Malheureusement, au même moment, Alessia cherchait encore les réponses qu’elle avait cru trouver dans cette petite cabane sur pilotis, construite sur un petit vallon au milieu des bois, non loin de la Voie qu’elle remontait avec William il y a quelques minutes de cela.
Car cette fois, le Saxon avait refusé de la suivre, il avait préféré se rendre au Cœur de la Forêt, trônant juste en contrebas, au centre d’un cratère verdoyant qui s’étendait à une dizaine de mètres de là. Évidemment, nous nous alertons au moindre danger, s’étaient-ils promis avant que leurs groupes ne se séparent, mais il suffisait d’un simple coup d’œil pour voir qu’aucun prédateur mutant n’avait approché cette cabane parfaitement intacte. Il s’en dégageait un sentiment de paix bien palpable, à moins que ça ne soit les fleurs colorées qui donne autant de charme au petit vallon de cette bâtisse. D’autant plus que la religieuse reconnut ses plantes aussitôt, c’était exactement les mêmes que celles qui poussaient à la surface, c’était comme si le LM et ses échos épargnaient cette colline.
Par chance, elles semblent bien à leurs aises ici, sourit-elle en voyant s’élever des rosiers et des lavandiers entre les pilotis, dépassant presque entre les marches qu’elle vint gravir avec son goupil et ses deux chevaliers.
— Moi ce qui m’étonne surtout, c’est que cette maison de bois tienne toujours debout. Elle ne peut pas être si ancienne que ça, si ? lui demanda Ezio, sans qu’elle ne sache trop quoi lui répondre.
— Il n’a pas tort, même le loquet fonctionne encore. Cet endroit serait un lieu saint à l’abri du temps ? renchérit, aussitôt, Appolonio, avant d’ouvrir cette modeste porte pour y découvrir une scène inattendue.
Ici ou là, le plancher sali était couvert de branchages, de pierres, de tissus, de fruits, mais également de charognes et d’excréments dont l’odeur suffit à faire reculer Alessia sur le seuil - et sur les pattes de ce pauvre Renard.
Pourtant, cette cabane était déserte, tout comme elle était vide de tout meuble à l’exception de l’autel de santomarbro qui trônait contre le mur du fond, lui aussi maculé de sang comme si un obscur rituel y avait été pratiqué. En fait, elle se résumait presque à cette seule pièce qu’ils inspectèrent prudemment, il n’y avait qu’un petit corridor pour longer cette petite salle au trois-quarts séparé d’elle par de simples cloisons de bois, reliées par deux accès sans portes qui bordait cet autel souillé.
— Il n’y a aucune fenêtre dans cet endroit, ni rien qui n’ai fait de la lumière et la porte était fermée. C’est un être intelligent, omnivore et probablement mutant qui vit ici. Madame, restez sur vos gardes, je vais aller inspecter les alentours, attendez-moi ici, raisonna Appolonio en approchant de sa pontife, figée face à l’autel, lorsque la voix d’Ezio lui répondit d’un air enjoué.
— Viens d’abord voir ça, le premier de la classe ! Il y a une sorte de trappe au sol et des textes gravés sur les murs du couloir, ça doit être ce que Madonna cherche, lança le Napolitain depuis le seuil d’un des deux vestibules, où ses deux compagnons le rejoignirent pour y découvrir des murs entièrement couverts d’inscriptions latines.
— C’est l’auteur du Code qui les a gravées, c’est exactement son mauvais latin, lâcha simplement Alessia pendant qu’elle cherchait le début de ce gigantesque monologue, jusqu’à finir par le débusquer au fond du corridor, au ras du plancher, si bas qu’elle devait s’agenouiller pour espérer déchiffrer ce mauvais latin tracé au glaive.
Ainsi, c’est au prix de longs efforts que la religieuse commença à former des phrases, en butant parfois sur des locutions étrusques si obscures que seul son mentor aurait réussi à comprendre.
