Ses pas, mécaniquement, martelaient le sol glacé recouvert de neige fraiche. Son esprit vagabondait. La lettre pliée au fond de sa besace pesait sur sa conscience. Il n’avait pas réussi à la lire au père ! Il le regrettait amèrement.
Alors, il se souvint nostalgique des jours anciens. Il se remémora surtout ce jour fatidique d'avril 1847 ou tout avait basculé...
Son frère, Auguste César venait de se fiancer. Il avait prévu d’aller à la plus belle des foires de printemps, celle de Saint Maximin. Il y achètera, disait-il, des tissus et des bijoux tout ce qu’il ne pouvait trouver au marché de Rians ou de Varage. Il devait s’y rendre seul, sans s’embarrasser de son cadet qui lui collait toujours aux Basques. Jean-Thomas bien entendu n'en avait fait qu'à sa tête, comme d'habitude.
Pourtant, tout avait si bien commencé…
Le soleil timide du petit matin rougeoyait à l’horizon. La carriole tirée par Messidor, le mulet poitevin familial, brinqueballait sur la route caillouteuse.
Jean-Thomas l’oreille tendue, l’œil aux aguets, serrait très fort un couteau au fond de sa poche. Il pensait apercevoir à chaque détour, dans ces bosquets touffus, le regard torve d’un prédateur. Caché, dans les taillis il avait suivi Auguste à distance toute la matinée.
La bête de somme nerveuse tremblait également. Des effluves de sauvagine faisaient palpiter ses naseaux. On disait que les mules, les ânes et les mulets étaient si craintifs que leur propre ombre les effrayait.
Le grand frère marchait, sans appréhension. D’une main d’acier, il tenait les rênes de Messidor. Il n’hésitait pas non plus, à flatter l’encolure de l’animal en lui parlant calmement. Il n’avait aucune raison d’être inquiet. Un fusil chargé était entreposé sous le siège du conducteur, prêt à l’emploi.
La carriole arrivait au lieu-dit, le pas de la mule. Là, la piste quittait le plateau forestier du haut pays et plongeait dans le vaste vignoble du centre varois. La ville de Saint Maximin n’était plus très éloignée maintenant.
Il se souvenait, Jean-Thomas, il aurait pu se faire tuer à ce moment-là. Alors que toute la matinée il avait cheminé sans bruit, il glissa sur un clapier de pierres sèches. Auguste croyant qu’un animal attaquait s’empara promptement de son arme, épaulait, s’apprêtant à tirer.
Le cadet le savait, un coup de feu était si vite parti, il se signala :
— C’est moi, je ne suis pas une bête, je suis ton frère.
L’ainé avait piqué une de ces colères dont il était pourtant avare.
— Je te l’avais dit, Tête de mule, enfant gâté que tu ne pouvais pas venir cette fois-ci. Toi bien sûr comme à ton habitude tu n’en as fait qu’à ta façon. Tu t’en fiche de ce que disent ou pensent les autres ! je préférerais que tu retournes à la maison ! mais je sais que tu n’en feras rien ! accompagne-moi si tu veux ! je m’en fous ! je ne serais responsable de rien, tant pis pour toi si…
Alors, tant pis pour toi, si. .. cette phrase qu’il n’avait pas pu finir prenait tout son sens. Il se la remémorait maintenant. Il n’avait pas fait attention à ce moment-là, absorbé par ses désirs d’aventures du moment.
Il s’en était moqué à l’époque d’être ainsi rabroué par ce grand frère qu’il adorait alors.
Il allait à la foire, quoi d’autre aurait été plus important !
Il y avait tant de choses à y faire !
Il voulait voir les ours savants, les avaleurs de sabre les cracheurs de feu. L’année d’avant il y avait mangé un fruit inconnu, juteux comme une pêche. Il en avait oublié le nom, mais l’évocation seule l’avait fait saliver. Et puis, il rendra visite aux marchands de gourmandises, bonbons, nougats, calissons, sucre d’orge, pralines, il en bavait à l’avance . Chaque année il se rendait malade tant il mangeait de confiseries.
