CHAPITRE VI – La Forêt d’en Bas - Partie 5

Mais, si même Jasper ignorait qui était le Souffle Pourpre ou le Soleil Marin, il pouvait leur affirmer qu’après avoir blessé deux personnes, le Vol de Jais devrait se satisfaire du négociateur qui leur avait été envoyé.

Cependant, cette voix répéta immédiatement qu’elle ne comptait pas négocier le départ de l’expédition, et il avait beau insister, du mieux qu’il put, sur les raisons scientifiques de cette expédition, elle refusa l’intrusion de profanateurs. Pourtant, Jasper semblait presque aussi révéré que Maria chez ces gens, il avait même son propre titre : le Premier des Parias. Malheureusement, toute cette cordialité ne règle pas notre problème, comme il dut le faire remarquer, avant d’ajouter que s’ils connaissaient si bien cette fameuse Lune Pâle, ils devaient aussi savoir qu’elle n’était pas du genre à reculer, il vaut mieux que tout le monde mette un peu d’eau dans son vin.

— Non. Vous avez deux heures pour lever le camp et commencer à quitter nos terres, Paria, répondit sèchement la voix rauque du corbeau, tandis que Jasper s’apprêtait à lâcher l’affaire, non sans un dernier coup.

— Ah ? Et dans quelle direction devrions-nous repartir ?

— Par le nord, rien de plus simple.

— Hm… C’est compliqué, nous comptions rejoindre le sud après cette expédition. Comment devons-nous faire pour ne pas vous gêner pour autant ?

— Évitez simplement le grand massif de la Tour Sallière, et tout ira bien.

— La Forêt d’en Bas est donc vraiment sous ce massif ? demanda Jasper pour s’assurer définitivement de cette information, avant que la voix ne comprenne son petit jeu ridicule.

— … Vous paierez votre insolence, Paria. Nous vous imaginions plus ouvert d’esprit, mais, vous aussi, vous aurez votre nom à jamais gravé dans le Livre des Rancunes. Aucune communauté ne vous acceptera lorsque l’heure viendra, le Prophète a ainsi parlé des persécuteurs.

— Ah ? À vrai dire, j’ai toujours rêvé d’être le héros d’un livre ! Bon, j’aurais aimé que nous puissions discuter sereinement, mais si vous ne le voulez pas, nous trouverons un autre moyen, finit-il par avouer, en souriant au corbeau qui s’envola, quand des cris de loups emplirent brusquement la vallée.

— Jasper ! Revenez ! lui cria Lysander, depuis les positions où tous restaient à couvert.

 

Et quand l’Alsacien revint parmi les siens, il les trouva tous sous tension, blottis contre leurs abris comme Maria, auprès de laquelle il alla se placer. Tous inquiets d’un danger qu’ils croyaient distinguer dans l’obscurité de la forêt que leurs thérapies réduisaient.

La secte comptait mettre ses menaces à exécution, ces hurlements de loup étaient le signal de l’assaut du Vol de Jais, une menace dont les Français étaient loin d’appréhender l’ampleur. Certes, Arcturus leur avait déjà parlé de ce qu’il savait sur cette secte. Sur le fait qu’elle entretenait un désir de protéger la nature et de vivre en symbiose avec elle, mais il était loin de soupçonner que les animaux faisaient littéralement partie des croyants, et même des combattants. Lorsque Jasper se concentrait sur les sensations, que les échos lui faisaient percevoir en crépitant au fond de lui, il se sentait comme dans l’œil d’un cyclone lentement refermé, complètement cerné dans une nasse grouillante de passions résonnant entre les arbres tel un vacarme profond. Puis quand il rouvrit les yeux, le vacarme était désormais clair à ses oreilles, c’était le bruit que l’avant-garde canine du Vol de Jais faisait, en s’élançant à l’assaut au travers des buissons.

Mais alors que Jasper et les Français cherchaient à discerner les silhouettes accourant au loin, les Springs libérèrent un rideau de balles sur les rangs de la meute qui chargeaient vers eux, avant que ça ne soit au tour des Autumns.

— Reprends ton fusil finalement, j’ai une meilleure idée. Je te laisse diriger la défense, mais ne me fais pas honte devant Arcturus, lui confia soudainement Maria, pour ensuite appeler son ami d’outre-Manche afin de comploter avec lui.

