CHAPITRE XI.2

Chapitre 11.1. en intraveineuse

 

“La fille de l’une des plus riches familles de la ville est mal nourrie… quel fait divers.”

 

Quand sa mère était furieuse, elle criait assez fort pour déranger jusqu’au Diable dans ses quartiers, mais Robert Termentier exprimait sa colère autrement. Un regard dur, la démarche lente et du venin sarcastique dégoulinant de ses lèvres exfoliées. Kim ne s’attendait pas à une visite d’ordre familial et c’était un soulagement. Elle préférait que ces fouineurs de flics viennent la voir plutôt que ses parents ; à eux, au moins, il leur fallait un mandat pour la retenir. La procédure était bien plus simple pour ses parents. 

Kim soupira. Elle qui avait pourtant cru y échapper mais non, il fallait que son père lui fasse une visite surprise pour son dernier jour à l’hôpital. 

 

“Il ne me semble pourtant pas que le frigo soit vide…”

 

Oh rien n’était vide à la maison, mis à part eux. 

 

“Mon régime était trop strict, je suppose, répondit Kim. Le nutritionniste m’en a préparé un nouveau. 

-Depuis quand t’as besoin d’un régime ?”

 

Depuis qu’elle était née, à quelque chose près. 

 

“Bref, peu importe, clot-il le sujet en s’asseyant dans le canapé. Tu peux parler de la question avec ta mère. Je viens d’apprendre qu’elle t’avait trouvé un nouveau fiancé, pourquoi un tel empressement ? Rémi est à peine dans la tombe. 

-Je pense que tu le sais. 

-En effet. Tout ça pour cette pauvre histoire de service militaire ? Tu crois pas en faire un peu trop ? 

-Mieux vaut trop que pas assez.”

 

Robert la regarda longuement, comme s’il la voyait pour la première fois. Il semblait un peu triste mais peut-être Kim se méprenait-elle, peut-être commençait-elle à voir les choses qu’elle espérait. Un joli mirage ondulant tout au bout du désert causé par le manque de sommeil et la sous-nutrition.

 

“Non, ce qu’il vaut mieux c’est qu’on réfléchisse plus posément à la question de ton mariage. Ne prenons pas de décisions hâtives.

-C’est une mauvaise alliance commerciale ? demanda-t-elle. Un mauvais profit ? 

-Kimberly…

-Je sais,” coupa-t-elle en regardant son père droit dans les yeux. Il était sur le point de se lever du canapé mais le ton tranchant de Kim l’immobilisa. “Je sais. Ce mariage ne sera pas aussi profitable pour Termentic que l’aurait été celui avec le fils du maire. Si tu crois que je n’ai pas encore fait les calculs, tu te trompes, ça fait maintenant quatre jours que je n’ai rien de mieux à faire dans cet hôpital. Mais puisque tu comptes m’évincer, je vais privilégier mon propre profit à compter d’aujourd’hui. Vas-y, essaye un peu de me déshériter. Je vais te faire une sacrée pub.”

 

C’était la seconde fois qu’elle s’opposait à lui et ce n’était que le début. Après tout, ce n’était pas un processus qu’on pouvait annuler, c’était trop tard, à présent. Elle vit dans les yeux de Robert qu’il avait compris. Elle en avait fini de jouer à la fille sage et obéissante ; il l’avait placée sous l’ombre de Gaëtan et elle n’accepterait pas de rester effacée et ignorée. 

 

“Le service militaire, Papa, tu peux oublier, dit-elle. Je ne vais nulle part, je vais me battre ici.

-Tu as déjà commencé, répliqua-t-il.

-Ça fait longtemps que j’ai commencé.”

 

Robert hocha la tête et Kim le fixa en s’empêchant de réagir. Elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’il pouvait penser, ou ressentir, s’il prévoyait de répondre à son défi et de la déshériter, de l’envoyer en Australie ou au Pôle Nord. Peut-être même de la faire tuer. Qui savait vraiment ? Ce n’était pas comme s’il l’aimait avec une passion dévorante, ce n’était pas comme si elle représentait quoique ce soit de plus qu’un outil ou un placement. Kim n’arrivait plus à lui trouver des excuses, et elle était fatiguée de chercher une manière de concilier ses actions avec un quelconque amour pour elle. L’équation était tout simplement impossible. S’il l’aimait, il serait venu à l’hôpital, dès le premier jour ; s’il l’aimait, il serait rentré à Noël ; s’il l’aimait, il lui dirait qu’elle devait épouser quelqu’un qui la traiterait bien. Alors puisqu’il ne l’aimait pas, si elle commençait à ne plus répondre à ses commandements, si elle commençait à n’en faire qu’à sa tête, qu’allait-il faire ? 

