Chili dans le Blizzard : Chapitre 4

Notes de l’auteur : Voici les deux derniers chapitre de la première nouvelle

-C’est un scandale, hurlait Shilva, de quel droit osez-vous nous            utiliser de la sorte          !

Après avoir enterré les dépouilles de leurs assaillants, afin de ne pas attirer les prédateurs, la troupe s’était réunie autour du feu de camp. Démasquées, les marchandes factices avaient retiré leur cape dévoilant leurs tenues de guerrières en cuir sombre. Elles arboraient toutes un blason représentant un éventail et un sabre blanc sur fond rouge. Les couleurs du royaume de Victa.

Ayant dévoilé leur couverture, le groupe de femmes dut s’expliquer. Elles étaient des guerrières d’élite de l’armée de Victa, leur mission était de garantir la sécurité Sophia Kane, fille de la reine Line Kane de Victa.

Trois semaines plus tôt, alors qu’elles raccompagnaient Sophia d’un voyage diplomatique, la troupe avait essuyé une attaque d’un groupe d’assassin. Échappant de peu à la mort, la princesse et ses gardiennes se retrouvèrent isolées et sans moyen d’entrer en contact avec Victa. Après une semaine d’errance dans les sauvages territoires du nord, la troupe parvint finalement à rallier Gèle-fendre où elle obtint le soutien des dirigeants, mettant ainsi en place l’exfiltration en secret de la princesse.

            -Une minute, intervint Sorya, si vous vouliez rallier Victa au     plus vite, pourquoi avoir patienté une semaine juste pour avoir     un éclaireur ?

Cette remarque pertinente fit tiquer ses subordonnés.

            -Pas un éclaireur, répondit alors Sophia de sa petite voix, c’est lui que je voulais.

En terminant sa phrase, la princesse à la chevelure de corbeau pointa Joshua du doigt.

Le Guerrier-cuistot ne pipait mot, se contentant de foudroyer la princesse et sa garde rapprochée de son regard sombre. Thara eut la sensation de se tenir face à une bête sauvage prête à lui sauter à la gorge. Elle sentit une main s’appuyer sur son épaule, c’était Torya. La femme d’âge mûr baissa les yeux sur la ceinture de sa subordonnée. La semi-elfe se rendit alors compte qu’elle avait machinalement porté la main à son sabre. Elle déglutit bruyamment et replaça ses mains sur ses genoux.

La haute elfe fronça les sourcils. Elle questionna alors le jeune homme sur le sens de ces paroles. Il ne répondit pas.

Torya se leva alors et dit :

            -Seigneur Gril, je suis consciente que la méthode que nous       avons utilisée est discutable, mais comprenez bien que dans   notre situation vous étiez la personne la plus compétente pour          nous aider.

Entendant la guerrière donner de la particule au cuisinier, Sorya fronça les sourcils.

            -Joshua…êtes-vous un noble ?

La princesse eut un petit rire :

            -Un noble ? Ha, c’est un prince du royaume Gourmet qui se       tient devant vous.

Borbon manqua s’étrangler avec sa lampé de vin. Plusieurs éclats de voix suivirent cette déclaration. Joshua ne les entendit presque pas, il bouillonnait intérieurement, furieux de s’être fait manipuler de la sorte.

De son côté Sorya Romar fixait le jeune homme de ses yeux saphir. Elle n’arrivait pas à croire que cet humain aux allures de vagabond était un prince. Si elle ne connaissait que les légendes qui entouraient les mœurs du royaume Gourmet, à part le nom de la reine, elle ignorait tout de la politique de ce pays.

            -Comment pouvez-vous affirmer cela ? Demanda-t-elle alors.

En guise de réponse, Sophia s’avança plus près du feu. Elle écarta sa chevelure, dévoilant une série de taches brunes qui parcouraient son crâne jusqu’à la base de sa nuque. Le public ne comprit pas. La princesse se recoiffa et dit :

            -Retire ton bandana s’il te plait.

Joshua grommela, puis s’exécuta, dévoilant un crâne rasé de près et sur celui-ci une série de taches identiques à celle de la princesse.

            -Vous…vous êtes parents ? Bredouilla Mirka.

            -C’est mon oncle.

Le groupe était déjà déstabilisé, la nouvelle annonce ne faisait qu’ajouter à la confusion.

Ne souhaitant pas être mêlé à cette nouvelle vague de questions, Joshua quitta le feu de camp et retourna s’asseoir sur le rocher où il avait monté la garde. Hortho le suivit et l’allongea à ses côtés. Le Guerrier-cuistot le gratta entre ses cornes torsadées, cela plut fortement au bouquetin qui émit un frémissement.

Joshua et sa monture restèrent ainsi pendant plusieurs minutes, avant qu’un bruit de pas sur la poudreuse ne vienne troubler leur tranquillité.

            -Oncle Josh, on peut discuter ?

Le jeune homme se retourna, derrière lui se tenait à quelques pas de lui, Thara à ses côtés. Il se détourna de la princesse, avant de demander :

            -Depuis combien de temps m’espionnes-tu Sophia ?