Toutefois, elle finit par confier à ses chevaliers que l’auteur du Code n’avait pas menti, puisqu’il avait effectivement caché ici les plus importants de ses derniers avertissements. Il y avait même caché les réponses à presque toutes les questions que le Soleil Marin se posait sur le pas de la prison d’en Bas : Cette étrange cabane, où le Maître des Secrets m’a guidé, n’est pas de nous autres, mais il m’a assuré qu’aucun des siens ne pouvait en franchir le seuil, c’est d’ailleurs pour cela qu’il ne peut surveiller ces lignes. La Forêt d’en Bas n’est pas une prison, pas même celle du vieux Taranos que priaient les Helvètes, et le sanctuaire interdit de mon clergé n’abritait qu’un grand lac de sang. En vérité, ce lieu est le tombeau d’un Dieu Voilé, assassiné par les nuées du Dieu des Juifs, et les eaux rouges ne sont que les vestiges de son cadavre putréfié. Pendant des générations, les prêtres ont cru pouvoir nous élever en nous faisant boire la charogne d’un dieu, en prétendant qu’il s’agissait du nectar. Je l’ai bu, je l’ai donné à mes frères et à mes parents, à ma femme et à nos enfants. Et nous sommes devenus ce que nous espérions, nous vivions tels les dieux souterrains, festoyant sur les richesses d’en Bas, au point de nous isoler par peur de perdre ce bonheur, au point de ne jamais questionner le prix de cette élévation. Puis, hier soir, un être ailé, aux longs cheveux noirs, est apparu au sommet du Grand Chêne, drapé d’un halo d’argent et d’une tunique d’airain, si radieux que nous nous pressâmes tous aux balcons pour l’apercevoir, incrédules. Mais lorsqu’il vit cet Ange, le dieu mort hurla sa colère, il cria à travers chacun de nous, et mes frères se changèrent en horreur tout autour de moi, sous les moqueries de ce maudit intrus qui tourna les talons. J’ignore pourquoi je n’ai pas sombré avec les autres, avec ma propre fille dont je dû me défaire pour sauver ma gorge ; je ne dois ma survie qu’au Maître des Secrets, héros sacré venu d’on ne sait où pour, selon ses propres termes, choisir ceux dont la mémoire doit subsister au temps et aux caprices des Dieux. Que ceux qui lisent ce message sachent ce dont j’ai été témoin : tous ceux qui ont bu ces eaux rouges dans leur vie ont commis le sacrilège de boire au cadavre d’un dieu, à son sang, à ses nerfs, à ses os, à son cerveau, à son essence même. Alors, si ce dieu dont le corps a été bu venait à y ramener son verbe pour faire entendre ses volontés, les profanateurs devront rendre compte, et les indignes seront consommés à leur tour ; ils seront ses mains, ses pieds, sa voix. Et pour ces derniers, il n’y aura point de salut, même le Rédempteur promis par le Maître des Secrets ne pourra racheter leur erreur, car la Barque de Charon refusera de laisser monter leurs âmes damnées. Si les secrets des hommes sont cachés, c’est pour de bonnes raisons, et ceux des Dieux Voilés le sont pour d’encore meilleures. Nous n’aurions jamais dû écouter les belles paroles du clergé ; ni ma tendre épouse, ni mes enfants innocents ne connaîtront le repos à présent…
Nous leur avons tous failli en vérité, se concluait le texte qu’Alessia dut relire à nouveau, tant chacune de ses lignes renversait sa vision du monde, surtout pour une croyante aussi sincère qu’elle. Le LM que j’étudie depuis tant d’années, commença-t-elle à comprendre, hésitante à l’idée d’aller au bout de sa réflexion, jusqu’à s’y résoudre : ce serait en fait le corps liquéfié d’un dieu enterré par les Anges. Et durant toutes ces années-là, elle avait milité en faveur de cette profanation, elle avait même injecté des litres de ce jus de cadavre à des centaines de patients, désormais contaminés, privés de salut, pour le grand plaisir de ce qui semblait être le Diable. Même notre Seigneur me refusera son pardon pour des péchés aussi immondes, pourquoi n’ai-je pas compris plus tôt, se lamentait-elle en ressassant tous les avertissements de son mentor, tellement écrasée par la culpabilité qu’elle laissa s’échapper quelques larmes, sous les airs surpris de ses compagnons. Malgré sa tristesse, elle prit le temps de résumer tout ce qu’elle avait lu à ses chevaliers ou au canidé, tous complètement infectés par les restes pourris de ce dieu inconnu, et tous avides de réponses qu’elle ne pouvait leur donner. Naturellement, Renard n’avait pas le moindre reproche à lui adresser, mais l’opinion des deux Italiens semblait beaucoup plus compliquée, comme s’ils ne pouvaient s’empêcher de la penser coupable, ou au moins complice de ce péché qu’elle avait propagé jusque dans l’orphelinat de la Dolce Lupe. Cependant, ils se contentèrent d’épauler leur pontife dans cette douloureuse épreuve, ils comprenaient bien que sa peine était sincère, et qu’il ne servait à rien de s’en vouloir, car personne n’aurait pu le prévoir.
D’autant plus que tout n’est pas perdu, l’auteur a parlé d’un Rédempteur, tel qu’Appolonio lui fit remarquer, avant qu’Ezio n’ajoute que les écritures se terminaient dans l’autre couloir. Seulement ces dernières révélations prendraient une bonne demi-heure à être déchiffrées, et Alessia sentait au fond d’elle que le temps pressait plus que jamais, que William pouvait déclencher un drame terrible d’une minute à l’autre…
Car à cet instant, Maria se présentait enfin aux bords du grand cratère où s’élevait le Cœur, avec un air contrarié que le roulis de la cascade à ses pieds ne suffisait pas à apaiser.
