisées qui suivirent.

Heureusement, au nom de l’amitié du Conseil, elle accepta les remontrances de ses trois camarades, puis leur pardon, pour qu’ils ne décident de lui imposer quelques limites à elle-aussi, afin de s’assurer qu’elle tienne ses engagements. Pour Alessia, les choses étaient simples, Maria devait se forger une éthique irréprochable à partir de maintenant, et la transmettre à ce nouveau Déméne. Et, bien que la Française eût du mal à se faire à l’idée, sa meilleure amie semblait croire dur comme fer qu’elle en était capable. Après tout, la Lune Pâle se soumettait déjà une morale et un honneur assez stricts, même si très personnels, alors il était tout à fait possible d’aménager et d’étendre un peu ce code éthique – ce qui ne manqua pas de la faire sourire nerveusement. Cependant, la suite fut bien moins amusante, surtout lorsque William lui demanda de stopper tout soutien à l’Armée Française jusqu’à nouvel ordre, ou jusqu’à ce que la Révolution et Gabriel entame des négociations. Elle ne comptait pas poursuivre d’intenses recherches militaires comme elle l’avait déjà fait, mais elle n’était pas contre quelques nouvelles expériences personnelles dans des domaines assez proches, comme l’altération de Jasper par exemple. Là, William lui demandait de saboter le Déméne lui-même, pratiquement d’arrêter ses recherches et ses projets de carrière. Pourtant, ce fut bien la requête d’Arcturus qui la fit le plus grincer des dents, tant elle était pleine d’arrière-pensées et de revanche. Arcturus voulait que le DMN accueille tout un cabinet de représentants de Solar Gleam, censé assurer les bonnes relations et les partenariats entre sa firme et le département national. Mais dans les faits, elle était persuadée qu’il voulait se créer un moyen de pression sur elle, un moyen de regagner plus tard une partie de la liberté qu’il avait perdu aujourd’hui. Enfin, il a toujours eu cette fourberie en lui, c’est un Anglais après tout, je punirai sa bassesse plus tard quand l’occasion se présentera, préférait-elle grogner intérieurement tout en acceptant le verdict de ses trois amis, au nom de l’amitié du Conseil …