La fillette déglutit bruyamment mais ne baissa pas les yeux, elle était fière et malgré l’ainesse de Joshua elle ne se laisserait pas intimider aussi facilement qu’une gamine ordinaire.

            -Cela fait deux ans, bien que ça n’était pas facile de suivre ta trace. Et que les choses soit claires je ne m’excuserai pas.

            -Je m’en doute.

Un silence suivit ce dialogue, Joshua entendait la respiration fluette de sa nièce. Il était étonné par la maturité de l’enfant. Lorsqu’il l’avait vu deux ans plus tôt, elle avait encore la naïveté des filles de son âge, mais aujourd’hui elle l’avait perdu.

            -Qu’est-ce qui t’es arrivé, ma nièce ?

            -J’ai découvert ce qu’il s’est passé entre grand-mère et toi      oncle Josh. Répondit Sophia, sur un ton très irrité.

Joshua poussa un long soupir, attristé. Les paroles de sa nièce réveillèrent en lui la mémoire des événements qui l’avaient poussé à quitter sa terre natale. Et qui étaient à l’origine de ses pérégrinations à travers le continent en solitaire. Il songea à sa famille, à ses frères et sœurs et demanda :

            -Comment vont tes parents ? Comment va mon frère ?

            -Ils vont bien. Tu manques énormément à Papa je pense que     tu t’en doute.

Joshua se contenta d’acquiescer. Son frère Martin Gril, avait épousé la reine Line il y a près de quinze ans. Le jour de la naissance de Sophia, le Guerrier-cuistot n’avait jamais vu son frère aîné aussi heureux. Son errance l’avait coupé de lui, depuis deux longues années maintenant. C’est lorsqu’il parlait de lui, qu’il pensait à lui, que Joshua réalisait à quel point il lui manquait. Mais cela lui rappelait également sa mère, la bassesse et la mesquinerie dont elle avait fait preuve et il avait horreur de ça. Réprimant sa rancœur et ses mauvais souvenirs, Joshua revint à la réalité.

            -Très bien, dit-il en posant son regard émeraude sur sa nièce,             je remplirai ma mission et t’accompagnerai à Victa, mais à             l’instant où tu seras dans l’enceinte du château, je quitterai      l’escouade.

Sophia voulut protester, mais elle s’abstint, sachant bien qu’il ne céderait pas. Elle acquiesça, tourna les talons retournant près du feu de camp, laissant son oncle à nouveau seul.

Joshua resta sur son rocher, laissant ses pensées vagabonder. Environ deux heures plus tard, Borbon vint le relever pour le reste de la nuit. Le jeune homme alla se rouler dans sa tente et s’endormit d’un sommeil profond et lourd.

Une lumière blafarde chatouilla l’œil de Joshua, il ouvrit les yeux et bailla longuement. Il entendait les bruits d’agitation dans le campement. Il sortit de sa tente, torse nu et se retrouva nez à nez avec Sorya. La haute-elfe venait elle-même de se lever et d’enfiler son armure. À la vue du jeune humain trapu, à moitié nu, elle lui sauta presque à la gorge.

            -Mais enfin, ne sortez pas dans cette ten…

Elle n’acheva pas sa phrase, au moment où sa main gantée entra en contact avec l’épaule musclée de Joshua, elle sentit l’immense chaleur qui s’en dégageait. C’était comme toucher une bouilloire.

Surprise, la militaire recula et observa plus en détail le physique du Guerrier-cuistot. Son torse et ses bras étaient noueux, elle n’y voyait aucune trace de graisse, la peau ambrée luisait à la lumière de l’aube. D’effrayantes cicatrices zébraient ce corps pourtant si jeune.  L’elfe centenaire ne s’émouvait guère de la beauté du corps d’un petit humain dans la vingtaine, toutefois, elle ne pouvait ignorer la puissance surnaturelle qui émanait de celui-ci.

            -Quel genre de vie as-tu mené pour devenir ce que tu es ?        Demanda Sorya.

Joshua garda le silence pendant quelques secondes avant de dire :

            -Une vie de guerrier et de voyageur. Répondit-il sur un ton      monocorde.

Sans ajouter un mot, Joshua retourna sous sa tente et revêtit son équipement, enfilant son kimono par-dessus une côte de mailles en mythril. Il n’avait guère apprécié le contact direct que la militaire avait eu avec lui. Depuis son adolescence, Joshua avait développé une forte répulsion du contact physique avec les membres du sexe opposé. Cela était principalement venu des conflits avec sa sœur et les chasseresses. Le choix plus que marginal du jeune homme de développer son propre art du combat ne plaisait guère à la caste des chasseresses, cela avait fini par entrainer des conflits violents et finalement un acte de déloyauté de sa mère, la reine Raikane, qui l’avait dégouté au point qu’il décidé de fuir sa patrie pour rester libre.

