Rien n’avait été laissé au hasard pour l’arrivée à Barrante, pas même l’apparence d’Hori. Sa sortie de la tente impériale ne lui avait pas laissé le temps de se changer, et les haillons que les officiers l’avaient forcé à revêtir pour sa captivité auraient sans doute fait mauvaise impression pour la cérémonie qui devait suivre. Martinelle s’empressa donc de cacher Hori au sein du pavillon de l’ambassadeur, et d’affairer des laquais pour lui apporter des effets présentables. Les servantes de la suite royale le baignèrent, rasèrent et peignèrent tandis que les oiseaux s’affolaient dans les cages autour d’eux. Sans doute sentaient‑ils sur le clanarque une vague odeur féline. On l’aida à nouer le long pagne asymétrique et les genouillères dorées du costume verlandais. Cependant par‑dessus les caméristes ajoutèrent une veste galonnée, à manches courtes, qu’un mousquetaire avait accepté de prêter.
Lorsqu’elles quittèrent la tente, Martinelle y rentra pour les derniers préparatifs. Elle‑même portait une robe à paniers de son pays, surmontée d’épaulettes métalliques plus caractéristiques d’une clanneresse. Brouiller les codes et mélanger les styles, telle était sa politique.
Alors qu’elle recentrait le jabot de dentelle qui pendait sur le poitrail d’Hori, elle pesta :
« Cessez de gigoter !
— Je ressemble à un clown orgélien, se plaignit‑il en rougissant. C’est trop serré au niveau de ma… de mes épaules.
— De votre bosse, vous voulez dire ? Faites‑moi un peu confiance… Avec cette coupe large, on n’y voit que du feu. Un grand gaillard costaud comme vous se doit d’être élégant. Bon ! Les cheveux, maintenant. »
Il se retourna en soupirant, et la laissa attacher ses nattes noires sur le dessus du crâne pour dégager sa nuque. Elle‑même avait gardé le voile, mais l’avait réattaché à la manière d’un foulard pour réhausser sa coiffure.
Elle se rendait compte qu’elle touchait désormais son fiancé sans ménagement. Qu’aurait‑elle ressenti, s’il s’était permis les mêmes libertés sur sa personne ? Depuis qu’elle l’avait vu se battre nu sur les abords de la Lymphide, son corps ne lui inspirait nulle peur. Elle voyait d’ailleurs qu’il n’appréciait guère de se montrer apprêté devant elle. Se serait‑il exposé dans le plus simple appareil qu’il n’aurait pas moins rougi ! Cette excentricité l’exaspéra :
« Pourriez‑vous au moins éviter de grimacer lorsque je vous approche ? Nous allons partager le même lit, au moins une fois. Si la Cour constate entre nous le moindre inconfort…
— Je ne compte pas consommer notre nuit de noces, décréta Hori tout en réajustant les médailles sur son brassard. Nous devrons donner le change en public, c’est vrai. Toutefois, dans la chambre à coucher… il vous reste une chance de rester fidèle à un mari baptisé dans votre religion, et de vivre comme un couple normal. Shen est tombé amoureux de vous, Martinelle. C’est à moi de m’effacer. »
Il avait débité cela d’une traite, sans lui laisser l’occasion de répliquer. Elle était restée coite, les bras ballants. Seul un ara furieux troubla la consternation qui s’ensuivit. Hori, qui cherchait un prétexte pour ne pas affronter le regard de sa fiancée, contemplait les grains de poussière révélés par l’ouverture au sommet de la tente, dans un rai de lumière qui tombait sur lui. On eût cru un saint, éclairé d’une révélation divine et abandonné à un destin sacrificiel. D’un mouvement de tête saccadé, Martinelle chassa ce fantasme bêtifiant de son esprit.
« Restons réalistes, regretta‑t‑elle. Shen n’est pas prêt pour ce genre de choses… Peut‑être ne le sera‑t‑il jamais. Vous ne l’avez pas vu, dans la calèche, lorsque Nakht l’a… violenté. C’était… comme si son âme s’était échappée de son corps. Je ne veux pas lui faire revivre cela. »
À vrai dire, la seule évocation de ce souvenir réveillait en elle une profonde nausée. Hori, pourtant, s’entêtait :
« Laissez‑lui le temps…
— Nous en manquons…
— Ça le sauvera…
— Ça le tuera.