Kim avait toujours été terrorisée par eux, par son père et par sa mère. Elle les avait vus se déchirer depuis trop longtemps pour douter de leur cruauté. Ils formaient un couple impitoyable, et ils se détestaient tous les deux. Entre eux, elle n’était pas grand-chose, presque rien. Elle l’avait toujours su, qu’ils feraient d’elle ce qu’ils voudraient, une chose déformée par leur haine et leur ambition, et elle l’avait acceptée. Mais ils ne pouvait pas la jeter, non, ça, c’était interdit. Pas après tout ça, pas après l’avoir complètement ruinée. 

Elle ne les laisserait pas faire.  

 

“Je vais voir alors, ma fille chérie, comment tu vas faire, finit-il par dire. J’espère que tu es plus douée que ta mère. Ah, ça me fait de la peine de te voir à l’hôpital… on a vraiment fini par être tous malade, dans la famille.

-Je ne suis pas malade. 

-Ah oui, juste un problème de régime, fit-il mine de se rappeler. Au fait, pourquoi la moitié de la mafia de la ville rôdent autour de ta chambre ? C’est pour te protéger ou te surveiller ?”

 

Elle laissa sa question sans réponse, lasse et énervée, elle ne voulait plus parler avec lui. Maintenant qu’ils avaient mis cartes sur table, il ne restait plus qu’à attendre la prochaine partie. 

 

“Garde tes distances avec Roff, lui commanda-t-il. 

-T’occupe pas de Roff. 

-D’accord, je te fais confiance, je sais que tu es intelligente.”

 

Encore du charabia à double tranchant. Intelligente, ah ouais ? Pas suffisamment pour se sortir de ce merdier, en tout cas. A chaque fois qu’elle essayait de régler un problème, la situation ne faisait que s'aggraver. Il allait sortir, lui et sa tenue d’empereur moderne, son long manteau en fourrure, ses chaussures vernies et ses lunettes de soleil, quand il se retourna vers elle une dernière fois.

 

“Au fait, c’est bientôt ton anniversaire… tu veux quoi comme cadeau ?”

 

Elle eut envie de rire mais l’amertume dans sa gorge bloqua tout. Ca faisait des années qu’il ne lui avait pas posé une question aussi absurde, ce n’était pas comme s’il choisissait et achetait ses cadeaux lui-même. Une année sur deux, il n’était même pas là pour les lui offrir en main propre. 

 

“Fais-moi juste un virement.”

 

--

 

Elle retourna à Saint-Paul, le mercredi suivant, et dès ses premiers pas, elle sentait qu’on la regardait, d’une façon encore différente de celle qui avait suivi la mort de Rémi. Un mélange de pitié et de suspicion décorait les regards de ses camarades, et il semblait que même ceux dont elle ne reconnaissait pas le visage savaient tout de sa vie, jusqu’à ses plus sombres secrets. On chuchotait qu’elle avait tenté de se suicider à son tour parce qu’elle ne supportait pas la culpabilité et elle avait survolé très rapidement la page Facebook de Saint-Paul. Il y avait des dizaines de commentaires qui la soupçonnaient d’être à l’origine de la série de suicides, elle était devenue le bouc émissaire en l’espace de quatre jours d’hospitalisation. Les théories les plus abracadabrantes se créaient au fil des status Facebook, et certains publiaient des photos d’elle quittant le commissariat, des photos dont elle-même ignorait l’existence. Toute cette histoire devenait une absolue folie et on la poussait de tous les côtés pour qu’elle reste bloquée dans l'œil de la tornade. Cash et Martin avaient signalé tous les commentaires, et tous les statuts pour qu’ils se fassent supprimer par Facebook, Et Emi la défendait sur les réseaux sociaux, mais c’était un combat perdu d’avance. 

Kim s’était contenté de supprimer l’application Facebook de son téléphone, c’était encore le mieux à faire. Ils pouvaient s’acharner sur un courant d’air et lapider un fantôme, qu’ils s’amusent, elle ne ferait pas attention à leurs pierres. Le petit jeu du harcèlement et de l’intimidation, elle était une habituée. Ces gens ne la connaissaient pas, ils ne l’avaient jamais vu sans son masque. Ce n’était sûrement pas en la traitant de meurtrière qu’il pourrait la blesser. C’était seulement affligeant de constater qu’après avoir fait endurer ce type de traitement à Estelle et avoir pleuré sa triste mort, ils recommençaient de plus belle deux mois plus tard. 

