Chapitre XV, Redonnez-le-moi, prenez-moi à sa place si vous voulez vraiment une âme à détruire

Notes de l’auteur : TW : Alcool

Hold my hand - Lady Gaga

Léna

 Je crois que la pire des sensations est de se sentir détacher de son corps. De voir le monde mais de ne pas le comprendre. Comme si notre corps était là, qu'il gérait ou non, mais que notre cerveau disait au reste de l'univers d'aller se faire foutre. Lui dire qu'on n'était pas apte à affronter des choses anodines parce que la blessure était trop vive pour qu'on puisse se concentrer sur quelque chose d'autre qu'à notre reconstruction.

 Je suis dans cette soirée, ça bouge, ça joue, ça boit, ça oublie le quotidien et je me sens seule. Je me sens terriblement seule. La solitude m'étrangle. Me prend à la gorge et m'étouffe. Je manque d'air. Je ne bois pas, peu. Je n'aime pas cette optique de ne plus maitriser ses moyens. Mon cerveau endommagé le fait déjà assez comme ça et puis même si j'aimerais me défoncer l'esprit pour éviter de penser, la descente ne sera que plus horrible. Comment je le sais ? Parce qu'un cerveau anesthésié de souvenirs et de pensées n'est plus que douloureux quand il revient en force. C'est le système même du deuil. Quand tu apprends une mauvaise nouvelle. Une perte amicale ou sentimentale, que sais-je ? Que ce soit une mort ou non. Fin si, la mort d'une relation ou d'une personne tout court. Et bah au début tu ne réalises pas. Ton cerveau se shoot pour t'empêcher de sombrer, comme quand tu t'enfiles une boite de médoc, une bouteille de scotch ou des drogues multiples et variées. Quoi qu'il en soit, tu ne captes plus rien. Mais dès que ce qui te sert de conscience décide que tu es un peu plus fort, un peu plus solide pour encaisser ce que tu fuis, et bah là bonne chance. Il te rebalance tout en dix fois, cent fois pire même. Histoire de bien morfler au passage. Et la chute, lorsque les effets des drogues se dissipent, est tellement puissante que tu as l'impression d'y laisser ta peau et de mourir. À ton tour. Comment je le sais ? Parce que je vis ce putain de deuil et cette putain de redescente en ce moment même. Putain je donnerais n'importe quoi pour qu'il revienne, ma propre vie s'il fallait.
 On me bouscule, les corps transpirants me poussent comme s'ils me demandaient de m'amuser. Je souris, comme je peux. Oui, oui, les amis je m'amuse. Regardez-moi lever mes mains. Regardez-moi sauter sur place. Regardez-moi m'amuser. Quoi ? L'illusion n'est pas parfaite ? Normal, ce n'était pas le but. Ou peut-être que si ? Je ne m'en souviens plus.
 Je m'excuse, je m'éloigne. Je veux aller aux toilettes. Oui ne t'inquiète pas, j'ai besoin de personne, c'est juste à côté. Non, je ne tarderai pas. Oui, oui, à tout à l'heure. Je me détourne, je soupire. Enfin. Je suis soulagé de m'éloigner. Je me faufile dans la foule dans le but d'aller dans ces sanitaires qui me tendent les bras comme des sauveurs. Un homme me regarde, je le vois. Il voit que je m'éloigne de mes amies. Il arrive, m'accoste.

— Eh ma belle, je t'offre un verre ?

— Vas-y et mets-y un peu d'Enfers histoire qu'on s'y rejoigne tous les deux.

 Je crie ma réponse pour qu'il m'entende avec les basses qui m'éclatent les tympans mais mon ironie ne lui échappe pas. Au lieu de s'offusquer, il me tend sa main.

— Salut la brisée, je suis Tony.

— Salut le malade, je suis Léna.

— Salut Léna. Je t'offre un verre du coup ?

— Je préfère aller pleurer dans les toilettes mais si t'es toujours là quand je sors, pourquoi pas ?

— On fait comme ça.

 Je m'éloigne rapidement. Je ne l'aime pas. Lui et son regard. Je ne suis pas un putain de livre ouvert, si ? J'ouvre la porte des toilettes et rentre dedans en grillant la place d'une fille. Elle veut pester mais quand elle voit mes yeux rougies, elle me laisse faire.

— Venez les filles, on reviendra plus tard.

 Elle m'adresse un joli sourire et me murmure quelques paroles réconfortantes.

— Viens me voir si tu as besoin, je serai au bar.

 Je la remercie et m'enferme. Qu'est-ce qui se passe pour que je rencontre que des gens qui s'inquiètent autant que ça ? En même temps, à peine détourné des personnes qui comptent le plus pour moi, j'ai fais tomber mes défenses. Tu m'étonnes qu'ils prennent pitiés de moi.

