Chapitre VIII : Une issue (MAJ : 08/05/22)

Evannah s’attendait à rencontrer une foule. Même si elle détestait les endroits foisonnants de monde, elle était encore plus angoissée dans ces rues désertes. Des voix colériques ou rieuses éclataient dans les maisons. Quelques ombres longeaient les murs et la jeune fille s’imaginait qu’elles l’observaient une fois le dos tourné. Dans l'air humide, les parfums des fleurs se mélangeaient.

Mais leur route se déroula sans embûches. Meïlaa et l’humaine franchirent une barrière qui menaçait de s’écrouler. Cet endroit aux pavés brisés était plongé dans le noir total. Evannah aperçut une faible lueur, droit devant elle. Elle fut rassurée quand elle reconnut Clya. L’ombre du Marionnettiste leva la tête et lui lança un signe jovial de la main. Adossée à la machine, Ééda se redressa et accourut vers la soigneuse.

– Alors ? Ça s’est bien passé ? s’inquiéta l’enfant orange. Lyzel m’a dit qu’elle avait fait une crise nébulienne.

Evannah ouvrit la bouche pour savoir si la damorial blanche était ici mais Meïlaa la devança :

– Tout va bien ! Lyzel est arrivée et a réglé le problème. De mon côté, j’ai fait mon travail de guérisseuse. Evannah est sur pieds.

– Merci pour votre aide, la remercia la concernée, mais…

– Parfait ! s’exclama le Marionnettiste avec enthousiasme. Evannah, j’ai beaucoup de choses à t’apprendre.

– Je vais vous laisser, déclara Meïlaa. J’aurais beaucoup de réfugiés d’Ixarian qui viendront chez moi. Si vous avez besoin de nous voir, Domna ou moi, nous sommes là pour vous !

Sa patiente lui promit qu’elle passerait et la guérisseuse disparut dans l’obscurité. Evannah entra dans Clya, suivie d’Ééda. Le Marionnettiste cacha sa lampe dans un coin.

– Elle est tellement gentille ! s’écria Ééda. Tu as de la chance qu’elle se soit occupée de toi.

– Oui, acquiesça Evannah.

L'artiste enveloppa sa poupée inachevée dans des tissus et se tourna vers Evannah, l’air grave.

– Bien, il faut qu’on discute.

– Je vous écoute. Je suppose que vous allez me raconter votre entretien avec Datraël.

– Oui. Je lui ai expliqué pourquoi tu n’es pas dans Mitrisiane et comment nous sommes tombés ici.

– Elle n’a rien voulu savoir de plus sur moi ?

– Non, je lui ai raconté que tu as modifié tes Neb…

Evannah le fusilla du regard pour le faire taire. Puis, elle croisa la mine suspicieuse d’Ééda et se mordit les lèvres, furieuse que le Marionnettiste en révèle trop devant elle.

– Et elle ne vous a rien dit d’autre ? esquiva aussitôt la jeune fille.

– Oh, si ! répondit le créateur avec plus de sérieux, elle m’a raconté que des damorials d’Ixarian s’étaient réfugiés ici. Ils avaient fui le massacre et une créature de l’ombre, Lodrin… euh… Los…

– Mosdrem, corrigea l’enfant orange.

– Mosdrem ? répéta Evannah. Le monstre a un nom ?

– Meïlaa t’a déjà tout raconté ? devina le voyageur.

– Oui, brièvement. Mais je sais que Mosdrem a pris Ixarian.

– Et ses brumes noires s’étendent partout ailleurs, leur apprit Ééda.

– Vraiment ? s'exclama le Marionnettiste, choqué. Les dimensions de Leïvron vont être prisonnières de l’obscurité ?

– Je crois que c’est ce qui les attend, oui. Tout ce que je sais, c’est que Mosdrem vit dans Ixarian et que ses brumes peuvent traverser les portails.

Le désespoir ensevelit Evannah. Leïvron se révélait de plus en plus inaccessible et sa solution déjà incertaine face à ses Nebulas incontrôlables s’éloignait. Ce monde avait été sa seule destination et rien de nouveau lui venait en tête.

– Tu veux toujours y aller ? demanda le Marionnettiste avec appréhension. Evannah, nous avons d’autres choix.

– Et lesquels ? lança-t-elle, frustrée.

– Aucune idée, mais Leïvron n’est pas l’unique option, tu sais.

