Chapitre VII

Point de vue : lui

Je lève la tête. Je vois que ses parents nous observent derrière la porte. On se dirige vers la cuisine. Je regarde par la fenêtre. La pluie commence à battre à tout rompre dehors. Un éclair transcende le ciel. L'orage éclate, gronde. Un second éclair, un second tonnerre. Je ne les compte plus. Parce que certains éclatent en même temps et c'est impossible de distinguer combien.

L'appartement paraît si triste ce soir. Lui aussi. Je crois que c'est la première fois qu'un endroit semble me parler. A sa façon du moins. J'ai l'impression qu'il essaie de me dire quelque chose, de me murmurer des paroles dans le creux de mon oreille. Mais je n'arrive pas à déchiffrer. Je dois juste être bouleversé par les événements.

La mère est restée une heure au téléphone pour annoncer la nouvelle à ses proches pendant que je jouais avec le petit. Il faudra qu'ils remplissent les papiers que le décès engendre. Elle a tout porté sur les épaules. Son mari n'est pas d'une grande aide sur ce point. Il n'a pas l'air tant attristé par la nouvelle. En fait, on ne sait pas trop ce qu'il ressent. Ses traits n'ont même pas bougé d'un millimètre depuis que je suis ici.

Le petit reste muet. Il mange ses pâtes. Il sent le poids de mon regard sur lui. Ses yeux se lèvent. Il m'observe, caché derrière ses lunettes. Un sourire plein de peine se dessine sur son visage. Ses lèvres murmurent ça ira pour me rassurer. J'aimerais le prendre dans mes bras comme ses parents et lui dire qu'il faut se relever, que sa vie doit continuer malgré tout. J'aimerais lui dire que je suis là, ici pour l'écouter. Mais je vois dans ces yeux qu'il le sait déjà.

Les sujets de discussions s'enchaînent. On parle sans réelles convictions. On échange des banalités, pas de but précis. Juste histoire de faire passer le temps. On parle de ce qu'on fait, de l'actualité dans le monde. De nos passions, de nos passe-temps et de nos rêves d'enfant.

Je prends un café avant de partir pour me réveiller un peu. Je les remercie pour leur hospitalité. Je propose mon aide pour les jours à venir. On m'invite à l'enterrement, ça me touche droit dans le cœur. Je ne dis pas que ça me fait plaisir mais j'accepte. Ils ont déjà mon numéro. On m'appellera quand on aura plus de détails, pour me tenir au courant. La porte se ferme derrière moi. Je ne me retourne pas. Je prends une grande respiration. Comme si j'allais descendre les escaliers pour une épreuve olympique.

Ma main gauche sur la poignée de la portière. Je resterais sous la pluie à jamais, à en être trempé jusqu'aux os. Me laisser aller, être emporté par le temps et le bruissement du vent dans le feuillage. Entendre le clapotis de la pluie contre le sol. Voir les gouttes se poser sur les vitres et les lampadaires.

La portière claquée. Je jette un dernier coup d'œil à l'étage, vers la fenêtre de la cuisine. Pour figer l'image dans mon esprit, pour m'en souvenir. J'enclenche le GPS de mon téléphone. Je démarre. Je pars, traversant la nuit, traversant la pluie.

Je m'arrête sur une aire de la route 77 pour me dégourdir les jambes, pour prendre l'air et respirer un peu. Je regarde ici et là pour me changer les idées. Des enfants dorment dans les voitures. Des chiens attendent leur maître, le regard inquiet et la tête posée sur le rebord de la fenêtre. Des gens boivent des cafés au volant de leur voiture. D'autres lisent leur journal, attablés à une terrasse. J'en récupère un, laissé en vrac sur la table d'un bistrot. Peut-être un oubli, ou délibérément posé ici. Je ne sais pas. Je m'achète une bouteille de Coca, un cookie. Histoire de laisser le temps s'écouler. Je m'assois sur la terrasse. Je prends le journal d'une main, le cookie de l'autre.

La première page parle de politique comme dans tous les journaux. Un article sur le foot, d'autres sur l'actualité. Ça ne change pas vraiment, à vrai dire. C'est un peu partout pareil. Même à l'international. Je lis les quelques faits divers. Le corps d'une danseuse de 33 ans retrouvé dans un fleuve à côté de son lieu de travail et un suspect. Rien qui ne change les idées. C'est toujours pour nous faire peur. Des potins par-ci, des potins par-là. Comme si on avait pas assez de problèmes dans la vie. Comme si on avait envie de lire ce genre de choses quand on ouvre un journal.

