Chapitre XXXXI

Point de vue : lui

« - Qu'avons-nous ?

- Il prétend être la Mort elle-même parce qu'Elle l'a choisi pour la remplacer. On n'en sait pas plus en ce qui concerne l'incendie.

- Emmenez-le dans une salle d'interrogatoire et faites venir un psy, ça peut aider. Des traces de tentatives criminelles ?

- On dirait bien, chef. »

Les dernières phrases que j'ai entendues avant de m'évanouir. Je devais sûrement manquer d'oxygène.

Ils ne me croient pas. De toutes façons, personne ne veut me croire. Comme d'habitude. On ne m'a jamais vraiment fait confiance. On m'a pourtant souvent persuadé que c'était le cas alors qu'on me traitait toujours comme un gamin de cinq ans à peine. Ça m'a pris du temps avant de m'en rendre compte. Alors maintenant, je me méfie de tout le monde.

Je me retrouve dans cette salle austère et sans aucune âme, seul et assis à cette grande table. C'est à peine si on entend le son de ma respiration. J'entends le bruit des clés qui tournent dans la serrure, le grincement de la porte qu'on ouvre. Des pas de femme. Ça ressemble à des talons aiguilles, assez hauts. Je lève les yeux. Elle est blonde, les cheveux naturellement bouclés et attachés en chignon. Ils doivent être plutôt longs. Un chemisier blanc rentré dans une jupe noire longue et près du corps, un imperméable beige qui fait penser à un détective.

« - Bonsoir Andrew. Je suis Julia et je suis également psychiatre. J'ai besoin de parler avec vous pour en savoir plus sur les évènements de ces derniers jours.

- Vous êtes gentille mais vous pouvez retourner chez vous. Vous avez entendu ce qu'ils ont dit, je suis la Mort. Je pourrais bien vous tuer, vous aussi, si je le voulais. »

Je ne lui fais pas confiance. J'ai pas besoin de raconter mon histoire à qui veut l'entendre si c'est pour qu'on m'insulte et qu'on parle dans mon dos après. J'en ai ras-le-bol des moqueries à tout bout de champ.

« - On sait tous les deux que vous ne le ferez pas. Écoutez, j'aimerais beaucoup vous aider mais vous devez vous montrer plus coopératif. Je ne suis pas là pour juger. Ce n'est pas mon métier. Je vais écouter tout ce que vous avez à dire, depuis le commencement. J'ai besoin de savoir, même les choses qui vous paraissent les plus infimes. Je comprends que vous n'ayez pas envie de me faire confiance, c'est normal. Après tout, on ne se connait pas. Mais je vous assure que ça vous fera du bien de parler à quelqu'un d'autre qu'un policier.

- Vous ferez quoi de moi, si je vous le dis ? »

J'ai rien à perdre et pas grand chose à gagner non plus. Je reste persuadé qu'elle ne me croira pas. J'aurais beau lui dire et répéter que la Mort s'est emparée de mon esprit depuis que je me suis endormi à l'enterrement de Mamie et qu'elle a pris possession de mon corps depuis l'incident de tout à l'heure. Elle dira que mes nerfs sont à vif, que je me suis noyé dans la dépression, voire même une folie sans nom. Après tout, c'est son métier de détecter ou pas ces choses chez les gens comme moi. Ceux qui se retrouvent dans ces mêmes situations, à affirmer des choses qui vous paraissent invraisemblables. Ils vont dire que j'ai inventé l'histoire de Sarah et que je me suis moi-même envoyé des messages. Ils vont aussi dire que je ne suis jamais allé à l'hôpital. Ils ne vont pas cesser de répéter que je n'ai fait que de simples cauchemars, que j'ai lu des faits divers dans les journaux pour me prendre comme le coupable de ces actes ensuite alors que ce n'était pas le cas. Ils vont finir par me dire que je ne suis pas le seul dans mon cas, que je suis un fou parmi tant d'autres. Je préférerais ne pas être enfermé. Je n'aurais certainement pas le choix de toutes façons. J'aimerais que mes parents ne se fassent pas de souci pour moi. Je voudrais les rassurer pour qu'ils n'aient pas à s'occuper de moi. Aujourd'hui, je crois que j'ai grandi.

