SNAP - Rosa Linn
Léna
Il me manquait à en mourir, j'avais l'impression de me décomposer. Je pleure notre amour. Je pleure nos souvenirs. J'écoute ses tonalités. J'écoute les musiques qu'il a composées pour moi, pour nous. Je me lève et je sors là où j'ai contemplé le vide dans la rue, comme le jour où il est partie de chez moi comme un coup de vent. Deux jours plus tôt. Mes jambes flanchent et s'écroulent. Ma voix se brise devant ma culpabilité. La pluie dégouline contre mon visage. J'hurle son prénom, je crie ma douleur et mon amour pour lui. J'extériorise ce qui me brise. Je ne pensais pas l'avoir autant aimé, mettre autant attaché et je ne le comprends que trop tard. Hardin (1) l'avait dit, qu'on se rendait compte de ce qui comptait que quand elles n'étaient plus là. Un homme a accouru vers moi, traversant la pluie battante pour que je me dépêche de m'abriter, pour que je me mette à l'abri. Il m'a presque porté mais il a laissé mon cœur sur le bitume. Qui va l'abriter lui ? Pourquoi est-ce qu'il prend la pluie tout seul ? Je le regarde se faire écraser par une voiture, deux, trois. Se prendre l'averse de plein fouet pendant que qu'on s'enfuit, moi et ma lâcheté. Julien, mon cœur te dit au revoir, je te dis au revoir. Mais ce n'est pas par gaité de cœur crois-moi, vu qu'il est en train de se noyer, et moi aussi.
À tous ces poèmes, à toutes les rimes et toutes les histoires achevées.
À toutes les musiques bourrées de souvenirs.
Aux images dans nos têtes.
À nous.
— Allô ?
— Léna ?
Un appel aussi fugace que douloureux. Je ne perçus pas grand-chose. Je ne compris que quelques mots de cette voix masculine qui me parlait à l'autre bout du fil. Accident. Voiture. Pas survécu.
Je me réveille en sursaut, encore une fois. Je vois qu'il est trois heures du matin sur l'écran de mon téléphone. Je soupire, lasse. Je me lève et prends un verre pour le remplir d'eau. Au moment de le porter à mes lèvres je perçois mes tremblements. J'avale une gorgée avant de le poser sur l'évier, énervé par ma faiblesse. Je m'assieds dans mon lit, couverture remontée sur mes genoux et les bras autour d'eux. Mes yeux fixant le vide. Mes souvenirs assaillant ma mémoire.
Cet accident de la route nous a réduit à néant. J'ai appris ça avec des yeux embués, noyés de larmes après que tu m'ait quitté ce matin-là alors que nous nous disputions. Je crois que je ne m'en remettrai jamais. Je sais que c'est faux, au moins à demi. Nous ne sommes pas condamnés à souffrir, si ? J'ai beau proclamer ce beau discours, je suis détruite, fracassé, meurtrie. Je n'en reviens pas, je suffoque au milieu de ma chambre d'étudiante, abattue par la nouvelle. Comment vais-je résister à cela ? C'est ta mère qui a voulut me prévenir mais sa voix n'a pas pu aller plus loin que mon prénom, après elle a explosé en larmes alors c'est ton frère jumeau, Émilien, qui a prit le téléphone.
— Léna ?
— Salut Émilien, qu'est-ce qui se passe ? J'comprends rien.
J'avais eu un rire nerveux, évidemment, en essayant ne pas me laisser envahir par la panique. Je l'ai entendu soupirer et se concentrer.
— Jul...Julien a eu un accident de voiture. Il n'a pas survécu.
— Que...Quoi ? Tu rigoles ?
Un silence nous avait saisi suite à ma question idiote. Bien sûr que non, il ne plaisantait pas, bien au contraire.
— Je...
— Je suis désolé Lé', je voulais te le dire en face mais je n'ai pas pu.
— Où est-ce que c'est arrivé ?
Il s'excusait, c'était horrible.
— Entre chez toi et chez nous, je l'avais au téléphone à ce moment-là.
— C'est ma faute c'est ça ?
— Quoi ? Mais non, pourquoi ça ?
— Nous nous étions disputés, il pleuvait...
— Tu n'as rien à voir là-dedans, cesse de te torturer.
Sa voix était dure, la mienne basse, timide.
— Qu'est-ce que je dois faire ?
— Euh...
Un nouveau silence, j'avais l'impression qu'il regardait autour de lui. Pour jauger l'état de sa mère peut-être.
— Nous devons aller à la gendarmerie et entamer des démarches, est-ce que... Ça te dérangerait de m'accompagner ? Je ne veux pas que mes parents s'en occupe maintenant, surtout si nous devons aller le voir à l'hôpital.
— Je... Oui bien sûr. Louis viendra ?