Ainsi, c’est donc après quatre heures passées à s’accorder, que les élèves parvinrent au véritable objet de leur assemblée : guider l’Humanité vers des temps meilleurs grâce au LM. D’habitude, les rapports des membres sur leurs situations personnelles ne dépassaient pas la quinzaine de minutes, si vite qu’au bout d’une heure, chacun en avait fini pour aborder avec hâte les combats qui les unissaient – et les demandes de vote y étaient très rares. Seulement cette réunion semblait bien plus importante que les autres, à tel point que même les discussions scientifiques s’éternisèrent bien au-delà des deux ou trois heures qu’elles prenaient toujours. Et malgré leurs débats précédents, ou les séquelles qu’ils pouvaient avoir laissé sur leur amitié, les quatre élèves retrouvèrent cette ambiance fraternelle qui leur était si chère. Sur les Huit Maux Terrestres qu’ils avaient juré de vaincre, quatre étaient presque vaincus, deux autres étaient sur le point de perdre leurs armes, et les deux derniers semblaient désormais vulnérables dans un avenir envisageable, lorsque les Sages se permettaient quelques rêveries. En bref, l’Humanité triomphait plus que jamais ; Maladie, Faim, Blessure et Fatigue allaient bientôt entrer dans la phase d’éradication. Avec toutes les recherches réunies du Conseil, jusqu’à celles volées dans le secret du RFA, il n’y avait presque plus aucune bactérie ou blessure capable de condamner définitivement un être humain augmenté, un être qui pouvait désormais rester actif après une semaine sans dormir ni boire. À moins de leur amener un corps sans cœur ou sans tête, rien ne semblait hors de leurs soins, à tel point que Maria semblait presque espérer le retour prochain de Marco-Aurelio à Alessia, enfin soulagée d’entendre une nouvelle joyeuse aujourd’hui. Tout se trouvait dans leurs bureaux ou laboratoires, il n’y avait plus qu’à organiser la distribution de ces médecines nouvelles à l’Humanité entière grâce à Solar Gleam. William et Arcturus se permettaient même de rassurer la religieuse, concernant leur capacité à créer une thérapie qui offrirait des effets permanents avec un minimum de LM, afin de ne pas trop altérer l’Humanité et apaiser ces bouleversements environnementaux. Quant à Folie et Misère, ces deux ennemies résistaient encore mollement au Conseil, au point d’en être rendues à se transformer pour survivre. À l’heure actuelle, c’était par l’AP et l’exploitation abusive du LM que la pauvreté réussissait à se maintenir, au grand désespoir des deux hommes qui avaient toujours cru que la modernité éradiquerait naturellement ce malheur – comme si le problème du partage des richesses n’était que le volume de ces richesses. De la même manière, nombre d’hôpitaux psychiatriques ou d’asile accueillaient des patients sur lesquels la molécule avait laissé des séquelles, soit en causant les drames qui les faisaient échouer là-bas, soit en accompagnant leurs traumatismes. Dans un cas comme dans l’autre, le LM ne réglait pas tout à lui seul, le Conseil devait s’y résoudre, mais l’espoir était permis. Il suffisait de mieux maîtriser les effets de la molécule. D’autant plus qu’ils avaient bien le droit de rêver lorsqu’ils voyaient que ces deux plus terribles ennemis étaient maintenant à leur portée : Vieillesse et Mort. Certes, le Conseil en était réduit à divaguer sur ce prétendu sanctuaire étrusque de la Forêt d’en Bas, l’épicentre de curieuses légendes souvent liées à l’idée d’immortalité, où se trouverait possiblement des artéfacts angéliques. Cependant, avec toutes leurs pistes ou leurs espoirs, ils se persuadaient que la réponse à tous leurs problèmes n’était qu’à quelques jours de voyage. Ainsi, le Conseil ne perdit pas son temps pour voter son départ vers la Forêt d’en Bas, avant d’en venir à leurs derniers sujets : les prochains objectifs annuels, même si la soirée avait déjà laissé place à la nuit – laissant également aux chasseurs du Conseil le temps de faire connaissance.

