Chaud et froid

Par Dédé

 

— Mon cher Albert, je ne suis chargé d'accueillir les gens à la mairie et les renseigner. Tu sais bien que je ne fais pas dans l'espionnage.

— C'est bien dommage, Vivien. C'est bien dommage... Sans doute que ça m'aurait aidé à retrouver ma femme.

— Il fait bien chaud dans ce café, tu ne trouves pas ?

— Je suis trop frileux pour répondre objectivement.

— La question va te sembler sotte mais tu es sûr que cette femme est bien la tienne ?

— Bien sûr que je suis sûr ! Pourquoi demandes-tu une chose pareille ?

— Bah... C'est que ta prétendue femme, tu ne me l'as jamais présentée. On était beaucoup à se demander si elle existait vraiment.

— Je ne vous l'ai pas présentée car elle ne vous supportait pas.

— Mais Albert... Comment pouvait-elle ne pas nous supporter sans nous avoir rencontré ?

— Je lui parlais beaucoup de vous.

— En bien, j'espère ?

— Si j'avais parlé de vous en bien, elle vous aurait invité elle-même chez nous.

— Tu lui as raconté des horreurs à notre sujet ?

— Non plus, Vivien. Non plus... J'ai tout simplement dit la vérité vraie.

— C'est-à-dire ?

— Tu n'as pas froid ? Je sens un vilain petit air. Nul doute que le café a mis en route sa climatisation...

— Ah bon ? Je suis presque tenté d'ôter mon petit pull de laine. Non pas que je suis au bord de la transpiration mais tout de même, il ne fait pas si froid, voyons...

— Bref, parle-moi plutôt de ma femme amnésique. Que voulait-elle exactement à la mairie ?

— Retrouver son nom, tout simplement.

— C'est tout ?

— C'est déjà pas mal, je trouve...

— C'est tout ce qu'elle t'a dit ?

— Non, Albert. Bien sûr que non... Je lui ai fait comprendre que la mairie ne l'aiderait pas, qu'il fallait se méfier de tous ces psychologues et aussi des prétendus maris.

— Tu lui as dit de se méfier de moi ?

— J'ignorais que tu étais le prétendu mari en question étant donné que je n'ai jamais rencontré ta femme, ou ta prétendue femme...

— Voilà que je commence à avoir froid... Pas toi ?

— Ils viennent d'éteindre la climatisation et j'avoue que j'en suis presque à manquer d'air.

— Vivien, tu crois que je mens ?

— A quel sujet ?

— Ma femme.

— Je ne crois que ce que je vois. Et pour l'instant, je vois un homme et une femme qui ont respectivement une prétendue femme et un prétendu mari.

— Crois-tu qu'elle et moi pouvons encore nous retrouver ?

— Vu qu'elle a l'air de te fuir comme la peste noire, un maigre espoir est permis mais si j'étais toi, je jetterais mon dévolu sur une autre femme. Consentante et avec tous ses souvenirs intacts, si possible.

— Mon Dieu ! Qu'il fait chaud !

— Dans ce cas, tu veux bien me prêter ton pull ? Je commence à grincer des dents...

— Bien sûr.

— Merci, tu es aimable.

— A t'entendre, on dirait que je ne tombe amoureux que de femmes fragiles et amnésiques.

— Vu l'actuelle femme de ta vie, c'est un peu le cas, non ?

— C'est une coïncidence, tout simplement. Ma femme n'a rien de prétendue. Je sais qu'elle m'aime tout autant que je l'aime, au fond. Elle ne répond pas à mes lettres ni à mes déclarations parce qu'elle a oublié, c'est tout. Mais quand elle se rappellera de tout, elle va revenir vers moi plus amoureuse que jamais.

— Ne crois-tu pas qu'elle va surtout se souvenir que tu la harcelais pendant qu'elle fouillait sa mémoire ?

— Je ne la harcèle pas, voyons !

— C'est toi qui le dis...

— Je me demande vraiment pourquoi je t'ai donné rendez-vous... Parce que tu ne me soutiens pas beaucoup et que tu n'es pas prêt à m'aider à reconquérir ma femme.

— Albert, peut-être m'as-tu donné rendez-vous parce qu'on ne s'était pas vus depuis longtemps ?

— Oh non ! Je ne pense pas...

— Parce que tu veux que je séduise ta prétendue femme ?

— Elle n'est en rien prétendue et non, je ne veux pas que tu la séduises.

— Quel dommage...

— Mais si tu pouvais m'aider à la séduire, par contre...

— Tu as vraiment besoin d'aide en matière de séduction ? De mon aide ?

— Oui, Vivien. Tu as raison... La dernière fois que tu as eu un tête-à-tête avec une femme, un gorille s'est échappé d'un zoo, a attaqué le restaurant dans lequel vous vous trouviez et a mordu ta conquête pendant que tu te cachais sous la table. Je préfère éviter tes conseils si ça ne te gêne pas...

— Mes rendez-vous ne sont pas si catastrophiques que ça, arrête un peu...

— Faut-il que je te rappelle de celle qui a eu le cuir chevelu en feu parce que tu as harcelé le serveur pour avoir une crêpe flambée ?

— Je me rappelle très bien de ce petit incident.

— Le serveur t'avait bien dit que la machine à flamber les crêpes ne fonctionnait pas. Mais tu as insisté et menacé de porter plainte alors il a voulu faire un effort...

— Et je n'ai plus jamais revu la fille en question, oui je sais... On dirait que tu te rappelles mieux que moi de cette histoire.

— J'ai une mémoire du détail assez extraordinaire.

— Ah oui ! C'est vrai...

— Donc, vois-tu, Vivien... Je vais me passer de tes conseils.

— Je n'avais nulle intention de t'en donner, mon cher ami. Tu patauges très bien tout seul.

— Voudrais-tu me rendre mon petit pull ? Je grelotte un peu depuis tout à l'heure...

— Ça tombe bien. Ton machin m'étouffait... Il fait une chaleur ici, tout à coup. Le café veut nous priver d'air ou quoi ?

— Merci bien.

— Comment comptes-tu t'y prendre pour séduire ta... ta femme ?

— Je vais lui laisser un peu de temps et mener mon enquête pour savoir quelle psy elle a bien pu consulter depuis son amnésie. Ensuite, j'irais voir la psy en question pour aller à la pêche aux infos et...

— Albert, es-tu conscient que la psy est tenue au secret professionnel ?

— Mon cher Vivien, je saurais la faire parler, fais-moi confiance...

— Tu vas lui faire du charme ? Non parce que déjà que ça ne marche pas sur ta propre femme, j'émets des doutes...

— Rappelle-moi pourquoi je t'ai donné rendez-vous ?

— Ouh ! Mais il fait un peu frisquet, non ? Loin de moi l'idée d'abuser de ta générosité mais... As-tu vraiment besoin de ton pull là, tout de suite ? 

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