Évidemment, Jasper lui aurait bien demandé ce qu’elle avait derrière la tête. Mais il fut vite ramené à son devoir par Alessandre, pour découvrir une pleine rangée de chiens et de loups déferler vers lui sans qu’aucun ne gâche son souffle à aboyer.

Heureusement, les hommes d’Arcturus étaient plus que préparés à ce genre de menaces. Ils disposaient de fusils surpuissants avec des balles lourdes, conçues pour transpercer violemment les mutants et les choquer sous l’impact. De plus, leurs armes étaient semi-automatiques et ne s’enrayaient que très rarement, même sous le tir le plus soutenu, rien à voir avec ceux de Jasper et ses trois compagnons. De leur côté, les Français n’avaient que des canons très règlementaires, si faibles qu’ils repoussèrent la charge canine de justesse, lorsque l’Alsacien dégaina le pistolet à rafale que Maria lui avait offert, afin d’abattre le dernier loup bondissant sur lui. La fusillade continua ensuite pendant quelques brèves secondes, durant lesquelles les chasseurs achevèrent les survivants, laissant le silence retomber telle la fumée des canons de Semper Peace, toujours alertes.

— Hm ! C’est tout ? demanda curieusement Cathair des Springs, avec son fusil en main, trépignant dans l’attente d’un combat plus intense.

Seulement, il ne fut pas déçu de la suite, puisque dès qu’il eût prononcé ses mots, le son puissant d’un cor taillé dans les cornes d’un grand cerf résonna dans les montagnes.

L’expédition sentit alors un profond bruit sourd arriver au-dessus d’elle, avant qu’une poussière ne commence à tomber du ciel qui s’obscurcissait progressivement. La grande phalène était désormais à quelques dizaines de mètres de l’expédition, si proche que la seule force de ses ailes les clouait au sol. Pourtant, c’était une tout autre mission qu’elle venait remplir, car lorsque sa poussière se fut assez déposée sur les cadavres, ces derniers se mirent à crépiter, puis exhaler des échos rouge et blanc jusqu’à former des silhouettes de loups éthérées. Chaque corps engendra deux fantômes chacun, de la même taille que le corps qu’ils venaient de quitter, sous les yeux incrédules des chasseurs qui en restaient sans voix. À voir l’aspect des créatures qui se relevaient, aucune ne semblait vraiment capable de mourir une seconde fois, ni même d’être blessée par n’importe quel métal que ce fut. Cependant, comme Jasper le fit remarquer, s’ils ne pouvaient pas toucher ces spectres, l’inverse devait également être probable, il n’y avait donc rien à craindre d’eux. Et l’Alsacien crut presque avoir raison, en regardant les silhouettes tenir leur ligne sans avancer davantage, avant de voir des hommes arriver derrière les loups. Les humains du Vol de Jais avaient profité de cette charge pour se rapprocher, mais ce qui intrigua le plus Jasper, c’était leur chef, celui qui se démarquait par des yeux encore plus luisants que les siens. Chaque membre de la secte portait une tenue évoquant celles des chasseurs, et ils étaient autant armés que leurs proies, bien qu’ils ne soient pas plus d’une dizaine.

C’est probablement pour ça qu’ils ont besoin de cette obscure magie pour l’emporter, pensa Jasper, en fixant le regard scintillant du chef de Jais, s’avançant de quelques pas pour poser sa main sur le crâne de l’une de ses bêtes, avec un fin sourire, comme s’il savait déjà la question que tous se posaient : oui, ses loups spectraux étaient bien physiques et palpables.

— Enchanté de nouveau, Paria. Et vous, encore plus Sages du Graal. Je suis Cassandre du Vol de Jais, Second Messager de la Mère et protecteur de nos terres autour de la Forêt d’en Bas. Rangez vos armes, et rendez-vous tant qu’aucun mort n’est à déplorer, nous nous contenterons de vous reconduire hors de nos terres, clama-t-il.

— Va dire ça à tes autres loups !

— Dis-leur toi-même, lâcha-t-il en souriant, tout en faisant luire ses iris fêlés d’une lueur plus intense que tout ce que n’avaient jamais vu les chasseurs ou les savants.