Parfois, j'aimerais m'enfuir loin de ce monde. M'enfuir là où la réalité de la société est différente. Là où les problèmes n'existent pas, là où les gens ne vous regardent pas de travers et n'observent pas chaque fait et geste que vous faites. Là où vous pouvez être seul. Aucun bruit, et personne autour de vous. Juste le vide et vous. De quoi penser tranquillement. Ça me ferait beaucoup de bien, ça me changerait les idées. M'éloigner un instant de ce quotidien, ça me ferait grandement du bien.

Quelques gorgées de Coca, la dernière bouchée de cookie, le journal fourré dans mon sac. Un tour aux toilettes, pour ne pas m'arrêter de nouveau. Je reste dehors pour reprendre mes esprits, m'emparer de quelques dernières bouffées d'air extérieur avant d'être enfermé.

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H.Monthéraut
Posté le 07/02/2022
Je ne reviens pas sur l'attitude des parents, de cette famille. J'imagine que cela a une explication. Ou pas.

Ce qu'il cherche au final, ce vide, n'est-ce pas la description de la Mort ? Ou plutôt de son métier ?

"Je reste dehors pour reprendre mes esprits, m'emparer de quelques dernières bouffées d'air extérieur avant d'être enfermé." J'aime beaucoup cette phrase. Avant d'être enfermé où ? Le lien avec la mort, avec le cercueil sont ici évidents.
H.Monthéraut
Posté le 07/02/2022
est évident*
InTheKiosk
Posté le 17/02/2022
J'admets ne pas avoir en tête d'explication pour l'attitude de la famille (disons que c'est inconscient). Mais ça reste à retravailler (surtout au vu des précédents chapitres, je pense que ça risque de changer un petit peu).
Je n'avais pas poussé la réflexion aussi loin (de manière générale, j'écris comme ça me vient : ceci explique cela) mais c'est vrai qu'on pourrait y entrevoir la Mort. Actuellement, Andrew est étudiant (donc ce serait plutôt ses études) mais de toutes façons, ça pourrait bien parler de son quotidien...je laisse libre cours à l'imagination du lecteur !
Encore une fois, ce n'était pas voulu mais je trouve le lien très bien trouvé, cela dit. Je crois qu'à la base (j'ai écrit cette histoire il y a un bout de temps), je parlais de la voiture (peut-être indirectement de son quotidien) mais ta version est bien mieux; et plus poétique aussi. Merci beaucoup, encore une fois !
Benebooks
Posté le 04/02/2022
Bonjour,
Je n'ai pas grand chose à dire sur ce chapitre, si ce n'est que les réactions des parents et de l'enfant sont à revoir, au vu du malheur qui vient de s'abattre sur eux
On découvre mieux le caractère du héros : je le sens à la fois lassé et résigné par ce monde, désireux d'y trouver un sens
A bientôt
InTheKiosk
Posté le 05/02/2022
Bonjour,
Oui, effectivement, ça manque encore une fois d'humanité ! Merci de me l'avoir fait remarquer :)
C'est un peu ce que j'essayais de transmettre, donc je suis contente de savoir que c'est ce que tu ressens...
A bientôt !
Edouard PArle
Posté le 17/01/2022
Coucou !
On continue sur les conséquences de l'accident. Je trouve que le style avec phrases courtes convient parfaitement pour dresser l'état psychologique d'Andrew, un peu mélancolique. Il ne sait pas trop quel posture adopter, il n'est pas un membre de la famille mais il veut consoler le petit.
La sobriété que tu utilises pour le deuil (un peu trop sobre au moment de la mort comme je te l'ai dit) fonctionne bien pour les deux derniers chapitres. C'est pas toujours la peine d'en faire des tonnes pour être efficace.
Une petite remarque :
"Comme si on avait pas" -> n'avait pas ?
Bien à toi !
InTheKiosk
Posté le 17/01/2022
Coucou !
Je suis ravie que ça fonctionne ! Effectivement, je vais devoir m'améliorer sur le moment de la mort, pour éviter que ça ne détonne...
Oui effectivement, ce serait plus correct !
Merci beaucoup, encore une fois !
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