Pourtant, il était bel et bien sous ses yeux, fidèle aux descriptions que Yerri ou Renard lui en avait fait, plus majestueux que tous les arbres de la surface, presque digne des plus grandes légendes. Haut d’une cinquantaine de mètres, le Cœur ressemblait à un curieux hybride entre un feuillu et une plante verte, doté de branches comme de pétales le long de son tronc à l’écorce finement poilue, culminant sur une canopée luxuriante. Plus étrange encore, cet arbre à mangrove trônait sur une colline percée, semblable à une grosse éponge verdoyante, cernée par le petit marécage où aboutissaient les eaux scintillantes des seize ruisseaux d’en Bas, équitablement répartis entre les quatre voies fleuries. Quant à ses racines, elles étaient suffisamment larges et saillantes pour que Maria les aperçoive ressortir du marais depuis le sommet du cratère, avant qu’elles ne replongent profondément sous la terre. Toutefois, ce qui attira immédiatement le regard de la savante, ce fut évidemment la brume écarlate qui flottait autour du vallon, puisqu’elle formait plus d’une vingtaine d’anneaux successifs, de plus en plus ternes et figés, au fur et à mesure qu’ils approchaient du Cœur de la Forêt, dont la verdure semblait ainsi parfaitement préservée. D’ailleurs, elle avait également aperçu qu’il en était de même pour ces eaux légèrement rougeâtres, ou pour le fin brouillard qu’elles exhalaient dans tout ce cratère.
Cependant, bien que la Lune Pâle restât saisie, presque pétrifiée devant un spectacle si féérique, un détail vint très vite l’agacer.
— Nous ne sommes pas les premiers… confia-t-elle à Yerri.
— Il s’agit de votre ami William, c’est plutôt une bonne nouvelle. L’important, c’est que vous découvriez tous les trésors d’ici, non ? se défendit-il calmement, même si Théodose restait suspicieux envers ce renégat alsacien sorti de nulle part.
— Comment sais-tu que William est ici ? s’étonna-t-il pour que Jasper avoue qu’il avait dû lâcher son nom au détour d’une conversation, puis que Yerri plaisante du fait qu’il n’était pas bien compliqué de trouver un scientifique allemand au milieu de trois chasseurs turcs.
D’ailleurs, le Saxon ne tarda pas à s’avancer vers eux, en leur désignant l’une des pistes longeant la falaise jusqu’au fond de ce cratère, au grand soulagement de Maria qui pouvait au moins se consoler de n’avoir qu’à marcher pour l’y rejoindre.
Heureusement, il connaissait suffisamment son amie pour reconnaître sa démarche agacée, déçue de s’être faite doublée par lui, l’autre petit génie du Conseil, l’autre disciple d’Achille – pire encore : un Germain. Elle n’a pas changé pour ça non plus, préféra-t-il en sourire, tandis qu’il se remémorait leur amourette de jeunesse, toute cette tension ambivalente et permanente, sans parler de ses petits caprices qu’il avait appris à dompter, je ferai mieux de la remotiver dès maintenant, sinon elle va vraiment tirer la gueule tout le long. Alors, sans attendre qu’elle foule le fond du cratère, il lui lança d’un air chaleureux qu’elle arrivait juste à temps pour le moment intéressant : il y avait un petit endroit sec sous le Cœur, dans cette colline que le trio Samara inspectait déjà à la recherche d’un accès. Néanmoins, si cela eut le mérite de redonner le sourire à sa collègue, elle s’empressa de l’asséner d’une pléiade de questions sur tout ce qu’il avait pu constater jusqu’ici. Et il fut plus qu’heureux de lui dresser un résumé, tant il était enthousiaste à l’idée de ce qu’il avait finalement découvert dans cette forêt perdue.
Tout d’abord, il lui confirma que le Cœur porte très bien son nom, puisqu’il agissait véritablement comme le centre d’un réseau complexe qui s’étendait à tout l’écosystème, mêlant non seulement la faune et la flore à ses projets, mais également les nombreux ruisseaux ou monolithes de ce monde souterrain. Tout ce petit monde achemine le LM et ses échos vers cet endroit, conclut-il en indiquant les filaments que Maria voyait dépérir entre les branches opaques de la canopée, absorbée par les pétales de cet arbre, tel qu’elle le supposa avant que William ne la corrige poliment. Car en réalité, le Cœur semble plutôt endormir le LM pour le rediriger ailleurs, comme un filtre, lui expliqua-t-il à l’aide des relevés qu’il avait réalisés, après lui avoir désigné les teintes de plus en plus ternes des eaux et des anneaux. Néanmoins, il était le premier à avouer que ses hypothèses manquaient encore de preuves solides, qu’il fallait suivre le cours du LM pour en apprendre davantage, et donc pénétrer sous cette étrange colline percée. D’autant plus qu’il comptait bien aller jusqu’au fond de ce mystère, quitte à devoir mentir à sa collègue quand elle ironisa sur son soudain regain de motivation pour cette expédition – lui qui croyait le moins à son utilité. En effet, ce n’était pas sa simple curiosité scientifique qui l’excitait à ce point, c’était bien sûr l’espoir de trouver, sous ce Cœur, la solution à son plus grand dilemme : la thérapie Reine. Après tout, s’il devait placer un chef au centre de la Toile Rouge qu’il devait propager au monde entier, il serait on ne peut plus judicieux d’y planter un arbre, une plante qui ne dévierait pas de la Cause et ne souffrirait pas du fardeau que représenterait sûrement une telle existence.
