Quoiqu’il en soit, il ne pouvait pas y faire grand-chose pour l’instant, alors il préféra changer de sujet lorsqu’il sortit de table pour guider ses invités dans la bibliothèque, afin de leur montrer ce que son père y avait caché. Pourtant, Alessia l’avait déjà visitée sans rien y trouver de particulier, si ce n’est un endroit charmant pour y feuilleter quelques ouvrages religieux, au milieu des dizaines de livres traitant de toutes les sciences possibles – tous annotés de corrections et de détails par son mentor. De son côté, Léonardo ne savait plus où donner de la tête dès qu’il y entra, jusqu’à ce qu’il vienne se figer devant un étrange orbital à mouvement perpétuel fait de nachtstein, avec les initiales de Marco-Aurelio gravées d’une encre pâle.
Bien sûr, il demanda à Gaël comment son père avait pu tailler cette roche si unique, mais celui-ci se contenta de lui répéter ce que lui avait dit son père tandis qu’il déplaçait les fauteuils de cette pièce.
— Si les Anges et les Démons peuvent le faire, pourquoi pas nous ? Nous sommes enfants de Dieu tout comme eux, non ? » lui sourit-il en repliant le grand tapis indien qui recouvrait le sol. « Mais c’est loin d’être l’objet le plus curieux, sinon, il ne serait pas ici à la vue de tous.
— Eh ben … j’espère qu’un jour, j’aurai ne serait-ce que la moitié des curiosités qu’il a dû ramener. Enfin, je suis plutôt un concepteur qu’un chercheur. » se corrigea-t-il pour que Gaël ricane de cette réponse, visiblement soulagé et satisfait d’avoir accepté que Léo vienne, Alessia avait bien eu raison de le lui présenter. D’ailleurs, même s’il prenait plaisir à décrire la moindre curiosité de cette pièce à son nouvel ami, il était peut-être temps d’arrêter de faire attendre sa collègue.
— L’entrée de cette cachette est ici ? Les lattes ont l’air normales... » lâcha-t-elle, aussi impatiente que perplexe en le regardant s’agenouiller sur le parquet, lorsqu’il lui demanda de s’écarter un peu.
Ensuite, il apposa sa main droite contre le sol, puis prononça son prénom, avant que ses yeux ne se mettent à exhaler une douce lumière claire.
Ainsi, sous les yeux stupéfaits de ses invités, le bois se glissa dans les autres lattes qui en gonflèrent jusqu’à doubler d’épaisseur, contractées tel un muscle sur l’ordre de Gaël. Au bout de quelques secondes, le sol avait ainsi laissé place à un grand escalier s’enfonçant dans un tunnel de nachtstein sur près d’une trentaine de mètres, tout juste éclairé par l’étrange granit blanc de ses marches. Pourtant, Alessia était loin d’être au bout de ses surprises, car dès qu’elle l’interrogea sur cette sorcellerie, Gaël révéla que c’était celle des Anges, ceux qui avaient appris ce talent à Marco-Aurelio et ses descendants – puisque toutes leurs bénédictions sont ainsi. En fait, Gaël n’avait fait qu’ouvrir une porte comme le faisait ces êtres, et son père n’avait fait que suivre leurs instructions pour créer cet accès, à partir de quelques matériaux sanctifiés, d’une fiole de LM inconnu et d’un schéma couvert d’idéogrammes mystérieux. Il s’agit plutôt d’un mélange de magie véritable et de technologie méticuleuse reposant simplement sur les échos et l’Âme, tel que le pontife autrichien l’expliquait en les conduisant au travers de ce tunnel, l’apposition de la main droite, l’incantation correcte ou la résonnance de mes échos sont comme une façon d’ouvrir leurs serrures, c’est moins fantasque et plus rationnel qu’il n’y paraît au fond. D’ailleurs, cette science aurait même ses inventeurs et ses ingénieurs, à savoir le Chœur des Vertus, chargé de l’entretien de l’infrastructure divine, car toute horloge se doit d’être entretenue pour l’éternité, même la mieux rôdée. Avec un plaisir non-dissimulé, Alessia apprit qu’il existait donc toute une civilisation angélique, aussi rigoureuse que variée, bien que le fils de Marco-Aurelio soit encore très loin d’en connaître un petit pourcent. Malgré tout, il gardait l’espoir d’en découvrir un maximum sur la civilisation angélique, afin d’améliorer le sort de l’Humanité et appréhender la Vérité Objective - une vérité que seul Dieu connaîtrait. Et, s’il était certain d’une chose à ce sujet, c’était que le LM était un élément de cette réponse, tout comme Alessia admettait désormais qu’il n’y avait plus aucun doute sur un quelconque lien entre la Création Divine et la Molécule Nouvelle. Mais il restait quelques détails qui la chiffonnaient : la nature de ce lien et le rôle de Dieu dans tout cela, sans évoquer l’origine du savoir de Gaël. Car même si elle ne voulait absolument pas lui donner l’impression qu’elle doutait de lui, certaines paroles qu’elle entendait était plutôt extravagantes et largement inconnues des Saintes Écritures.
