Chapitre X

Par Fidelis

Le cœur gonflé d’espoir tel un naufragé au milieu de l’océan qui aperçoit un îlot, il se dirigea vers elle et parvint à s’extraire de la forêt. La vision d’une grande maison bourgeoise le sortit de ce néant. Toutes ses fenêtres rayonnaient de lumière comme un phare protecteur guide les vaisseaux. Il s’y précipita pour demander l’hospitalité. Un accès au quartier des domestiques ou même une place dans une grange l’aurait contentée.

Acelin arriva devant une porte massive, ornée d’une marquise imposante, mais inefficace contre un vent violent qui contraignait la pluie à tomber à l’horizontale. Il souleva le lourd battant et l’actionna à plusieurs reprises pour signaler sa présence à ses occupants.

L’issue s’entrouvrit et délivra une lumière timide.

Un éclair retentit comme un coup de fouet et frappa l’orée du bois dans son dos. Le vacarme le fit sursauter quand il perçut l’invitation salutaire.

– Entrez entrez vite ne rester pas dehors.

Il s’exécuta avec satisfaction pour se retrouver dans un hall plongé dans l’obscurité. L’homme qui l’accueillait tenait l’unique chandelier qu’il approcha du visiteur désœuvré. Il le détailla un instant. L’apprenti, lui, ne pouvait pas distinguer son visage, le temps que ses yeux s’habituent à la lueur des bougies.

Il lui signifia tout de même sa reconnaissance.

– Merci messire, je me suis fait surprendre par l’orage, ma mule c’est échappé, effrayée par la foudre et me voilà perdu à présent. Si vous avez l’amabilité de m’offrir l’hospitalité, je vous en saurais gré.

Il réalisa se trouver dans une posture ridicule, trempé de la tête aux pieds, les avant-bras repliés, les coudes collés aux côtes, grelottantes comme un poulet tout juste plumé et qui s’apprête à se faire égorger.

– Vous avez eu raison de venir vous abriter. Laissez-moi vous inviter jeune homme, vous savez recevoir des visiteurs est devenu un luxe quand on habite un lieu si isolé, accompagnez-moi vous êtes transi de froid.

La voix paraissait amicale, le ton un soupçon autoritaire, Acelin s’estima heureux devant tant de générosité. Il le suivit jusqu’à deux portes décorées de manière ostentatoire, et pénétra dans d’un salon dans lequel une immense cheminée bien garnie engloutissait d’énormes bûches dans un crépitement confortable. Il approcha aussitôt le plus près possible des flammes, qui émettaient le bruit rassurant du bois qui craque dans l’âtre animé. La chaleur détendit avec douceur ses membres tétanisés. Le feu lui apporta un réconfort immédiat et bienfaiteur, avant de sursauter d’un coup gêné par son impolitesse et se présenta.

– Je manque à tous mes devoirs, je me nomme Acelin, apprenti botaniste, j’effectue une livraison pour mon maître.

La pièce était éclairée avec soin et il put cette fois distinguer celui qui l’avait accueilli avec bienveillance.

L’homme était de taille honorable, les cheveux grisonnants tirés en arrière, vêtu d’une chemise blanche sous un gilet finement brodé. Le tout agrémenté d’une chaîne avec de larges anneaux qui fit songer à Acelin, à ceux d’un ordre militaire, car il ressemblait à celui que portait son père. Il s’appuyait d’une allure martiale sur une canne au pommeau argenté et tenait son autre main dans son dos, et acquiesça en oscillant de la tête avant de se présenter à son tour.

– Authaire, capitaine à la retraite.

Il leva légèrement son nouvel aide de camp au bout métallique pour justifier ses allégations.

– A mon immense regret, mais la carrière d’officier comporte certains dangers, un coup de lance mal placé y a mi-fin.

Acelin pivota d’un quart de tour devant la cheminée pour mieux se sécher. Il parcourait du regard le salon confortable.

Sur l’un des murs, deux portraits à la taille imposante dominaient la pièce.

