Chapitre VIII. Avertissement sans frais !

Une vague de froid venue de Sibérie semblait s’être installée définitivement sur le territoire Français. Ce matin, l’atmosphère était plus glaciale que la veille. Bianca avait enfilé tout ce qu’elle avait pu trouver dans sa garde-robe. Ainsi engoncée, elle ressemblait à un pingouin obèse. Le premier qui osera lui parler des méfaits du réchauffement climatique aura son poing sur le nez.

Sa voiture ayant refusé de démarrer, c’est à pied qu’elle dut se rendre au commissariat. Même les bus étaient confinés au dépôt, ordre du préfet, la chaussée étant jugée trop glissante !

Seuls les piétons semblaient autorisés à circuler. Elle en croisa quelques-uns, engoncés comme elle dans plusieurs épaisseurs de vêtements. Comme elle aussi, leurs pas étaient secs, nerveux et rapides, peu enclins à la flânerie.

Elle arriva enfin, elle rêvait d’aller    S’asseoir sur un radiateur et ne plus en bouger jusqu’à ce que ses fesses soient carbonisées.

Elle salua le planton et n’eut même pas le temps d’atteindre la porte de son bureau, les vociférations du capitaine, la stoppa net  ! Terminé, les envies de : « mettre le feu à son joli petit cul ». Ce serait pour plus tard !

– Bernard, venez ici !

– Bernardi chef ! Bernard avec un I à la fin, mes parents étaient Italiens, et j’en suis fière.

– Bernardi, je me fous de savoir si votre paternel était Rital, Polak ou pire. Nous avons un troisième cadavre sur les bras ! La scientifique, les Lyonnais et la Nichon sont déjà sur le terrain. Ils n’attendent que vous. À votre retour, je veux tous vous voir ici. Cette enquête est devenue prioritaire !

– J’y vais patron ! j’y vais !

Elle se rapprocha du bureau du boss, le regarda bien dans les yeux et elle rajouta.

– Bernardi ! pas Bernard ! Italienne ! pas Polonaise, monsieur Morrichon ! Vous aimeriez-vous que je vous appelle Morrichoni ou Morrichwosky ? Et elle sortit laissant un Roger médusé.

Le capitaine revanchard voulait avoir le dernier mot cependant !

– Madame Bernardiiii ! Achetez donc un garage, comme tout le monde, ainsi vous seriez venu en voiture ! Je ne serais, alors, pas obligé de retenir sur votre salaire une batterie et un philtre à gasoil ! Bonne journée Bernardi !

Encore une matinée qui commençait bien !

***

Marie-Claire la victime habitait Saint-Martin-d’Hères, un petit immeuble de cinq étages, juste derrière le cimetière des Alloves à deux pas de la colline du Murier. C’était l’autre bout de l’agglomération, la légiste ne répondait pas au téléphone, elle lui laissa un message, aucune voiture n’était disponible, elle dut s’y rendre à pied.

C’est en nage qu’elle arriva rue Normandie-Niemen, elle tomba sur une Clara Michon hilare qui l’accueillit au bas de l’ HLM. Elle écrasa sa cigarette, la jeta sur la chaussée et dit.

– Oh ! Tu n’es pas venue à pince tout de même ! Il fallait appeler ma poule ! Aller, je te fais visiter c’est au dernier. Nous prenons les escaliers, c’est idéal pour le fessier, ça fait les cuisses !

– Clara, c’est bon tu t’es bien foutue de ma poire, je te suis, tu m’expliques en montant. Ou bien ton souffle asthmatique de fumeur t’empêche de parler en faisant du sport.

Du haut du cinquième étage, une voix autoritaire répondit à la réplique cinglante de Bianca

– Vous arrêtez de vous chamailler, les filles ! C’est une scène de crime ici, un peu de dignité, s’il vous plait !

Bianca rouge de colère préparait une pique cinglante, mais préféra s’en abstenir.

– Commandant Morrichon, vous auriez pu me le dire que vous veniez aussi, nous aurions pu faire le chemin ensemble, vous le saviez que je n’avais pas de véhicule !

– Vous ne me l’avez pas demandé ! de toute façon, vous êtes sortie tellement énervée de mon bureau…. Ça ne fait de mal à personne un peu de sport !

Puis plus bas en aparté il rajouta, laissant Michon rentrer dans l’appartement.

– Attendez deux secondes Bernardi ! Descendons voulez vous ! Je peux vous parler ?

Bianca était prête à exploser. Pour qui ce prenait il, ce phallocrate ! Il la méprisait, se moquait d’elle, s’il n’était pas son chef, elle lui…

– Voilà, Bernardi, ici nous sommes assez loin. Vous et moi, ça n’a pas bien commencé, je dois vous l’avouer ! Ne me coupez pas, laissez-moi parler, je suis votre supérieur ne l’oubliez pas ! À Paris je ne sais comment ça se passait, mais ici à Grenoble c’est moi le patron ! Celui qui n’accepte pas cette vérité quitte le service et demande sa démission. Cette petite promenade à pied n’a été qu’un avertissement sans frais, ça ne vous aura pas fait de mal ma fois ! Vous devriez reprendre un sport, vous avez de l’énergie à dépenser… faites de la boxe commandant !

Bien campé sur ses deux jambes il la toisait du haut de ses deux mètres, l’homme, ancien rugbyman, avait des mains énormes. Une tête de veau, des oreilles en choux fleurs et un nez cabossé, souvenirs d’une jeunesse tumultueuse, Morrichon avait été aussi capitaine dans les chasseurs alpins !