Le cœur d’Evannah s’emplit de découragement et de colère. Elle avait l’impression de voir Synoradel se liguer contre elle. Allait-elle être condamnée à errer ainsi, les Nebulas brûlantes de douleur ?

– Écoutez, personne ici ne peut m’aider. Je me suis renseignée auprès de Meïlaa et aucune personne, pas même nébulienne ne peut faire quelque chose pour moi.

– Je le sais, Evannah. Mais sois patiente. Je te promets que je trouverai une solution.

– J’en doute fort ! s’emporta la jeune fille. Vous semblez très réticent ! Je n’ai pas de temps à perdre, moi !

Le Marionnettiste se figea, médusé.

– Je t’en prie ! Ne sois pas en colère ! Je sais que nous sommes dans une impasse et je suis désolé si les choses se déroulent ainsi. Mais peut-être que Leïvron s’en sortira vite.

– J’espère aussi, dit Ééda, lasse. Les damorials d’Ixarian sont parfois méchants. Même si l’on a perdu notre monde et qu’on se comprend, certains ne nous remercient pas.

– Pour être honnête, je n’aime pas être dans cette cité.

– Moi non plus. Un jour, je m’en irai. Je crois que je n’aurais jamais de maison. On s’attend toujours à être chassés.

– Et… tu as connu Camoren ? demanda Evannah avec prudence, car elle savait qu’elle tâtait un sujet très sensible.

Elle ignorait quel âge avait l’enfant qui lui parlait. Mais sa maturité laissait penser qu’elle avait vécu les horreurs de Camoren, son monde natal. Les damorials s’étaient opposés aux plus hautes autorités de l’Arbre, les Gardiens Brumeux et les Dragons. Les raisons restaient obscures à ce jour, même chez le peuple des fleurs.

– Non, répondit la petite fille. Mes parents sont morts pendant la catastrophe et j’ai été recueillie par les autres damorials.

– Tu as des parents adoptifs ? l’interrogea Evannah.

– Non. Beaucoup d’orphelins et d’orphelines sont élevés par tout le village. Je n’ai jamais appelé quelqu’un « Papa » ou « Maman ».

Une odeur de lilas émana du corps de la petite. Là, encore, rien n’indiquait son état d’âme et l’humaine craignait de l’avoir blessée.

– Mais je m’en fiche, déclara Ééda. Car tout le monde dans cette ville est ma famille. Mais je veux quand même partir.

– Ééda, ma jolie Ééda ! s’exclama le Marionnettiste, attendri. Je voudrais tellement t’emmener faire le tour des mondes de Synoradel avec moi.

– Quand vous aurez réglé le problème d’Evannah, oui. Je pourrais faire un tour dans votre voiture.

– Ma… « voiture » ? Clya est plus mon atelier, ma maison que ma voiture.

– Est-ce que Clya est une fille ? demanda Evannah avec un sourire en coin.

– J’aimerais le croire mais Clya est une machine et ne peut donc pas être une femelle.

– Clya peut… penser ? le questionna Ééda. Est-ce qu’elle se considère comme une fille ?

– Pas autant que nous, mais oui. Clya est comme un animal. Bon, vous m’excusez, mais j’aimerais travailler. Mais, vous avez le droit de rester ici.

– Super ! s’écria Ééda, enthousiaste, je n’ai rien à faire de toute façon.

– Tu ne vas pas avec Lyzel ? s’enquit enfin Evannah.

– Non, je la connais à peine et elle n’est pas très causante. Et puis, je ne sais pas où elle est.

Déçue, l’humaine soupira et se laissa tomber sur le coffre. Ses yeux parcoururent les étagères protégées par les vitres et furent attirés par la légère clarté, cachée sous la table. Le Marionnettiste enleva son chapeau haut-de-forme et resserra son élastique qui attachait ses cheveux roux. Il se découvrit de son long manteau, dévoilant une marque gravée sur son épaule. Elle représentait une spirale bleue barrée d’une flèche. Qu’est-ce que c’était, un tatouage ? Evannah ne se priva pas de lui poser la question.

– Oh, cette marque ? répondit l'artiste en la frôlant de ses doigts mécaniques. Ce n’est rien.

– Une marque ? répéta Evannah, intriguée. Elle n’a pas l’air naturelle.

– Non, elle ne l’est pas.

Il se hâta de sortir son projet. Il était évident qu’il évitait toute question et sa conduite inquiéta davantage sa protégée.

– Alors… elle est apparue toute seule ? hasarda cette dernière.

