Chapitre XVIII : La complicité du rire

Par Makara
Notes de l’auteur : Bonjour à tous, voici un petit chapitre qui a émergé lors de la réécriture !

Notes, Carla,

 

Je suis l 'abandonnée de la terre, la recluse du monde… Je suis celle qui ne vit plus qu’à moitié, car ma moitié m’a été enlevée. Je suis déchirée, fragmentée, lacérée, esseulée.

Je suis l’abandonnée de la terre, la recluse du monde. Pantin inanimé, robot désactivé, je ne suis plus qu’une ombre qui erre dans ton sillage.

Une entrave à ta mort, une entrave à ton foyer, une entrave à ta vie.

 

Reviens moi, je t’en prie.

Je me sens inutile car sans toi, je ne vis plus. Je ne suis plus.

 

Il faut que j’arrête. Il faut que j’arrête. Il faut que j’arrète.

Bambi n’est pas revenue depuis la dernière fois. Peut-être perd-t-elle espoir ?

J’ai fait ce qu’il fallait, je t’ai protégé au péril de ma liberté.

Enfin, je l’espère.

 

Maintenant, tu ne pourras que m’aimer. Tu ne pourras pas refuser mon amour.

 

Dans la lumière matinale, tu es si pâle. Le soleil vient éblouir ton visage. J’ai l’impression d’être dans cette chambre depuis des mois alors que ça ne fait qu’une semaine.

 

La petite est réveillée. Son dessin était touchant. Personne ne m’avait jamais dessiné auparavant. Me voir à travers ses yeux, c’était étrange. Comme si on m’avait soudain redonné un visage. Comme si, j’existais vraiment, sans toi.

 

Avec ses couleurs, je ne faisais pas peur. J’avais même l’air avenante.

 

Moi !

 

—  Carla ?

—  Oui ?

—  C’est toi qui as ajouté une couverture sur mon lit ?

—  Oui. Tu tremblais après ton cauchemar.

—  Merci.

—  Ne t’y habitue pas.

—  Je sais, tu n’es pas mon infirmière.

Après un instant de silence, la petite ajouta.

— Arthur ne vient plus ?

— Si, il est un peu comme un moustique, il revient toujours à l’assaut.

Alors que l’enfant se mettait à pouffer, une femme d’âge moyen entra dans la pièce. Carla reconnut la mère d’Halima et tira le rideau qui séparait les deux lits pour leur laisser de l’intimité. Elle hésita à partir puis décida de rester, animé d’une curiosité rare.

Des bribes de paroles mélangeant arabe et français lui parvinrent.

— Habiba, tu vas bien ?

— J’ai envie de rentrer. J’en ai marre d’être là. En plus, tu ne viens qu’une fois par jour et tu ne restes pas longtemps, se plaignit la petite.

— Habiba, j’ai le travail.

Carla entendit des mouvements dans le lit, comme si l’enfant se retournait sans cesse.

— C’est nul. Je veux danser. Je veux rentrer !

En entendant les plaintes d’Halima, Carla se rendit vraiment compte de son âge. Il transparaissait plus facilement dans les dialogues avec sa mère. Tentait-elle d’être plus mature quand elles conversaient ensemble ?

— Où il est baba ? reprit Halima.

— En Safar1.

— Tu mens ! Pourquoi tu mens toujours ?

Un cri de rage sortit du gosier d’Halima et Carla, sans voir ses expressions, eut le cœur serré par sa douleur.

— Je vais parler à la police, menaça la petite.

— Non. Kouli chouia. Pas la police. Tu sais pourquoi. Les papiers.

— Mais…

— Miyet ton frère accident. Baba a juste besoin de temps. Après, il viendra.

Le ton de la mère se faisait plus rude et cassant, souhaitant vraisemblablement mettre fin à l’entêtement de sa fille.

— Tu peux redemander quand je pourrai danser, dis ?

— Non. Tu sais.

— Non, je ne sais pas ! Et d’abord, si je ne peux plus jamais danser, je vais mourir !

— Koulichouia. Ne dis pas ça.

— Tout ça c’est de la faute de Baba.

