Toutes les pensées d’Arthur voltigeaient à présent vers son père. Dès qu’il avait de ses nouvelles, directement ou indirectement, cela faisait remonter de vieux souvenirs, des cicatrices pas bien soignées. En y réfléchissant, il venait de faire un lien entre l’enquête et sa propre famille. Il venait de comprendre son intérêt pour la maladie de Carla.
Sa mère avait perdu la raison à cause de son père. Elle avait été si amoureuse de lui que son départ l’avait brisée, son monde s’était effondré. Ce n’était pas de l’érotomanie, car l’amour était partagé – au moins un temps – mais l’amour l’avait conduite à sa perte.
— Lieutenant, on va passer acheter des cafés, c’est sur la route.
— Oui, oui pas de souci, Charlie.
La jeune femme gara le véhicule sur le bas-côté et Stéphane en profita pour acheter des viennoiseries et les boissons. Il revint un instant plus tard et la voiture reprit sa route. Arthur resta plongé dans ses pensées, dans les parallèles, entre sa vie et l’affaire.
Il allait devoir appeler son frère. Lorsque celui-ci entendrait parler de leur père, il allait certainement faire une crise.
— Lieutenant ? s’enquit Stéphane
— Oui ?
— Vous avez entendu ma question ? demanda son coéquipier en croquant dans son pain au chocolat.
— Non, je suis désolé.
— Vous avez quelqu’un ?
— Pourquoi cette question ?
— Parce que lorsqu’on s’est inquiété pour vous, on a vu que vous n’aviez pas précisé le numéro de la personne à joindre en cas d’incident dans votre dossier, expliqua Charlie avec un petit sourire contrit.
— Non, je n’ai personne en ce moment.
Il n’avait jamais aimé dire cette phrase « n’avoir personne ». Il avait l’impression d’être pris à défaut, que cela sonnait comme un aveu désolant et affligeant, comme si le fait d’avoir quelqu’un était un but dans la vie. L’usage de l’auxiliaire le mettait même mal à l’aise. Il détestait l’idée d’appartenir ou de posséder l’autre. Cela lui rappelait sa mère, incapable de vivre sans son père. Comme si on ne pouvait existait sans quelqu’un. Il connaissait tant de gens en couple qui n’étaient plus personne…
— Pas d’enfant non plus ? questionna Stéphane.
— Non et je n’en veux pas.
— Ah.
L’onomatopée provint simultanément des bouches de ses collègues, quasiment sur la même tonalité teintée de déception.
— Pourquoi ça ?
— Je n’ai pas envie d’imposer à ma progéniture mes mauvais choix.
Ses collègues froncèrent les sourcils.
— Vous êtes un drôle d’oiseau, termina Stéphane en finissant sa deuxième viennoiserie.
Arthur rit de bon cœur.
— C’est possible !
Il reporta la conversation sur la famille de ses collègues pour qu’ils ne continuent pas leurs questions intrusives. Lorsque Charlie se gara sur le parking de l’hôpital, il commençait à pleuvoir.
L’hiver arrivait avec son manteau de plomb, le froid mordait leurs peaux exposées. Le ciel s’enroulait autour d’eux comme une écharpe et les bourrasques s’infiltraient dans leurs anoraks rappelant l’inconfort des chandails. Pour la première fois depuis des mois, Arthur sentit un poids désagréable se poser sur ses épaules et il ne sut l’expliquer.
Il inspecta le parking à la recherche de sa voiture. Elle n’était pas en vue. Ils prirent la direction du hall d’entrée. Charlie tenait son gobelet de café précautionneusement dans les mains pour se réchauffer. La quarantaine passée, elle avait un visage assez doux, des yeux marron et un nez mutin. Elle lui rappelait une petite souris. L’uniforme semblait trop grand pour sa taille et cet effet était renforcé en présence de Stéphane, grand et trapu qui lui, paraissait à l’étroit dans le sien.
Arthur les appréciait de plus en plus, ils avaient la parure des ordinaires. Ils sentaient le banal à plein nez et possédaient un enjouement sincère et plutôt rare comme on en trouve seulement parmi les policiers de province : de ceux qui n’ont à gérer que les chats perdus ou les fugues adolescentes.
