CHAPITRE V – Les quatre chemins se rallient dans la clairière - William - Partie 1

Notes de l’auteur : Bonjour à tous, j’espère que cette petite scène vous plaira et vous donnera envie de lire la suite.
Veuillez m'excuser du petit retard pour la mise en ligne de cette scène mais je suis sur la réécriture du chapitre de la Forêt d'En Bas - que je vous livrerai bientôt - et, il me donne du fil à rétordre.
Alors, comment trouvez-vous les chasseurs de la Révolution ou ceux du RFA ? Ceux que vous avez vu sont assez particuliers d’ailleurs. Enfin, le dilemme de William vous intrigue ? J’imagine que vous le comprenez bien, mais ses conséquences vous font-elles aussi peur qu’à William ?
En tout cas, il aura l’occasion de s’expliquer très prochainement, puisque le Conseil du Graal se réunit dans la scène suivante.
Afin d'améliorer le confort de lecture, cette scène est en deux parties, tout en étant publiée le même jour
N’hésitez pas à commenter ou partager mon travail autour de vous, et portez-vous bien.

William

 

« L'avant-garde prolétarienne est conquise, c'est le principal. […] Mais on ne peut vaincre avec l'avant-garde seule (la Commune de Paris m’en soit témoin, les espoirs ou les ardeurs de la Fourmi n’ont pas suffi). Les masses ne doivent pas craindre la répression, ni la trahison. […] En cela, nous préconisons l’usage de toutes les méthodes afin d’amener les masses à la conscience collective, puis à l’action révolutionnaire partout où cela sera nécessaire. (Le LM constitue ainsi l’arme providentielle offerte par l’ennemi, n’avions-nous pas annoncé que les capitalistes nous vendraient la corde pour les pendre ?) »

 

Lénine, La maladie infantile du communisme et sa guérison pour la Victoire Définitive, édition clandestine destinée aux cellules d’action de l’avant-garde, 1881.

 

 

Mais Alessia avait au moins le luxe de s’inquiéter pour les autres, car du côté de William, c’était le doute, la frustration, et parfois la peur qui accompagnait chacune de ses nuits depuis son arrivée à la Mondlicht-Turm …

 

Cela faisait maintenant deux semaines que le Souffle Pourpre travaillait sous la supervision d’Ulrich, sans relâche. D’autant plus qu’avec son statut de condamné à mort en sursis, il n’avait pas son mot à dire sur les cadences de travail, tout comme il avait intérêt à se montrer efficace s’il ne voulait pas subir le courroux du vice-directeur. Il ne pensait pas pouvoir se rendre à la prochaine réunion du Conseil, ni même quitter la Mondlicht-Turm avant plusieurs mois au minimum, puisqu’il était suspendu au cours de cette guerre, jusqu’à ce que plus aucun envahisseur ne foule le sol allemand – tel que cela lui avait clairement été annoncé.

Et les dernières semaines avaient été désastreuses pour la Germanie, elles avaient même été affreuses, à tel point que William avait été sensiblement touché par les tragiques évènements de cette guerre toujours plus immonde, à chaque réplique d’un camp ou de l’autre. Enivrées par le LM et la rage, les armées de Gabriel étaient devenues progressivement folles, de véritables hordes d’animaux que même leur Général Gabriel peinait à canaliser dans sa marche inexorable sur Berlin. Au nom d’une minuscule poignée d’actes cruels commis par des unités isolées de la Heer, les armées franco-anglaises se croyaient maintenant autorisées aux pires bassesses, et les destructions comme les exactions à l’égard des civils se multipliaient. Des villages entiers étaient torturés, tellement que Gabriel finit par prendre des mesures dignes des temps les plus reculés, par faire arracher des ongles ou marquer des visages au fer rouge, jusqu’à qu’il n’y ait plus un seul de ses hommes qui ne soit intact. Et encore, c’était le cas lorsque le coupable désigné n’était pas égorgé en présence de son régiment, puis pendu pour le plus grand plaisir des corbeaux, surtout en cette période de festin dans toute la Ruhr. Informée par ces dérives honteuses, la République n’avait alors cessé d’exhorter Gabriel à stopper sa Grande Offensive Nationale, mais il voulait mettre un terme à cette guerre, coûte que coûte, même si ces derniers mois devaient faire honte à toute l’Humanité, même s’il devait saigner lui-même sa troupe pour la faire marcher droit. Car malgré sa poigne devenue plus sévère que jamais, ses hommes lui restaient redevables de toutes ces victoires qui les avaient menés jusqu’à Bielefeld, en plein cœur de l’Allemagne de l’Ouest. D’ailleurs, c’est bien parce que l’offensive avait été jusque-là magistrale qu’il était si dur envers ceux qui venaient littéralement défigurer sa magnifique épopée. Un à un, les corps d’armées qui devaient entailler la Grande Offensive avaient été vaincus, les laissant rôder sur les marges de l’offensive avec un certain désespoir. D’ailleurs, ce désespoir avait même atteint le RFA, si fatal qu’il poussa Ulrich à vouloir contacter Emil, sans succès, comme si le vieux professeur de William avait purement et simplement disparu – comme s’il en avait eu assez de ces trivialités de guerre mondiale …