– C’est bon Bernardi vous êtes calmés ! Marchons un peu voulez vous, après vous pourrez monter écouter la brigade scientifique qui a bien travaillé et voir par vous-même ce que vous aurez envie de voir. C’est votre enquête, vous la mènerez comme vous voudrez… Ce n’est pas ça que je voulais vous dire, ne m’interrompez pas ! Je ne serais plus long maintenant ! Pour ce matin, je vous présente mes excuses, Bernardi n’est pas Bernard vous avez entièrement raison ! voilà, il est revenu le sourire, ça vous va mieux. Je n’ai pas encore fini… Pour les petites chicaneries avec Clara Michon, ça doit s’arrêter ! Mes hommes doivent travailler en bonne intelligence compris ! Pour votre voiture Herman l’a réparée et elle est garée sur le parking elle vous attend. Herman aussi attend des excuses. C’est un brave gars, il appartient un peu au passé, mais il mérite votre considération. Un excusez-moi, et c’est fini ! Voilà Bianca j’ai terminé, maintenant ici on se tutoie, appelle-moi Roger, comme tout le monde ! Après la visite de l’appartement, on rentre tous au 36, j’aime bien appeler l’hôtel de police comme cela, ça fait chic ! On va débreffer, il faut trouver un début de piste que diable ! Ensuite je vous invite tous au resto. Allez, Bianca, trouve-moi ce putain de salopard !

Bianca rouge comme une pivoine ne savait plus que dire ! Le chef l’avait… retournée ! Il savait parler ce con ! Elle eut du mal à le regarder en face et ne put empêcher une larme de couler. Soudain, les digues lâchèrent. Toute la tension qu’elle emprisonnait ses derniers temps retombaient !

Géné Roger lui tendit un paquet de Kleenex. Il lui dit paternel :

– Bienvenue à Grenoble Bianca, c’est ici où tu es née. Tu es revenue chez toi, tu te plairas avec nous. Tu pleures tant que tu veux ! tu te mouches après, tu passes ta tête sous l’eau. Il y a un petit ruisseau, qui descend de la montagne, à quelques mètres de là. Tu montes nous rejoindre, après ! ce soir, après le travail, c’est biture pour tous ! À tout de suite !

***

Il n’y avait pas grand-chose à dire, de la scène de crime, en fait.

Lorsqu’elle arriva enfin, Roger s’entretenait en aparté, avec les deux beaux gosses de Lyon. Clara prit Bianca par l’épaule, lui essuyât maternellement le Rimmel qui avait coulé, l’attira dans la chambre mortuaire.

La victime était couchée sur le lit, nue, une housse noire l’enveloppait ! La légiste lui fit un bref topo.

– Marie-Claire Bélligeant, une jolie brune de trente-quatre ans, divorcée, au chômage, mère d’une fillette de 8 ans qui est scolarisée à l’école primaire du quartier. La gamine est au premier étage avec la vieille chouette et l’agent Élodie Marquez. Les services sociaux vont s’occuper d’elle. Pauvre gamine elle ne comprend pas trop ce qu’il arrive, sa mère est morte, son père est en garde à vue.

– L’ex-mari est en garde à vue… pourquoi n’avoir pas commencé par là !

– J’allais y venir, c’est une histoire de fou, il est gardé chez vous, on a quarante-huit heures, après c’est votre problème. Moi le mien c’est de savoir quand est morte la victime et comment !

– Et ?

– Comme les deux autres, étranglées, sans traces de lutte, et des relations sexuelles post mortem !

– Âpres l’ex-mari qui n’est pas fute-fute et la voisine qui n’a plus toute sa tête ont bien bousillé la scène de crime, ils ont passé la nuit à dire des conneries en buvant du guignolet, la vieille en tient une ce matin… pendant ce temps-là gamine a été laissée toute la nuit devant la télé, on l’a retrouvée endormie devant, elle s’était nourrie des biscuits que la vieille stockait, certains étaient périmés depuis cinq ans… Si la petite n’est pas malade ! Comme je te disais, c’est le mari qui a alerté la police, après ça c’est mal passé, il a envoyé deux flics à l’hôpital, personne n’a compris !

– Mais à part ça, y a-t-il des similitudes avec les deux autres meurtres, il y a des traces ?

– d’autres traces, heu oui et non les deux débiles ont tout saccagé. Ils ont même arrangé la morte. Ils ont foutu leurs sales pattes partout ! Ils ont détruit… Sauf si c’est eux… non, ils sont trop cons... quelque chose me chiffonne cependant, les copains de Lyon sont d’accord avec moi ! Quelqu’un s’est emmerdé à nettoyer tout l’appart, tout avait été récuré à la javel juste avant et ce n’est pas la victime… on en est sûr ! Après les deux hippopotames sont arrivés, soit ils sont très fins, soit ils sont très cons... je pencherai pour la deuxième possibilité. De toute façon, tu n’en sauras pas plus pour l’instant, Gérard Krauthmayer, l’ex-mari dort à l’hôtel de police. Il a reçu une piqure hypodermique dans le cul à assomer un éléphant… s’il se réveille… la vieille à quatre grammes, avec son diabète… on l’entendra demain… peut être ! Voilà, je pense n’avoir rien oublié, je rédigerai un rapport… je peux enlever le corps maintenant !

 

 

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