En fait, ce serait même la meilleure chose qui puisse arriver, en venait-il à se répéter, tandis qu’il aidait Maria à prélever quelques échantillons d’eau, jusqu’à ce qu’une scène improbable vienne le surprendre : Jasper vint s’accroupir près d’elle, avec un petit bouquet des plus belles plantes qu’il avait pu trouver dans le coin.
— Hem ! – Au fait, j’ai collecté deux ou trois spécimens de plantes mutantes. J’ai choisi les plus… pertinentes, tu me connais, lui sourit-il avec aplomb, sous les yeux amusés de William qui ne s’attendait certainement pas une réponse agréable.
— Tu ne perds jamais le nord, toi, se contenta-t-elle d’ironiser, avant de lui ordonner de garder ces spécimens intacts sur lui jusqu’à ce qu’ils soient de retour à Paris.
— Ensuite, je les plaquerai dans un herbier, ou je les donnerai à Ana, ça lui fera plaisir, continua-t-elle sur ce faux-air autoritaire, lorsque le trio Samara les avertit de sa découverte : un trou d’où résonnaient des bruits de ruissellements.
Située en lisière du marécage, dans une légère pente à quelques mètres des falaises, cette ouverture était comme une rigole filant droit vers la cavité sèche que William avait aperçu entre les racines de cet immense arbre à mangrove.
Seulement, cette dernière était presque entièrement couverte de ronces, de vignes, de lierres ou de mousse, à tel point qu’Aleksei dut plonger sa tête dans les épines pour entendre qu’il y avait bien quelque chose derrière ce tapis. Pourtant, lorsqu’ils retrouvèrent Nastia en train de leur tailler un chemin à grands coups d’épée, c’est un autre problème qui vint très vite inquiéter Jasper.
— Est-ce vraiment judicieux de descendre là-dedans, Maria ? L’endroit a l’air saturé d’échos, fit-il remarquer en désignant la brume qui en jaillissait à chaque entaille, lorsque Yerri lui demanda de se souvenir de ce qu’il lui avait appris aujourd’hui, avant de se tourner vers les explications du professeur von Toeghe
— Ces échos sont trop apaisés, trop ternes, ils sont comme endormis par le Cœur. Autrefois, nous restions persuadés que les échos étaient tous mutagènes, car tous les échos que nous observions étaient issus d’une excitation préalable, même infime. Mais nos professeurs supposaient déjà que c’était plus compliqué que ça, d’où leur nom unique. En fait, tout dépend de la résonnance du LM avec les êtres vivants, l’environnement, et tout ce qui peut y avoir autour d’eux. Pour résumer, même toi et moi nous pouvons respirer cette brume, à plein poumons si nous le voulons, tant que nous restons assez calmes pour ne pas la réveiller. Au fond, les échos sont comme nous, ils n’ont rien de dangereux s’ils ne sont pas dérangés, détailla-t-il, sous les approbations impatientes de sa collègue.
— J’ajouterai même qu’une faible exposition aux échos est bénéfique à la nature, comme nous nous épuisons à le répéter auprès d’Alessia… D’ailleurs, où est-elle ? Elle a déniché une vieille stèle dans les parages ? s’amusa-t-elle pour apprendre que c’était plus ou moins le cas.
— Une cabane dans la forêt… ça ne m’étonne pas. Enfin, cela lui donnera l’occasion de faire une petite pause, elle devait être épuisée et affamée après avoir rampé dans tous ces souterrains. J’ai beau insister dès que le sujet se présente, elle refuse toujours de s’inoculer une thérapie nouvelle, ne serait-ce qu’une thérapie civile comme celle dont tu disposes, soupira-t-elle d’un air contrarié.
— Elle rabattit son regard las sur Nastia, occupée à fredonner une mélodie des steppes que la Franco-Polonaise haïssait par principe.
— Bon, ta mongole accélère la cadence ou je vais devoir couper ma viande moi-même ? finit-elle par lâcher.
Agacé, William lui proposa d’effectivement de prendre le relais, après tout, personne ne t’en empêche, comme il le lui dit en espérant la faire taire.
— Très bien, je vais m’en occuper. Jasper, ouvre-nous un passage et sois meilleur qu’elle, lui ordonna-t-elle, avec un aplomb qui fit sourire tous les compagnons de l’Alsacien, y compris William – absolument pas dérangé par ce genre d’enfantillages, d’autant plus que Nastia était bien contente de céder sa place.
En revanche, Jasper était beaucoup moins tranquille et, cette fois, la corvée de sa patronne ne l’amusait pas du tout, surtout s’il devait se presser dans un concours si ridicule.