— Ce sera différent avec vous !
— Non, s’emporta‑t‑elle enfin. Parce qu’il sait ce que je suis : manipulatrice, haineuse. Autant que Nakht et la duchesse Ludova, sinon plus. J’ai déjà trahi Shen une fois. S’il ne se sent pas en confiance…
— C’est ça qu’il aime chez vous, tempêta‑t‑il en retour. La maîtrise des sentiments, les froids calculs, la subordination du corps à l’intellect… Que lui importe la sincérité ? Ah, c’est tellement FACILE pour vous ! Une cantatrice, réglée comme du papier à musique. Pas une pulsion, rien d’incontrôlable… Vous ne savez PAS ce que c’est ! »
Martinelle, les mains sur ses hanches, le dévisagea d’un air inquisiteur. Il avait prononcé cette dernière phrase en la pointant du doigt, avec trop de ressentiment et d’impulsivité. Elle le défia :
« Quoi donc ? »
Son visage se craquela. Il en avait trop dit, ou pas assez. Même les volatiles alentours s’étaient tus un instant, surpris de ce soudain éclat de voix. Détournant à nouveau le regard, il s’appuya sur le rebord d’une écritoire et avala sa salive. Or Martinelle insistait :
« Quoi donc, Hori ?
— De rencontrer un enfant vulnérable, finit‑il par lâcher. Le petit frère que vous n’avez jamais eu. De l’éduquer comme son père l’aurait dû. De lui jurer protection. De vous battre contre tous ces hommes qui veulent le souiller, l’exploiter, l’humilier… ces sadiques, ces vicieux, ces pervers. Et de découvrir, après toutes ces années passées à les combattre… que vous êtes l’un d’entre eux. »
Martinelle recula sous le choc. Hori interpréterait sûrement ce mouvement comme un signe de répugnance. En réalité elle venait de ressentir par à‑coup toute la violence muette qu’il s’infligeait depuis trop longtemps. L’agressivité dont il faisait preuve envers autrui masquait un manque criant d’amour‑propre. Il se mordit la joue et osa cette fois‑ci la fusiller du regard, comme pour lui reprocher ce témoignage de sympathie. La gorge sèche, les mains jointes, elle s’efforça après moult considérations de le détromper :
« Vous n’avez jamais forcé Shen à quoi que ce soit. Et si vous le prenez encore pour un enfant innocent, rappelez‑vous qu’il a tué son premier homme bien avant vous. Ne comparez en aucun cas votre dévotion…
— …obsession.
— …à ce qu’il a subi, l’ignora‑t‑elle avec davantage d’autorité et d’agacement. Je sais faire la différence, croyez‑moi. Si j’avais eu un protecteur comme vous dans mon entourage après la mort de mon père… ma vie aurait pris un tournant fort différent. Et j’espère, un jour, faire preuve de la même force de caractère pour protéger ceux que j’aime. Alors arrêtez de vous dévaloriser, Hori. C’est vous que j’ai choisi comme fiancé, au bout du compte. Ne me faites pas passer pour une idiote. »
Colère et tristesse s’étaient mêlées dans sa voix comme le vinaigre et la soude. Elle‑même se livrait un peu trop, au point que sa peau en frémissait. Un autre individu aurait sans doute vu une certaine laideur dans un tel déballage de sentiments. Toutefois Hori baissa les yeux, penaud, et se résigna à hocher la tête. C’était un homme fatigué de sa propre force, autoritaire au point de rechercher une puissance à laquelle se soumettre. Au fond de lui‑même, il ne défiait tout un chacun que pour trouver l’adversaire digne de le vaincre, et s’autoproclamer son chevalier servant. Martinelle n’avait jamais voulu de ce rôle, pas plus que Shen. Pourtant il lui fallait le jouer aujourd’hui.
Le guerrier redressa son col de chemise, pour y engouffrer son visage et dissimuler davantage ses sentiments.
« Je vous retrouverai à la calèche, marmonna‑t‑il.