Tout ne peut venir seulement de Maître Marco-Aurelio, il m’aurait confiée certains de ces détails dans ses messages, hésitait-elle encore, jusqu’à ce qu’il lui affirme que les Anges seraient autant composés de LM que le corps humain l’est en eau, et qu’elle ne l’interroge enfin. Après tout, Gaël avait paru honnête depuis le début.
— Je tiens ce savoir des notes qu’il m’a laissées, la plupart du temps. Le reste vient de mon étude personnelle, et de quelques … connaissances, mais rien d’aussi douteux que ce que disent les bornés comme Ladislas ou Thiago ! » finit-il par se défendre en voyant l’Italienne froncer les sourcils de perplexité à ces derniers mots.
— Ne t’en fais pas. Chacun a le droit d’avoir des amis sans pour autant devoir répondre de leurs actes, ceux ne sont pas tes maîtres ni tes serviteurs. Moi aussi, j’ai des fréquentations qui déplaisent à Andrés, ça n’enlève rien à notre amitié. » lui assura-t-elle pour le réconforter en espérant qu’il se confie sur la prochaine question, la plus importante. « D’ailleurs, en parlant de lui, nous avions également supposé que le LM ait un lien avec Dieu lors d’une discussion à Fatima, sans même parler des Anges. Que penses-tu à ce sujet ? Dieu ayant créé le LM comme toute chose, cette molécule a forcément sa place au sein de la Création, mais les atomes qui composent les LM ne se retrouvent nulle part ailleurs, aucun ne semble avoir sa place sur notre monde.
— C’est vrai qu’une molécule dont la particularité est de s’affranchir de la physique et d’agir parfois de façon illogique, dans un monde pensé par un grand architecte comme Dieu, c’est comme autoriser la triche dans un sport … » lui accorda-t-il en soupirant d’un air las. « À vrai dire, Père a beaucoup cherché à répondre à cette question, et il semble avoir approché de la réponse. Le problème, c’est qu’il n’a jamais voulu la réécrire … » avoua-t-il pour qu’elle ne lui demande quelle vérité serait si terrible, au point de ne pas vouloir la révéler à son propre fils ou à son disciple. « Le LM est vraisemblablement issu de Dieu, mais il n’a pas sa place dans la Création, pourtant il y est, ce qui sous-entend déjà que Dieu a des contraintes. Soit le LM lui est nécessaire, soit il se l’impose, c’est une évidence logique, sinon il ne l’aurait pas créé ou il l’aurait enlevé. » affirma prudemment le pontife autrichien, sans pour autant échapper à une petite correction cordiale de sa collègue qui lui fit remarquer que le Tout-Puissant n’a par définition pas de contrainte. « Pourtant, il y a déjà le Diable, s’il a connu l’échec d’une rébellion, c’est déjà qu’il n’est pas tout-puissant en réalité. Il n’en reste pas moins la plus grande des étoiles à nos yeux, la seule source de notre lumière, mais elle n’est ni la totalité, ni la seu –
— Gaël ! C’est du blasphème … » se retint difficilement Alessia, en commençant à se demander s’il ne l’avait pas manipulée vers des pensées impies, avant de se retourner vers Léonardo pour voir qu’il n’écoutait même pas – trop intrigué par la présence des marches qu’il trouvait très humaine.