Mais tandis qu’il s’apprêtait à s’exécuter après un dernier soupir, sous les encouragements moqueurs d’Alessandre, Yerri le retint par le bras pour lui chuchoter un conseil à l’oreille. Prends mon sabre et souviens-toi de tout à l’heure, tu peux ouvrir cette faille d’un seul coup, lui rappela-t-il en tendant son épée à Jasper qui la saisit volontiers, même s’il était loin d’être confiant sur sa capacité à reproduire le choc cinétique des Renards du RFA. Cependant, il savait aussi que les arts de la chasse n’étaient pas faits pour les gens hésitants, qu’il fallait se ressaisir sans attendre s’il tenait à ne pas se ridiculiser complètement devant tout le monde. Évidemment que je vais y arriver, je l’ai déjà réussi plusieurs fois, se répétait-il en essayant de se calmer, ou plutôt de se concentrer sur l’excitation qu’il sentait monter en lui, tout en se plaçant face à la rigole. Bien sûr, tout le monde fut surpris de le voir se figer, le corps parfaitement droit, les yeux fermés, à l’exception de Yerri qui implora ses nouveaux compagnons d’assister en silence à ce qui allait suivre.
Après une dernière inspiration, Jasper colla ses pieds afin de former un angle perpendiculaire, avant de tendre son bras armé, de placer son autre main sur son poignet, puis de fermer les yeux. Ainsi, il ne régna plus qu’un silence gênant durant de longues secondes, jusqu’à ce qu’un fin bourdonnement vienne réchauffer l’air tout autour d’eux, tandis que le métal de sa lame crépitait de plus en plus sous l’éclat des échos qui s’y tordait toujours davantage, au point de presque draper son tranchant quand il la brandit au-dessus de sa tête. Puis, lorsqu’il la rabattit d’un seul coup, il rouvrit ses yeux aux balafres illuminées pour irradier une intense éclat vert, et libérer un souffle de lumière pâlie qui s’engouffra dans la faille. Sous les airs abasourdis de ses compagnons, le roche et les ronces se soulevèrent alors dans un fracas soudain, si brutal qu’il transforma cette crevasse en une tranchée béante, fumante de cette brume toujours terne.
Au bout du compte, il n’y avait plus que Yerri pour prendre la parole afin d’affirmer que Jasper avait encore mieux réussi les fois précédentes, les regards curieux avaient dû stresser son protégé, même si c’est avec un air triomphal que ce dernier se retourna vers eux.
— À vous l’honneur, et n’hésitez pas à m’appeler la prochaine fois qu’il faudra faire avancer l’histoire ! se réjouit-il en invitant tout le monde à entrer dans la faille, tandis qu’il tendait son sabre à Yerri, ou que des morceaux de roche retombaient encore loin derrière lui, au grand plaisir de sa bien-aimée - incontestablement charmée.
— C’était très élégant comme façon de faire, merci. Il faudra que tu me montres cette… physique en détail. C’est totalement ma façon de penser résumée en quelques gestes, ironisa-t-elle en se dirigeant vers le souterrain éventré, aussitôt suivie par William.
— Beaucoup de ces informations sont dans les documents que j’ai ramené de la Mondlicht-Turm, tu pourras même y découvrir bien plus. Au fait, Yerri, puisque vous êtes un renard vous aussi, vous devez connaître Ewald, non ? lui demanda-t-il innocemment.
— Tous les chasseurs du RFA se connaissent, répondit Yerri, ce qui ne manqua pas d’interpeler William.
— Pourtant, il m’a dit être le seul chasseur renégat encore en vie. Vous devriez essayer de le retrouver si c’est un ami à vous, il sera content de voir que vous n’êtes pas mort, lui suggéra-t-il, sans réussir à convaincre ce camarade potentiel car Yerri ne voulait pas risquer d’être recapturé par le RFA, tel que le Saxon pouvait désormais l’être, lui-aussi…
Heureusement, William put très vite chasser cette épée de Damoclès de son esprit, dès qu’il se pencha au-dessus des curieux souterrains que Jasper et Maria scrutaient déjà.
Car si ce tunnel ne permettait pas de circuler à deux, ni d’avancer sans légèrement baisser la tête par endroit, il aurait pu être deux fois plus large si les canaux d’eau ou de LM ne prenaient pas la moitié de l’espace. En effet, de part et d’autre des dalles noires serpentait une petite rigole, sur laquelle venait s’ajouter une racine du Cœur qui, taillée comme une gouttière, transportait du LM juste au-dessus, pendant que de l’eau s’écoulait sur la racine de l’étage supérieure - et ainsi de suite. Tous les murs étaient ainsi couverts de ces étagères qui ne laissaient que la voûte de libre, afin que des lierres mutants puissent y fleurir et disséminer leur fine lumière blanche dans ce corridor sombre. Enfin, plus surprenant encore, ce couloir était circulaire, régulier, comme pourrait l’être une construction toujours entretenue.