Aussitôt, les yeux des cadavres se mirent alors à luire pour lui répondre, pour faire crépiter les corps tels des braises. Tandis que leurs tissus organiques se reformaient intégralement, jusqu’à les restituer à la vie, sous le regard admiratif d’Arcturus, enfin témoin d’une forme d’immortalité. Cependant, Maria n’était pas aussi fascinée — même si elle aurait pu l’être en d’autres circonstances.

— Barrez-vous, bande de culs-terreux ! J’ai décidé d’aller à la Forêt d’en Bas et je vais y aller ! commença-t-elle à s’énerver, pendant que son collègue anglais se résignait à combattre, et à prendre l’initiative.

— Semper Peace. Faites quelques prises et détruisez le reste, ordonna-t-il sobrement, pour que ses dix-huit mercenaires d’élite n’obéissent dans la foulée, déchaînant un déluge de balles sur tout ce qui les entourait.

Mais le Vol de Jais ne recula pas, ni ne se cacha, au contraire, il s’élança sous le feu, loups et chasseurs côte à côte.

Pourtant, même si beaucoup de loups tombèrent sous les cartouches, l’expédition ne put contenir l’avancée des sectateurs avant qu’ils n’arrivent au corps-à-corps. Aussi doués que leurs homologues, les chasseurs du Vol avaient ce talent si particulier pour faufiler entre les balles, lorsque le feu n’était pas assez croisé et la distance trop courte. D’ailleurs, Cassandre était très fort à ce jeu d’instinct, d’agilité et de vitesse, à tel point qu’il fut le premier à atteindre sa cible, devant les loups ou leurs spectres. Et sa cible, c’était bien sûr l’insolent Jasper. Ce paria qui dut jeter son fusil pour dégainer à la hâte et encaisser l’entrechoc de leurs lames, presque à l’instant où les deux lignes se percutèrent, transformant la fusillade en une mêlée de sabres et baïonnettes.

D’ailleurs, dès les premiers échanges, Jasper comprit qu’il avait un adversaire à sa hauteur. Et, peut-être même bien plus, car s’il peinait, déjà, à tenir le rythme que son ennemi lui imposait, c’était bien l’assurance de Cassandre qui l’inquiétait. Son adversaire était sûr de sa victoire, là où l’Alsacien faisait de son mieux en espérant que le LM continue à s’exciter en lui afin de compenser l’écart de niveau. Le Second Messager de la Mère devait sûrement ce titre à son talent, pensait Jasper en l’affrontant, et en ne pensant plus à rien d’autre, je ne peux pas échouer ici, Maria me regarde et Tyr m’attend. La situation était très différente du côté de Semper Peace, dont le bruit des canons résonnait parfois entre le vacarme lancinant des lames. Certes, aucun des chasseurs de Jais n’était tombé, mais ils n’avaient plus vraiment l’avantage du nombre tant ils avaient perdu de leurs bêtes, sans être parvenus à faire plus que blesser plusieurs de leurs ennemis. Malgré tout, dans le chaos de la mêlée et sous une telle excitation des échos, les thérapies occultes du Vol continuaient de ressusciter les cadavres de sa meute, inlassablement. Il n’y avait que les corps les plus démembrés qui cessaient définitivement de se relever. Mais ils n’arrêtaient pas de servir pour autant. Sous la poussière que la grande phalène dispersait depuis les airs, ils se mettaient de nouveau à exhaler des spectres de cette brume que l’on ne pouvait disperser qu’à l’arme blanche. Et pour couronner le tout, des corbeaux vinrent bientôt reconstituer les cadavres pour qu’ils se relèvent encore plus vite. Comme si tous les efforts de l’expédition ne servaient à rien, comme si la puissance du Vol était illimitée.

Seulement, à l’écart du combat, ce n’était pas pour rien que Maria empêchait Arcturus d’aller porter secours à Kennocha, car il y avait une meilleure façon de l’aider, une solution dont ils discutaient à l’écart du combat derrière un grand rocher.

— Heureusement que tu as eu la lucidité d’ordonner à tout le monde de garder son matériel de chasse. Mais tu es sûre que ça va marcher ? demanda-t-il à sa camarade, toujours prête à concevoir des plans aussi audacieux que risqués.

— C’est mieux que mettre des coups d’épée dans l’eau. Je vais m’occuper de disperser les échos, tu t’occupes de la phalène, et le tour sera joué, lui assura-t-elle, sans perdre plus de temps pour sortir un curieux appareil du sac de voyage qui ne la quittait jamais, une sorte de toute petite fontaine compacte de métal.