Ceci dit, elle attendait patiemment que l’un d’eux ose lui tenir un tel discours de vive voix. Ce serait une occasion en or pour elle de se défouler. Malheureusement, la lâcheté était assez commune quand il s’agissait des petits commentateurs méchants du web. Leurs langues de vipère avaient besoin d’être connectées à un clavier pour fonctionner correctement, et lâcher leur venin numérisé. 

La troisième heure du mercredi était Marketing et Kim ne suivit pas le cours aussi assidûment qu’à son habitude. Sanders, en bas de l’amphithéâtre menait son cours avec ses grands discours et ses quelques mots clés qu’il notait en capital sur le tableau à craie. Rien qui ne sortait de l’ordinaire mais Kim observait ses moindres faits et gestes, les expressions de son visage et tentait de décoder tous ses mots. Pour Kim,  Sanders n’avait jamais été un prof exceptionnel. Certes, il était bon pédagogue mais il était clairement un ancien hippy, et il exprimait bien trop ses afflictions personnelles pour rester objectif sur les sujets commerciaux. Ce boulot ne lui allait pas, c’était même absurde mais Kim ne pouvait pas juger, elle passait sa vie à faire ce qu’elle détestait. Et elle n’avait pas vraiment de principes. Mais Sanders l’avait sauvée. Roff avait dit que ça avait été un miracle, et c’était exactement ça. Un miracle. Dénué de sens et de logique. Quelle était la probabilité pour qu’un prof de Marketing soit à la piscine de son école à 3h du matin, la nuit du vendredi au samedi, pile poil au moment où l’une de ses élèves faisait un malaise en nageant ? 

Ca ne servait à rien de le calculer, Kim avait plus de chance d’avoir un accident de voiture en rentrant, ce soir. Et Kim ne croyait pas en la chance. Usant de ses grands talents de détective, Denis avait réussi à lui dénicher quelques infos. Bill Sanders, quarante-deux ans et divorcé, avait un fils de seize ans pour qui il avait la garde alternée. Il semblait en assez bons termes avec son ex-femme. Denis n’avait pas réussi à trouver le nom de l’école de son fils, peut-être parce qu’il prenait des cours à domicile. Kim avait demandé à Denis de creuser cette histoire. Personne dans l’école ne savait qu’il était divorcé, pour la simple et bonne raison qu’il portait toujours son alliance, ce qui laissait supposer qu’il n’avait pas été celui qui avait désiré divorcer. 

 

“Si vous savez draguer, alors, vous savez vendre, disait-il plus bas avec son air de Socrate qui apprend à ses disciples. Le commerce, c’est exactement comme la drague. C’est à qui donnera le plus envie, à qui aura la meilleure offre, et à qui saura résister. A votre avis, quel est le meilleur dragueur parmi vous ? 

-Je pense qu’on le sait tous,” se targa Roff.

 

Il s’était placé juste à côté d’elle, parce qu’il s’était mis en tête de la babysitter jusqu’à ce qu’elle prenne au moins cinq kilos, et il avait déjà réussi à lui faire manger une barre-céréale, à la pause. Mais elle était du même coup aux premières loges de ses numéros de clown.  

Ca fit rire presque tout le monde dans l’amphi, mise à part elle et d’autres blasés cyniques, et des élèves objectèrent pour se disputer la couronne du roi de la drague. Durant ce petit moment dissipé, les yeux de Sanders croisèrent ceux de Kim. Il savait qu’elle l’observait. 

Mais quoi de plus normal que de s’intéresser à son sauveur ? 

 

--

 

Un bouquet de lilas rose perdait ses petites fleurs parfumées sur la surface en bois du bureau de Sanders. Le lilas, c’était la signature de Véronica Termentier. Un joli symbole, printanier et féminin, qui faisait sourire le beau monde. Les connaissances de Véronica adoraient recevoir son lilas, ils trouvaient ça poétique et ça embaumait le salon. Du lilas rose et violet, au bout des tiges coupées, tout ça enrubannée, pour un mariage, une naissance ou même une mort. Kim ne savait pas comment ils l’interprêtaient, peut-être comme une marque de soutien, ou comme des félicitations. Personne ne la connaissait vraiment bien, Véronica. Elle était juste la femme magnifique de Robert Termentier qui ne lui avait fait qu’un enfant -Pourquoi ? se demandait-on, alors qu’elle semblait en bonne santé. Peut-être était-ce Robert qui avait un souci -il grimaçait beaucoup et avalait toujours un tas de médicaments-, ou peut-être qu’il y avait de l’eau dans le gaz… après tout, ils n’étaient jamais très longtemps au même endroit au même moment. Ce n’était pas bien compliqué de faire un enfant mais ça ne se faisait pas tout seul non plus. 

