Les deux hommes s’étaient tus en même temps, comme s’ils avaient du mal à analyser cette nouvelle donnée. Goeri prit la parole en premier, pendant que le chevalier s’accroupissait pour voir en dessous de l’endroit où il se trouvait. Ce qui provoqua une fois confirmée une étrange sensation de vertige quand il réalisa sur quoi l’ensemble reposait.
La disparition soudaine de la tombe déclencha une forme d’excitation chez le vieil érudit.
— Le puits des âmes, il est là, devant nous, les gravures disaient juste, cette créature est repartie dans un temps ancien pour se réveiller !
Le chevalier n’aimait pas du tout la tournure de leur aventure, et encore de moins constater l’état que cela provoquait chez son ami, en pleine crise d’exaltation.
— Arrête tout de suite, il faut sortir d’ici, nous reposons sur du vide il n’y a rien en dessous, le néant, tu m’entends !
Avant de scruter l’intérieur de l’édifice.
— Prête attention à ce qui est en train de se passer.
Mais le vieil érudit n’écoutait plus, persuadé d’être arrivé à la fin de sa quête, but ultime atteint au-delà de toute espérance. Les yeux grands ouverts, il observait le ciel étoilé qui apparaissait sous ses pieds devant lui et continua à s’en approcher avec fébrilité.
Épiphyte jeta un regard circulaire. Les liserés de lumière mettaient en relief toute une décoration murale qui ressemblait à des assemblages bien définis et de nature très complexe. Une impression d’urgence et de danger lui gonflait cette toute petite veine sur la tempe qui lui signalait de manière impérative de s’en aller sur le champ.
Il le lui hurla pour le faire réagir.
— Tout s’anime, regarde, nous devons partir, TOUT DE SUITE !
Goeri se situait à présent sur le bord du gouffre, il déglutit l’esprit confus. Il ne savait pas comment l’expliquer, et se doutait aussi que son geste trahirait sa déraison.
Il le fixa droit dans les yeux.
— Tu ne dois pas juger mon acte, j’ai déjà vécu ici sur terre, et, si j’ai une chance de découvrir certains secrets de l’univers, il me faut la saisir.
Avant d’avancer d’un pas décisif devant le visage horrifié d’Épiphyte et de basculer dans le néant. Le chevalier comprit au dernier moment ce qu’il s’apprêtait à accomplir et n’eut pas le temps d’intervenir pour l’empêcher de commettre ce geste insensé.
Il le regarda épouvanter s’enfoncer dans le vide sidéral.
Goeri chutait dans un abîme infini ou montait dans les cieux, il était bien difficile de savoir ce qui était en train de se produire.
L’ensemble de l’édifice se mit à trembler.
Sur les murs, des signes lumineux étaient apparus sur toutes les façades, il eut la fâcheuse intuition qu’un compte à rebours venait de se déclencher. Une litanie funeste qui scellerait la découverte et la disparition de ce temple maudit, comprit Épiphyte à qui il ne restait qu’une seule chose à faire.
Sortir au plus vite avant que les vibrations ne finissent par ébranler la structure de la colline rongée comme une poutre par les verres.
Son regard eut du mal à se détacher du ciel nocturne où venait de plonger son ami.
Ce même ciel étoilé qui avait entendu leur rire des années en arrière, quand adolescents ils échafaudaient des théories pour traverser les siècles sans difficulté. Le chevalier quitta avec une boule d’angoisse la galerie productrice de cercles bleus, pour s’engouffrer dans celle de la mine.
La en effet, il put constater que tout partait en miette, était-ce la chute de Goeri ou avaient-ils eux-mêmes déclenchait ces vibrations qui s’intensifiaient. Il l’ignorait, mais repensa aux ondes colorées qui s’animaient à leur contact. Halo azuré qui était bien en train d’éveiller quelque chose de conséquent dans le cœur de la montagne. Connexions mystérieuses avec une entité dont les forces dépassaient son imagination.
D’une main, il tenait fermement la corde, qui lui indiquait le chemin le plus court vers la sortie pour s’extraire de ce cauchemar qui avait emporté son ami. Il évita plusieurs fois des blocs énormes, reçus un mauvais coup sur la tête, mais réussi à se dégager du boyau couvert de terre, avant que tout ne termine de s’écrouler derrière lui.
Le cœur lourd de l’avoir abandonné au fond de la cavité, il tomba à genoux une fois dehors, s’appuya sur ses jambes pour cracher la poussière qui l’étouffait.
L’image de ce dernier qui plongeait sur le dos dans un vide infini, une main tendue vers lui, comme s’il regrettait son geste insensé, restera à jamais imprimée dans la mémoire du chevalier. Il y a des secrets qu’il ne fallait pas chercher à comprendre, découvrit-il amer, en réalisant qu’il ne le reverrait plus jamais.
Quand il se tourna face à la colline, il lui parut qu’elle avait réduit de taille comme si une partie en son centre avait disparu. Il prit conscience d’un coup qu’elle était devenue une tombe, avec la sensation d’avoir lui-même échappé à la mort.
Il se recueillit un instant à l’entrée pour lui dire un dernier au revoir. Avant de quitter les lieux pour rejoindre le village, récupérer sa jument et s’en aller le plus loin possible de cet endroit qui lui rappellerait pour toujours la fin d’une longue amitié.
Le soleil s’était levé, mais il se trouvait seul à présent pour en profiter.