Chapitre vingt-six

Par Oriane

Les éclaireurs en étaient sûrs, l’attaque aurait lieu le lendemain, voire dans la nuit si de Lucin forçait un peu plus l’allure. Ce n’était pas la nouvelle qu’ils attendaient. Dans la tente d’Enric, les esprits s’échauffaient. Le jeune homme observait tour à tour Harken, Marco, la Kharmesi et sa dame de compagnie. S’il n’attendait pas grand-chose de la dernière, les avis des trois autres n’étaient pas à prendre à la légère. Or, aucun n’avait ouvert la bouche depuis qu’il les avait convoqués. Marco se tenait en retrait, comme toujours, Harken déplaçait les figurines de bois sur la carte et la Kharmesi…

La femme au masque semblait ailleurs. Elle si virulente d’habitude ne bronchait pas. Ce changement de tempérament ne disait rien à Enric. Sa combativité aidait les ingénieurs et les soldats à tenir le coup jusque-là.

— Nous ne sommes pas prêts, lâcha-t-il.

Harken soupira et opina. La Kharmesi posa enfin le regard sur lui. Il aurait apprécié la voir tête nue pour savoir ce qu’elle pensait. Maudit masque.

— Et ? Devons-nous quitter Nézia pour autant ? demanda-t-elle.

Enric se raidit. Elle mettait toujours le doigt où ça pouvait faire mal.

— Bien sûr que non ! Quoique pour vous, ça ne serait peut-être pas plus mal.

Marco, debout derrière elle, lui fit signe de ne pas continuer dans sur cette voie. Il n’avait peut-être pas tord. La dernière fois qu’il avait émis cet avis, elle avait bien failli le frapper.

— Le prochain dans cette pièce qui insinue que ma place n’est pas ici, je l’installe confortablement sur les premières palissades de Nézia sans la moindre possibilité d’en bouger. Me suis-je bien faite comprendre ?

Les quatre autres se regardèrent sans rien dire avant d’acquiescer de concert. Autant ne pas la froisser un peu plus.

— Bien. Retournons à ce qui est important, reprit-elle.

L’autorité dont elle faisait preuve rassura Enric. Si elle tenait des discours aussi passionnés devant les hommes, alors peut-être que l’espoir était encore permis. Une bataille se gagnait aussi bien avec les armes qu’avec le mental.

— Que proposez-vous ?

Elle posait la question autant à Enric qu’à Harken. La capitaine le regarda, attendant qu’il prenne la parole en premier. Elle craignait de décevoir la Kharmesi. À moins que, pour une fois, elle décidât de mettre sa fierté de côté. Il ne chercha pas vraiment à comprendre, pour une fois qu’elle ne l’interromprait pas, autant en profitait.

Il exposa son plan, plutôt simple en réalité. Il y avait réfléchi depuis son arrivée à Nézia. Il le savait bon, encore plus depuis l’arrivée de la femme au masque et de sa petite troupe. Ses hommes étaient en capacité de défendre la forteresse si l’ennemi se séparait devant les palissades. Tout avait été mis en œuvre dans ce sens. Les ingénieurs avaient bien travaillé. Derrière une bonne partie des défenses en bois, des pièges attendaient que l’on vienne les enclencher. Ils pourraient faire beaucoup de dégâts, réduisant l’envahisseur avant qu’il n’atteigne les murailles de Nézia. A partir de là, les archers et les soldats entreraient en action. Ils ne vaincraient peut-être pas facilement, mais ils ne se laisseraient pas faire.

L’assistance écouta attentivement. Lorsqu’il eut fini, Harken prit la suite. Elle aida à améliorer ce qu’il venait de proposer. C’en était presque étrange. Il s’était habitué à ce qu’elle le contredise ces derniers temps. Peut-être parce qu’elle n’avait pas le commandement alors que l’idée de s’installer à Nézia venait de la Kharmesi. Au moins, l’arrivée proche de l’armée de Lucin permettait de ressouder l’équipe.

— Quand pensez-vous ? demanda-t-elle lorsqu’elle eut fini.

