Chapitre VI : L'archipel Garyon (MAJ : 08/05/22)

Alors que Clya ralentissait, Evannah se redressa et passa sa tête par la fenêtre. Lyzel quitta le véhicule et avança aux côtés d’Ééda.

La lueur des quartz apparaissait dans le noir. Bien trop faible pour éclairer les environs, mais suffisante pour indiquer où poser les pieds. Evannah entendait des pas marcher sur les roches et des enfants courir. Des voix s’élevaient dans l’obscurité. La jeune humaine tendit l’oreille pour vérifier si les exilés parlaient d’eux, mais elle ne perçut rien dans ce brouhaha. Elle pouvait discerner des ombres affairées passer puis interrompre leurs activités quand elles virent des inconnus entrer dans leur cité. Bientôt, un groupe se forma sur leur chemin. Ééda et Lyzel s’éloignèrent de la machine et se précipitèrent devant une grande silhouette de damorial.

De petites boules de lumière apparurent de la main d’os de la fille blanche et voltigèrent en direction de la cheffe. Elle retira sa capuche, dévoilant ses cornes sinueuses. Même elles luisaient à cause de sa nature d’Enfant-Cristal.

– Datraël, commença-t-elle.

Quelques bannis tenaient des lampes mais les ténèbres dominaient l’endroit. Evannah voyait que la femme qui s’avançait vers eux possédait de longs cheveux. Ils étaient d’un blanc pur, mais restaient ternes à côté de ceux de Lyzel. Ses rameaux de cerf formaient un arbre sur sa tête et les branches les plus basses frôlaient ses oreilles pointues. Vêtue aussi pauvrement que les autres réfugiés, son apparence émanait le respect.

– Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-elle sèchement.

Elle parlait la langue de l’Arbre, autrement dit, la langue universelle. Si elle n’utilisait la forme de communication des damorials, peut-être était-ce pour montrer ses intentions aux deux étrangers ? Du moins, c’était ce que supposait Evannah.

– Nous les avons trouvés à l’autre bout du tunnel, répondit Ééda avec une petite voix. Ils sont tombés d’en haut.

– Nous ne comptons pas rester, l’informa le Marionnettiste. Nous avons atterri ici par hasard.

Evannah ne voyait pas le visage de Datraël, mais à son silence, elle devina qu’elle était d’une grande méfiance.

– Leïvron est notre destination, continua le créateur, sans être convaincu. Nous voulons juste l’atteindre. Nous sommes tombés d’un paysage construit par les kirnels.

Lyzel se tourna vivement vers les deux étrangers et les dévisagea comme si elle avait amené deux fous dans la cité.

– Leïvron est condamné, annonça-t-elle sombrement.

– Comment ça ? s’inquiéta le Marionnettiste.

– Un mal s’empare de Leïvron. Beaucoup d’entre nous sont ici à cause de lui. Nous avons été chassés de nos foyers.

Evannah n’entendit pas la suite de la conversation. L’évocation des dimensions de Leïvron n’arrangea pas son état. La migraine cognait sauvagement contre son crâne et sa vue se brouilla. Une tempête brûlante se déchaînait dans son corps. Ses Nebulas cherchèrent dans l’espace les autres mondes. Elle sentit la présence des plus proches et les vies qui s’agitaient en eux. La jeune fille se tint les tempes en focalisant son esprit sur autre chose. Mais c’était inutile. Tout le monde autour d’elle était préoccupé par les problèmes de Leïvron. Le nez d’Evannah coula. Le liquide entra dans sa bouche et l’imprégna d’un goût métallique.

– Oh ! votre amie saigne ! s’écria une voix aiguë.

– Elle saigne ? répéta le Marionnettiste, affolé. Evannah, il ne faut pas te laisser dans cet état ! Il faut faire quelque chose !

– Elle était déjà blessée, fit remarquer Ééda. Meïlaa, tu pourrais t’en occuper ?

L'artiste poussa doucement la jeune fille à l’extérieur de son atelier.

– Nous allons nous occuper de votre amie, déclara Datraël. Quant à vous, vous resterez avec moi. J’aimerais poursuivre notre conversation et connaître vos véritables intentions.

Le voyageur marmonna, anxieux à l’idée d’être décortiqué par une femme aussi sévère. Une main attrapa affectueusement le bras d’Evannah. Une autre se posa sur son épaule gauche et la guida à travers la ville. Le sol était pavé de roches sèches. La plupart des habitants avaient déserté les rues pour aller à la rencontre des étrangers. Certaines ombres circulaient dans la cité et Evannah sentit des regards intrigués sur elle. Ses yeux baignaient dans le flou. Elle ne voyait que des fantômes dansants, qui devaient être des lampadaires.

Les mains la menèrent vers une petite maison et la lâchèrent pour ouvrir la porte. La voix la prévint qu’une marche était devant ses pieds. C’était la même que celle qui avait signalé son état.