En fait, les deux savants comprirent que Jasper ne venait pas de forcer l’accès à ce souterrain, mais plutôt de dégager une ancienne entrée conçue pour cela, puisque ni les dalles, ni les murs faits de nachtstein n’arboraient de fracture, au mépris du choc libéré par l’Alsacien.
— Si ce n’est pas le Cœur qui a créé ça, alors ceux qui l’ont fait étaient des génies. Alessia avait peut-être raison sur ces Anges… en vint à rêvasser Maria, dès qu’elle commença à ouvrir la voie avec son confrère.
— Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi ? s’amusa-t-il en approchant d’une racine taillée en gouttière.
— Je trouve que c’est au contraire bien humain dans sa conception. Et, au-delà de ça, la Nature fait parfois mieux les choses que tout ce que nous ne pourrions imaginer, elle connait mieux ses propres règles que nous, ajouta-t-il pour qu’elle s’empresse de lui assurer qu’elle ne prenait pas les témoignages d’Alessia au pied de la lettre, elle non plus.
Pourtant, il ne leur aurait suffi que de la rejoindre dans cette vieille cabane sur pilotis, pour qu’elle leur livre toutes les réponses qu’ils partaient chercher dans ces tunnels humides.
Pendant que ses chevaliers étudiaient cette étrange trappe amovible du couloir, Alessia achevait tout juste sa lecture des inscriptions gravées par l’auteur étrusque du Code, visiblement aussi exténué qu’elle lorsqu’il traça ces dernières lignes dans le bois. Seulement, à la différence de ce dernier, elle ne comptait certainement pas se donner un seul instant de répit, pas après ce qu’elle venait de découvrir : le rôle du Cœur, et celui de son Sauveur. Même après toutes ces années, les Nuées du Dieu des Juifs ne restent pas inactives face aux vestiges des Dieux Voilés. Le Maître des Secrets me l’a confirmé, ma terre natale sera scellée, enfermée avec le tombeau qu’elle eut le malheur de border, afin qu’aucun être ne vienne les troubler. Ce jour-là, le Dieu des Juifs enverra un messager pour accomplir ce devoir, puis y placer des vigies, élues parmi les plus grands héros qu’il choisira chez les peuples voisins. Enfin, pour sceller jusqu’au mal qui imprègne la terre de cet endroit, le Rédempteur viendra accompagner d’une vie innocente et volontaire en sacrifice, de telle manière que son cœur pur et sa conscience droite recueilleront éternellement les rengaines du dieu mort, endormi. Alors, toi qui liras ces lignes, ne touche pas au Cœur de la Forêt, sous aucun prétexte, pas plus que tu ne lui feras de mal, car les voix d’en Bas seraient alors libérées, et les vigies du Dieu des Juifs te tueraient atrocement pour ton péché innommable.
Ainsi parla le Maître des Secrets, ainsi soit-il, pour le bien de tous, priez au Cœur de la Forêt selon les rites, promettez le secret, puis quittez cette forêt, finit de lire la bonne sœur, avant de se retourner d’un sursaut vers ses chevaliers, toujours agenouillés au-dessus de cette trappe qui n’avait rien à faire là.
— Vite, il faut aller prévenir William ! Personne ne doit toucher le Cœur ! leur lança-t-elle, à leur grand étonnement, au point qu’Appolonio ne savait même pas quoi lui répondre, tout comme Ezio qui se contenta de lui demander pourquoi.
— Sinon la Voix se réveillera et nous mourrons tous ! Dis-lui de revenir et assure-toi que personne n’y entre !
— Mais pourquoi ? Je veux bien aller lui dire ça, mais –
— J’y vais tout de suite, Madame, réagit enfin Appolonio, en détalant de cette cabane pour rallier le cratère où devait se trouver le Saxon.
— Je ne sais pas s’il le convaincra avec ces arguments-là. C’est si grave que ça ? confia Renard en approchant des deux humains restants – non sans avoir reniflé toute la pièce et grignoté quelques fruits qui y traînaient.
— Oui, c’est très grave. J’espère que William ne prendra pas ce genre d’initiatives tout seul… soupira-t-elle en rabaissant son regard vers les ultimes inscriptions qui restaient sur le mur, déjà si dépitée qu’elle n’avait même plus l’envie de s’y replonger. De toute façon, elle ne pouvait rien faire de plus maintenant, elle avait compris trop tard, et encore, je comprends si peu…
D’autant plus que ses deux collègues n’étaient plus aux abords du cratère, ils n’étaient plus très loin de leur but, il n’y avait qu’à voir l’air réjoui de Yerri quand il arriva au tournant des souterrains pour le comprendre.