Au final, la vie n'est qu'une simple illusion. On grandit avec des idées en tête, et des idées qui ne viennent pas toujours de nous. Des choses qu'on nous a plantées bien profond dans l'esprit, et qui sont impossibles à retirer. Et puis nous, on a pas d'autre choix que de vivre avec. Notre vie est basée sur ces idées que les autres ont choisi pour nous. On vit tout le temps avec nos rêves. Ces mêmes rêves qu'on doit de réaliser avant qu'il ne soit trop tard. Pour ne pas le regretter après. Mais c'était peut-être absurde, avec le recul. J'aime pas trop qu'on se base sur ces idées immatérielles qui sont pourtant si banales et insignifiantes. Et j'ai quand même l'impression d'avoir vécu tout ça, que j'ai vécu mes illusions au détriment de ma vie. J'ai laissé mes peurs et mes rêves déteindre sur moi, et me déposséder du peu d'humanité que je possédais au dépens de personnes qui en ont probablement souffert.

Finalement, je lui ai tout raconté, à Julia. Je ne lui ai pas dit ce que je pensais de tout ça parce que je ne veux pas que ça se sache. J'ai peut-être vraiment inventé mon histoire, au fond. Je devais avoir le sentiment que ma vie était vide, ancrée dans la routine. Je ne sais pas. Maintenant, ils peuvent faire ce qu'ils veulent de moi. Je n'ai plus d'intérêt à vivre. Je n'ai plus la force de continuer de me battre, ou même de respirer.

J'ai cru percevoir de la compréhension dans ses yeux, pendant que je parlais. Je ne saurais pas dire si je me faisais des illusions ou si c'était bel et bien réel. Elle est sortie de la salle. Je ne sais pas ce qu'elle leur a dit. Je ne sais pas non plus où en est l'enquête. Mes parents viennent me voir tous les jours derrière les barreaux de ma cellule.

Malgré tout, je n'arrive toujours pas à démêler le vrai du faux dans cette affaire. Je crois que je me suis inspiré d'une fille de ma classe pour Sarah. Elle devait me plaire et j'ai dû lui inventer une histoire pour pouvoir venir à son secours. Pour Mme Hawthorn, je ne sais pas trop comment je m'y suis pris. J'ai dû mélanger mon ancienne psychologue et une de mes profs de l'université. Je ne suis sûr de rien. Il est possible que ces personnes n'existent que dans ma tête, sans que je n'ai eu besoin de m'inspirer de qui que ce soit. Mais peut-être que je me trompe. Ou que ce sont eux qui se trompent.

La vie n'est jamais comme on pense qu'elle le sera, elle se plie seulement aux idées qu'on se fait d'elle à ce moment-là.

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Niels
Posté le 13/07/2022
Il y a ces moments, à la lecture d'une histoire, où l'on se rend compte que tout commence à s'accélérer, que la tournure des événements ouvre la porte à un nouveau pan du récit. Je pense que nous sommes arrivés à ce point dans ton histoire. La Mort a pris possession d'Andrew, il affirme être la Mort, et il est en quelque sorte seul contre tous car personne ne le croit. La progression des chapitres, cette mise en place constante du mystère, nous a menés logiquement vers ce point, et nous pousse à continuer, à vouloir savoir. C'est quelque chose que j'apprécie beaucoup dans ton histoire :)

J'ai le sentiment que les véritables tourments d'Andrew ne font que commencer, que nous allons assister à une sorte de descente aux enfers qui n'augure rien de bon pour lui et ses proches.... wait and see !
InTheKiosk
Posté le 22/12/2022
Hello,
Je ne réponds que maintenant, et je m'en excuse platement.
Je suis très heureuse de savoir que la "construction" de l'histoire te plaise autant. Malheureusement, l'histoire se termine initialement ici...mais peut-être que je peux envisager une suite :)
Je te remercie mille fois pour tous tes commentaires !
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