— Quand on sera dans la chambre d’hôpital. N’intervenez pas. Quoi qu’il arrive, quoi qu’elle dise. Je gère Carla Cole.
— Très bien, Lieutenant, répondirent-ils quasiment en même temps.
Ils montèrent les escaliers, traversèrent le couloir et pénétrèrent tous trois dans la chambre 204.
Carla jouait tranquillement aux cartes avec Halima. Elle portait son chapeau, ça lui allait bien. Elle semblait détendue, presque heureuse avec un mince sourire aux lèvres. Ell s’entendait donc vraiment bien avec l’enfant.
Ce fut la petite qui l’aperçut en premier. Elle s’exclama immédiatement.
— Arthur ! Bonjour !
Il lui répondit d’un petit signe de main.
Carla posa immédiatement ses cartes et se leva. Ils se dévisagèrent un moment, sans rien dire, immobiles. Arthur tenta d’élucider ce regard noir énigmatique, de comprendre ses futures manigances. Elle était tellement difficile à lire. Un écran de fumée.
— Il vous plaît mon chapeau ? finit-il par demander pour briser le silence malaisant.
Carla porta ses doigts à son couvre-chef avec un sourire.
— Oui, il est assez stylé sur moi.
Elle observa ses collègues d’un œil suspicieux.
— On vous a donné des toutous ?
— Faites gaffe, ils mordent.
Stéphane s’étouffa avec son café et Charlie le regarda d’un air ahuri. Carla émit un sourire narquois et s’avança lentement vers lui. Il eut le temps de noter qu’elle s’était changée. Elle portait un nouveau pull à col roulé, vert, et un pantalon sombre, toujours à patte d’éléphant.
Ils se retrouvèrent l’un en face de l’autre. Ses prunelles étaient des puits sans fond. Il était vraiment facile de s’y perdre.
— Ça vous a rien fait de m’abandonner à mon triste sort ? s’enquit-il.
— Bah, vous êtes un grand garçon. Je savais que vous alliez survivre. Vous avez la tête dure.
— Heureusement…
— Vous êtes là pour m’arrêter ?
Arthur souleva son chapeau du crâne de Carla et le posa sur ses cheveux. Il était chaud et possédait une odeur de shampoing à l’amande. Il croisa les yeux d’Halima emplis d’inquiétude.
— Sortons. Prenez vos affaires.
La jeune femme ne rechigna pas, chose rare de sa part. Elle n’avait peut-être pas envie que la petite assiste à son arrestation. Alors que Charlie et Stéphane se positionnaient de chaque côté du couloir, Carla récupéra ses affaires. Ils sortirent tous deux et la jeune femme referma la porte.
— Vous n’avez rien à me dire ? interrogea l’inspecteur.
— J’suis pas du genre à faire des excuses.
— Je n’en attends pas autant de votre part. Mais une explication serait un bon début…
Étrangement, elle ne faisait plus la fière. Elle semblait presque un peu honteuse ou peut-être se faisait-il des idées, car il avait tendance à lui prêter des sentiments qu’elle ne possédait pas.
— Vous allez m’arrêter ? répéta-t-elle froidement.
— Je pense qu’après m’avoir laissé mariner dans mon sang vous êtes allée vérifier si la personne dont Marc Cournat parlait était bien morte. J’ai vu juste ?
— Vous avez tout faux.
— Soyez honnête. Depuis le début, vous avez peur d’être arrêtée et là, vous faites pile ce qu’il faut pour l’être. C’est que vous n’avez pas eu le choix, que le risque en valait la peine. Marc a révélé quelque chose qui vous compromettait ou qui le compromettait. Il vous fallait éliminer les traces.
— Vous devriez être romancier, je suis persuadée que vous auriez du succès.
— Carla, arrêtez de jouer avec mes nerfs. J’étais de votre côté jusqu’à présent. Vous êtes responsable de cette situation. Je vous faisais confiance.
— Ça suffit le numéro de caliméro, arrêtez-moi, qu’on en finisse. J’aime pas les longs discours.
Il acquiesça.
— Vous pouvez dire au revoir à la petite si vous le souhaitez.
— Non. Je préfère qu’elle vous voie comme un salaud sans cœur, histoire de briser ses clichés de prince-policier, ça lui fera du bien.
— Prince-policier ?
— Ouais, vous avez une fan… admit-elle en tendant ses mains jointes vers lui.