— Attendez ! N’oubliez‑vous pas quelque chose ? »
Perplexe, il la vit étendre son bras à sa hauteur. Il ne comprit pas tout de suite ce qu’elle voulait de lui. Ses yeux s’agrandirent ensuite, et sa poitrine se souleva. Martinelle attendait. D’une lenteur timide, il approcha sa main de son poignet et déposa le bout des lèvres sur sa bague :
« Très chère », murmura‑t‑il.
La chaleur de son souffle se propagea dans tout le corps de Martinelle, et resta sur ses doigts à la hanter bien après son départ. Elle aurait juré que le clanarque avait souri, qu’il avait songé à baiser ses lèvres… mais son imagination lui jouait peut‑être des tours.
Toute la matinée, elle repensa au courant phlogistique qui l’avait traversée à ce moment. Ce n’était pourtant pas le moment de se déconcentrer. À la moindre anicroche, ses plans pouvaient s’effondrer.
Accompagnée de Sœur Morgane, elle rassembla les gens de sa suite et leur donna pour consigne de rester l’attendre dans le convoi impérial. Cette annonce suscita de vives inquiétudes, car la moitié des Orgéliens et de leurs bagages étaient déjà partis à Barrante avec la princesse Guillonne, plus tôt ce matin. Pourtant les domestiques obéirent aux ordres, et les deux jeunes filles montèrent dans la calèche sous la seule garde de quelques officiers verlandais. Hori, perché sur son felne personnel, enfila ses mitaines de cuir et siffla. Les quatre étalons s’élancèrent en tirant derrière eux le véhicule. Le clanarque partit ensuite devant eux en éclaireur, ce que Martinelle regretta. Elle aurait aimé sonder leurs émotions respectives.
Morgane, d’habitude si volubile, ne pipait mot sur sa banquette. Le péché qu’on lui avait demandé de commettre la veille pesait de plus en plus lourdement sur sa conscience, à mesure que changeait le paysage sous leurs yeux. Les amas de conifères plongèrent leur véhicule dans l’ombre, avant de révéler la silhouette d’une grande cité murée à l’horizon : Barrante, siège actuel du clan de la Hache. Cependant les chevaux n’empruntèrent pas la route de la cité. L’ancien débarcadère de la ville close était devenu trop étroit pour les paquebots, au point qu’un grand port de commerce avait été construit à quelques lieues pour les accueillir. De part et d’autre, les plages tranquilles de la Mer Mauve s’y étalaient derrière des digues rocailleuses, telles les ailes blanches et noires d’un albatros.
Pour un déplacement royal, le comité d’accueil était des plus réduits. Une vingtaine de personnes tout au plus attendaient la calèche sur la grande place. On n’aurait pu imaginer plus grand contraste avec l’arrivée triomphale des princesses à Chrysée. Néanmoins c’était sous le signe de l’échec et des tensions que celles‑ci devaient fuir la Verlande. Conséquemment les clannerets de la Hache n’avaient rien dépensé pour les adieux ; il n’y avait là que Guillonne, l’ambassadeur Durillon, les mousquetaires, quelques officiers et bien sûr Shen qui représentait ce jour‑là le clan de la Serpe. Marins et marchands travaillaient bruyamment aux alentours, sans plus se soucier d’eux. L’impératrice Ankhti n’avait pas fait le déplacement. Elle se prétendait souffrante, mais les dernières rumeurs attestaient qu’elle avait souhaité rester aux côtés du prince Paneb pour le soutenir dans son deuil. Martinelle eut un pincement au cœur en songeant qu’elle venait d’enlever à celui‑ci un neveu, un apprenti, qu’il n’apprendrait jamais la vérité sur sa mort. En se signant, elle remercia le ciel de ne pas avoir eu à affronter son regard jusque‑là.