– Oui. Du jour au lendemain. Je ne sais pas à quoi elle sert et je n’ai pas pensé à me renseigner.

– Vous devriez surveiller ça de près. Vous avez mis les pieds quelque part, non ? Dans un endroit qu’il ne fallait pas ?

L’anxiété apparut dans les yeux du Marionnettiste. Il tenta de la cacher en changeant de sujet :

– Je n’ai jamais eu le temps de m’y pencher. J’ai beaucoup travaillé ces derniers jours. Mes filles deviennent de plus en plus nombreuses.

– Elles sont très belles ! s’exclama Ééda, admirative. Est-ce qu’on peut jouer avec elles ?

– Non, absolument pas ! Elles ne doivent pas être touchées par d’autres mains que les miennes. La matière et la peinture sont beaucoup trop spéciales.

– Elles ont bien résisté à notre chute, en tout cas, remarqua Evannah.

– Mes voyages ne sont jamais sans embûches. Clya et moi avons travaillé pour les protéger.

En se souvenant de cet épisode, la jeune fille se demanda de combien de mètres ils étaient tombés et s’il y avait une seconde sortie au fond des cavernes. Elle était aussi curieuse de savoir ce qui se terrait au plus profond de l’archipel. Le Cœur d’Ibyulis devait peut-être s’y cacher.

– Je pense qu’on devrait remonter au plus vite sur Cano'orah, suggéra l'humaine. Les damorials de Garyon ont accueilli beaucoup d’exilés et leurs provisions ont dû se réduire très vite. Je n’ai pas envie d’être une bouche de plus à nourrir.

– Vous ne pourrez pas revenir là-haut, seuls, répondit Ééda. Un yotora peut le faire en appelant les kirnels. Ses parents peuvent lui venir en aide s’ils sont de bonne volonté.

– Oui, je le sais bien. Mais je suppose que si vous vous êtes réfugiés ici, c’est parce qu’aucun yotora ne peut vous embêter.

– C’est vrai. Mais il y en a un qui est venu nous voir.

– Un yotora ? s’écria le Marionnettiste. Vous n’avez pas peur qu’il vous dénonce ?

– Tout dépend quelle est sa position, dit Evannah.

– C’est un yotora bêta, répondit Ééda.

L'artiste se raidit, soucieux. Dans la meute, les Bêta appartenaient aux deuxièmes rangs les plus puissants.

– Il n’a pas l’intention de nous dénoncer, le rassura l’enfant orange. Enfin, c’est ce qu’il nous a promis. Il a dit qu’il était prêt à enquêter sur Mosdrem et à trouver une solution quand il sera parfaitement rétabli.

– Tout seul ? s’étonna Evannah. C’est de la folie ! Et pourquoi il s’intéresse au sort de Leïvron ?

– Parce qu’il a vu le fléau. Il y a échappé de justesse.

La jeune humaine écarquilla les yeux. Si ce yotora s’était retrouvé dans ces cavernes, c’était peut-être grâce à un portail vagabond qui lui avait sauvé la vie. Mais sa présence était un atout. Il pourrait très bien informer sa meute de la situation et venir en aide à Leïvron, par la suite. Cependant, ce monde-ci avait toujours su faire face aux plus grands désastres.

– Peu importe, dit Evannah, il ne devrait pas y retourner. Enfin, pas tout seul.

– C’est vrai, approuva le créateur, mais en tant que yotora bêta, je ne suis pas surpris. Ils sont si arrogants qu’ils croient affronter tous les dangers.

– Ou il a sans doute ses raisons. Tellement de gens ont perdu leurs familles et leurs amis, c’est peut-être son cas.

– On ne sait presque rien de lui, dit Ééda, juste qu’il a échoué dans une de ses missions.

– Comment il s’appelle ?

– Saphir.

– Si un être comme lui a été blessé, Mosdrem doit être très puissant, supposa le Marionnettiste.

Evannah se releva subitement, animée par une pointe d’espoir.

– Et il est où, ce yotora ?

– Il doit errer seul près des ruines, répondit la damorial.

– Tu veux aller le voir ? demanda l'artiste, surpris.

– C’est le seul qui pourrait nous aider à sortir d’ici, rétorqua Evannah, décidée. J’aurais besoin de lumière, d’ailleurs.

– Bien…

Le voyageur s’exécuta. Dans une petite armoire se trouvaient de nombreuses lanternes, identiques à des lampes à gaz. Il en passa une à Evannah qui le remercia. Elle quitta l’atelier et prit garde à ne pas éblouir Ééda.