Il sortit les menottes de son sac et les passa autour des poignets de Carla.
— Guidez-moi à ma voiture maintenant.
Arthur suivit la jeune femme alors que ses coéquipiers ouvraient la marche. Ils traversèrent l’hôpital puis le parking et la rue adjacente au centre médical. L’inspecteur repéra enfin son véhicule, garé n’importe comment sur le trottoir. Sa Renault clio brillait presque dans la grisaille environnante.
— Vous avez lavé ma voiture ? demanda-t-il surpris.
— C’était pour me faire pardonner…
Arthur la dévisagea, septique. Elle avait voulu effacer des traces. Où était-elle allée ? Il inspecta chaque centimètre et repéra tout de même quelques ronces coincées dans les roues.
— Où sont les clés ?
— Dans ma poche arrière. Fesse droite, dit-elle en lui faisant un clin d’œil.
Arthur fit signe à Charlie d’intervenir et elle récupéra les clés.
— Charlie, on se retrouve à l’adresse que je vais vous envoyer.
— Très bien lieutenant !
La brigadière reprit la direction de l’hôpital. Arthur, après avoir vérifié l’intérieur de sa voiture, déclara.
— J’ai trouvé une alternative à l’arrestation.
Carla fronça les sourcils, dans l’incompréhension.
— Ah ouais ? C’est-à-dire ?
— Si vous ne voulez pas passer 72 h en garde à vue, vous allez faire quelque chose pour moi.
— Je fais pas de truc sexuel avec vous deux.
Arthur la fixa atterrée. Stéphane ne réagit pas.
— Ça va, je rigolais !
— J’ai besoin de quelqu’un pour rester avec Lucie Cruz pendant quelques soirées pour la protéger. Elle a été attaquée musicalement la nuit dernière.
La jeune femme le dévisagea, les yeux ronds.
— Ah mince. Je crois que le coup à la tête vous a grave atteint le cerveau, en fait. Je suis désolée pour vous.
— C’est soit ça, soit la garde à vue.
— Je préfère largement la garde à vue, ou les trucs sexuels. Bambi, c’est la torture assurée.
— Vous êtes sure ? Bon, très bien. Montez, nous partons au commissariat, je sais que c’est votre endroit préféré sur la planète. Mon supérieur, le commissaire Saint-Di, a hâte de vous revoir.
Carla grimaça, mais monta tout de même dans le véhicule. Arthur attendit que son coéquipier s’installe et démarra. Il fit attention à ne pas dépasser les limites de vitesse et prit même un malin plaisir à prendre son temps. Il jetait des coups d’œil à la jeune femme qui se décomposait petit à petit. Il fallait qu’elle accepte, il avait besoin qu’elle soit confrontée à Lucie, à l’enfant futur, au bonheur de ce couple. Il fallait qu’elle arrête de protéger Justin.
— On arrive bientôt ! dit-il avec un grand sourire.
— Ok, ok, c’est bon. J’accepte la torture même si je sens que je vais le regretter, marmonna-t-elle.
En dehors de ce petit point brumeux dans mon pitit esprit, c'est toujours aussi bien écrit et je me régale en découvrant de très belles tournures de phrases que tu nous sers, de même que la psychologie d'Arthur que l'on découvre avec plaisir
Merci de ton passage, je note pour les reactions de Carla. Quelles remarquesnou actions t'ont semblé bizarres ?
Merci de ta lecture <3
Je file lire la suite ! Plein de bisous !
ça faisait aussi longtemps que je n'avais pas publié de nouveaux chapitres aussi^^
Oh je suis contente si certaines phrases t'ont plu <3
Je note pour la phrase toute seule un peu gênante "ils sortirent du véhicule", c'est ça ? C'est vrai qu'en relisant, elle n'est pas nécessaire :)
Pleins de bisous <3
L'histoire avance bien.
Petite inversion de mots dans cette phrase : On a vous donné des toutous ?
Joli : il passe de Caliméro à Salaud sans coeur puis prince-policier
Original : être attaqué musicalement
Je suis contente de voir que tu continues ta lecture :)
ça me rassure aussi de savoir que l'histoire avance bien et que tu ne sembles pas t'ennuyer^^
J'espère que la suite continuera à te plaire :)