 Je m'assieds sur le siège puis par terre. Je n'ose pas penser à mon jean qui reviendra tout sali. Je laisse libre cours à mes larmes et mes sanglots bloquent ma gorge, sans m'étouffer. Je remercie Mathilde de m'avoir laissé prendre son mascara qui ne coule pas, je n'aurais pas donné cher de mon apparence sinon. Je ne crois pas que mon état pitoyable ait duré bien longtemps parce qu'aux premiers coups sur la porte j'ai séché mes larmes et je suis sortie.
 Aucunes des filles n'ont dit quelque chose, comme si un pacte s'était formé entre elles pour ne pas me poser de questions. Je sors de la petite pièce comme une ombre.

— Alors ma belle, qu'est-ce qui te tracasse ?

 Je ne peux empêcher mes yeux de tourner dans leurs orbites, pensant que c'était le garçon qui m'avait abordé. En me retournant, je vis surtout la jeune femme qui m'avait accostée, je n'avais pas reconnu sa voix.
 Elle était adossée contre le mur attenant à l'entrée des toilettes. Le plus surprenant c'est qu'un rire traversa mes lèvres. Mes mains se plaquèrent directement sur ma bouche, tant j'étais surprise.

— Bon, je vois que ce n'est pas la grande forme. Tu veux échapper à quoi ? Quelqu'un qui est ici ?

— Non, heureusement. Mais c'est plus compliqué à fuir.

— Tes pensées ?

— Malheureusement.

 Elle grimaça. À mon avis elle était mal en point, elle aussi.

— Ça me rebute de te proposer un verre parce que ce n'est pas la solution.

— Mais ça te dérangerait de m'en faire un quand même ? S'il te plait ?

 J'avais remarqué son insigne, elle était barman. Julie, de son prénom.

— Qu'est-ce qui te ferait plaisir ?

— Un demi-pêche, tu as ?

— Je peux te trouver ça. Suis-moi.

 Elle commence à se faufiler dans la foule, je me dépêche de la suivre pour ne pas la perdre des yeux. En arrivant vers le bar, je prends mon téléphone et le déverrouille. Je tapote doucement sur l'écran.

— Je reviens dans cinq minutes, je bois un verre.

— Besoin de nous ?

— Non t'inquiète, je suis vers le bar, je suis safe.

— Appelle-moi si besoin.

— Juré.

 Je le place, écran sur le bar, cherchant Julie des yeux.

— Oh rebonjour toi !

— Oo Tony, heureuse de te voir.

 Mon ironie toujours bien en place, il ne se vexe pas et ne se dépêtre pas de son sourire.

— Ooooh Julie !

— Salut Tony, comment tu vas beau-gosse ?

 Le jeune homme se hissa sur le bar et se pencha pour embrasser la jeune femme sur les deux joues. Évidemment, il avait fallut que les deux personnes qui se sont inquiétées pour moi soient amis.

— Ça va et toi ma jolie ?

— Comme un charme et comme tu le vois j'ai recueilli une jolie fleur des bois.

— Des boites ouais.

 Je prends doucement le verre qu'elle me tend et fait rouler la bière grâce aux mouvements de mon poignet. Je sentais leurs regards sur moi. Je ne comprenais pas pourquoi ma froideur ne les rebutaient pas. Je vis leurs épaules se hausser avec indifférence.

— Je l'ai vu tout à l'heure aussi.

 Ils parlaient de choses et d'autres, je n'en saisissais pas grand-chose. J'étais de nouveau dans mon flou perpétuel. Mes yeux se noyaient dans le nectar qui me tendait les bras. La mousse roulait lentement, comme des vagues envoutantes. Quand je disais que la rechute était presque mortelle, je n'avais pas tort. Là, mes souvenirs affluaient. Je me revoyais à cette soirée d'été avec tous mes anciens camarades, là où tout avait commencé. Son baiser, ma bière dans la poussière, nos discussions qui parlaient de nos anciens moments.

— Ton nom c'est Léna, c'est ça ?

 Boom. On m'enlève mon casque anti-bruit. Rose remet le moi comme pour Levi (1), s'il te plait.

— Euh oui, mais je préfère qu'on m'appelle Lé'.

— Okay Lé', est-ce que tu souhaites que j'appelle quelqu'un pour te raccompagner ? Je ne veux pas que ce rustre mette un pied dehors avec toi.

— Attends, tu parles de moi là ?!

 Tony s'offusque mais Julie ne faisait pas attention à lui, ses yeux bien ancré dans les miens.

— Je... J'ai mes amies là-bas.

 Mon doigt était fixe sur la foule, montrant personne en particulier.

— Ça ne me dit pas ce que tu veux. On s'en fout que tes potes soient là-bas, si tu ne te sens pas bien ça ne sert à rien de rester ici à noyer tes problèmes.

— Comme dit Ted Greyson à Ashley Hawkins...

— "Si tes pensées font trop de bruit, noie-les" ?

— Et comme Ashley ma devise ce soir ce sera "mes pensées ont appris à nager".