Elle descendit sur le quai en toute sobriété, aidée par Shen qui lui tenait la main. Il semblait plus fatigué que la veille, quoique plus vivant. Son médecin l’avait autorisé à se déplacer sans béquille. Cependant qu’elle complimentait le ruban de soie dorée qui ceignait son catogan, la princesse de Mandar, horrifiée, coupa leur conservation d’un cri peu royal :
« Qu’est‑ce qu’il fiche là ? »
Elle venait d’apercevoir Hori qui, indifférent à ses récriminations, flattait les bêtes de trait d’un frottement sur leurs chanfreins. Personne ne l’avait informée que le clanarque assisterait au départ, et pour cause. Comme on ne lui répondait point, la belle jeune femme invectiva Durillon qui tenait son chapeau devant lui d’un air anxieux :
« Que signifie ceci ? N’était‑il pas aux arrêts pour l’agression de mademoiselle de Figuette ?
— J’ai une confession à vous faire, intervint l’intéressée qui levait son éventail contre elle pour se protéger du soleil de midi. Il se trouve que j’avais frappé le clanarque la première, ce jour‑là. Et je suis venue à Barrante présenter des excuses aux clannerets de la Hache pour mon comportement déplorable. Espérons qu’ils ne porteront pas plainte ! Le clanarque s’est engagé à les calmer. »
La bouche de sa demi‑sœur s’arrondit en un trou béant, avant de bredouiller :
« V‑Vraiment ? Mais… la tentative d’enlèvement ? Le meurtre du prince Nakht ?
— Les officiers du guet viennent d’achever leur enquête, expliqua sa benjamine d’un air grave en résumant sa déposition officielle. En l’absence de preuves établissant sa complicité, Hori a été relâché par les autorités impériales. Il faut dire qu’il a accouru sur place pour nous aider à nous échapper, Shen et moi. La sauvagerie avec laquelle les responsables du rapt l’ont poignardé a probablement joué en sa faveur… Hélas ! Il est arrivé trop tard pour sauver le prince Nakht, poursuivit‑elle avec une amertume grandissante. Celui‑ci a… héroïquement sacrifié sa vie pour nous faire gagner de précieuses minutes.
— Vous divaguez ! Cette histoire n’a ni queue ni tête. Si Hori ne s’en est pas pris à vous, qui nous reste‑t‑il comme coupable ? »
Shen, en contreplan, échangea quelques mots avec un mousquetaire, puis un officier de la horde. Ceux‑ci s’écartèrent pour laisser du vide autour de Guillonne. Le prince s’avança et lui offrit sa paume. Comme elle supposait qu’il souhaitait l’emmener quelque part pour tout expliquer, elle lui tendit le bras.
Cependant c’était un épais bracelet de fer et d’argent ouvragés, attaché à une lourde chaîne, que le jeune dieu fixait désormais sur elle en annonçant d’une voix désincarnée :
« Guillonne de Mandar, première princesse de la maison royale d’Orgélie, je vous arrête. Au nom de l’impératrice Ankhti, Fille des Landes – Vie, Force, Santé à Elle –, vous êtes accusée de crimes de haute trahison. Je vous prierais donc de coopérer avec les autorités verlandaises pour la suite de la procédure judiciaire. Bien entendu, vous disposez d’options pour votre extradition vers l’Orgélie. À la demande de votre consulat, vous prendrez donc le bateau dès aujourd’hui pour Pont‑l’Ost, en attendant que nos souverains respectifs décident du pays le plus apte à juger vos crimes. »
Au bout de ce laïus, l’inculpée n’eut pour réaction qu’un rictus halluciné. Un mousquetaire tenait l’autre bout de sa chaîne et tirait sur son bras pour l’attirer vers les pontons, aussi doucement et respectueusement que possible. Le souffle haletant, Guillonne refusait toujours de croire à ce qui lui arrivait. Ses yeux furetaient autour d’elle, à la recherche des spectateurs sans doute dissimulés pour assister à cette farce de mauvais goût. Mais elle n’entendit point les brouhahas de ce supposé auditoire. Alors elle s’en prit ensuite à l’ambassadeur :
« Monsieur, ces barbares sont tombés sur la tête ! Dites‑leur de m’ôter cet instrument de torture.