— C’est pour de soi-disant blasphèmes que le plus noble des prophètes fut assassiné. Et, avant que tu ne t’inquiètes encore plus, je ne dis pas ça pour me comparer au Christ, je cherche juste à découvrir la vérité, le plus innocemment possible. » se justifia-t-il, avec une pointe d’agacement qu’Alessia découvrait pour la première fois chez lui, même si elle y retrouvait des accents empruntés à son père. D’ailleurs, elle eut beau lui rappeler que Dieu était un être unique, que ce qu’il disait entrait en contradiction avec d’innombrables paroles de Dieu rapportées ici et là, Gaël n’en était pas déstabilisé le moins du monde. « Dieu n’a pas menti, et moi non plus. Il est plus unique que nous le sommes toi et moi, et je suis persuadé qu’il est seul souverain dans le ciel, mais je suis convaincu qu’il y a quelque chose par-delà le ciel, que le Cosmos nous apparaît plus vaste chaque année, et qu’il serait envisageable qu’il y ait autre chose, un endroit quelconque dont nous ne pourrions saisir la nature. Père me parlait beaucoup de ce genre de choses …
— Il devait faire référence au Paradis ou au Purgatoire, rien de si étonnant que ça. Ces mondes sont lointains et sont très différents du nôtre, mais ils sont de sa création eux-aussi. Ils sont comme les jardins autour d’une maison. » sourit Alessia, en ajoutant qu’il avait encore plus d’imagination que son père pour qu’il préfère lui concéder qu’elle avait peut-être raison, qu’il ne faisait que supposer après tout, tandis qu’ils arrivaient devant une grande paroi de pierre.
Le Pontife autrichien posa de nouveau sa main sur celle-ci, prononça une curieuse phrase, lig rebila icoé lin edoe, avant que ses yeux ne s’illuminent de cet éclat boisé.
Alors, comme le plancher quelques instants auparavant, la pierre se rétracta sur elle-même pour former une ouverture rectangulaire parfaite, dévoilant une pièce à la noirceur absolue. Pourtant, Gaël en franchit le seuil sans ciller, ni disparaître dans l’obscurité, en levant simplement l’index et le majeur pour incanter quelques mots célèbres : que la lumière soit. Et la lumière fut, Alessia vit une myriade d’étoiles naître et grandir sur les parois de nachtstein, tapissées d’un lierre aux pétales si scintillants qu’ils chassèrent bientôt l’obscurité sous les pieds de leur maître. Je me croirais presque au refuge de Samaël, s’aperçut-elle en humant l’odeur forestière ou la brise de fraicheur du sanctuaire de son mentor, puis en balayant du regard les présentoirs ou les étagères de pierre noire cernant son modeste bureau, jusqu’à ce que Léonardo ne faillisse la bousculer.
— C’est quoi ça ? » questionna-t-il en pointant du doigt un violon, fait d’un étrange bois bleu pâle veiné de rouge, posé sur un présentoir, au côté d’un archet de pierre blanche.
— Père l’a nommé Violon du Continuum. » lui répondit Gaël, en faisant quelques pas dans cette pièce qu’il n’avait pas visitée depuis longtemps, pendant qu’Alessia s’étonnait d’un tel nom. « Ce violon aurait, selon des textes anciens et les théories de Père, la capacité de tordre les échos au gré des notes qu’il joue. Je ne sais pas de quelle époque il date, ni comment l’utiliser, mais son potentiel doit être énorme si tout cela est véridique. » reprit-il en se dirigeant vers le bureau d’un ton enthousiaste, lorsqu’elle lui demanda s’il avait déjà essayé d’en jouer. « Oui, mais j’imagine qu’il faut soit très bien savoir jouer de cet instrument, soit remplir d’autres conditions, il ne s’est rien passé quand j’ai essayé de jouer quelques accords simples. Heureusement, je ne t’ai pas conduit ici pour ça, tu ne seras pas déçue ! » lui lança-t-il en sortant du tiroir un livre si épais qu’on aurait dit une brique, avec une couverture de bois similaire à celle du Testament. « Voici le Code qui sert à déchiffrer le Testament en latin ! » annonça-t-il fièrement en le brandissant devant ses invités interloqués, avant de se rectifier lui-même. « Enfin, il peut le déchiffrer entièrement sauf les sept premières langues, sur une douzaine il me semble, mais c’est déjà très opportun qu’un ouvrage comme ça existe.