Nous sommes arrivés sous le Cœur, annonça-t-il à ses compagnons, en leur conseillant de faire attention à la grande marche qui précédait cette cave ronde, bien plus espacée que les tunnels d’où ils sortirent un par un. Ici, la nachtstein semblait remplacée par une pierre grise, rugueuse, sans éclat, bien qu’elle fût gravée par des myriades d’entrelacs ou de symboles aux reflets dorés, si finement taillés qu’ils donnaient l’impression d’avoir été peints sur ces parois abruptes. Plus intrigant encore, toutes ces figures convergeaient au centre de la pièce, sur l’unique dalle de nachtstein où luisait un emblème qu’ils n’avaient jamais vu : un emblème oublié – le même que celui présent sur le Testament. De plus, douze ruisseaux jaillissaient des murs pour s’écouler paisiblement tout autour de la pièce, dans leurs petites rigoles, jusqu’à se rejoindre et former un dernier cercle autour de la dalle noire. Néanmoins, en dépit de cette ambiance féérique, le petit sanctuaire souterrain abritait une chose si répugnante que personne ne pouvait en décrocher le regard dans un premier temps. Suspendu par des racines, même parcouru par elles, un grand cœur difforme, couvert d’une écorce verdâtre suintante et poilue, battait calmement au centre de la cavité. Il n’était relié à rien d’autre et pendait à un petit mètre du sol, au-dessus d’un petit tas de poussière intouché par le vent. Charmant, lâcha très platement Maria à la vue de ce spectacle immonde, lorsque William finit par apercevoir ce qui trônait au fond de cette salle, à quelques pas de cette horreur.
Enchâssé dans la paroi de laquelle il dépassait à moitié, une sorte de gros cerveau crépitait entre le sixième et septième ruisseau, partiellement couvert d’une couche de chitine blanche et grise qui laissait apparaître ces nervures cérébrales scintillantes, exhalant continuellement une douce brume aux éclats rosés – comme s’il fumait littéralement.
— Encore plus charmant, reprit donc William, et Maria de lui répondre.
— On ne manque décidément pas de goûts ici.
— J’aurais pensé que tu t’empresserais de ramener cette chose chez toi pour l’étudier.
— C’est ce que je compte faire, bien sûr. Mais c’est quand même sacrément dégoutant.
Elle rôdait autour du Cœur, jusqu’à ce que Jasper lui propose de le couper à sa place.
— Non merci, je ne suis pas une petite nature, et j’aimerais d’abord en apprendre plus sur cette plante, expédia-t-elle d’une voix trop polie pour que ça ne surprenne pas son collègue.
— Non … Merci ? Tu remercies les autres aussi facilement maintenant ? ironisa-t-il en installant trois petits appareils de mesure dans la pièce, près du Cœur, du cerveau et d’un ruisseau, sous les regards curieux de sa collègue.
— La fatigue très probablement. Enfin, tu as trouvé le moyen de ramener cette chose en bon état, William ? Ou tu essaies juste de me taquiner avec dix fois moins de talent qu’Arcturus ? lui demanda-t-elle avec une pointe de plaisanterie qui le fit sourire, même s’il n’avait pas encore la solution demandée.
— Bon, commençons par le reste en attendant. Raphaël, prépare de quoi transporter ce cœur hermétiquement. Jasper, Alessandre et Théo, vous vous occupez d’inspecter ces façades en détail, et en vitesse, vous m’appelez à la première bizarrerie, leur ordonna-t-elle d’une seule traite, sous les regards tranquilles des trois Tatars, absolument pas dérangés par leur Premier Savant.
— Yerri, que sais-tu sur cet arbre ? Il doit bien cacher des graines quelque part…le questionna-t-elle.
— J’imagine que vous savez que vos anciens professeurs sont venus ici, commença-t-il devant les hochements de tête des deux scientifiques.
— D’après les documents que j’ai pu lire dans le dos d’Emil, le cœur de cet arbre contiendrait deux graines. Apparemment, elles ne sont pas destinées à partir pousser ailleurs, elles serviraient d’abord à lui assurer de repousser s’il venait à être abattu. Vous n’aurez donc aucun mal à les transporter, ni à les replanter si vous disposez de l’espace qui faisait défaut à vos professeurs, même si je doute que cela puisse endiguer la mutation… ne put il s’empêcher d’ajouter, avant que William ne renchérisse sur ce cerveau luisant qu’il considérait déjà comme le vrai cœur de ce réseau – et peut-être le modèle du cœur de sa futur Toile Rouge. «
— À priori, il est généré par la plante, il n’est pas vraiment ré-implantable sur une autre mais ce n’est pas vraiment nécessaire de le faire. En revanche, Marco-Aurelio aurait supposé que ce cerveau entre en hibernation si l’arbre venait à mourir ou s’il venait à en être séparé. J’imagine qu’il peut faire un bon sujet d’étude en attendant que vos deux Cœurs de la Forêt poussent de leurs côtés. Quant à la paroi légèrement rectangulaire dans laquelle il est inséré, ou toutes les gravures qu’il y a sur ces murs, elles proviennent simplement des Étrusques du coin. Ils vénéraient cet arbre, selon des rites qui remonteraient aux Celtes qui vivaient ici avant d’être soumis ou chassés par les nouveaux venus, acheva-t-il, au grand bonheur de Maria comme de William, désormais sereins à l’idée d’accomplir ce qu’ils étaient venus faire ici.