Arcturus n’avait effectivement pas d’autre plan ni l’envie de perdre plus de temps, alors il tendit à Maria la gourde d’eau qu’il portait sur lui.

Puis, tandis qu’elle rappelait Raphaël en s’élançant au cœur de la mêlée, avec son appareil en main et sa gourde d’eau, le Soleil Marin lança le début de leur contre-attaque en ouvrant le feu sur la grande phalène, afin de l’écarter du combat le plus possible. Ensuite, il ordonna à ses chasseurs d’asperger les corps des loups, tandis que sa collègue installait son petit engin au sol, pour le remplir de toute l’eau qu’elle pouvait. Évidemment, le Vol de Jais en connaissait assez sur le LM pour saisir l’objectif de deux savants : chasser les molécules de LM avec celles d’eau, faisant ainsi disparaître ses spectres d’échos et entravant la résurrection des loups. Mais leurs ennemis durent très vite se confronter à la résistance acharnée des Nine Autumns et de Cyrus, pendant que le duo formé par Alessandre et Théo manquait d’emporter la première vie humaine de l’affrontement. Ainsi, la fraiche brume de Maria emplit progressivement les airs, sans qu’aucun de ses opposants ne transperce les défenses de Semper Peace, à la grande fierté de son président qui sentait les échos fuir tout autour de lui. Petit à petit, les spectres commencèrent à se délier, à s’effiler dans le vent tandis que leur opacité rouge diminuait, effaçant le sourire de Cassandre qui surveillait la situation, pendant qu’il manquait de balayer cet Alsacien béni par la chance. Il avait peut-être un temps d’avance à chaque échange, mais il fallait un peu plus qu’un temps pour vaincre son adversaire. Il ratait toujours sa cible d’une demi-seconde, quand il ne rencontrait pas une lame toujours plus ferme pour bloquer la sienne et, bientôt, pour avoir le cran de le mettre sur la défensive. Heureusement pour lui qu’ils étaient encore en duel, qu’il l’avait attiré à l’écart, puisqu’il voyait mal comment le combat pouvait évoluer en sa faveur désormais. Seulement, Cassandre semblait être quelqu’un de prévoyant, quelqu’un qui ne se risquait pas sans réfléchir, comme Jasper l’avait remarqué à force de croiser le fer avec lui dans cette clairière. Mais lorsque ce dernier comprit que son adversaire avait une dernière carte à jouer, tout devint sombre autour de lui, et un profond battement lancinant le cloua au sol, sous une étrange poussière noire qui emplissait l’air à chaque coup.

La grande phalène était brutalement redescendue pour ne voleter qu’à quelques mètres du sol. Soulevant les poussières et les pollens tout autour de lui, formant comme une petite tornade par tout ce qu’elle brassait de ses ailes duveteuses.

— Alors, Paria ?! Il y a des forces face auxquelles nous nous sentirons toujours minuscules, n’est-ce pas ?! s’amusa Cassandre. Vacillant à peine sous les battements de son papillon, là où Jasper avait l’impression d’être écrasé par cette force, au point d’en finir agrippé à son sabre.

— Dans ce cas, viens me finir… grogna-t-il, en souriant sous l’ivresse du LM qu’il sentait l’envahir, en se relevant lentement, de toutes ses forces contre cette pression que des coups de feu vinrent tenter de repousser.

Malheureusement, Cassandre n’eut qu’à souffler dans l’un de ses sifflets pour les faire cesser, pour les remplacer par un vacarme de cris d’oiseaux et de battements d’ailes.

— Tu ne manques pas d’envie ! Je n’en attendais pas moins du Premier des Parias à vrai dire ! lui lança-t-il, en avançant vers lui, sans la moindre crainte malgré le ton furieux avec lequel Jasper répondit que le Paria l’emmerdait.

— Hm ! Pourtant, c’est le nom qui te conviendra si tu restes auprès de la Lune Pâle. Tu pourrais apprendre à manipuler ce genre de pouvoirs, tu sais, tu serais très utile aux miens, proposa-t-il, sans que cela le fasse changer d’avis.

— Tu ne sauveras aucun de ceux que tu espères et tu ne trouveras aucun foyer si tu ne nous rejoins pas, ton errance a déjà commencé le jour où tu as condamné ton frère au peloton d’exécution, eut-il le malheur de faire claquer, lui qui n’avait probablement pas connu cette peine.