La foire était installée au pied de la monumentale basilique et dans les rues limitrophes. Il y avait foule, on pouvait se perdre aisément dans cette cohue. Un sergent de ville, moustachu couperosé et ventripotent, leur avait attribué un espace à l’écart de la grosse église et du centre ; un maigre bout de trottoir coincé entre une énorme porte cochère et une petite fontaine moussue. Les meilleurs emplacements étaient déjà distribués depuis longtemps. Il aurait fallu se lever bien plus tôt encore. C’était loin Saint-Maximin.
Ils n’étaient pas très bien situés, mais ce n’était pas très important. Ils avaient la certitude d’arriver à écouler leurs marchandises. De toute façon César-Auguste était pourvu d’un bagout de colporteur. Il charmait les femmes et baratinait les hommes. Son père disait de lui :
— Auguste, avec le bagout qu’il a, boudiou , il pourrait vendre des glands à un chêne !
Habituellement, ce n’était pas à Saint-Maximin où ils vendaient les produits de l’exploitation familiale. Ils avaient des articles spéciaux à acheter. Auguste allait bientôt se marier, sa sœur avait besoin de tissu pour la confection de la robe d’Aurélie, la promise. Tulle de Corrèze, dentelle du Puy et mousseline de Tarare, ce genre de marchandise ne se troquait pas au marché de Barjols.
La vente des fruits et des légumes fut rondement menée. Un aubergiste acheta un bon prix le miel et l’huile d’olive. L’huile du haut pays avait une saveur incomparable. Avec de tels produits, les cuisiniers confectionnaient un aïoli succulent.
En fin de matinée, juste après un frugal repas, Auguste-César annonça son absence pour quelques heures.
— Mon petit, voilà cinq francs pour toi. Amuse-toi bien avec ! Surtout, n’oublie pas, à seize heures, tu partiras même si je ne suis pas là, je te rejoindrais ensuite. Si tu ne veux pas voyager de nuit. Tu seras là à quatre heures de l’après-midi.
Le jeune frère n'en croyait pas ses yeux! Cinqs francs! Il était propriétaire d’un pécule. Absorbée par son affaire, la pièce lui brulait les doigts. La dépenser était sa seule hâte.
S’il avait su…
Insouciant, il s’était gavé de sucreries, il avait vu les montreurs d’ours, les marionnettes lyonnaises de la Croix-Rousse l’avaient bien fait rire.
Qu’il était farceur ce Guignol !
Qu’il était idiot, ce Gniafron !
Il s’était bien amusé. L’après-midi avait passé trop vite qu’elle était merveilleuse cette foire pour le jeune naïf qu’était alors Jean-Thomas. À l’heure dite il fut au rendez-vous. Auguste-César n’y était pas, il ne vint jamais d’ailleurs.
Jean-Thomas devait l’admettre, son frère lui avait posé un lapin. Tavernes, claques, coins sombres, il avait arpenté le centre de Saint-Maximin pendant de longues heures. Il devait partir. Il n’avait que trop tardé. Un sergent de ville, le même qui les avait placés ce matin le dissuada de chercher son frangin au hasard dans les rues, qu’il était l’heure du départ. La foire allait fermer.
L’enfant pleurnichait maintenant ! il aurait du s'en douter, Cinq francs ! c'était beaucoups trop beau pour un enfant de son age.
Le pandore peu compatissant se contenta de le rabrouer.:
— Rentre chez toi petit, rentre chez toi ! Il doit cuver son vin quelque part, dégrisé, il reviendra. Ce sera la nuit bientôt, Saint-Martin ce n’est pas la porte d’à côté ! Tu devrais être sur la route depuis longtemps !
Sur- ce, le policier bourru s’éloigna. Le destin de ce jeune paysan l’indifférait complètement.
L’évocation de la nuit l’effraya, cette route était si lugubre dans la pénombre. Surtout, c’était la première fois où il s’apprêtait à faire le voyage seul. Rapidement, il rassembla ses affaires tristement.
