Chapitre XV

Par Fidelis

Le lendemain au tribunal, à la surprise générale, Bladaste acquitta l’accusé et s’appuya sur la présomption d’innocence, pour justifier sa décision. Le coup de marteau final laissa tout d’abord la salle sans voix. Elle assimilait avec difficulté le nouveau langage du magistrat, avant que cela ne fuse de toutes parts.

Certains pensaient à des témoins restés dans l’ombre.

— C’est qui ces deux-là, présomption et innocent quelqu’un les connaît ?

Ou encore

— Le pape c’est intéressé à nous c’est un miracle !

Et surtout

— Pourquoi il est acquitté c’est pas juste, on voulait un condamné !

Toutes les personnes c’étaient levées, la frénésie s’empara de la foule, épaules contre épaules, les gens s’agitaient. Le juge ne manqua pas de faire preuve d’autorité et continua à taper avec son marteau en gueulant pour couvrir l’incompréhension bruyante de la populace.

— JE DEMANDE À LA SALLE DE SE CALMER !

Déclaration absurde, à part si l’on tient à créer l’effet inverse.

Épiphyte qui observait dans un coin se souvint de son intervention un jour dans une église et il fut étonné de voir que cela fonctionnait de façon identique dans un tribunal.

Rapidement, des bagarres éclatèrent à différents endroits, la foule s’écharpait sans retenue. Un pugilat en bonne et due forme s’organisa, signe révélateur que la population assimilait un nouveau concept. Sa manière à elle d’apprendre se dit Épiphyte qui marchait à quatre pattes pour s’extraire de l’édifice sans les déranger.

Il eut aussi une pensée de compassion pour son ami Bladaste qui, même s’il possédait une nature très comparable à ses administrés, devait faire preuve d’une patience sans limites pour les côtoyer.

La performance du tribunal fut soulignée dans toutes les gargotes de la province, quatre blessés ne représentaient pas un mauvais score pour faire naître une nouvelle idée.

Bladaste ressortit de l’incident comme l’homme de la situation pour les diriger et devint le conseiller privilégié du Comte, et surtout de ses finances. Un argentier devait savoir compter, et ça, Bladaste maîtrisait. Il n’avait plus de raison de passer pour demander l’aide de son ami, même s’il ne manquait pas l’occasion de venir le saluer quand il se trouvait au village.

Épiphyte préféra quitter la tâche de scribe avec la rente qui l’accompagnait. Il n’en avait pas de réel besoin, et estimait avoir assez mis de côté au cours de cette période. En vérité, il était même satisfait de s’en retourner à ses champs qu’il avait pendant un temps négligé.

Un soir cependant Bladaste revint, pour le lui rappeler en mémoire un autre souvenir, plus ancien celui-là. Il était passé pour le saluer, et devant la cheminée, lui décrivait tout en mimant sa rencontre avec la famille du comte, et à quel point il avait brillé, pour finir par se rendre indispensable. Épiphyte, assis dans un fauteuil, écoutaient les anecdotes de son ami qui le ravissait par son éloquence naturelle.

Puis au milieu du récit, il cessa son histoire et se tourna vers lui comme s’il se remémorait quelque chose d’important.

— Pardon, je viens de songer à un incident récent, qui s’est produit dans la province dont on m’a fait part, peut être pourrais-tu m’aider.

Le jeune homme haussa les épaules.

— Avec plaisir si c’est dans mes cordes, de quoi s’agit-il ?

Ce dernier se doutait bien qu’il ne voulait pas abolir la peine de mort, puis remarqua le visage tout d’un coup sérieux de son ami.

— Oui, écoute ça, dans un village non loin d’ici, sont apparus dans un champ prêt à être récolté, des cercles au milieu des végétaux, couchés pour former un dessin.

Il s’arrêta un instant pour créer un silence, leurs regards se croisèrent et Épiphyte se rappela avoir évoqué le sujet, sans être entré dans les détails.

— Tu te doutes de l’effet que cela peut engendrer sur la population. Ça parle déjà de sorcellerie et de malédiction, et je me suis souvenu que tu m’avais fait part d’une expérience un peu similaire, pourrais-tu m’en dire plus à ce sujet ?

Ce fut comme une gifle pour Épiphyte, qui avait rangé tout cela bien au fond de sa mémoire. Lola, cette nuit étrange et surtout cet air de flûte qui lui revint sur le bout des lèvres.

Il gigota sur son siège mal à l’aise.

— Des cercles céréaliers dis-tu ? Oui, mais ça remonte et je n’en sais guère plus que toi. Ils étaient apparus pendant la période nocturne et personne n’en connaissait l’origine.

Il prit bien garde de ne pas évoquer Lola, même à son ami comme si quelque chose lui intimait de rester discret à ce sujet.

— Mais attends, j’ai un souvenir qui me revient même si je ne suis pas certain que cela est une relation.

— Dit toujours les membres du conseil sont nerveux, je suis preneur.

Il oscilla de la tête, avant de continuer.

— J’avais pu discuter avec les paysans concernés. L’un d’eux m’avait montré une chemise de nuit blanche pour dame, longue tu vois, qui tombe sur les genoux, à tout hasard, il n’en traînait pas une dans le champ ?

Il estima que ça ne coûtait rien de lui en parler, ça pourrait même lui confirmer le retour de Lola.

Peine perdue.

— Non rien aucun habit sur place, mais ceux qui les ont trouvés l’ont peut-être retiré en pensant que ça n’avait pas de relation. Le Comte est préoccupé par cette affaire, si quelque chose te revient, n’hésite pas à m’en informer, ça soulagerait tout le monde.

Il termina son godet, le visage soucieux, comme s’il avait deviné que son ami ne lui disait pas tout.

Le jeune homme se leva, ils échangèrent une accolade avant de le raccompagner.

Après avoir refermé la porte, il se mit à siffloter une mélodie, un air de flûte. Des questions se bousculaient dans sa tête, s’agissait-il de Lola, et pourquoi se sentait-il troublé à l’évoquer alors qu’il ne se souvenait de rien. Il avait le sentiment diffus qu’une autre vérité se cacher derrière tout cela, et ne put s’empêcher de songer, même de manière furtive que c’était lui qu’elle cherchait.

Puis il finit par hausser les épaules, établir un raccourci entre les cercles et Lola ne reposait sur rien. Il conclut être l’heure d’aller se coucher, sans prêter la moindre attention au regard du chat qui l’observait à travers la fenêtre.

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Plume de Poney
Posté le 12/03/2025
Tu as raison, on n'a jamais assez de Crop Circle dans une bonne histoire.

Il est définitivement maudit le Acelin, peu importe ce qu'il fait, l'occulte vient s'occuper de lui.
C'est sympa au fait la référence au Pape Innocent (il y en a eu quelques uns) avec la présomption d'innocence.
Fidelis
Posté le 12/03/2025
Surtout à la renaissance, c'est pas courant.

Il a un côté paratonnerre le garçon, et oui c'est marrant, un ami à lui se fait l'exacte réflexion un peu plus loin dans le récit, mais après l'âme du guerrier.
Mais, pour l'instant, on se rapproche tout doucement de ce fameux manoir et de chat bien curieux.
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