Halima se mit alors à pleurer, des sanglots lourds, des montagnes d’eaux, ponctués de reniflements.

Alors que les gémissements perduraient, une mélodie fredonnée résonna dans la pièce. La voix veloutée de la mère d’Halima apaisa l’enfant. Carla sentit ses muscles se détendre, son esprit s’évader. Elle eut presque l’impression d’être en sécurité dans ce chant comme s’il se liait à son inconscient, le domptait pour mieux l’étreindre. Les mots ruisselaient d’amour et de tendresse. Comme Carla aurait aimé être bercé ainsi…

Après un moment de silence, la jeune femme entendit la mère de la petite se lever et la porte se refermer en douceur. Elle tira doucement sur le rideau pour apercevoir la petite. Halima était roulée en boule sur son lit, le regard dans le vide.

 

Carla ne pouvait pas la laisser dans cet état : elle n’était pas un monstre. Elle se leva, parcourut l’étage à la recherche de stylos et de feuilles. Si les aides-soignants ou les patients montraient leur surprise quant à sa demande, beaucoup l’aidèrent car elle revint avec de multiples crayons. Elle déposa l’ensemble sur le lit d’Halima.

— Voilà ; ça va te changer les idées. Utilise-les.

Les yeux d’Halima s’écarquillèrent quand elle découvrit le butin. Elle se redressa.

— C’est pour moi ?

— Bah oui.

— Oh ! Il y en a beaucoup ! C’est gentil !

Carla s’empara de sa chaise pour la placer à côté du lit d’Halima.

— Tu dessines avec moi ? s’enquit-elle étonnée.

— Je veux bien dessiner avec toi mais à une seule condition…

— Laquelle ?

— Tu la fer… Tu te tais.

La petite ferma une fermeture éclair imaginaire sur sa bouche et lui dédia un grand sourire. Elle se redressa avec difficulté sur son oreiller et s’empara des feutres que lui tendait la jeune femme. Elle commença ses petites danseuses, avec une immense application. Carla observa un long moment le tracé, les mouvements de mains, les figures qui naissaient à la pointe du feutre puis elle se mit aussi à crayonner.

Elles restèrent silencieuses, concentrées dans le labeur de l’instant.

— Montre ! s’exclama subitement l’enfant.

Carla la regarda, outrée.

— Non.

— Allez ! insista Halima.

Carla le lui tendit avec une grimace. Immédiatement, l’enfant explosa de rire.

— C’est un extraterrestre ?

La jeune femme sourit, pour une fois, c’était un vrai sourire, il n’était pas feint, ni sarcastique. Elle pouvait baisser ses défenses avec Halima, elle ne risquait rien.

— C’est le policier, avoua-t-elle.

— Quoi ? Arthur ? Oh mais le pauvre ! Il est beaucoup plus beau que ça !

Halima entreprit de reprendre le dessin de Carla en respectant la morphologie de l’inspecteur.

Les sourcils froncés, Carla suivait les modifications.

— Non, mais Halima, il n’est pas musclé comme ça, il faut t’acheter des lunettes !

— Mais bien sûr que si ! C’est toi qu’est aveugle ! rétorqua l’enfant avec un haussement d’épaules qui témoignait de l’évidence de la ressemblance.

Avant même que Carla ne comprenne ce qui arrivait ; un rire la saisit. Halima l’imita. Leurs souffrances communes parurent se décomposer, leurs peurs se morceler dans leurs éclats.

Carla oublia durant cet instant que Justin était dans la pièce.

1 En voyage

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haroldthelord
Posté le 25/08/2021
Salut,
C’est un excellent ajout, un peu triste au départ mais tu conclus avec finesse.
Pour le visuel quand t’écris safar1 j’ai cru à une faute de frappe pensant à un safari.
J’ai rien à ajouter bonne continuation.
Makara
Posté le 19/09/2021
Salut Harold ! Merci pour tes remarques ! Je suis ravie que l'ajout te semble excellent :) Je note pour le visuel de safar, je vais voir si je peux changer la police du 1.
A bientôt !
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