D’autant plus que le Code n’était pas qu’un dictionnaire, c’était aussi un trésor d’histoire au regard d’une passionnée comme Alessia : des pans entiers d’une histoire qu’elle ne connaissait pas, d’anciennes civilisations oubliées aux marges des grands empires qu’elle avait sagement étudiés.
Au grand désespoir de Léo qui avait grandi avec toutes sortes de légendes, Gaël lui avoua que l’auteur ne faisait pas mention d’une Atlantide surévoluée, ni d’une cité d’or cachée au fond de l’Amérique ou de l’Asie. En revanche, il y avait consigné les mémoires de peuples tout aussi intrigants, des sociétés qui avaient toutes goûté au LM à un moment de leur existence, mais qui n’avaient pourtant jamais brillé sur le reste du monde. D’ailleurs, le rédacteur de ce livre était lui-même un grand consommateur de LM, il n’était pas étonnant qu’il ait pu survivre au voyage qu’il prétende avoir accompli dès les premières pages de son introduction – lues par les deux pontifes, pendant que Léo arpentait ce petit refuge avec son petit carnet de dessin. En plus, cet auteur latin avait pris l’écriture du Code très au sérieux, et pour cause, c’était l’œuvre de sa vie et une promesse faite aux siens : il fût le seul rescapé de la guerre civile qui anéantit les Étrusques de la Forêt d’en Bas. Malheureusement, Alessia dut se contenter de cette unique révélation au sujet de sa prochaine destination, puisqu’il ne souhaitait pas détailler les circonstances de ce drame, il préférait largement s’étendre sur celui des autres pour illustrer ses propos.
À l’aube du IIIème siècle, son devoir expiatoire l’avait ainsi conduit jusqu’au-delà des forêts germaniques, des déserts éthiopiens ou des iles indonésiennes, si loin qu’il faillit atteindre l’Amérique par le Pacifique, tel qu’Alessia le comprit en lisant la mention d’un prétendu peuple Samovassum vivant sur un archipel si lointain qu’ils ignoraient l’existence de l’Impérium Guptarum indien. Au cours de ce voyage, il avait compilé les récits de toutes ces civilisations, celles qui prospéraient encore ou celles qui n’étaient plus que des légendes dans la mémoire de leurs successeurs. Parmi cette dernière catégorie, Alessia découvrit ainsi l’existence d’une quatrième nappe de LM quelque part en Afrique, enfouie sous l’épaisse forêt équatoriale que les Européens découvraient encore. Il s’y développa même l’une des plus anciennes cultures de l’Humanité, un certain Royaume des Racines construit sur les rives même des bassins, bâti sous la terre en moins de quelque générations et inspiré d’une rage de vivre si débordante qu’il conquit toutes les terres jusqu’au Sahara. Mais il s’effondra encore plus vite, en l’espace d’une seule génération, dans une guerre si violente qu’elle en détruisit presque toutes traces, ne laissant à l’Italienne du Conseil qu’une maigre piste pour trouver la nappe : l’auteur aurait remonté le Nil jusqu’à autre grand fleuve, sûrement le Congo. Cependant, avec la vision qu’elle avait maintenant du LM et les avertissements que Marco-Aurelio lui avait adressés, elle était encore incapable de dire si elle allait en avertir ses collègues du Conseil. Quant à Gaël, il maintenait que ces informations devaient être révélées progressivement au Synode, et le Code comme le Testament devait rester secret pour l’instant, car il y avait bien d’autres endroits mystérieux évoqués dans ces pages.