Tout d’abord, il fallait stopper cette guerre partie trop loin, et chacun avait son idée pour œuvrer à l’ouverture des négociations. Pendant que Maria comptait détourner le Déméne de son engagement militaire total et interrompre ses recherches, Arcturus décida purement et simplement d’arrêter tout l’approvisionnement du LM de Solar Gleam aux forces armées. Mais la grève du LM n’allait pas se limiter à la marchandise, puisque la Lune Pâle comme le Soleil Marin n’hésitaient pas à annoncer qu’ils paieraient leurs employés à les suivre dans la protestation. Pourtant, cela ne serait peut-être même pas nécessaire, d’autant plus qu’Alessia et William comptaient s’occuper d’agiter les foules. Après tout, les religieux comme les socialistes étaient déjà défavorables à la guerre, et les voix pacifistes ne manquaient pas, ils leur suffisaient de leur donner plus de force. Seulement les problèmes de l’époque ne se limitaient pas qu’aux conflits entre les états, mais aussi entre les idées, que ce soit au sujet de ces sectes nouvelles qu’il allait falloir ramener dans le droit chemin ou de ces troubles sociaux auxquels il fallait également trouver une solution. Pour le premier de ces ennuis, le Conseil n’hésita pas à serrer la vis, en proclamant que les sectes étaient leurs ennemis, que Semper Peace, le Déméne ou le Synode devaient les détruire ou les soumettre dès que l’occasion se présenterait. Et même si Alessia avait beaucoup de respect pour Gaël et ses croyances, elle était bien trop contente de voir ses amis l’épauler dans son combat pour refuser. Quant aux menaces de Révolution, William put lui aussi s’estimer heureux d’être entendu. Si aucun de ses collègues n’envisageait de tolérer des révolutions trop violentes, ni même de les relativiser, ils paraissaient désormais résolus à les éviter, voir à les satisfaire. Ce n’était peut-être pas grand-chose, comme la promesse d’aider à porter la voix des populations les plus pauvres de chaque nation ou de pousser à la réforme, mais l’Allemand en était satisfait, c’était déjà un pas dans sa bonne direction. Cependant, il y avait un dernier problème de taille, quelque chose que le Conseil comme l’Humanité appréhendait très mal, un souci inédit face auquel aucun des quatre n’était persuadé de tenir la bonne solution : la mutation. Alors, il fut décidé d’en recourir à de vieilles méthodes qui avaient toujours fait leurs preuves au cours de l’Histoire humaine : l’élimination impitoyable, la surveillance stricte et, bien sûr, la gentille prévention des dangers. Le Conseil vota donc en faveur d’un renforcement de l’éthique générale en matière de LM et, surtout, pour un renforcement de toutes les organisations de chasse aux mutants qui devaient, si possible, toutes finir sous le contrôle des élèves – ce qui était déjà plus ou moins le cas de Semper Peace et du Déméne. Malgré quelques discordes très vite apaisées par la diplomatie d’Alessia, chacune des résolutions fut adoptée à l’unanimité, chacun semblait sincèrement penser que si les mesures décidées aujourd’hui étaient appliquées, leur avenir serait meilleur.

Néanmoins, un dernier imprévu se posa à eux, bien qu’il soit déjà si tard dans la nuit que le groupe pouvait à peine discuter de ce projet : son départ en voyage, prévu dès le lendemain. Heureusement, tout le monde accorda à Arcturus le droit de finir de s’alcooliser, tout en détendant l’atmosphère puisqu’il n’y avait pas vraiment de débat au sujet de la Forêt d’en Bas, tout le monde voulait y aller le plus vite possible, afin d’en découvrir les secrets ou de tirer dessus un trait définitif. Et finalement, c’est dans cette ambiance plutôt chaleureuse que le Conseil conclut sa réunion, même s’il n’y avait plus que Jasper, Kennocha et Appolonio pour rejoindre la fin de leurs discussions, avant que chacun aille se coucher dans sa chambre, chacun avec sa porte gardée par des hommes armés comme l’était l’immeuble entier – sans que la police suisse ne puisse les apercevoir.

Le Conseil du Graal n’était décidément plus la gentille amitié des plus grands savants du monde … Et à chacune de leurs rêveries au sujet de cette fameuse Forêt d’en Bas, elle leur apparaissait comme plus curieuse, il y a forcément quelque chose de grandiose là-basPeut-être même qu’il y a de quoi exaucer mon rêve

 

 

« … Mais le problème avec la diversité, c’est que ça se règle toujours par la disparition des groupes les plus faibles, soumis aux forts, la concurrence est un processus bien antérieur à mon Créateur en réalité... D’ailleurs, j’ai cru comprendre que les forts n’apprécient pas que les faibles leur donnent des leçons, et ils peuvent devenir très cruels s’ils ne sont pas récompensés comme ils l’estiment juste… J’espère que votre Conseil saura déroger à cette règle, mais je n’aime pas les choses simplistes, et vous non plus si j’ai bien saisi… Et vous avez raison ! Après tout, que vaut une mer sans tempête ? C’est aussi triste que la lumière de vos ampoules ou la platitude du marbre ! Rien à voir avec la danse fascinante d’une flamme ou les tranchants abrupts d’un silex… La Nature revient plus vite au galop que la Foi. »

 

L’Archange Raziel à Marco-Aurelio, lorsqu’il rabaissa son regard vers le reflet de la lune sur le lac de Corbara en Italie, 1867.

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