Il reconnut sur le premier son hôte plus jeune, et sur l’autre une dame aux traits d’une grande beauté. Leurs armoiries disposées entre les deux, et juste en dessous deux épées aux lames croisées et les pommeaux dirigés vers les deux tableaux.

Le vieux militaire devina son intérêt pour les représentations.

– Mon épouse et moi.

Acelin se sentit un peu gêné comme s’il venait de troubler leur intimité.

– Elle est dotée d’un charme peu commun si je peux me permettre sir Authaire, j’espère avoir le plaisir de la saluer.

L’ancien officier se détendit.

– Oui, en effet, et d’un esprit éveillé, quand j’ai pris ma retraite forcée, elle m’a aidé à surmonter cette épreuve et nous avons beaucoup voyagé, elle possédait une curiosité insatiable.

Le jeune apprenti regretta aussitôt en avoir fait allusion quand il l’entendit en parler au passé.

– Elle vous a quitté, je suis navré, je ne voulais pas raviver de souvenirs douloureux.

Authaire parut d’un coup troublé à son tour, et sa réponse n’effaça en rien le malaise.

– Non elle n’est pas morte, ou pas comme vous pouvez l’imaginer, elle devrait se trouver proche de nous ce soir, si je peux en juger par la violence de l’orage.

Comme pour lui confirmer ses paroles, un éclair tomba si fort devant la maison que le foyer dans l’âtre lui-même sembla frémir.

Le vieil homme changea de sujet pour dissiper le malaise.

– Que pensez-vous des sciences occultes ?

L’apprenti s’engouffra dans la brèche, soulagé d’oublier sa maladresse.

– Je ne dirais pas que j’y crois, je resterais plus prudent et sans vouloir vous offenser, j’estime que l’on regroupe en ce terme des lois naturelles dont la traduction échappe encore à notre compréhension.

Authaire esquissa un sourire, chargé de curiosité.

– Bien, très bien, vous avez un esprit éveillé. Vous possédez, là, un atout essentiel dans la vie, il vous permettra de voir des choses que bon nombre ne peuvent même pas imaginer.

Lui confia-t-il avant de continuer.

– Mon épouse détenait également ce talent. Au moment de prendre ma retraite, nous avons beaucoup voyagé comme je vous l’ai déjà souligné. Elle s’intéressait aux sciences occultes et au lieu de collectionner des bibelots pour la décoration, elle amoncelait les objets sacrés, ésotériques ou autres livres mystérieux. J’aimais y voir à l’époque une coquetterie féminine, même si un peu singulière. J’avais mal évalué la situation, ce n’était plus une distraction anodine, mais bien une passion dévorante qui l’animait.

Il poursuivit, mais le ton avait changé.

– Elle fit, après que je n’en eux plus le goût, deux excursions, sans ma compagnie. À son retour, elle s’enfermait des journées entières dans sa chambre à traduire des parchemins hors d’âge, et un beau matin, elle embaucha trois terrassiers pour faire creuser une cave.

Authaire tendit le bout de sa canne vers une porte simple, mais robuste, fermée de l’extérieur par un lourd madrier.

– Elle semblait pressée de vouloir terminer et harcelait sans cesse les ouvriers, quand je lui demandais ce qu’elle préparait, elle me souriait et passait sa main sur mon visage pour me répondre d’un air mystérieux… « Une surprise mon adoré »

Acelin tout à fait sec à présent, se rapprocha du tableau de l’épouse, en essayant de défroisser ses habits, non par souci d’élégance, mais plutôt par nervosité. Quelque chose commençait à l’effrayer dans ce récit, et pourtant elle paraissait si parfaite, songea-t-il en même temps qu’il admirait son portrait. Comment pourrait-il sortir quelque chose de corrompu d’une personne aux traits si purs ?

Un éclair plus fort que les autres filtra une lumière bleutée dans tout le salon, comme la mise en garde d’un danger imminent, lui fit se dresser l’échine.

– Une surprise dites-vous ?

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