— Il n'est pas là en ce moment, nous allons devoir nous débrouiller.
— Je serai là dans vingt minutes.
Je m'étais préparé dans un tourbillon assez flou, je ne m'en souviens plus vraiment. Je m'étais très légèrement maquillé histoire qu'on ne remarque pas mes yeux cernés et je m'étais engouffré dans ma voiture, direction chez vous. Cette route, je la connaissais par cœur et je savais que même dans mes pensées, que j'arriverais à destination. Émilien m'attendait devant la maison, ne me laissant pas le temps d'entrer voir ses parents. Il entra directement dans l'habitacle.
— Ça ne vaut pas le coup, crois-moi.
Je l'avais pris dans mes bras avec autorité. Il ne laissa pas ses larmes couler sur ses joues et moi non plus, on avait plus important à faire. Il avait tout un tas de papiers sur ses genoux.
En silence je m'étais engagé hors de la cour et repartie en direction de la route.
On ne se parlait pas vraiment et j'avais mis de la musique pour combler le vide de notre discussion, je détestais les blancs qui me mettaient mal à l'aise. Je ne savais pas quoi dire et j'essayais de rester concentré sur la route sans aucune émotion.
— Léna, fais attention à tes mains.
Sa voix était presque aussi douce que la tienne. Mon regard avait croisé le sien avec interrogation jusqu'à ce que je comprenne qu'il regardait mes phalanges blanchies par la pression que j'exerçais sur le volant.
Je crois que j'ai murmuré une excuse et on s'était de nouveau englobé d'une bulle silencieuse. Peut-être que c'était ce qui nous avait fallut, à ce moment-là. Le poste de gendarmerie s'était dessiné comme une sanction des Enfers. Je ne voulais pas y aller, ça me terrifiait, mais je n'avais pas le choix. La main de mon beau-frère avait exercé une légère pression sur le bas de mon dos pour m'aider à franchir le pas de la porte.
— Bonjour, nous venons régler les détails pour l'accident qu'il y a eu plus tôt dans la journée.
— Vous êtes Monsieur Émilien Chevalier ?
— Oui, son jumeau, et voici sa petite amie, Léna Gauthier.
Le gendarme me terrifiait, il était trop imposant et trop sévère à mon goût. Il prenait trop de place. J'avais l'impression qu'il allait traiter le cas de notre venue comme d'une vulgaire archive. Émilien m'avait donné des papiers le temps de rentrer et me les avaient pris délicatement des mains en m'offrant un petit sourire rassurant. Je m'étais détesté à ce moment-là parce qu'il était là à me rassurer alors que moi, j'étais incapable de lui tendre la main pour le soutenir. J'étais légèrement derrière lui, je n'avais que sa boucle d'oreille devant moi qui m'hypnotisait, comme si c'était une encre qui me permettait de rester sur terre, dans ce bureau lugubre.
— Léna ?
Son bras tatoué de cette rose que j'ai déjà tant admirée se glisse à nouveau au milieu de mon dos en exerçant une petite pression dessus, me forçant à avancer.
— Il faudrait que tu dise ce qu'il s'est passé avant son départ s'il te plaît, qu'on arrive à cerner les causes de l'accident.
Je pense que mon regard avait surement été très paniqué parce qu'il s'était dépêché de se rattraper.
— Juste pour qu'on sache pourquoi il a ainsi perdu le contrôle de son véhicule alors qu'il était sobre et sans drogue dans le sang.
Son regard avait été tellement implorant que j'avais faillit fondre en larmes, lui aussi n'avait eu qu'une envie. Partir de ce bureau sans y revenir en espérant revoir son frère disparu.
— Nous...Nous nous sommes disputés et il est partie énervé. Je n'ai pas réussi à le retenir tant il était en colère.
— Savez-vous à quel propos ?
Évidemment, quelle question !
— Il pensait que j'avais été voir un autre homme à cause des affirmations d'un de ses amis. Je ne m'entends pas vraiment avec lui mais Julien ne m'a jamais cru.
J'ai presque entendu le jeune homme à mes côtés déglutir devant mes affirmations.
— Donc vous pensez que c'est ce qui a pu le contrarier au point de créer cet accident ?
Sa voix avait été dure, les mots avaient eu du mal à passer mes lèvres.
— Oui.
Soudain un flash m'était apparu, comme si je n'y avais pas pensé jusque-là.
— Excusez-moi ?— Oui ?
Il ne m'avait pas regardé, il était occupé à remplir son rapport ou que sais-je.
— Y'a-t-il eu d'autres victimes dans l'accident ?
— Pardon ? Personne ne vous a prévenu ?
Mon cœur avait raté un battement, qu'allait-on encore m'annoncer ?