Pourtant, parmi les savants que le Saxon voyait désormais tous les jours, il en est un qui n’était pas inquiet le moins du monde : Friedrich Mengel - le plus grand adorateur des pionniers ou de leurs élèves. Pour lui, les documents ramenés par William allaient changer la donne si radicalement, si sûrement qu’il en vint à clamer que la victoire finale de l’Allemagne ne faisait plus aucun doute, lorsqu’ils réussirent enfin à en tirer quelque chose. Au bout de ces quelques semaines de détention, en combinant les savoirs du Conseil et du RFA, ils avaient réussi à créer une synthèse bien supérieure à celle de Maria, quelque chose d’inédit dans son fonctionnement, une thérapie très inspirée de sa Toile Rouge – un magnifique coup d’essai en somme. D’abord, sa thérapie guerrière fournissait les mêmes immunités et optimisations que celle du DMN français, mais sa particularité reposait sur l’arme fétiche du Souffle Pourpre : les échos de LM. Chaque homme inspire ses frères autour de lui, par les échos qu’il émet et qu’ils lui envoient, avait-il résumé pour la présenter à Ulrich lorsque ce dernier revint à la Mondlicht-Turm, c’est une sorte de transe martiale qui démarre dès qu’un patient ressent une excitation, puis cela dure tant que la résonnance dure, c’est-à-dire jusqu’à la fin du combat. De plus, les soldats allaient maintenant être véritablement liés, par un lien empathique fort, plus que par un simple sentiment de camaraderie. Avec ce demi-prototype de Toile Rouge, ils partageraient de façon innée une part de leurs douleurs ou de leurs colères, de leurs peines ou de leurs espoirs, tout cela attisant encore cette inspiration collective. Enfin, cette petite part de conscience commune avait un ultime avantage, elle allait également limiter les risques de mutations, que ce soit par le poids du collectif pesant sur l’individu ou par la dilution du surplus d’émotions dans l’armée entière. D’ailleurs, fournir cette thérapie à toute la Heer serait un véritable jeu d’enfant, puisqu’elle ne nécessitait qu’environ 5% de LM blanc pour être produite en masse, tout le reste était constitué de réactifs anodins, de LM rouge que le Département détenait en masse, et de LM noir dont il venait de faire la récente acquisition grâce à leurs nouveaux alliés ottomans – et la saisie du site Solar Gleam au Kaçkar.

Ainsi, quand William eut fini de présenter son travail à Ulrich, celui-ci ne put que le féliciter d’avoir réussi à concevoir une formule aussi efficace, aussi novatrice, aussi aboutie – sans se douter que l’Allemand du Conseil avait découvert bien plus. Grâce aux savoirs du Département militaire et ses discussions avec Achille, il avait mieux compris que jamais la façon dont les échos pouvaient servir au transport d’émotions, de concepts, voire de souvenirs, sur d’assez longues distances et sans risquer de mutation invasive. En fait, et même s’il avait encore du mal à s’en réjouir lorsqu’il sortit du bureau d’Ulrich sans avoir obtenu sa liberté, il n’était qu’à quelques derniers pas d’achever son grand objectif : terminer la thérapie d’Achille. Le seul problème qui lui restait encore à résoudre, c’était de s’assurer qu’elle ne conduise pas la révolution à sa propre perte, c’était la question qu’Achille lui avait finalement posée : celle de la thérapie Reine. Mais qui sait quel manipulateur pourrait ainsi faire dériver la Cause, s’inquiétait souvent William, durant des nuits entières pendant lesquelles il ne pensait presque plus à ses trois compagnons du Conseil, pire encore, je pourrais nous rendre tous prisonniers dans cette conscience de ruche. Après tout, si cette dernière venait à s’enfermer dans des dogmes dépassés ou erronés, car chacun persuaderait alors son frère de rester dans l’erreur, toute remise en question deviendrait un combat collectif. Néanmoins, il restait convaincu que son mentor avait raison, qu’il n’y avait pas d’autres alternatives pour mener leur plan si noble à bien. Mais je ne vais pas tordre notre esprit à tous au nom du Bien ou du Peuple, se lamentait-il souvent en plein milieu de la nuit, dans sa chambre sécurisée de la citadelle alpine la Mondlicht-Turm, mais je ne peux pas laisser la Révolution se détruire avec ma création ou l’être par le RFA … et je ne veux pas retourner dans le Puits d’Ombre non plus...