La chaleur ambiante la détendit un peu, mais elle était toujours harcelée par le mal de crâne et la tempête de feu. Les mains sur ses épaules la tournèrent et la firent s’allonger sur un lit rigide. Meïlaa alla fouiller dans ce qui devait être un placard. Elle revint vers la blessée et se pencha sur elle. Ses cheveux longs et durs comme des fils de fer s’étalèrent sur la poitrine de sa patiente. Evannah sentit du coton tapoter les ailes de son nez et ses narines. La damorial se redressa et ne la toucha pas pendant quelques secondes. Son silence indiquait qu’elle examinait la tache que la matière avait absorbée. Puis, elle analysa la bosse de la jeune fille.

– Vous avez fait une sacrée chute, constata la guérisseuse.

– J’ai… j’ai eu de la chance qu’Ééda et Lyzel soient arrivées, dit Evannah d’une voix faible. Je ne sais pas qui nous aurait trouvés à leur place.

– Quelques créatures rôdent dans l’archipel, mais il y a peu de gibiers par ici. Oh, et ne vous inquiétez pas pour Datraël. Elle est dure, mais elle ne chassera pas une jeune humaine comme vous.

Evannah espérait qu’elle était sincère. Meïlaa s’éloigna et une porte grinça. La fille entendit les doigts de la guérisseuse tinter sur des bocaux.

– Il y a quelqu’un qui est capable de modifier les Nebulas, ici ? s’enquit-elle.

– Modifier les Nebulas ? répéta la damorial, surprise. Non, personne d’entre nous ne sait faire ce genre de chose. Pourquoi vouloir les modifier ?

– Je… j’ai eu un problème avec les miennes et j’ai besoin d’un remède.

– Mmmh… je vois, dit-elle, dubitative. C’est pour ça que vous voulez aller dans Leïvron.

– Et qu’est-ce ce qui se passe dans L... Aaaaaah !

Ses Nebulas qui avaient commencé à se calmer hurlèrent de rage. Evannah étouffa un nouveau cri et se recroquevilla sur le lit en se tenant le crâne. Ses doigts crispés frémirent et la sueur submergea son corps. Des mondes grouillaient autour d’elle. Leurs énergies l’agressaient, la tiraient vers eux. L’un d’eux l’appelait plus fort, faisant agiter ses Nebulas comme de l’eau sur le feu. Il la toucha de ses quatre mains. Celle de Meïlaa la caressa pour la calmer, mais les autres la chassèrent. Leïvron l’arrachait à ce monde.

L’horrible sensation s’estompa quand la porte s’ouvrit. Des pas et un courant d’air frais entrèrent.

– Meïlaa, je t’apporte le gant que tu avais laissé tomber chez Domna, s’éleva la voix de Lyzel.

Les gémissements d’Evannah l’interpellèrent et elle s’exclama de surprise.

– Qu’est-ce qu’elle a ? s’informa-t-elle, intriguée.

– Ses Nebulas… elles s’agitent, expliqua la guérisseuse, désespérée. Tu pourrais faire quelque chose, Lyzel ?

Les pas de la damorial s’approchèrent et Evannah tourna la tête vers elle. Le visage de Lyzel était flou, mais cette lumière la rassérénait un peu.

– C’est une crise nébulienne, constata l’Enfant-Cristal. Elle intervient lorsque les pouvoirs du Nébulien sont trop puissants pour lui ou lorsqu’ils sont utilisés pour la première fois. Quelles Nebulas sont particulières chez toi ?

– Ce… celles de l’Es… Espace, bredouilla Evannah entre des spasmes. J… je me t... téléporte.

Lyzel réfléchit sans la quitter des yeux et en déduisit :

– Elles ont donc été sollicitées. Tu veux aller dans Leïvron, c’est ça ?

– O... oui.

– Bien. Evannah, reste avec moi. Tu es dans Ibyulis et tu ne dois pas partir.

Les mains de Lyzel saisirent la sienne et la maintinrent fermement.

Je ne dois pas partir ! pensa Evannah. Mais c’était le cas : elle devait partir. Leïvron était sa destination. Ici, personne ne pouvait l’aider. Encore une fois, la tempête se déchaîna. Pendant une seconde, elle perdit le contact de Lyzel qui la rappela :

– Evannah, reste avec moi ! Tu ne peux pas t’échapper. Concentre-toi. Tu es cloîtrée dans Ibyulis, dans cette maison sombre. Tu te tueras si tu pars. Reste ici. Tu es en sécurité. Tu ne peux pas partir seule. Je ne te lâcherai pas, je ne te laisserai pas t’enfuir.