Et s’il essaya bien de retenir la curiosité d’Alessia pour aborder le sujet des apparitions mariales de Fatima, elle ne put s’empêcher de survoler quelques pages de plus tant il s’agissait d’un véritable trésor à ses yeux. Elle y trouva donc la mention d’une puissante ville-libre d’Hyperborée, s’élevant aux confins de la Scandinavie, dans un froid qui ne perturbait jamais leur éternel printemps au point d’en devenir une légende auprès des explorateurs grecs. Cette civilisation aurait d’ailleurs fait un usage si exceptionnel du LM qu’elle aurait trouvé un moyen d’utiliser les artéfacts angéliques comme Gaël en rêvait, si bien qu’elle devint jalouse de ce privilège au point de disparaître sans laisser de ruines. Plus curieux encore, Alessia apprit l’existence d’une Cité de l’Onde polynésienne qui aurait existé sous l’eau, tout en commerçant très normalement avec leurs congénères de la surface. Elle aurait ensuite été révélée à la lumière du soleil qui, furieux d’avoir été ignoré, l’aurait brûlée pour n’abandonner derrière lui que des vestiges engloutis. Heureusement, Alessia eut le soulagement de retrouver des endroits qu’elle avait déjà visités, tel que la grotte du Prince qui n’avait abrité qu’un simple sanctuaire sur les rives de son bassin, comme tant d’autres lieux. Seulement, la plupart de ces derniers avaient été fouillés avant l’arrivée du Premier Conseil, aux dires du fils de Marco-Aurelio qui en vint presque à s’excuser de ne pas pouvoir lui en montrer plus – comme s’il n’en avait pas déjà assez fait. Pourtant, le peu qu’elle avait lu de l’introduction du Code suffisait déjà à enchanter l’histoire du monde entier aux yeux d’Alessia, surtout lorsqu’elle essayait de le relier à tout ce qu’elle avait déjà appris jusque-là, si bien qu’elle finit presque par en avoir comme une sensation de vertige. Mes professeurs ont réveillé de très vieux arcanes le jour où ils ont rencontré Samaël et ses deux complices, songea-t-elle en ressassant les destins tous identiques de ses civilisations disparues, les avertissements de son mentor et ceux de la Vierge, ou la présence de Satan dans ce grand bouleversement, tout cela n’augure rien de bon pour nous. Alors, comme si elle espérait une solution ou un réconfort, elle révéla à Gaël les innombrables inquiétudes qui la harcelaient depuis bientôt un an, avec bien plus de sincérité qu’elle n’aurait cru le faire envers n’importe quel autre pontife, avec autant de confiance que s’il s’agissait d’un de ses amis du Conseil.
Malheureusement, si le fils de Marco-Aurelio n’était pas aussi fataliste que son paternel, il n’était pas plus rassurant pour autant, malgré les efforts qu’il essayait d’y mettre - il n’était pas très doué pour cela en vérité.
— Je comprends tes craintes. Il est indéniable que la Terre va endurer des épreuves incommensurables. C’est ainsi, nous ne pouvons rien y faire, et je pense que Dieu lui-même ne peut aller contre pour diverses raisons qu’il a déjà pesées. » en conclut-il solennellement, d’un air si grave qu’il en tira Léonardo hors de ses observations et fit presque baisser le regard de sa cousine, jusqu’à ce qu’il reprenne. « Mais je suis aussi certain que l’Humanité est suffisamment mature pour réussir, que cette fatalité ne conduit pas qu’au vide, bien au contraire. Il est l’heure pour elle de grandir à nouveau, de passer ce rite initiatique pour accomplir le destin qui lui est dévolu. Je suis convaincu qu’il y a, là-aussi, quelque chose qui nous attend au-delà de cette Apocalypse.
— Hm ! C’est exactement ce qu’aurait dit ton père … » lui sourit-elle nerveusement, visiblement partagée entre la déception et le soulagement.
Dans le fond, il me répète le serment du Graal, pensait l’Italienne du Conseil, avant de se corriger elle-même, si Maître Marco-Aurelio m’a dit de me méfier des autres, il ne m’a jamais conseillée d’abandonner ce rêve, ce dont parle Gaël est probablement la voie dont il parlait.