— Il a évité un enfant au dernier moment. Il était sans doute dans ses pensées parce que son téléphone était éteint et dans la boite à gants.
— Comme s'il voulait être sûr que je ne le joigne pas, avais-je pensé.
— C'est ce geste qui lui a fait faire un accident, il a divagué et il est repartie comme il l'a pu sur la route trempée. Malheureusement, et comme si le Destin avait été contre lui, une personne alcoolisée est arrivée en trombe avec son véhicule et ils se sont percutés.
— Comment va cette personne ?
— Elle est... Vivante, elle subit des examen à l'hôpital mais elle va s'en sortir.
— Vous vous fichez de moi ?
— Léna...
Je m'étais fichu d'Émilien, comme s'il n'était pas là, autre chose m'importait.
— Comment pouvez-vous me regarder avec autant de haine alors que ce n'est même pas la faute de Julien ?
— Dans un sens, si, mademoiselle. S'il avait vu cet enfant, qui respectait le code des piétons en marchant sur le passage, il n'aurait pas perdu le contrôle de son auto et n'aurait pas foncé sur cette personne.
— Sauf que c'est mon copain qui a percuté une personne complètement alcoolisé au volant alors qu'elle aurait pu renverser ce pauvre gamin.
Les mots étaient sortis difficilement entre mes dents serrées. J'en voulais presque au gamin, tout en sachant qu'il n'avait rien à voir là-dedans et que je devais me calmer pour ne pas me mettre l'agent à dos. Il avait soupiré et bizarrement, il s'était apaisé.
— Écoutez mademoiselle, je ne cherche pas à savoir qui est le plus gros des méchants dans l'histoire mais de savoir comment est-ce que cela est arrivé. Comprenez bien qu'il y a eu une victime mortelle dans cette situation...
— Sans rire...
— Donc pour le bien de tous, laissez-moi faire mon travail.
Il n'avait pas protesté quand je l'avais coupé et mon compagnon m'avait légèrement écarté du bureau pour parler à son tour.
— Que devons-nous faire maintenant ?
Le gendarme avait eu l'air content de faire face à quelqu'un de plus calme que moi.
— Vous devez vous rendre à la morgue de l'hôpital, confirmer que c'est bien votre frère qui a eu cet accident puis entamer les démarches administratives pour l'enterrement. Écoutez...
Il avait joint les mains sur son bureau.
— Je vous prie de m'excuser d'être aussi cru et brutal mais je ne fais que mon travail pour être le plus clair possible. Comprenez bien que je me sens démuni face à cette situation mais si je peux vous êtres utiles, faites-moi en part.
J'avais hoché doucement la tête pour le remercier avant de partir. Il n'avait pas été si froid que ça, finalement.
La morgue, quel nom lugubre. La mort était là, tout près de nous, comme si nous pouvions nous attendre à apercevoir des fantômes à tout moment roder dans les couloirs.
Nous marchions ensemble et je m'étais retenu de lui prendre le bras ou la main parce que j'étais clairement en train de flipper. Nos pas claquaient dans le couloir sombre de l'hôpital puis on nous avait indiqué la pièce dans laquelle nous devions nous rendre pour procéder aux signatures. La seule question que j'ai en tête c'est "est-ce qu'on va le voir Lui ?" La réponse est oui. Je n'avais pas le temps de demander qu'on nous avait emmenés dans une pièce où un corps se trouvait au centre, sur une table, comme dans les films américains. La boule dans mon ventre était remontée dans ma gorge et j'avais eu le cœur au bord des lèvres. Alors que je savais très bien ce qui se trouvait sous ce draps, j'avais prié pour que ce ne soit qu'une vulgaire erreur.
Je retenais mes larmes comme je pouvais avant d'apercevoir ses cheveux châtains et j'avais manqué de m'étouffer quand j'ai vu la couleur de ses yeux. Même si je ne souhaitais que m'évanouir pour échapper à tout ça, je m'étais tenu droite et j'ai respiré un bon coup. Il y avait Émilien avec moi, c'était son frère, je me devais d'être là pour lui.
— Est-ce que vous confirmez que c'est bien Julien Chevalier qui se trouve ici ?
Le médecin nous parlait d'une voix aussi froide que la table sur laquelle était installé mon copain. Je me souviens d'avoir entendu mon compagnon déglutir en même temps que moi et nos voix éteintes qui ont répondu à l'unissons.
— Oui c'est bien lui.
Suis-je folle de te parler dans ma tête alors que tu étais devant moi, froid comme la glace et pourtant si beau ?
Je trouve ce passage particulièrement dur après c'était peut être l'effet souhaité.
De plus désigner le frère par le mot "compagnon" peut porter à confusion vu qu'on parle du petit copain aussi dans le chap.
En tous cas encore une belle narration !
Merci beaucoup <3