Un coucher de soleil fantastique éclairait la basilique à son départ, il ne l’apprécia pas à sa juste valeur. Devant lui ,la forêt rentrait déjà dans l’ombre. Le pire restait à venir.
Il serrait les dents. La route allait être pénible.
Il marchait vite, après Seillons, la montée en colimaçon de la piade de la mule. Le chemin entrait dans une sombre futaie. La lune éclairait parcimonieusement ce triste théâtre de sa lumière blafarde. Il avait passé le lieu-dit de la Pierre Plantée, et la longue ligne droite en faux plat de la Rimade. Il était à mi-chemin.
Depuis un moment, il se sentait suivi, épié. Il en était certain désormais, un, ou des loups, bien à l’abri dans les fourrés, attendaient l’instant propice pour lui fondre dessus. Ils allaient bientôt attaquer, les dévorer, lui et sa mule.
Il était seul dans ces bois sinistres, sans son ainé pour le protéger. Il serrait la crosse du fusil. Sans vraiment réfléchir, il arma le chien fébrilement et au jugé tira dans un buisson. Le bruit assourdissant effraya l’animal. Il vit détaler l’affreuse bête avec soulagement.
Il avait eu si peur lui aussi !
Il se souvint surtout de la joie qui avait été la sienne lorsqu’il entendit peu de temps après les voix de son père de son autre frère. Inquiets du retard, ils venaient à leur rencontre. C’était après que ça c’était gâté, lorsque le chef de famille comprit qu’ Auguste-César ne reviendrait pas. Sa colère fut alors homérique.
À l’évocation de ces souvenirs, les larmes lui montaient aux yeux.
Son frère avait essayé de lui parler. Il ne voulait pas qu'il l'accompagne car il voulait... fuir!
Il ne lui avait rien pardonné. Il ne savait pas s’il pourrait lui pardonner d’ailleurs. Pourtant, il donnerait tout ce qu’il possède pour pouvoir le serrer dans ses bras.
J’ai beaucoup apprécié ce chapitre et ses émotions. J’avais justement eu cette idée de connaître ce qui s’était produit lors de la fuite du grand-frère. Je l’ai lu assez rapidement car il était agréable et fluide.
Petites remarques :
- A certains moments, il y a, selon moi, des petits soucis de ponctuation comme par exemple : « Il voulait voir les ours savants, les avaleurs de sabre les cracheurs de feu », une virgule après « sabre » ou ici :
« Qu’il était farceur ce Guignol ! Qu’il était idiot, ce Gniafron ! », pas de virgule dans la première phrase mais une dans la deuxième ?
-« c'était beaucoups trop beau pour un enfant de son age », âge.
-« Rapidement, il rassembla ses affaires tristement », peut-être « avec tristesse » ?
-« Il se souvint surtout de la joie qui avait été la sienne lorsqu’il entendit peu de temps après les voix de son père de son autre frère », et de son autre frère.
-« Pourtant, il donnerait tout ce qu’il possède pour pouvoir le serrer dans ses bras », tout ce qu’il possédait.
Tout d'abord, je n'ai pas oublié ma promesse de te dire pourquoi un livre glisse des mains, en tout cas mon point de vue .
Mais il y a tant à faire
écrire, lire, répondre
imaginer la suite...poussivement
Je le sais, ponctuations et conjugaisons
c'est deux domaines ou je pêche !
Oui, je continu à donner des nouvelles de ce frére absent et pourtant si présent
tu le sait bien toi, les absents sont parfois plus importants que les présents
et petit à petit, tu en découvriras un peu plus sur Auguste césar...
reste à savoir pourquoi il est parti.
au risque /de te décevoir j'ai imaginé cette histoire en trois tomes différents
chaque frére aura son morceau
et j'ai choisi de commençer par le plus jeune
je finirais par Victorin !
Un chapitre plus calme que les précédents, ce n'est pas plus mal de calmer le rythme.