Un silence pesant s’installa. Tous s’attendaient à ce que la femme au masque parle. Elle regardait le verre dans sa main, faisant tourner le liquide d’un mouvement souple. Enric n’arrivait pas à la cerner, et pas seulement parce qu’il ne pouvait pas voir les expressions sur son visage. Elle était trop versatile, s’enflammant souvent pour pas grand-chose, ou, comme maintenant, restant plongée dans un mutisme froid. À quoi pouvait-elle bien penser ?

— Cela me semble bien, finit-elle par dire. Je ne suis pas aussi portée sur les arts de la guerre que vous. Je vous fais entièrement confiance. Il y a juste un point qui me dérange un peu.

— Si vous voulez parler du fait que vous resterez en sécurité relative dans la tour, nous refusons de vous mettre plus en danger. Ce n’est pas négociable, ma dame.

Sur ce point, il était d’accord avec Harken.

— Capitaine, vous savez aussi bien que moi que je peux être utile autrement qu’en me cachant.

Encore une fois, elles ne disaient pas tout. Enric avait fini par apprendre par Marco que la Kharmesi était capable de commander le feu de manière bien plus spectaculaire que simplement enflammer une pièce de papier.

— La tour est assez haute pour que vous puissiez voir tout ce qu’il se passe en contrebas, indiqua Harken. Vous aurez ainsi accès à la cour mais aussi à l’avant des fortifications. De là-haut, vous risquez de faire plus de dégâts que nous en bas.

— Quoi ? s’exclamèrent en même temps Enric et Marco.

— Vous pensiez réellement que j’allais rester les bras croisés ?

Enric n’en revenait pas. Voilà pourquoi aucune d’elles n’avaient trouvé à redire à ses plans. Elles s’étaient déjà arrangées. Maudites bonnes femmes ! Et la troisième, silencieuse depuis le début, qui ricanait dans son coin.

— Et vous allez bientôt me dire que votre dame de compagnie commandera les archers ? s’indigna-t-il.

L’intéressée arrêta de rire pour lui jeter un regard noir. Il sourit. Elle n’était peut-être pas aussi effacée qu’il ne le pensait. Dommage qu’elle soit presque toujours aux basques de sa maîtresse. Et qu’ils soient à l’aube d’une bataille qui s’annonçait compliqué.

Il reprit son sérieux. Après avoir calmé un peu tout le monde, il repassa les grandes lignes de leur plan en revu. Tous écoutèrent. Les derniers détails furent mis en place. Ils discutèrent ainsi durant une bonne heure avant de finalement décider qu’il n’y avait plus qu’à attendre.

Les femmes quittèrent le conseil de guerre peu après. La Kharmesi fut la dernière à sortir de la tente. Elle jeta un rapide coup d’œil vers Marco qui lui sourit. Ce n’était pas la première fois qu’Enric remarquait ce genre d’attention entre les deux. Il était temps de mettre les choses au clair avec son archiviste. Il avait besoin de lui entièrement. Il avait bien une petite idée de ce qu’il se passait entre lui et la femme au masque et il comptait bien y mettre un petit ola, au moins jusqu’à la fin du siège. Marco était aussi bon tacticien qu’archiviste s’il n’avait pas l’esprit prit par autre chose.

— Il se passe quoi entre la Kharmesi et toi ? lança Enric alors qu’ils étaient enfin seuls.

Marco se figea, preuve qu’il touchait du doigt quelque chose.

— Elle m’a juste demandé de l’aide, il y a quelque temps. Rien de plus.

Enric sentait que son ami ne lui disait pas la vérité. Juste de l’aide ? Et les regards qu’ils se lançaient tous les deux ? Marco dut voir son trouble et continua :

— Elle est bien plus agréable que ce que tu sembles croire.

— Et c’est tout ?

— C’est de la Kharmesi dont on parle, Enric. Crois-tu réellement qu’elle va s’intéresser à un simple archiviste ?

Le jeune homme sentit Marco se braquait. Il ne continua pas. Il ne pouvait se permettre de mettre en colère son meilleur conseiller. Il réglerait cela plus tard. Si plus tard il y avait.

En attendant, il laissa Marco sortir de sa tente pour aller il ne savait où. Lui-même avait encore beaucoup à faire avant l’arrivée de Lucin aux portes de Nézia

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