— C’est ma faute, articula‑t‑il avec un feint désarroi. J’ai essayé de faire entendre raison aux enquêteurs, néanmoins… pour vous prouver votre bonne foi, je les ai autorisés à fouiller votre roulotte. Alors ils ont forcé le cadenas de cette malle sous votre lit. J’ai bien peur que ces objets que vous avez dérobés à la princesse de Figuette au cours de notre voyage aient… quelque peu déchaîné leur imagination. Tout comme ces étranges missives la mentionnant. D’autant plus qu’ils étaient tachés de sang… Cette histoire de “rapatriement en urgence” dont vous parliez à votre tante sonnent beaucoup trop comme une tentative d’enlèvement. »
Là, Guillonne laissa échapper un cri suraigu. La révélation de ces larcins puérils semblait l’effrayer davantage que la perspective de passer pour une meurtrière et une conspiratrice. Tout au plus la réalité de cette arrestation commençait à s’imprimer dans son esprit. Elle chercha des yeux Morgane :
« Ma sœur, dites‑lui que c’est péché d’accuser ainsi une femme de sang royal. »
La moniale, qui s’était faite toute petite depuis cinq minutes, se contenta de plisser ses yeux. C’était évidemment elle qui avait usé de ses pouvoirs pour déposer ces écrits falsifiés dans l’intérieur du coffre verrouillé, ainsi que quelques gouttes de son propre sang. Martinelle n’appréciait guère ce détail macabre, mais elle avait souhaité choquer la sensibilité des sergents impériaux.
Comme la religieuse l’avait abandonnée à son sort, Guillonne, de plus en plus effarée, prit cette fois‑ci à une voix furieuse pour appeler à la rescousse :
« Et vous, là ! MARTINELLE ! Tolérez‑vous qu’on m’insulte ainsi ? Je suis votre aînée, je vous le rappelle ! N’avez‑vous aucune notion du devoir familial ? »
L’intéressée observait cette détresse avec un détachement glacial. Peut‑être aurait‑elle dû jubiler de voir souffrir ainsi la femme qui l’avait trahie, ou se maudire elle‑même pour tant de perversité, mais non. En réalité, elle ne ressentait plus que le pressant désir de s’acquitter d’une corvée. Elle s’avança donc, en relevant les pans de sa longue robe, et posa sa main sur l’épaule de Guillonne.
« Ma chère, tout cela ressemble à un regrettable malentendu… Personnellement je vous crois innocente de toutes ces horreurs qu’on imagine sur vous. C’est justement pour cela que nous devons laisser les tribunaux statuer en toute indépendance, pour que la vérité puisse être rétablie dans tout son éclat. Toutefois… il est parfois nécessaire de soutenir une ligne politique en public et une autre en privé, énonça‑t‑elle d’un ton lent qui pourrait passer pour l’expression d’un regret. Mon double‑mariage profite à la famille Figuette, du moins en théorie. Aux yeux de l’opinion publique, c’est donc un mobile suffisant aux Mandar pour le saboter. Nos familles se sont haïes si longtemps qu’il nous serait difficile de cacher toute cette poussière sous le tapis. Et nous devons rester loyales à nos proches. J’ai bien peur que nos chemins se séparent ici, ma pauvre amie… Cependant, si ma voix doit vous condamner aux yeux de la Cour, mon cœur, lui, vous connaît mieux que quiconque. »
Une veine bleutée venait de gonfler sur le front de sa victime. Le menton de Guillonne tremblait tandis que se révélaient ses dents. Martinelle se pencha pour coller une bise sur ses joues. Collées à ce moment l’une à l’autre, leurs épaisses chevelures les dissimulaient à tous les autres spectateurs. Nul n’aurait donc pu lire sur leurs lèvres.
« Garde le Clos‑Rusé, chuchota‑t‑elle à l’oreille de sa demi‑sœur. Tu vas y rester très longtemps… avec un boulet aux pieds. »
À ces mots, la princesse de Mandar perdit tout contrôle. Dans un cri animal, elle agrippa le cou de sa rivale. L’assaut fut si prompt et si violent que Martinelle en tomba à la renverse. Les ongles lui labourèrent la peau, les doigts arrachèrent quelques boucles qui dépassaient de son voile. La respiration coupée, elle eut tout juste le temps d’apercevoir son ennemie accroupie sur elle.