D’ailleurs, devrai-je informer les autres de tout ce que j’apprends ici, en venait-elle à s’interroger, les découvertes de Fatima ont déjà eu un mauvais effet sur les ambitions de Maria, cela pourrait être pire si tout le Conseil était averti. Seulement, je vais bien devoir leur dire quelque chose, je ne vais pas leur mentir, hésitait-elle encore, lorsqu’elle sortit de ses pensées à l’écoute de ces quelques mots qu’elle aimerait tant entendre dans la voix de ses amis, malgré les malheurs qu’ils pourraient engendrer : je compte t’aider au mieux pour que nous puissions révéler toute la Vérité. Lui aussi, il avait reçu de son père la tâche de découvrir tous les secrets entourant le LM, et il avait également essayé de la contacter depuis plusieurs mois déjà, sans obtenir de réponse, lui non plus. Évidemment, les deux héritiers du Pionnier Italien comprirent très vite qui était le coupable, c’était ce fameux Prophète qui les avait empêchés de se retrouver plus tôt.
Alors, cette fois, c’est Alessia qui dut le rassurer, surtout quand il découvrit que le Prophète n’avait pas hésité à tuer des innocents pour arriver à ses fins, avec encore moins de scrupules qu’August …
— Nous sommes pontifes désormais, il ne nous menacera plus. J’espère même que nous allons pouvoir le mettre hors d’état de nuire dès les prochains mois, il ne restera pas impuni éternellement. » lui affirma-t-elle avec assez d’espoir pour convaincre son collègue, bien qu’il préfère rapidement en revenir à du concret.
— Maintenant que tu as le Code, il ne nous reste plus qu’à traduire le Testament, il nous révèlera ce que Père n’a pas voulu nous écrire. Bien sûr, je comprendrai que tu veuilles partir à la Forêt d’en Bas au plus tôt, c’est important aussi. Je m’occuperai de commencer la traduction en ton absence en t’attendant à la Dolce Lupe - enfin, si tu l’acceptes !
— Euh – Bien sûr, merci. Seulement, tu ne dois pas t’occuper de ta commanderie ? » s’étonna-t-elle, étonnée que quelqu’un d’aussi studieux que lui ne prenne pas son mandat clérical plus au sérieux.
— Mes oncles s’en chargent, ma commanderie est déjà toute prête à vrai dire, il s’agit de l’archidiocèse de Veszprém, encadrée par d’anciens membres du RFA. Apparemment, l’Empereur d’Autriche est très lassé du Département, je ne sais pas trop pourquoi d’ailleurs, si ce n’est qu’Emil mènerait des expériences des plus mystiques à ce qu’il se raconte. Et quoiqu’il en soit la quête de Père passe avant tout, même avant le Synode. » résuma-t-il lorsque Léonardo vint les interrompre avec un artéfact étrange dans les mains, quelque chose d’assez précieux pour qu’Alessia ait tout juste le temps de demander à Gaël s’il parlait toujours de son père avec autant de déférence quand il sursauta à cette vue.
Car ce que Léo tenait, c’était le plus grand trésor de son Père et de toutes les découvertes du Premier Conseil : la Porte de Raziel, selon ses propres mots.
Il s’agissait d’un disque percé d’un diamètre de huit centimètre, épais de sept et large d’une trentaine à tel point qu’on aurait dit une grosse assiette, faite d’une pierre dorée dont l’éclat rappelait celui du soleil, veinée d’un métal argenté qui évoquait la lune, parfaitement lisse comme toutes les créations des Anges. Pourtant, cet objet était l’une de leurs plus vieilles conceptions, elle leur permettait de voyager aisément jusque dans les moindres recoins du Cosmos. Néanmoins, Gaël n’était pas certain que ça soit vrai, il n’avait jamais su s’en servir, ne l’avait jamais vue à l’action, et il ne manqua pas de préciser qu’il en était bienheureux. Après tout, personne ne sait vers quoi pourrait ouvrir cette porte, ni ce qui pourrait l’emprunter dans l’autre sens, comme il le fit remarquer pour que Léonardo n’approuve, en ajoutant que l’être humain était vraiment fait pour vivre sur la Terre d’un air ironique. Pour l’instant, il était donc préférable de ne pas faire d’expérience sans avoir déchiffré le Testament, comme toutes les autres curiosités ici présentes, ne serait-ce que pour découvrir si les Anciens avaient été assez fous pour s’en servir. Mais cela ne les empêcha pas de poursuivre leur discussion jusqu’à ce que Léonardo n’évoque les chevaliers du Synode, par pur hasard, et qu’Alessia ne se rende compte qu’Appolonio l’attendait depuis déjà une heure, sur le pont Saint-Ange.