Le récit de ses souvenirs permet de mieux comprendre le passé du narrateur c'est intéressant. Après peut-être un chouilla long, ça ennuiera peut-être certains lecteurs.
J'ai eu un peu de mal avec la conjugaison de certains de tes verbes, tu utilises régulièrement du futur pour parler de souvenirs et ça ne rend pas super bien. J'en ai relevé quelques uns dans les remarques mais pas tous.
Quelques remarques :
"contourner le bourg.partout des soldats" -> contourner le bourg. Partout
"tait transformée en vaste geôle." -> en une vaste geôle ?
"Dès qu’il pourra, il bifurquera vers le couchant." pas sûr du temps utilisé (pourrait, bifurquerait)
"Le froid, l’humidité insidieusement prenait le contrôle" -> prenaient
"Il grelottait tremblait de tous ses membres." -> grelottait, tremblait
"Il y achètera, disait-il," si tu utilises disait-il c'est que tu redonnes la réplique donc : j'y achèterais...
"les avaleurs de sabre les cracheurs" -> de sabre, les cracheurs
"Et puis, il rendra visite" -> rendrait
"— Auguste, avec le bagout qu’il a, boudiou , il pourrait vendre des glands à un chêne !" ca m'a fait rire xD
"Cinqs francs!" -> cinq francs
"passé trop vite qu’elle était" -> trop vite, qu'elle était
"avait comme à son habitude couverte son fils," -> couvert
Toujours un plaisir de te lire,
A très bientôt !
Ce chapitre mérite d'être re-travaillé
J'ai encore tant de choses à dire...
Oui ce chapitre ne restera come celà
Merci du retour
C’est un chapitre un peu long pour avoir une bonne lecture sur le forum. Peut-être devrais-tu le diviser en 2 (au moins ici sur PA, pas forcément dans le livre).
On ressent bien les émotions du héros, son désarroi, ses doutes.
Pour la première phrase, je te conseille de commencer par son nom ("... Jean Thomas avait réussi à éviter les barrages"). C’est valable pour tous les chapitres. C’est évident pour celui qui écrit, pas forcément pour le lecteur qui s’arrête à chaque chapitre.
« il pourrait vendre des glands à un chêne ! » : j’ai ri !
Je tique toujours sur les temps utilisés dans certaines phrases. Par exemple «Dès qu’il pourra, il bifurquera vers le couchant.» Pourquoi utiliser le futur ? J’aurais utilisé soit du conditionnel « Dès qu’il pourrait, il bifurquerait vers le couchant. » ou alors du passé si l’action est réalisée « Dès qu’il pût, il bifurqua vers le couchant. » (je pense avoir vu le même problème dans les chapitres précédents, mais je ne suis pas certain de l’avoir signalé).
Autres exemples dans ce chapitre :
- Il y achètera, disait-il,...
- Et puis, il rendra visite...
- Pourtant, il donnerait tout ce qu’il possède... (il aurait donné tout ce qu’il possédait)
Quelques remarques :
« des jours anciens. Il se remémora surtout ce jour » : répétition de jour
« Le destin de ce jeune paysan l’indifférait complètement. » : si tel était le cas, il n’aurait pas pris le temps de prononcer sa tirade antérieure (« Rentre chez toi petit, (...) depuis longtemps ! »
les voix de son père de son autre frère : ET de son autre frère
et puis l'Amérique l'amérique....Long is the road!
Il me faut encore tuer la mére( la pôvre)
alors oui ce chapitre sera remanié ...mais là il faut que j'avance
Je note que tu aime bien tout de même
Un béta lecteur ailleurs m'avait dit que c'e chapitre était trop mou, qu'on s'y ennuyait...
Mais non je ne veux pas le scinder en deux il ya déjà trop de chapitre il me faudra couper peut être!
Quand au temp ,oui, tu me l'a déjà dit tu n'es pas le seul alors oui j'irai voir
Merci Yannick c'est trés sympa de ta part de venir me voir!
Merci de vos passages et de vos critiques