Saraphiel ignorait comment changer les choses. Il avait remis son compte-rendu aux archanges sans chercher à dissimuler son mensonge.
C’était le premier de toute sa vie, et il n’avait aucun regret.
Il avait été très déprimé des jours durant. On lui avait accordé un congé maladie qu’il avait passé à errer, l’œil hagard, le long des lacs et des bosquets de roses, sans parler à personne. Il voyait au travers du décor désormais, et ce qu’il voyait le dégoûtait. L’hypocrisie du bien sur Terre guidé par la terreur lui laissait un goût amer sur la langue et celui du poids porté par les démons, de l’acidité dans le cœur. Il observait les anges, si naïfs, sans comprendre comment il avait pu si longtemps ne se douter de rien. Il croisait les archanges avec épouvante, incapable de dissimuler l’horreur qui le traversait face à leurs sourires figés et d’ailleurs, il était persuadé qu’aucun d’eux n’était dupe. Saraphiel réalisait confusément qu’en comptant sur son ambition et sa confiance aveugle, les archanges avaient perdu un pari ; celui de penser qu’il sacrifierait tout à l’orgueil d’accéder aux grands secrets de Dieu.
Ce qu’ils avaient de lui n’était pas la connaissance d’un individu, mais une série d’adjectifs collés sur des rapports d’entreprise. Ils n’avaient pas envisagé qu’à la manière de ces quelques âmes du Paradis, Saraphiel se rappelle à son libre arbitre et se mette à faire des choix qui n’allaient pas dans leurs intérêts. Les archanges le réalisaient et Saraphiel ne doutait pas qu’ils prendraient bientôt la décision de le rétrograder. De préférence loin du Paradis.
Il avait peu de temps et peu d’énergie, mais le désespoir et le sentiment d’injustice lui apportaient des forces. Au cours de ses deux semaines d’observation apathiques, il avait compris beaucoup de choses et gagné en certitudes. Il ne supportait pas l’hypocrisie du bien. Il ne supportait pas de savoir que sa construction reposait sur l’industrialisation du mal. Il ne supportait pas que les archanges passent aux yeux de tous pour les êtres les plus purs qui soient quand il avait vu Lucifer lui-même capable de plus d’honnêteté. Il ne supportait plus de représenter une vitrine donc l’arrière-boutique était morbide et sale.
Et surtout, il ne supportait plus le mensonge naïf dans lequel faisaient mine de vivre tous les employés du Paradis. Tout comme les âmes faisaient désormais le choix de leur attitude, tous devaient faire le choix de travailler pour une entreprise dont le rêve se construisait dans la glaire et le sang. Qui était Dieu, pour laisser faire une chose pareille ?
Saraphiel avait passé sa vie à pécher, mais s’était cru trop bien pour s’en rendre compte. Il était temps de faire pénitence. Il était temps de dire la vérité.
Il avait fait un choix. Il en assumerait les conséquences.