Néanmoins son supplice fut de courte durée. Shen tirait déjà sur le bracelet métallique et ramenait Guillonne contre lui dans une clef de bras. Un mousquetaire aida Martinelle à se relever, avant de prendre le relai du prince en récupérant sa remuante prisonnière.
« Sale petite FIENTE, beuglait‑elle. Je vous TUERAI toutes les deux, toi et ta CATIN de mère ! »
À aucun moment elle ne songea que ces propos pouvaient souiller son image, accréditer la version des faits retenue contre sa personne. Guillonne s’affichait enfin dans toute sa laideur. Les traits allongés par la rage, elle vociférait des injures de moins en moins intelligibles à mesure que d’autres soldats la traînaient vers la passerelle du navire. Bientôt ils la consigneraient dans sa cabine. Elle s’agitait tant qu’ils faillirent plusieurs fois lui briser un bras en la retenant. Vers la fin, ses insultes se muèrent en véritables éructations.
Martinelle crachotait dans un mouchoir, la gorge serrée. Cette toux devait moins à un quelconque chagrin qu’aux ongles de Guillonne qui avaient laissé sur sa peau d’inquiétants hématomes.
« Ne vous forcez pas à parler tout de suite, conseilla Hori en lui tendant une gourde. Vous vous casseriez la voix. Un messager va avertir mes clannerets que nous arriverons en retard à la cérémonie de présentation. »
Elle le remercia d’un hochement de tête et s’abreuva. Elle ne voulait pas regarder en arrière. Dans son dos, les mugissements de Guillonne se réduisaient alors qu’on l’éloignait.
« Quel stratagème grossier, la railla Hori. Je n’arrive pas à croire qu’il ait marché sur moi, dans le pavillon de danse… »
Shen revenait déjà vers eux, l’air soulagé. Il s’enquit de l’état de sa fiancée, qui lui adressa un sourire pincé mais valeureux. Serviteurs et soldats avaient repris leurs occupations. Certains partaient vers le navire, d’autres revenaient vers la calèche pour la prochaine étape. Shen proposa de passer par une auberge du port. Morgane pourrait ainsi profiter de la salle d’eau pour déposer sur les bleus de Martinelle un peu de fond de teint. Nul n’y vit le moindre inconvénient.
Chacun avait joué son rôle à la perfection.
Il ne restait plus qu’à saluer le public.
Finalement j'aime bien la révélation sur Shen, c'est pas le "en fait c'était un grand méchant depuis le début". Nakht par contre je pouvais pas le sentir ce type. Et pour Hori, "en fait il est gentil" ça fait un peu cliché mais y a pas de mal à ça.
Morgane j'avoue que je m'attendais à la voir réapparaître, par contre c'est beaucoup trop puissant son pouvoir de "perdre 4L de sang puis se recomposer avec la brume".
Et pour le procès final, je m'attendais plutôt à une histoire du style : "Hori m'a frappée parce que je l'ai accusé à tort, j'avais compris que Shen était victime d'abus sexuels mais je me suis trompée de coupable" mais c'est vrai que Nakht est intouchable et que Martinelle a "besoin" de se venger de Guillonne.
Pour le feln qui attaque, je m'attendais à ce que ce soit celui de Martinelle qui en fait n'était pas mort (et que le tueur de chats ait juste libéré Chaudron avant de mettre une autre peau et d'autres os à la place), ça aurait fait un peu beaucoup de "en fait n'était pas mort" XD
Et j'ai relevé une tournure de phrase bizarre :
"Au nom de l’impératrice Ankhti, Fille des Landes, vous êtes accusée de crimes de haute trahison. Vie, Force, Santé à Elle."
J'aurais plutôt dit :
"Au nom de l’impératrice Ankhti, Fille des Landes, Vie, Force, Santé à Elle ; vous êtes accusée de crimes de haute trahison."
Et oui, on reste dans le schéma d'une romance classique et Hori c'est clairement la recette du "Monsieur Darcy". On ne se refait pas mais c'est dans les vieilles marmittes qu'on fait les meilleurs soupes. Après le "en fait il est gentil" se discute aussi ; Hori a quand même été infect avec Martinelle qui a quand même été traitée comme un morceau de viande dans cette histoire, un pur moyen pour Shen de fuir Nakht, sa famille et la Verlande en général. Mais de ça Shen est tout aussi coupable. C'est même lui qui en a eu l'idée.