Seulement, maintenant qu’il s’était engagé dans tout ça, il était trop tard pour faire marche-arrière, et il n’en avait pas envie, tout comme il ne voulait pas choisir entre ces alternatives et leurs douloureuses conséquences. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas encore les savoirs pour créer la Reine à ce moment, je livrerai quand même un prototype à la Cause, se justifiait-il simplement, en espérant chasser ces sujets de son esprit, ou le sentiment de culpabilité qu’il ressentait déjà pour avoir trahi ses amis ou ses camarades, si j’y arrive à temps ce sera déjà une chance

 

D’ailleurs, le lendemain où il profitait d’une pause dans leur travail, William en vint à une discussion curieuse avec Friedrich, tandis qu’il parlait de toutes les possibilités que le LM semblait receler.

Apparemment, il n’était pas le seul à se poser des questions sur ces mécanismes d’ingénierie sociale, puisque son collègue lui confia que le RFA aurait poursuivi de grands programmes d’études quant aux effets des échos sur la conscience humaine. Ulrich avait personnellement insisté pour que le RFA puisse offrir au Reich un moyen de les exploiter pour améliorer la société, il était donc loin d’être un pionnier dans cette voie sombre du contrôle des masses humaines. Et cela ne le rassurait pas pour autant, loin de là, ça l’inquiétait même, l’avenir semblait plus trouble que jamais, que ce soit celui de sa cause ou celui de tout son peuple. Entre les mystères du directeur et son adjoint prêt à tout pour élever la Germanie, le Premier Savant de la Révolution en vint même à se demander si la thérapie Reine n’était pas moins dangereuse que ce qu’il se préparait déjà à l’abri des regards, s’il ne ferait pas mieux d’agir pour leur couper l’herbe sous le pied. Mais tant qu’il resterait coincé ici, il ne pouvait rien y faire. Heureusement, une lettre inattendue arriva à la Mondlicht-Turm ce soir-là, tandis qu’ils discutaient de leurs derniers rapports d’expérience, avant de s’accorder un peu de sommeil. Elle été signé de la main d’Ulrich, directement sur le front pour superviser la distribution de sa nouvelle thérapie en un temps record. Évidemment, le Bavarois avait déjà méticuleusement préparé cette opération, si bien que son rapport traitait principalement du second objectif qu’il s’était fixé : briser l’Armée Russe en moins de deux semaines. Et, visiblement, le Département Impérial avait encore tenu ses promesses…

Pourtant, le Tsar avait concentré plus de 600 000 hommes en Pologne allemande, répartis du nord au sud en trois corps d’armée, déferlant comme une vague à travers tout le pays. Face à cela, les Allemands ne pouvaient compter que sur leur 8ème armée, trois fois moins nombreuse que l’ennemi et pratiquement dispersée sur toute la largeur du front. Depuis le début du conflit, les Germains avaient donc mené des combats très difficiles, très acharnés, au point, de lentement, reculer jusqu’à ce que la Prusse soit menacée, sans que le Kaiser ne puisse secourir sa terre natale à cause de la Grande Offensive à l’Ouest. En bref, la situation était catastrophique à l’Est, la 1ère armée russe approchait de Königsberg par le nord, la 2nde ouvrait la voie au centre, et la 3ème se répandait sur le flanc sud en filant droit vers Berlin. D’ailleurs, même les Autrichiens étaient impuissants, incapables d’enrayer les offensives qu’ils encaissaient en Galicie, en Roumanie, et bientôt, en Hongrie si rien ne venait changer la donne. C’est alors qu’Ulrich et Erwin proposèrent un plan des plus audacieux au Feld-Maréchal Ludwig : la 8ème armée allemande contre les deux premières des Russes, et les soixante chasseurs du RFA contre les 200 000 hommes de la 3ème. Dès le lendemain, les quinze quatuors du Département Impérial quittèrent le château de Prague sur leurs montures noires, avant de disparaître dans la nature.

