Le trajet du retour ressemblait à un calvaire. Le moral anéanti par cette brusque disparition et l’esprit à jamais perturbé par la nature de la créature qu’ils avaient exhumé au fond de ce puits. Il se perdit plusieurs fois, ne reconnaissait qu’avec difficulté le chemin qu’il avait emprunté de nuit pour ne pas se faire remarquer. En fin de journée seulement, il réussit à retrouver le village.
Après avoir pénétré dans les premières ruelles, il lui sembla que quelque chose avait changé, sans parvenir à en définir la raison.
L’odeur d’un plat en train de mijoter l’aida à réaliser.
Une marmite laissait échapper ses effluves gourmands, dans ces ruelles qui crevaient la faim avant son départ ?
C’est en arrivant sur la place du village qu’il comprit ce qu’il s’y déroulait. Un tonneau géant avait été positionné en son centre où un tas de gens venaient s’y abreuver. Des étals, des échoppes, qui garnissaient le lieu, proposaient des tissus, des volailles rôties ou des objets confectionnés par les artisans locaux.
Le tout étoffait d’une foule immense de chalands qui gravitait tout autour.
Épiphyte se figea en observant le spectacle.
Il pensa tout d’abord se tromper d’endroit, comment ce lieu c’était-il rempli de vie et d’abondance en si peu de temps, s’interrogea-t-il. Des guirlandes décorées les maisons et de grandes banderoles qui mentionnaient le nom de la fête prônaient de toutes parts, sur lesquelles il pouvait lire.
Le jour des fous
Une appréhension diffuse d’étrangeté commençait à l’assaillir, il comprenait que la situation était en train de lui échapper. Ce village se mourrait, il l’avait constaté et en avait même discuté avec son ami, et le jour des fous était le titre du manuscrit que Goeri rédigeait.
Un homme le bouscula par inadvertance.
Il était vêtu comme un maréchal et lui sourit avant de s’incliner et de faire tournoyer son chapeau au bord large orné d’une plume de toute splendeur de manière exagérée, pour finir par se présenter.
— Veuillez m’excuser, messire Maréchal de la glotte gourmande pour vous servir.
Avant de lui prendre le coude, pour l’inviter à venir boire un godet de vin avec l’intention de pardonner sa maladresse.
Le chevalier qui cherchait des réponses en profita pour le questionner.
— Aidez-moi maréchal, je me trouve bien à Saint-Nathan n’est-ce pas ?
Dans un coin des musiciens, bourrés eux aussi, laissaient s’exprimaient leurs talents devant un parterre d’habitants joyeux aux formes rondes et généreuses, réalisa-t-il d’un coup. L’officier éméché lui confirma qu’il se situait bien au bon endroit. Avant de trinquer avec toute la délicatesse de ses litres ingurgités, et de renverser une partie de son récipient sur l’un des fêtards qui l’entouraient sans qu’il s’en soucie le moins du monde.
Épiphyte bu à son tour et fronça les sourcils, toujours intrigués et continua de le questionner.
— Mais votre comte n’a-t-il pas interdit toutes festivités ?
Le représentant des forces militaires à la fraise couleur vinasse lui désigna un homme, les mains attachées dans le dos en train d’essayer d’attraper des pommes suspendues à un fil pour les manger.
Le personnage dans le même état que le maréchal tourna plusieurs fois sur lui-même le nez en l’air et la bouche ouverte avant de s’effondrer. Ce qui ne manqua pas de déclencher des exclamations et rires d’approbations, qui se répandirent chez tous les badauds qui l’entouraient.
— Bien sûr que non, quelle drôle d’idée, c’est lui le comte, regardez il est habillé comme un gueux !
À l’inverse du pécore en militaire, Épiphyte comprit le principe sans arriver à saisir comment un tel revirement était possible. Dans tous les cas, il n’avait pas l’esprit à la fête. Une tape sur l’épaule vint interrompre ses observations et le fit se retourner.
— Chevalier, si vous voulez bien nous suivre, le père de notre monastère désire vous rencontrer.
Deux moines de constitution honorable lui faisaient face. Au ton et aux visages, il devina que ces deux-là ne portaient pas un costume pour festoyer. Épiphyte tiqua, comment pouvaient-ils être informés de la nature de sa fonction, puis finit par se persuader que c’était la plus probable des manières de nommer un homme avec un blason et une épée.
— Vous devez faire erreur, je ne connais pas votre Père, je ne suis qu’un étranger de passage.
Il se souvenait de la menace d’excommunication pour ceux qui s’avisaient à fouiller la mine interdite, et pressentit une aura de danger. Les deux moines semblaient s’attendre aux réticences de ce dernier, et rajoutèrent pour le tranquilliser.
— N’ayez crainte, vous n’êtes la cible d’aucun reproche, il vous expliquera de vive voix, nous sommes tenus au secret.
Ils se voulaient rassurants, comme l’indiquait leur gestuelle adaptée.
Le chevalier oscilla de la tête avant de les regarder tour à tour. Puis il vida son godet cul sec pour les suivre, satisfait de trouver un prétexte pour s’éloigner de la fête, dont il ne pouvait partager l’allégresse. Un des religieux lui montra le chemin pendant que son acolyte restait derrière, comme pour éviter un refus d’obstacle de la part de l’invité. Ce qui avait tendance à le rendre nerveux. Une fois dans le monastère, un silence abrupt tomba sur leurs épaules pour mieux souligner la différence quand ils franchirent le seuil du profane au sacré.
Le premier moine s’arrêta devant une porte imposante, au fond d’un couloir large et obscur, ils étaient arrivés. Les deux lui ouvrirent les battants en même temps, et il ne put s’empêcher de sentir un soupçon de méfiance de leur part, sans qu’il en comprenne la raison.