Certes, le Saxon gardait toujours quelques regrets lorsqu’il pensait aux conséquences du dépérissement de ce spécimen, et sa consœur s’inquiétait encore du risque de faillir à le replanter.
Toutefois, l’opportunité était trop belle pour ne pas être saisie, les doutes ne faisaient pas le poids face aux espoirs, que ce soit pour lui ou pour elle. Car si William y voyait la solution ultime au dilemme de la Toile Rouge, Maria ne parvenait pas à retenir sa curiosité devant un spectacle aussi mystique, une plante aussi unique. Après tout, qui pouvait savoir les bienfaits que son étude pouvait offrir à l’Humanité, même à eux deux ? Qui pouvait dire que le jeu n’en valait pas chandelle, qu’il ne fallait pas libérer ce Cœur de ses racines ou ce Cerveau de sa pierre ? La solution aux inconvénients du LM était là, à portée de main, il aurait été si stupide de passer à côté. Alors, dès que Raphaël et Kyril tendirent aux savants leurs sacs de cuirs vides, les deux cadets du Conseil s’exécutèrent enfin. Ainsi, quand Appolonio atteignit le fond du cratère, la nuit s’abattit sur toute la Forêt d’en Bas, en une fraction de seconde, presque aussi vite que l’on éteindrait une ampoule. Et, tandis que le Cœur tombait entre les mains de la Lune Pâle, alors que le Souffle Pourpre arrachait jusqu’au tronc cérébral de cette paroi plus ouvragée que les autres, un grondement sourd et profond retentit des tréfonds, sonnant tel un glas aux oreilles de tous les êtres d’en Bas. Aussitôt, un raclement terrible résonna lentement depuis l’autre bout de la Forêt d’en Bas, d’entre les parois de marbre du sanctuaire, si fort et si sourd qu’il fit vaciller les Neuf Printemps, incapables de résister aux vibrations même avec leurs gants plaqués contre les oreilles.
Puis, lorsque le son retomba, Maria et William virent les racines se refermer derrière eux, tandis que l’eau rougissait comme du sang en débordant des rigoles, ou que des hurlements stridents se multipliaient dans toute la forêt…
— Merde ! Qu’est-ce qu’on fait ?! s’écria Jasper, tourné vers Maria et son cœur ensanglanté en main, pendant qu’Alessandre dégainait son sabre pour attaquer les racines – par réflexe.
— Nous tranchons ces racines puis nous ressortons en vitesse ! ordonna-t-elle dans la foulée, avant de se tourner vers son collègue.
— William, tu as d’autres idées ?
— Rien de mieux. Yerri, vous pourriez nous ouvrir une sortie ? suggéra-t-il en se doutant déjà de la réponse qu’il allait recevoir.
— Ce serait risqué de forcer une sortie sous cet arbre, sauf en dernier recours.
— Dans ce cas, suivons le plan de Maria, résuma-t-il en allemand, de telle sorte que les Tatars s’empressèrent d’aller imiter les Français, confrontés à des racines capables de repousser si vite qu’ils se préparaient déjà à y mettre le feu, lorsqu’une voix italienne vint tous les surprendre.
— Dame Lespegli m’envoie ! Vous ne devez toucher le Cœur de la Forêt sous aucun prétexte ! leur lança Appolonio depuis l’une des petites ouvertures qui permirent à William d’entrevoir ce sous-sol.
Bien sûr, Maria et William se regardèrent d’un air coupable durant deux bonnes secondes, jusqu’à ce que l’Allemand n’avoue ce qu’ils venaient de commettre.
Et quand il ajouta qu’ils étaient coincés en bas, le chevalier tomba de haut, sa pontife avait peut-être raison finalement, ils allaient tous mourir ici, sous ses yeux impuissants. Alors, sur son serment, il jura de les aider du mieux qu’il puisse, pour que les savants s’empressent de lui indiquer l’emplacement de la faille qu’il devait trouver pour venir les aider. Seulement, à peine virent-ils le visage d’Appio disparaître, qu’un rugissement furieux tonna à la surface, sous les regards paniqués des chasseurs de mutants qui comprenaient bien quel genre d’animal l’avait émis.
— Putain, faut l’aider ! Théo, t’es notre meilleur tireur, on va te porter avec Alessandre pour que tu puisses le couvrir ! lança immédiatement Jasper à ses compagnons, tous d’accord, sauf Yerri.
— Malheureusement, je crois que nous n’en aurons pas l’occasion, leur confia-t-il en scrutant l’eau rouge frémir à leurs pieds, presque bouillir, jusqu’à ce qu’elle ne vire au blanc le plus éclatant, puis qu’elle ne les engloutisse en l’espace d’un battement de cil.
Et lorsqu’Appolonio détourna fugacement le regard du prédateur qui approchait, il n’aperçut qu’un pilier d’échos multicolores transpercer brusquement le Cœur, avant que toute la colline ne s’effondre dans un fracas de branches et de boue…