Sans perdre une seconde, tout juste le temps de saluer le plus poliment possible l’irascible mère de Gaël, la pontife remonta donc en voiture pour recevoir le serment de son champion, celui qui commanderait aux autres chasseurs de la Dolce Lupe, comme Ezio qu’elle adouba dans la foulée, sous les premiers éclats du crépuscule. Bien sûr, entre le protocole fixé par les Croisés ou les paroles du serment rédigées par Andrés, ce ne fut pas de tout repos pour la religieuse, le Synode n’avait vraiment pas fait dans la sobriété pour honorer ses chevaliers, ni même dans la discrétion puisqu’une foule de curieux les attendait à la sortie de l’église Santa Maria. Dès le lendemain, c’est donc avec ses deux premiers protecteurs qu’Alessia se remit en route pour la Dolce Lupe, afin d’y passer des journées entières à déchiffrer le Testament en compagnie du fils de son professeur adoré. Néanmoins, au bout d’une semaine, elle dut l’abandonner dans sa future commanderie toujours en travaux : la réunion du Conseil n’était plus que dans quelques jours maintenant.
Et le train qui la conduirait de Florence à Genève allait tout juste la faire arriver à l’heure, dans le meilleur des cas – enfin, à une demi-journée près, comme toujours avec elle. D’autant plus qu’elle avait presque oublié un détail crucial, les gares toscanes étaient remplies des soldats en partance pour le front, de ses plus chers voisins dont les hommes des villages qui bordaient son monastère. D’ailleurs, le triste spectacle de ses compatriotes partant à cette horreur ne manqua pas de faire ressurgir en elle des questions difficiles, sur son rôle ou celui de ses amis dans tout cela. Mais finalement, après avoir pesé les espoirs et les risques, elle en était convaincue, il fallait que le Conseil fasse quelque chose pour redresser la situation et, pour cela, il faudra tout avouer. De toute façon, ce n’est pas en cherchant à cacher la vérité que je pourrai tous nous aider, se résolut-elle en essayant d’imaginer ce que ses découvertes pourraient susciter chez ses amis, comme si la peur de ne même pas être prise au sérieux ne l’inquiétait plus tant que ça …
Après tout, si cette apocalypse du LM était vraiment inéluctable, alors il fallait que les élèves restent soudés et non qu’ils se divisent avant que le choc n’ait commencé - comme leurs professeurs. Heureusement que l’Ange Samaël nous a laissé un espoir, finit-elle en s’endormant dans son train vers les Alpes Suisses, pour un espace de paix et de quiétude comme peu d’autres par les temps qui courent ...
« Il semblerait que l’eau d’étoiles ait été présente depuis des temps immémoriaux, mais qu’elle fut volontairement enfouie pour être ensuite révélée au cours des siècles, à différents endroits, au gré des actions d’êtres aussi curieux que le Dieu des Juifs, et dont les motivations nous semblent tout aussi obscures. Néanmoins, si leurs natures et leurs actes nous sont impénétrables, notre destin semble y être intimement lié. Heureusement, il nous apparaît une évidence, celle que le Dieu des Juifs soit menteur dans sa prétention ; ce qui justifie déjà amplement la sévérité des Augustes contre leurs mensonges insultants à l’égard des cultes. »
Conclusion de l’auteur du Code au sujet d’un lien causal entre des divinités et l’existence du LM, alentours du IIIème siècle.