Kim entendait les messes-basses durant les petites sauteries huppées. Pauvre gosse, disait-on, c’est à peine si elle voit sa mère ou son père… élevée par Dieu sait qui… ah, pauvre gosse, elle finira mal. Kim ne pouvait pas leur en vouloir, elle préférerait juste qu’ils parlent moins fort. 

Elle toucha les pétales roses du bout des doigts. Si les autres ne recevaient de Véronica que du rose, Kim ne recevait que du blanc. Du lilas blanc, à chacune des baisses des notes scolaires que les professeurs relevaient, à chaque compétition de natation où elle n’arrivait pas première, à chaque dispute avec Rémi qui faisait un peu trop de bruit, du blanc pour qu’elle comprenne qu’elle ne méritait pas le rose. Pourquoi le blanc ? Kim n’en savait rien, elle supposait que c’était simplement un code couleur. Le lilas ne pouvait qu’être rose ou blanc. Le rose, c’était bien, et le blanc… ah, le blanc mécontent, le blanc décevant, le blanc… Kim devrait détester le blanc, après tout ce temps à recevoir des bouquets d’échec. Le blanc n’allait qu’aux gagnants, à ceux qui étaient propres et qui savaient éviter les tâches. Kim était une fille de riche, elle devrait pouvoir se permettre le blanc. 

Oui, Kim devrait vraiment détester le blanc, entre le Lilas, le mariage et l’hôpital, mais ça restait une jolie couleur. Quand Kim recevait un de ces bouquets immaculés, elle brûlait les pétales au briquet. C’était comme éclater du papier-bulle, ça la calmait, elle fixait les pétales qui se ratatinaient et qui partaient en fumée. C’était un peu sa façon de se rebeller, de mettre le feu aux remontrances de sa mère. 

C’était seulement quand elle s’était réveillée à l’hôpital, ce samedi, et qu’elle avait vu le bouquet blanc qu’elle avait compris qu’elle était piégée. On ne trouvait pas facilement de briquet à l’hosto. Alors, le bouquet avait fané juste à côté d’elle, les fleurs étaient déjà mortes, bien sûr, mais elle n’avait pas changé l’eau. Elle avait au moins eu l’impression de les assoiffer. Même faire un malaise, c’était un échec, même frôler la mort, ça valait du blanc. Kim avait jeté les fleurs par la fenêtre, au bout du deuxième jour. Le docteur qui s’occupait de son cas répétait sans cesse qu’il fallait qu’elle se détende, qu’elle était trop stressée, qu’elle était même en dépression, qu’elle finirait par être bouffée de l’intérieur à cause de ce maudit stress et qu’il ne resterait plus que son squelette aux ossements acides. Mais ces médecins ne comprenaient pas ; comment voulaient-ils que tout ce stress s’évapore ? Où voulaient-ils qu’elle s’en débarasse ? Ce n’était pas comme s’il y avait une grosse station d’épuration pour le stress. Et tout était blanc, dans ce maudit hôpital, tout lui rappelait les déceptions de sa mère. Comme elle ne pouvait pas repeindre l’hôpital, elle avait jeté le lilas. 

Tout ça était si absurde. Ce n’était pas comme ça qu’elle allait s’en sortir, mais elle ne savait plus comment faire. Le cauchemar gagnait en profondeur de jour en jour, alors, évidemment qu’elle était stressée. La veille, elle était au commissariat, et le lendemain, elle était à l’hôpital, et entre deux, elle se torturait l’esprit pour trouver comment faire. Il lui fallait une idée, un plan de destruction massive, et elle tournait en rond, elle se battait contre des ombres. Cette histoire de suicides à répétition n’avait aucun sens et on lui posait des questions sur un ton d’accusation, elle savait bien qu’on voulait lui faire admettre qu’elle les avait tous tués. Mais elle allait tous les tuer, oui, elle allait tous les tuer s’ils continuaient. S’il fallait qu’elle paye le prix fort, autant qu’elle en prenne pour cher.

 

“Vous remercierez votre mère pour les fleurs,” dit alors Sanders.