— Le Destin ? Tu crois le connaître ? Et ça, tu le savais aussi ?! explosa de colère Jasper, si brutalement qu’il trouva la force de se dresser contre le vent. Son regard vert fumant par ses fêlures rouge et blanc, crépitantes comme des tranchées de braises.

Aussitôt, il sortit son pistolet tout en se projetant le sabre en estoc, avec assez de rage pour que son élan soit à peine ralenti par la pression.

Seulement quand il croisa le regard de Cassandre, brillant tel deux étoiles, une étrange sensation s’abattit brutalement sur Jasper, encore plus vite que filait cette poussière sombre brassée par la phalène.

Elle était comme une ivresse de sommeil. Aussi saisissante qu’un rhume, aussi lourde qu’un coup de marteau, montant en lui à chaque bouffée d’air gavée de ce pollen luisant du même éclat que les yeux de Cassandre. Bien sûr, il fit de son mieux pour résister à cette sensation, pour achever son geste. Mais son cerveau s’emplit si vite qu’il n’eut droit qu’à une dernière vision, celle d’un renard mal-caché à la lisière de cette clairière, tandis qu’il entendait ces mots : je t’avais prévenu, Paria, il y aura toujours des forces face auxquelles nous resterons minuscules, lutter contre ne te fera que plus mal. Ensuite, et sans perdre plus de temps, le chef de Jais s’accrocha à l’une des longues pattes que sa phalène vint faire traîner près du sol. Le Vol était peut-être l’une des plus puissantes sectes nouvelles. Chaque vie comptait à leurs yeux et, même avec leur savoir de la résurrection, plusieurs loups n’avaient pu être sauvés, leurs corps abandonnés dans cette retraite si chaotique.

Pour Cassandre et les siens, il valait mieux arrêter l’escarmouche ici, et c’est avec un goût amer qu’il s’envola vers les pics, bientôt suivis par les oiseaux ayant survécu au sacrifice qu’il leur demanda, laissant retomber le silence sur la forêt en quelques battements d’ailes.

— Ça c’était une branlée fiston ! lança Cyrus en allant enserrer son fils après le combat pour le féliciter, avant que la voix de Maria ne résonne.

— Jasper ! Jasper ! appelait-elle, en accourant dans la clairière pour balayer du regard tout autour d’elle.

Malheureusement, il n’était nulle part, et Renard non plus, ils avaient été enlevés par la phalène qu’elle voyait voler vers les massifs des Dents Blanches.

Le Conseil n’avait plus son guide, et Maria a perdu quelqu’un qui lui est visiblement plus cher que ce que je croyais, se désola Arcturus en calmant la joie de ses hommes, avant de s’agacer intérieurement de la façon dont évoluait son expédition. Je ne vais pas me laisser emmerder par une bande de tarés, finit-il par lancer à son père, il va peut-être falloir faire place nette, la diplomatie a montré ses limites. D’ailleurs, il ne croyait pas si bien dire, car lorsqu’il s’approcha de sa collègue pour essayer de la consoler, le verdict de Maria était sans appel : ils vont payer leurs crimes, au nom du Conseil. Pourtant, la colère laissa bientôt de nouveau sa place à l’inquiétude, lorsqu’ils se rappelèrent qu’Alessia et William n’étaient pas à leurs côtés. Qu’ils étaient restés au camp avec leurs quelques protecteurs, et que le Vol les avait à coup sûr repérés eux aussi. Alors, Maria comme Arcturus se précipitèrent pour rentrer au campement, à plus de deux cents mètres sur les hauteurs, à plus de dix bonnes minutes de course éprouvante contre le relief. Et, si c’est bien une ambiance pesante qu’ils y retrouvèrent, leurs deux chers amis étaient sains et saufs, sans la moindre égratignure, mais non sans mésaventures à raconter eux aussi. Car si l’Allemand et l’Italienne n’avaient pas accouru à leur secours, c’était bien parce qu’ils avaient été attaqués de leur côté par un groupe moitié moins nombreux, probablement destiné à les tenir éloignés. Cependant, les sectateurs étaient très mal tombés, bien plus qu’ils ne l’auraient imaginé en apprenant qu’il n’y avait que cinq chasseurs isolés dans ce campement. Car, en réalité, ces cinq-là étaient pleins de ressources. Ezio avait rapidement écarté les loups. Pendant que Kyril éloignait les échos et qu’Appolonio dispersait les corbeaux. Laissant à Nastia et Aleksei le soin de retenir les guerriers ennemis, jusqu’à ce qu’ils soient tous forcés de reculer en dévalant les pentes à toute vitesse, avant que la bataille ne commence à empirer. En revanche, l’enlèvement de Jasper n’était pas la seule perte du groupe, au grand énervement de Maria. Elle apprit que sa guenon avait pris la fuite pendant l’assaut, profitant visiblement du chaos pour s’offrir la liberté.