Pendant ce temps, les Allemands continuèrent de se replier au nord, jusque dans la région de Königsberg où la 1ère armée russe croyait l’enfermer. Voyant comment les défenseurs se faisaient prendre au piège, les deux autres forces du Tsar décidèrent donc d’en profiter sans hésiter : la 2nde armée partit refermer l’encerclement vers le nord, et la 3ème poursuivit sa marche vers Berlin en bon ordre. C’était une véritable opportunité de pousser l’avantage au mieux, de détruire une armée adverse tout en exploitant la situation de faiblesse. Mais après un jour de marche éprouvante dans les routes de campagne polonaises, la 3ème découvrit qu’il y avait bien quelque chose en face d’eux, quelque chose dont l’action allait débuter dès la tombée de la nuit. Et, quand la lumière du soleil revint, son général apprit que 30 000 de ses hommes avaient été tués, toutes ses avant-gardes avaient disparues sans même pouvoir donner l’alerte. Bien sûr, il réalisa très vite qu’il était impossible d’assassiner, silencieusement, autant de soldats. Que la plupart des régiments avaient lutté jusqu’au bout, souvent à l’arme blanche, contre des assaillants qui n’avaient laissé aucune trace dans tout ce massacre. Malgré tout, il n’était pas question d’arrêter l’offensive, il fallait reprendre l’avancée coûte que coûte, quitte à ratisser les campagnes sur le chemin en interrogeant le moindre civil au sujet de ces Démons. Seulement, lorsque les Polonais leur répondirent qu’il devait s’agir des chasseurs, il était déjà trop tard. Tout au long de cette journée, près de 16 000 soldats tombèrent ici ou là, aux bords des routes ou des bois, jusqu’à ce que la nuit ne retombe. Et 30 000 autres tombèrent à nouveau, toute l’arrière-garde fut massacrée dans des éclairs de feu et de fer, dans des attaques si brutales qu’il n’en restait que des cadavres calcinés lorsque les renforts arrivaient. Désemparée, presque terrorisée, la 3ème armée décida de s’arrêter pour alerter sa voisine des horreurs qu’elle avait subies mais, là encore, il était déjà trop tard, il n’y avait plus aucun espoir à attendre. Finalement, la 2nde n’avait pas encerclé l’ennemi à Königsberg, au contraire, elle s’était tellement enfoncée dans le piège d’Erwin qu’elle ne pouvait plus en ressortir. En réalité, les Allemands avaient concentré la majorité de leurs forces sur elle, tandis que la 1ère armée russe continuait d’avancer au nord, persuadée que les deux autres pouvaient se débrouiller seules. Malheureusement, pas un seul survivant de la 3ème n’arriva au secours de la 2nde, entièrement détruite en quelques jours, et bientôt suivie par la dernière qu’Erwin partit affronter dans la foulée.

Ainsi, au bout de cette lettre, Ulrich pouvait écrire que la tenaille franco-russe ayant été brisée, notre Kaiser va pouvoir ramener ses troupes à l’ouest contre l’envahisseur français, et la paix s’imposera bientôt à tout l’Europe. Pourtant, ce qui intriguait vraiment William, c’étaient les répercussions de cette défaite cinglante, que ce soit en Russie comme dans le reste du monde, où les manières de guerroyer allaient probablement changer à l’annonce des exploits du RFA. D’ailleurs, chez le Tsar, cette défaite allait peut-être changer les façons de faire tout court, puisque cela faisait des années que la Russie était agitée par Lénine et ses camarades révolutionnaires. Avec la destruction de trois corps d’armée, la perte d’un demi-million d’hommes en une semaine, une terrible colère populaire risquait de s’éveiller. D’autant plus que le LM commençait à manquer dans tout l’Empire, à tel point que les premiers ennemis du Graal, la Famine et la Maladie, ressurgissaient même dans les rues de la très riche Saint-Pétersbourg.

Enfin, pour couronner le tout, les agents du RFA, basés en Extrême-Orient, se faisaient de très bons amis à Tokyo, Pékin ou Téhéran ; il n’était donc pas impossible que le Tsar connaisse bientôt quelques révoltes dans ses contrées les plus lointaines.

— Bref, la Russie ne va pas s’en remettre… » en concluait William, avec plus de nervosité que de plaisir, tandis qu’il finissait de ranger les rapports d’expériences dans leur classeur.

— Tu vois ? J’avais bien dit que nous avions gagné ! Dès que tu es arrivé, j’en étais sûr. Il ne manquait qu’un ou deux secrets de tes professeurs pour que celles du RFA dépassent toutes les espérances ! » s’en réjouissait Friedrich qui, de son côté, ne s’était jamais aussi bien amusé que ses dernières semaines. « Maintenant, la contre-attaque va filer droit jusqu’à Paris, et fin de la partie. C’est vraiment dommage que tu ne veuilles pas vraiment nous rejoindre, le RFA pourrait régner sur le monde si facilement ! Ulrich serait même prêt à rouvrir tous les programmes qu’il a fermés ! » se prenait-il même à rêver pour que William ne l’arrête avec humilité, en lui rappelant qu’il était déjà tard pour refaire le monde ce soir.

 

Finalement, c’est donc avec de nouvelles inquiétudes qu’il repartit en direction de sa chambre, située au sommet d’une des deux grandes flèches de la Mondlicht-Turm, sous la protection de ses deux surveillants.

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