 

Elle sursauta presque tout en redressant le regard sur le prof de Marketing. Ca y est, elle devenait folle. A la fin du cours, elle s’était arrêté volontairement devant le bureau pour parler à son sauveur alors qu’il effaçait le bureau mais elle ne l’avait même pas vu se retourner. 

 

Et la porte était fermée. Elle n’avait vu personne la fermer. Peut-être devrait-elle prendre les anti-dépresseurs que le docteur lui avait prescrit. 

 

“Je n’y manquerai pas, mentit-elle. 

-Vous avez des questions concernant le cours ? Vous me sembliez distraite…

-Désolée, fit-elle. Récemment, ma vie est un peu… compliquée.”

 

Sanders eut un tressaillement au niveau du menton. Mais ce n’était pas que ça, il était agité. Il tenait encore la brosse du tableau dans sa main, et il en faisait n’importe quoi, tant et si bien qu’il mettait de la craie partout sur son pantalon et son gilet. Une stressée reconnaissait un compère. 

 

“Vous vous êtes bien remise.”

 

Ce n’était pas une question, juste une affirmation lancée sur la défensive. Kim ne l’avait pourtant pas ouvertement accusée de quoique ce soit mais quelqu’un qui se sentait coupable savait lire les petits signes. Ça devenait quasiment instinctif. Un sourire reconnaissant se dessina sur les lèvres de Kim.

 

“Grâce à vous, Monsieur. C’était un véritable miracle que vous soyiez là pour me sortir de l’eau à temps. Sans vous, je serais morte.”

 

Kim ignorait elle-même si la sincérité dans sa voix était purement factice ou si elle était au moins en partie réelle. Elle ne ressentait plus qu’un immense nœud d’émotions indissociable qui gesticulait dans son ventre. 

 

“Je ne sais pas comment vous remercier… et comme vous n’êtes pas venu me voir à l’hôpital…

-Je préférais vous laisser vous reposer. Et… enfin, Kimberly, vous n’avez pas à me remercier, assura-t-il. Tout le monde aurait fait la même chose.

-Non, je ne pense pas. Beaucoup de gens meurent en pleine rue sans que personne ne fasse rien pour eux… mais vous êtes différent, pas vrai ? 

-Je ne sais pas si je suis...

-Vous étiez le prof préféré d’Estelle.”

 

Ce ne fut pas seulement qu’il tiqua, il se figea complètement et la regarda comme une biche prise par la lumière des phares. Kim ressentit une pointe de culpabilité pour traiter ainsi son sauveur. Mais c’était un monde impitoyable dans lequel elle vivait. Il ne lui avait fallu qu’à peine une heure pour qu’elle commence à le suspecter. Mais c’était sa faute. S’il faisait quelque chose de mal, il n’aurait pas dû la sauver. 

 

“Estelle n’aurait pas aimé un prof qui laisse mourir ses élèves.”

 

Les larmes montèrent aux yeux de Sanders sans qu’aucune ne déborde. Quelles larmes bien élevées.

 

“Peut-être que c’est elle qui vous a prévenu, peut-être qu’elle en a marre… que tant d’élèves de sa classe meurent.

-Ne dis pas des choses comme ça !”

 

Sa voix claqua comme un fouet, se réverbérant dans tout l’amphi. Cette fois-ci, Kim ne sursauta pas. Elle attendait ce genre de réactions. Mais elle voulait savoir comment il aurait pu être là, pile poil quand elle se noyait. Si ce n’était pas par l’appel d’Estelle, peut-être celui d’un autre fantôme ? Clara ou… Rémi ? Cette seule pensée pouvait la faire rire aux larmes mais Sanders était toujours devant elle, tendu comme un arc, le regard enflammé par la rage. Elle voulait lui faire cracher le morceau. Qu’il lui dise qu’il était là pour faire un graffiti sur le mur, ou parce qu’il était un pervers qui matait ses élèves en maillot de bain, mais qu’il lui dise pourquoi il était là ! Seulement, elle n’était pas flic. Mandat ou pas, une élève ne questionne pas son professeur. Et elle n’était pas armée, ne savait même pas se défendre physiquement. Quant à Sanders, elle ne savait pas qui il était. A part, un homme divorcé, et le prof préféré d’une morte par suicide. 

 

“D’accord, fit-elle en souriant. J’ai juste eu de la chance, alors.”

 

Elle partit, le laissant en paix,  mais juste avant de quitter l’amphi, elle se retourna pour le regarder une dernière fois et il s’était appuyé sur son bureau des deux mains, comme épuisé, il tremblait. Mais que pouvait-elle bien dire ? Elle tremblait elle aussi.

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