Désormais, trouver la Forêt d’en Bas allait loin d’être une partie de plaisir, même si le Conseil était unanime sur la marche à suivre, ils n’avaient même pas besoin d’empêcher Maria d’aller s’isoler dans sa petite tente pour en décider.

— Bien sûr que nous devons sauver notre camarade. Seulement, nous n’avions pas prévu une expédition si longue… soupira William, ce qui suffisait déjà à faire renchérir les inquiétudes d’Alessia.

— J’étais persuadée que quelque chose allait mal se passer. Ils comptent sûrement se servir de Jasper comme otage, pour nous obliger à rester loin de la Forêt d’en Bas. Il ne faudra rien céder ni se décourager, on peut y arriver !

— Bien dit, mais j’ai des intentions bien plus précises, fit aussitôt savoir le président de Semper Peace, sur un ton bien plus vif.

— Ces baiseurs de chèvres ont profité de l’effet de surprise, mais ils vont regretter d’avoir raté leur coup. La prochaine fois, c’est nous qui allons les attaquer, je suis sûr qu’ils doivent crécher près d’une entrée de la Forêt. Ils sont peut-être même liés au Cœur ou à la Voix, vu comment ils manipulaient les animaux, comme des marionnettes. Nous allons y aller en force, et je te préviens tout de suite Alessia, je compte bien en tuer autant qu’il en faudra, résuma-t-il sans la moindre hésitation, tout comme son meilleur ami.

— Nous n’avons malheureusement pas d’autres options pour cette fois, si cela nous permet d’écourter l’expédition, je suis pour. En revanche, nous n’avons aucune idée de leur nombre et nous ne sommes qu’une trentaine, ça pourrait s’avérer plus compliqué que prévu, nuança William, sans que cela décourage Arcturus.

— Nous n’avons pas le temps pour les méthodes chronophages. J’en ai déjà discuté avec les chefs des Springs et des Autumns, le nombre de nos ennemis importe peu si c’est nous qui menons l’assaut à notre manière. Il n’y aura pas d’infiltration ou de siège, nous raserons leur camp sur le chemin de la Forêt d’en Bas. Je ne peux pas passer pour un incapable qui bute sur une petite secte montagnarde, surtout en ce moment, assura-t-il, avant que son regard ne se pose sur Alessia, tête baissée face à de telles extrémités.

— Je vois bien qu’autant de violence te rebute, mais tu comprends nos arguments, n’est-ce pas, Alessia ?

— Oui… Maria sera sûrement pour aussi… Mais je voudrais que nous nous concentrions sur ce que nous avons à faire dans la Forêt d’en Bas, sans nous disperser plus que nécessaire. Notre présence ici relève de la plus haute importance, nous ne sommes pas venus pour guerroyer… voulut-elle faire valoir, lorsque cette petite réunion fut interrompue par Cyrus, venu donner une bonne nouvelle à son fils.

Le Conseil avait peut-être été mis en difficulté, mais, comme le fit remarquer le vieux Seafox, vous avez du beau monde à votre service.

Après tout, ils avaient un Orateur de la Révolution, des pisteurs de Semper Peace, et même une bonne vue sur l’endroit où la phalène s’était envolée, selon Appolonio qui l’avait suivie à la jumelle depuis le col de Bretolet. La voie à suivre était donc toute désignée.

En revanche, la phalène avait filé plus loin que les massifs des Dents Blanches, elle avait paru voler jusqu’aux pics noirs de la Tour Sallière, auréolés d’une lune qui révélait timidement leurs silhouettes dans l’obscurité, par-delà les vallées que l’expédition comptait franchir dès le lendemain, en espérant ne pas arriver trop tard pour sauver leur compagnon.

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