 Julie m'avait coupé pour compléter mes pensées. Elle aussi, elle lisait The Heart-Beat de AlicedesMerveilless sur Wattpad ? Et beh, que de surprises ce soir.
 En ajoutant le geste à la parole, je soulève mon verre vers mes lèvres sous les yeux surpris de mes deux nouveaux amis.

— Heureuse de voir que tu as de bonnes réf.

— Heureuse de voir que je ne suis pas la seule qui survive grâces aux mots.

 Je lui réponds du tac au tac, après tout, c'est ce que je vis et ce n'est pas avec les mots d'Alice qu'on voit des Bisounours. Si on la lit c'est qu'on a besoin de voir des personnages qui ont les mêmes problèmes que nous, ou pire.
 Julie m'adresse un sourire en coin, je ne comprends pas comment je n'arrive pas à la rebuter. Je n'arrive surtout pas à comprendre comment j'en suis arrivée à vouloir repousser les gens alors que j'adore leur compagnie habituellement. Je vois que Tony commence un mouvement dans ma direction comme pour me caresser le dos mais quand il voit que je me tends, il abandonne l'idée.

— Sinon tu es en quoi Lé' ?

— De ? À l'école tu parles ?

— Ouais.

— Je suis à la fac, en deuxième année de Sociologie. Et vous ?

 Tony siffle un coup, bruit strident étouffé par la musique trop forte.

— Perso, je suis en L3 en école d'art à Paris.

— Oh c'est super cool ! Qu'est-ce que tu fais ici alors ?

— Ce beau garçon à sa famille et ses amis ici.

 Elle lui tape légèrement le torse et je compris directement qu'elle s'incluait dans l'équation.

— Ah d'accord, et toi Julie ?

— Moi ?

 Elle pointe un doigt en sa direction avant de balayer l'air d'un léger mouvement du poignet.

— J'ai arrêté les études pour un an, je travaille ici pour me faire un peu d'argent avant de changer de branche.
 

— Tu voudrais partir dans quoi ?

 Ses épaules se haussèrent encore une fois.

— En esthétique ou chez les flics, je ne sais pas encore.

— Y'a pas plus différent.

 Son rire me donna un léger frisson, il était si doux.

— Ça ne serait pas drôle si c'était si simple.

 La soirée s'étend en longueur et je ne rejoins pas mes amies qui dansent à en perdre haleine. Elles m'ont rejoint à un moment, remarquant mes nouveaux compagnons. Je ne sais pas comment, mais j'ai réussi à les rassurer suffisamment pour qu'elles retournent danser sans penser à moi. Elles se préoccupent trop de ma personne et je déteste ça, j'ai accepté cette soirée pour qu'elles décompressent enfin des soucis que je leur apporte.
 Mon nouvel ami discutait avec moi pendant que Julie vaguait à ses commandes avant de revenir nous voir dès qu'elle pouvait.

 

 

 Deux heures. L'heure de la fermeture. Tony est toujours là, lui aussi.

— On y va Lé' ? On ne va pas au Bev' hein ?

— Jamais d'la vie, on rentre.

 Y aller et avoir un risque de se faire piquer ? Non merci.

 Je commence à me lever de mon siège mais je sens une main sur la mienne, ce qui me fait me retourner comme un fil tendu.

— Du calme ma belle, je voulais juste te donner ça.

 Elle me tend un papier plié et me le fourre dans la main sans m'en laisser le choix. Elle serre légèrement la main avec un petit sourire adorable que j'essaie de lui rendre.

— Je peux ?

 Tony s'approche doucement de moi, timide, pour me saluer. Je m'approche pour lui faire la bise, je ne vais pas être exécrable jusqu'au bout.

— Prends soin de toi Lé', dit-il.

— Retrouve le sourire, ma belle.

— On va essayer.

 J'essaie de leur sourire à nouveau avant de les laisser pour rejoindre mes copines. Le numéro de Julie dans la main.

 

 

(1) Référence aux personnages de L'as de cœur de Morgane Moncomble.

 

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Iris d'Esten
Posté le 28/04/2023
Un chapitre déconcertant !
Une ambiance très différente et des nouveaux personnages intriguant !
Les descriptions sont plus précises et on rentre mieux dans la tête de Léna.

"La soirée s'étend en longueur et je ne rejoins pas mes amies qui dansent à en perdre haleine. Elles m'ont rejoint à un moment, remarquant mes nouveaux compagnons. Je ne sais pas comment, mais j'ai réussi à les rassurer suffisamment pour qu'elles retournent danser sans penser à moi."

Ce passage est un peu maladroit, elle dit qu'elles ne le la rejoigne pas et après un peu comme même. Peut-être le tourner autrement.

Sinon une suite intéressante !
UneXtoile
Posté le 28/04/2023
Merci beaucoup à toi, tu as sans doute raison pour les modifications a apporter

Merci <333
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