– Je vais descendre aussi, déclara la fillette. Après tout, vous avez besoin de vous remettre au travail.

– Oh, tu t’en vas déjà ? s’attrista le Marionnettiste. J’apprécie beaucoup ta compagnie.

– Je ne pensais pas partir ! Je veux juste m’éloigner, c'est tout.

– Très bien. Fais comme bon te semble !

Evannah alluma la lampe, régla sa lumière pour ne pas aveugler les damorials passants et annonça :

– J’y vais. Et ces ruines, elles sont où ?

– Tourne à gauche et suis la grande route, lui indiqua Ééda. Tu y arriveras facilement. Ce n’est pas ici que tu te perdras, de toute façon.

– Et sois prudente, surtout ! lui cria le Marionnettiste alors qu’elle s’éloignait déjà.

Agacée, Evannah soupira. C’était inutile de le lui rappeler qu’elle savait l’être et qu’elle n’avait pas besoin d’un avertissement. L’estomac noué, elle suivit le chemin désigné par Ééda.

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maanu
Posté le 01/05/2022
Salut !
Un chapitre où il ne se passe pas énormément de choses, mais il en faut bien de temps en temps et il pose bien où en sont les personnages et montre bien l'indécision d'Evannah ;)
Décidément, de plus en plus bizarre ce Marionnettiste...

Quelques suggestions pour reformuler certaines phrases et améliorer encore un peu ton texte:
- "J’aurais beaucoup de réfugiés d’Ixarian qui viendront chez moi." -> cette tournure est un peu étrange. Est-ce que ce ne serait pas mieux d'écrire "Beaucoup de réfugiés d'Ixarian vont venir chez moi?"
-"– Oh, si ! répondit le créateur avec plus de sérieux, elle m’a raconté que [...]" -> je pense qu'il vaudrait mieux mettre un point après "sérieux"
-"et rien de nouveau lui venait en tête" -> "ne lui venait en tête"
-"et aucune personne, pas même nébulienne ne peut faire quelque chose pour moi" -> il manque une virgule après "nébulienne"
-"Je crois que je n'aurais jamais de maison" -> "je n'aurai jamais"
-"Bon, vous m’excusez, mais j’aimerais travailler. Mais, vous avez le droit de rester ici." -> les deux "mais" font un peu répétition, tu pourrais peut-être enlever le premier
-"Dans un endroit qu'il ne fallait pas" -> plutôt "où il ne fallait pas", je crois
-"C’était inutile de le lui rappeler qu’elle savait l’être et qu’elle n’avait pas besoin d’un avertissement." -> "de lui rappeler

Tu utilises souvent le terme "choqué" pour décrire l'état de tes personnages, je pense que tu gagnerais à utiliser des synonymes de temps en temps (perplexe, heurté, outré...), pour éviter les effets de redondance :)

Il y a aussi une phrase d'Eéda que je ne comprends pas bien : quand elle évoque les autres damorials, elle dit "Même si l'on a perdu notre monde et qu'on se comprend, certains ne nous remercient pas". De quoi devraient-ils les remercier? De les soigner? Eéda est aussi une guérisseuse? Tu l'as peut-être déjà dit et j'ai oublié l'info, si c'est le cas je suis désolée pour ma lecture peu attentive ;)

Même chose avec un autre passage que j'ai du mal à comprendre : "Ses yeux parcoururent les étagères protégées par les vitres et furent attirés par la légère clarté, cachée sous la table.". Qu'est-ce que c'est que cette lumière au final? Celle de la lampe que le Marionnettiste donne à Evannah à la fin, ou rien à voir?

Ah, et au fait, j'aime beaucoup cette idée de communication par les odeurs ! ;)
DraikoPinpix
Posté le 01/05/2022
Coucou ! Merci encore pour tes propositions de phrases, je ferai un tri bientôt ^^
Non, Eéda n'est pas une guérisseuse, tu n'as rien loupé. En fait, maintenant que je lis cette phrase, c'est vrai qu'elle n'est pas claire. Je voulais dire que les damorials ne se soutiennent pas souvent entre eux, malgré l'aide qu'ils s'apportent entre eux. Et la lumière vient bien d'une lampe.
C'est un chapitre calme afin de poser d'étoffer un peu plus l'univers, d'apporter des explications, des solutions pour Evannah et de développer le caractère des personnages :)

Bref, j'espère qu'on se reverra bientôt !
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