Point de vue : lui
Je ne sais pas quoi faire. Attendre ici, immobile, attendant que le temps qui passe devant moi. Peut-être flâner encore un peu en ville. Ou rentrer à la maison, m'allonger sur le canapé pour me reposer. Indécis, je prends mon carnet de dessin. Mme Hawthorn m'a toujours conseillé d'en avoir un sous la main, en plus de mon cahier d'écriture. Pour pouvoir exorciser ce que « j'ai dans la tête avant que ça ne me ronge l'esprit », comme elle dit. D'un côté, ça me rassure de les avoir sur moi. Mais de l'autre, je suis incapable de le feuilleter pour revenir en arrière. Voir ce que j'ai fait auparavant m'effraie. J'ai peur de tomber une fois de plus dans des idées noires. Je sais que mes pensées sont souvent sordides. Elles me terrorisent parfois.
Je me retrouve face à la feuille blanche de mon carnet. Je ne sais pas quoi dessiner, quoi gribouiller. Je cherche une quelconque image dans le bazar de mes pensées. Beaucoup de choses se mélangent, c'est compliqué de faire le tri. J'esquisse sans trop réfléchir. Pas de but précis, rien de défini. Je termine avec les derniers traits. Je regarde, ça me choque. Je suis comme heurté par le réalisme de mon esquisse. Ma journée remonte à la surface. L'accident, les voitures explosées en mille morceaux, les corps inertes et meurtris par les brisures de verres. Lilly, le petit aux lunettes et sa mère cachés, à l'abri de ma voiture. Tous ces détails que j'ai mis. Je me sens tout drôle. De voir la façon dont tout ça a refait surface sans m'en rendre compte. Je ne sais pas comment j'ai pu retenir autant de détails pourtant si infimes.
Je range mon carnet en vitesse dans mon sac que je prends dans la foulée. Je rentre, c'est décidé. J'aurais dû le faire plus tôt, j'aurais évité tout ça. J'avance jusque dans ma chambre. Je déchire la page du carnet sur laquelle j'ai dessiné. Je l'ajoute avec le reste sur le tableau en liège. Je m'arrête un instant, j'observe. Rien à dire. Je n'ai rien à dire. Je ne sais même pas quoi en penser. Est-ce seulement le fruit de mon imagination ? Parce que je pourrais presque en faire une histoire. Peut-être même en bande dessinée. A voir.
Nouvelle notification. Je m'allonge sur mon lit pour ne plus voir le tableau. Un message de Sarah. On se mange une glace ? Je n'en ai pas vraiment envie, j'ai l'esprit ailleurs. Mais je crois que je n'ai pas trop le choix. Elle doit déjà y être depuis un moment, la connaissant. Je ne peux pas la laisser en plan. Puis il y a de grandes chances pour qu'elle vienne me chercher d'elle-même. On se retrouve où ? Elle semble réfléchir à ce qu'elle écrit parce qu'elle met du temps. Je suis en bas de chez toi. Je ne sais pas depuis combien de temps elle m'attend, si elle était cachée ou si je ne l'ai simplement pas vue. J'arrive dans cinq minutes.
Elle est adossée contre le mur de l'immeuble. Je m'approche. On va chez le glacier en haut de la rue. On prend un sorbet chacun avant de s'asseoir sur la terrasse.
« - Andrew, qu'est-ce qui ne tourne pas rond en ce moment ?
- Rien. Je suis juste un peu fatigué. L'enterrement de mamie m'a pas trop perturbé, tu vois. Il me faut un peu de repos, c'est tout.
- Andrew... Je suis convaincue qu'il n'y a pas seulement l'enterrement de ta grand-mère avant-hier. Le malaise que tu as fait hier n'est pas normal. Et puis ce rêve super étrange dont tu m'as parlé n'est pas normal non plus. Je suis quasiment sûre que c'est pas la première fois que ça t'arrive. Andrew, j'ai besoin d'explications. Je ne te laisserais pas continuer dans cet état plus longtemps. Et c'est très loin de m'amuser, crois-moi, mais je ne continuerais pas de faire comme si de rien n'était. »
Je ne sais pas d'où elle sort ça. Je n'ai aucune idée de comment elle a deviné. Le grand mystère... Je ne peux pas tout déballer là, maintenant, tout de suite. C'est tellement inopiné. Trop pour moi. Je me sens tout perdu, un peu abasourdi aussi. Étonné qu'elle m'aie fait venir pour ça. Mais elle veut surtout des infos.
« - T'es pas possible comme fille. T'as vraiment réfléchi à tout. T'étais déjà en bas de chez moi. T'avais tout prévu. Tu fais chier, tu sais. Je pensais qu'on allait juste passer un moment tranquille, ensemble. Et puis, non seulement ça te regarde pas mais en plus j'ai pas envie d'en parler. Merde, tu fais vraiment chier Sarah. Salut ! »
Son visage a changé d'expression en un seul coup. Une once de déception peut-être, je ne sais pas trop. Elle ne me lâchera pas tant que je n'aurais rien dit. Je pars, parce que je veux qu'elle se rende compte que sa manière de faire ne me plaît pas. Heureusement que c'est juste moi, que je lui pardonnerais. Mais je veux qu'elle comprenne que le monde ne lui donnera pas forcément une seconde chance. Elle ne dit rien, elle ne me retient pas parce qu'elle sait que ça ne sert à rien.
Je ne sais pas où je vais mais je continue d'avancer. Je sens les minutes passer, je vois le soleil s'éteindre à petit feu. Mes pas me dirigent de nouveau dans le parc. J'y reste pendant un long moment, le traversant de long en large comme si je voulais en découvrir tous les recoins. Je ne cherche rien de particulier, ça me change les idées.
Tout arrive en même temps, comme un gros coup de massue qui vous atterrit sur la tête sans que vous ne compreniez pourquoi. Je m'assois sur le sol, j'attends un instant. J'écoute ce qui se passe autour de moi, essayant de capter ici et là, les bruits de la nature qui s'endort. Je me relève tout doucement pour me diriger vers le bar d'en face et prendre une bière que j'avale d'un seul coup. Je laisse un pourboire au serveur pour sa gentillesse avant de partir en vitesse.
J'ai eu l'impression au début que Sarah reprochait à Andrew de se sentir mal, ou qu'elle le prenait pour un fou ("qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?"), alors que c'est tout l'inverse. Peut-être aurait-il été plus naturel pour elle de dire "tu tiens le coup ?" avant d'enchaîner sur tout le reste comme tu l'as fait :)
Merci pour cette remarque, ce serait effectivement plus naturel (je note pour la réécriture) !