La jeune fille ferma les yeux et se focalisa sur ses paroles. Lyzel avait raison. Elle ne pouvait pas partir maintenant. Elle ne pouvait pas aller seule dans Leïvron. Là-bas, elle risquerait de mourir. Ici, elle était sous la protection du Marionnettiste et de Meïlaa. Lyzel l’agrippait et n’allait pas l’abandonner. Elle ne pouvait pas s’enfuir. Le feu de ses Nebulas se calma peu à peu. La damorial blanche répéta ces mots et Evannah s’en imprégna. Je ne partirai pas ! Je reste là !

Le silence régna dans son corps endolori. Son crâne la faisait encore souffrir, mais sa respiration reprit son cours normal. Evannah ouvrit les yeux, débarrassés de cette sensation de flou. Lyzel la regardait avec un sourire satisfait. Elle lâcha son bras et se leva.

– Donne-lui un calmant, Meïlaa. Elle doit se reposer.

La guérisseuse obéit et fouilla dans des placards. Evannah entendit un bocal se placer sur une table et s’ouvrir. Un feu s’alluma sous un chaudron où bouillonnait de l’eau. Elle observa sa soigneuse. Elle était plus grande que Lyzel qui, elle, était petite et maigre. Elles avaient en commun une peau très pâle, mais sa blancheur ne s’illuminait pas. Les flammes faisaient luire ses cheveux noirs et ses cornes de bouc.

Meïlaa remercia Lyzel qui partit aussitôt. Elle se tourna vers Evannah et lui sourit en dévoilant deux canines pointues. Elle prit le bocal posé sur une table et quelques herbes qu’elle laissa tomber dans le chaudron.

– J’aurais dû vous confier à Domna, confessa-t-elle. C’est une guérisseuse nébulienne qui aurait su s’occuper de votre cas. Moi, je ne m’occupe que des Fluviens. Je pensais que vous en étiez une, comme vous êtes de Mitrisiane.

– Je comprends, répondit Evannah avec un sourire réconfortant. Ce n’est pas grave.

Elles restèrent un moment dans le silence, le temps que la mixture soit prête. Une fois prête, Meïlaa aspergea les flammes d’eau. L'humaine regarda les gouttes bondir hors de la louche que la soigneuse sortait du chaudron. Un liquide brunâtre se déversait dans un verre. Evannah se redressa et la damorial aux cheveux noirs glissa le récipient chaud entre ses doigts. Une bouffée de chaleur submergea le visage de la jeune fille et une odeur de chou monta dans ses narines. Elle hésita à boire le contenu, mais Meïlaa la sollicita, lui assurant qu’elle se sentirait mieux. Evannah retint sa respiration, avala d’une traite et réprima un haut-le-cœur.

– Malheureusement, les remèdes les plus efficaces sont les plus répugnants, dit la voix amusée de la guérisseuse. Reposez-vous. Je m’occuperai de votre crâne pendant votre sommeil.

Evannah s’allongea et ferma les yeux. Alors qu’elle sentit une couverture l’envelopper, elle regretta de ne pas avoir remercié Lyzel.

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maanu
Posté le 15/04/2022
Hello!
Encore un chapitre très prenant! La scène où les Nébulas d'Evannah sont sur le point de reprendre le contrôle est très bien écrite et nous fait bien ressentir la bataille entre Evannah et ses Nébulas :)
J'aime beaucoup tous ces nouveaux personnages et nouvelles créatures ;) J'ai un peu de mal à me représenter les damorials (ou damoriaux?... ^^), mais c'est aussi parce qu'ils ont le grand mérite d'être très originaux
Une petite question, au sujet du personnage de Lyzel : si j'ai bien compris elle est une damorial, mais du coup cette appellation d'Enfant-Cristal se réfère à son type de Nébulas, c'est ça?

Quelques petites coquilles:
- "La voix lui prévint qu’une marche était devant ses pieds." -> "la prévint"
- "Lyzel réfléchit sans la quitter des yeux et en déduit" -> "en déduisit"
- "le temps que la mixture se prépare" -> je trouve cette formulation un peu étrange, on a l'impression que la mixture se prépare elle-même... "le temps que Meïlaa finisse de préparer la mixture", peut-être?
- "Alors qu’elle sentit une couverture l’envelopper" -> je crois que le passé simple ne peut pas s'appliquer ici, je mettrais plutôt "Tandis qu'elle sentait une couverture l'envelopper", ou alors "Au moment où elle sentit une couverture l'envelopper"

Hâte de lire la suite en tout cas ;) A la prochaine!
DraikoPinpix
Posté le 17/04/2022
Coucou ! Merci pour ton commentaire, je suis heureuse de voir que tu poursuis ta lecture :3 Et merci pour les remarques.
En effet, Lyrel est une damorial ET Enfant-Cristal : cette dernière appellation réfère à ses Nebulas particulières.

A bientôt, j'espère <3
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