Et oui, ç'aurait été plus satisfaisant pour la morale de faire un bon bieux #MeToo en terre verlandaise comme dit Shen, la culture actuelle de l'aristocratie ne s'y prête pas du tout du tout. Ce serait du suicide. Même mort, Nakht reste nuisible (d'autant que Paneb, qui le protègeait, court toujours).
Morgane... Oui, c'est une magicienne très puissante ; pour tout dire elle avait déjà développé ses pouvoirs bien avant d'intégrer les ordres. Ce qui explique aussi pourquoi tout le monde est surpris par l'étendue de ses capacités qui dépassent clairement celle d'une boréole "normale". Après les gens sont capables de réflexes de survie incroyables sous la pression... À deux secondes près, elle y passait. Paradoxalement c'est en partie l'effet de la conjuration opérée par Nakht qui lui a permis de s'évaporer ; en retournant sa magie contre elle, il l'a plus ou moins désintégrée. Je doute que Morgane soit capable de s'évaporer ex nihilo toute seule, à loisir.
Pour la tournure de phrase bizarre, c'est une allusion aux Anciens Égyptiens qui rajoutaient vraiment cet épithète après les noms de pharaons. Je vais mettre des incises, ce sera plus lisible !
Et pour Hori justement, je trouve que les derniers chapitres lui pardonnent un peu trop de s'être montré désagréable au possible avec Martinelle et compagnie (même si "compagnie" l'a piégé avec le coup de la ceinture), je trouve que leur relation devrait plutôt se conclure sur une froide cordialité plutôt que sur "oh, est-ce qu'il voudrait pas m'embrasser en fin de compte". D'un autre côté il me reste les derniers chapitres haha
Figure-toi qu'à l'inverse d'autres lecteurs/lectrices qui ont bêta-lu ce récit trouvaient que le côté "romance" n'était pas assez poussé... et que Martinelle et Hori auraient dû se rouler une pelle dans ce chapitre. XD Mais parfois il faut dire non. Ils en sont à peine au début des prémices de l'aurore d'un prélude d'un prologue d'une relation équilibrée, c'est beaucoup trop tôt pour un baiser. Surtout pour Martinelle qui commence à peine à trouver Hori supportable. Mais elle a quand même des hormones et j'ai juste glissé au détour d'un paragraphe cette éventualité qu'elle pourrait le trouver attirant s'il y mettait un peu du sien. XD
Et oui, Hori s'en tire à bon compte sur pas mal de points, surtout concernant Martinelle qu'il n'avait vraiment pas besoin de traiter de manière aussi insultante durant tout le récit. Mais après la roustée que lui a filé Morgane, et l'échafaud sur lequel il a failli finir, je pense qu'il a compris la leçon. Il faut aussi garder à l'esprit qu'on voit l'histoire du point de vue de Martinelle et qu'au fond c'est quelqu'un de pragmatique et calculateur (Pénélon Durillon ne s'y est pas trompé, elle n'est pas la fille d'Alfrude de Figuette pour rien). D'ailleurs à la base Martinelle n'avait même pas espoir de se marier par amour, simplement d'épouser un type "correct" avec qui elle pourrait à peu près s'entendre pour vivre en sécurité. Rencontrer Shen a un peu changé tout ça mais en l'état elle "pardonne" à Hori parce qu'elle a d'autres ennemis autrement plus inquiètants et qu'elle a grand besoin d'alliés.
Au bout du compte il s'est déchargé sur Martinelle de pas mal de frustrations en la rudoyant ainsi. Il ne s'est engagé dans cette histoire de double-mariage qu'à la demande de Shen, pour aider Shen. Hori a fait ce choix mais quelque part je crois qu'il avait du ressentiment de se sentir forcé à épouser une parfaite inconnue, sans amour, rien que pour aider quelqu'un d'autre. Il y a aussi le fait qu'il a clairement des sentiments pour Shen et que comme le courant passe tout de suite entre Shen et Martinelle, c'est une véritable torture de jalousie pour Hori.