Chasseur de spectres

L’automne était sans aucun doute la saison préférée de Newton. C’était toujours à cette période de l’année que le détective se rappelait combien il avait de la chance d’être un lapin domestique. Il vivait en effet avec Winnie, sa petite maîtresse de huit ans, et son père, le vétérinaire du petit village de Bibury, dans un cottage anglais où l’on allumait un feu de cheminée dès les derniers jours de septembre. Pour rien au monde Newton n’aurait échangé sa place contre celle d’un de ses cousins, condamné à se terrer tout l’hiver dans une galerie aux parois humides.

L’autre raison qui poussait le géant des Flandres à savourer sa condition était très personnelle : il avait découvert que son thé à la cannelle et au gingembre était encore meilleur lorsqu’il le buvait en observant le jardin se tapisser de feuilles enflammées. Cela le ravissait. Pour finir, le spectacle le plongeait dans un état contemplatif qui réussissait l’exploit d’adoucir une certaine facette de son caractère au moins aussi réputée que son don pour résoudre des enquêtes. Newton était habituellement un lapin grincheux. Aussi grincheux que ses oreilles étaient longues !

Malheureusement, Halloween approchait et, depuis quelques jours, des clients plus farfelus les uns que les autres se pressaient à sa porte.

Il y avait d’abord eu Edgard, le persan des Pattinson, dont le maître s’était transformé en zombie. C’était en tout cas ce que le chat affirmait. À l’en croire, le corps de son humain était possédé. Edgard avait expliqué que M. Pattinson se levait toutes les nuits en poussant des gémissements monstrueux. Newton avait vite établi que le pauvre homme souffrait de somnambulisme et que s’il criait, c’était seulement de douleur lorsqu’il s’écrasait un doigt de pied contre un angle de mur.

Puis, ce fut au tour de Pattie, le canari des Smith, de s’adresser à Newton pour une autre affaire à dormir de debout. Pattie avait en effet exigé que le détective la débarrasse d’une affreuse sorcière qui avait pris possession du domicile de ses maîtres. Celle-ci la forçait même à avaler des gâteaux rances à longueur de temps ce qui, pour le canari, n’avait qu’une seule explication : la sorcière l’engraissait pour la dévorer ! Après une rapide vérification, Newton avait découvert que la sorcière n’était autre qu’une vieille tante d’Oxford chargée d’arroser les plantes et de nourrir Pattie en l’absence de ses maîtres. Absence qui, à sa décharge, n’avait pas été notifiée au canari par les intéressés. Mais pour une fois, le détective avait bien dû admettre que la verrue qui poussait sur le menton en galoche de la vieille femme, ainsi que ses couvre-chefs cabossés, avait pu prêter à confusion.

Voilà comment, dès le milieu du mois d’octobre, et bien malgré lui, Newton passait de détective privé à chasseur de spectres.