Joli monde - Kaky
Léna
Le ciel étoilé est tellement plus beau en haut d’un building. Je meurs d’envie de prendre un verre de vin blanc, comme dans les films, mais je ne le fais pas. J’ai peur de sombrer dans une maladie bien plus vicieuse qu’un cœur brisé et je n’ai pas la force de me battre contre un démon de plus.
Je suis ivre. Ivre de vie et de tant d’autres choses. Je vis une ivresse douce, magique mais douloureuse. Le genre de douleur lancinante qui peut te donner envie de te foutre un flingue sur la tempe. Le souffle chaud de mon soupir transforme la surface lisse et froide de la vitre en un nuage de buée. J’aime ce petit rebord qui dépasse contre la fenêtre. Je peux me rouler dans un plaids pour profiter de la vue, parfois avec un bon livre comme j’aime tant le faire. J’en crèverais d’envie mais je n’ai pas la tête à ça ce soir. Pourquoi ? Parce que je pense à lui, comme toujours. Rien de nouveau sous le soleil et ça me flingue de ne pas avoir d’autres préoccupations dans ma putain de vie mais je n’y peux rien, c’est comme ça et pas autrement. Je l’aime et je ne peux pas l’oublier. On n’oublie pas quelqu’un qu’on aime quand on n’y a jamais mis un terme. La terminaison de notre amour était un accident, ce n’était pas de notre ressort.
Parfois je me demande ce que j’aimais le plus chez lui. Je pense que c’était l’attention qu’il me portait. Il était doux et sensible comme une plume sur la surface d’une eau tempétueuse. Je l’aimais vraiment et il était celui qui m’avait redonné l’envie d’offrir mon cœur alors que je ne le souhaitais plus.
Un soir, nous étions chez moi et nous devions dormir ensemble. Je m’étais de la crème sur mon eczéma, maladie de la peau dont je souffre depuis quelques années à certaines périodes. Je lui en avais parlé qu’à demi, n’aimant pas cela chez moi et ne souhaitant pas qu’on me catégorise à cause de cela. Je ne souhaitais pas qu’il le voit mais ce soir-là, je devais la mettre et je n’avais pas envie de me cacher pour l’appliquer, j’ai donc voulut le faire devant lui, tant pis. Ses yeux s’étaient immédiatement ancrés dessus, comme un aimant.
— Léna ? Qu’est-ce que c’est ?
Il m’avait regardé avec des yeux inquiets et des sourcils froncés.
— Rien du tout.
Ma main s’était directement mise dessus, par réflexe.
— Eh…
Il avait doucement écarté mes doigts serrés autour de mon poignet et m’avait forcé à le regarder dans les yeux.
— Qu’est-ce que c’est ?
Mes yeux le fuyait, évidemment, vu que je n’aimais pas en parler.
— De l’exéma, j’en fais depuis plusieurs années. Je sais, ce n’est pas beau.
Je n’avais pas particulièrement honte mais je n’en étais pas fière non plus. Je le cachais quand je pouvais. Déjà que j’étais réticente à montrer mon corps, je l’étais encore plus de le montrer alors que celui-ci était boursouflé de plaques rouges qui me démangent et qui font des marques sur une grande partie de ma peau.
— Pourquoi est-ce que tu me le caches ?
— Parce que je n’aimes pas ça, ce n’est pas beau.
— Mais ça fait partie de toi, non ?
— Justement, à quel moment c’est censé me rendre belle ?
— Tu es la plus belle à mes yeux, avec ou sans tes marques.
Son regard avait paru tellement sincère que je n’en avais pas douté une seule seconde. Mes doigts se ferment sur mon poignet avec force en repensant à cela. Il savait que je mettais de la crème hydratante mais ne savais pas exactement pourquoi. Ce soir-là il avait prit mon tube de crème avant que je ne puisse le récupérer.
— Est-ce que je peux ?
Il m’avait demandé la permission d’appliquer ce qui me soulageait lui-même, comme une barque qui venait à la portée d’un naufragé. Ma tête s’était doucement hochée, lui donnant l’autorisation.
— Oui, vas-y.
Il avait appliqué la crème sur ma peau et ses mains froides avaient commencé à étaler ce qui me tranquillisait sur ce poignet meurtrie par mes ongles.
— Tu n’en as qu’ici ?
— Non, ça ne serait pas drôle sinon.
J’avais essayé de rire et lui m’avait offert un sourire. Je portais des manches longues comme souvent, je les ai donc relevées pour qu’il ait accès à mes avant-bras. Il a fais sa tâche avec tellement d’application que j’en avais eut les larmes aux yeux. Je ne savais pas quoi dire et je ne le regardais même pas. Comment pouvait-il trouver ça beau ? C’était un mystère pour moi.
— Et voilà !
Il était content de lui, heureux d’avoir fait cela.
— Merci.
Ma voix avait été minuscule et lui m’a prit dans ses bras comme pour me rassurer. Il n’a jamais cessé de faire ce labeur. À chacune de mes crises il était là, à chacune de mes périodes il venait me soutenir et s’occupait de me soulager ainsi. Il m’a toujours dit que j’étais la plus belle à ses yeux, quoi que je fasse et même quand mes plaques prenaient de plus en plus d’ampleur sur mon corps. Ses mains glissaient sur ma peau comme si elles n’existaient pas, comme si je n’étais pas aussi laide que je le pensais. J’avais même l’impression qu’il était déçu quand je le faisais à sa place parce que j’étais pressé.
— Ton corps est magnifique, je t’aime comme tu es. Tes plaques ne te définissent pas, tu es tellement plus que ça.
— C’est-à-dire ?
— Tu es tellement plus qu’une simple maladie de la peau.
Il m’avait énuméré les raisons de pourquoi il m’aimait. Selon lui, ma façon de penser, mes convictions que je ne changeais pour rien n’y personne, mon apparence et la façon dont j’étais avec lui faisait tout. Pour lui j’étais tout.
"Je lui en avais parlé qu’à demi, n’aimant pas cela chez moi et ne souhaitant pas qu’on me catégorise à cause de cela."
Deux fois le mot cela dans la même phrase.