Le contact au combat ne le gênait gère, cependant les contacts intimes lui semblaient des plus désagréables, il avait la sensation de s’exposer et de montrer ses faiblesses, une chose qui le terrifiait. Par conséquent malgré ses vingt-deux ans, il n’avait jamais connu l’étreinte d’une femme et il pensait qu’il ne la connaitrait jamais.

Sorya entendit le tintement des anneaux de la côte de mailles. Le Guerrier-cuistot ressortit quelques secondes plus tard, dans son accoutrement habituel.

            -Pardonnez ma question, dit alors l’elfe, comment votre peau   a-t-elle pris cette teinte ?

Joshua fut quelque peu étonné par l’attitude, soudainement directe de la militaire, toutefois il répondit sur le même ton neutre.

            -C’est une conséquence de mon entrainement. Navré mais je    préfère garder les détails pour moi.

La haute-elfe n’insista pas et retourna aiguiser son sabre, non sans garder un œil sur Joshua. Sorya brulait de poser des tonnes de questions sur le pays du jeune humain, l’origine de ses étranges techniques et surtout la raison qui l’avait poussé à quitter son foyer pour arpenter le continent dans tous les sens.

Cependant elle s’en abstint, elle se doutait qu’il ne répondrait pas. La nature taciturne de l’humain n’avait pas échappé à la guerrière centenaire, il ne se confierait pas à une inconnue.

Le campement commença peu à peu à s’agiter, tandis que la troupe se réveillait. Les femmes de la troupe tendirent une toile, afin de faire leurs ablutions matinales en toute tranquillité.

Sophia fit les siennes entouré de sa garde rapprochée en arme, toutes affichant un regard aussi sanguinaire que farouche. Joshua eut un sourire discret, il était secrètement rassuré de voir sa nièce si bien entourée. Sa nature peu expressive et renfermée ne laissait pas paraitre l’inquiétude, qu’il avait éprouvé à l’annonce de la tentative de meurtre sur la fillette.

Il se doutait bien que le jeu politique, auquel la famille de son frère s’exposait, était dangereux. Mais il avait encore du mal à concevoir le fait que des gens puissent en venir à viser des enfants, tout royaux qu’ils fussent. Cela réveilla en lui une colère profonde, le ou les responsables de cet acte ignoble avaient vivement intérêt à rester cachés à jamais, s’ils tenaient à la vie.

Une demi-heure après le réveil des troupes, Joshua prépara un petit déjeuner à base de lait de mammouth géant, de pain au blé des plaines volcaniques et d’œuf de vouivre des roches.

Bien sûr, il ne dit rien à ses compagnons au sujet de la réelle nature des ingrédients utilisés. Les soldats et les gardiennes royales dévorèrent cette pitance bienvenue, sans poser de question. Moins d’un quart d’heure plus tard, le camp fut plié et la caravane reprit son chemin à travers le col.

***

Du haut de la falaise, une immense silhouette observait les mouvements en contre bas. Malgré la distance qui la séparait des petits deux-pattes et de leurs animaux de compagnie, il n’avait aucun mal à les entendre ou à les sentir. Déplaçant son corps massif et puissant, il suivit ses proies au pas, ses griffes puissantes rayant la glace et les rochers sur lesquels elles passaient.

Il convoitait ses proies, les saveurs qu’elles offraient étaient inexistantes dans son territoire glacial et stérile. Tout ce qu’il trouvait pour se nourrir ici était ces infectes créatures vertes qui glapissaient à son approche. Celles qui bougeaient en contrebas, lui promettaient un changement bienvenu.

Mais il savait que cette chasse ne serait pas facile. L’échec de l’attaque des petits verts, qu’il avait observé depuis les airs, lui avait montré que parmi cette meute, il y avait un mâle, très dangereux, capable de cracher le feu et de broyer les os comme des brindilles. Sans savoir pourquoi, ce bipède trapu à la peau de soleil éveillait en lui une crainte, la peur que seules les proies ressentent. Or il n’était pas une proie, mais un chasseur et un prédateur. Il comptait bien dévorer cette troupe de bipèdes, en ne laissant rien, pas même les os. Il se ramassa sur lui-même et s’envola en rugissant à pleins poumons, faisant résonner sa voix de roi dans l’air glacé.

***

Un rugissement déchira les airs au-dessus des voyageurs. Joshua sursauta, il bondit pour se retrouver à pieds joints accroupit sur la selle de Hortho. Sa Vorpoêle dans une main et son étrange perche empaquetée dans l’autre, prêt au combat.

Ses camarades agirent avec un temps de retard, moins rapides que lui, mais tous furent rapidement sur le pied de guerre. Tous restèrent de marbre pendant plusieurs secondes n’osant faire le moindre bruit. Ne voyant rien, le groupe se détendit, Joshua n’était toutefois pas rassuré. Le cri qu’il avait entendu était sans aucun doute celui d’un monstre, ou d’un énorme prédateur. Il y avait quelque chose qui les surveillaient, les épiaient.

La caravane reprit sa route, progressant à bonne allure. Trois jours s’écoulèrent, sans incident notable. Les membres de la troupe étaient sur leur garde, mais aucun d’eux n’était plus tendu que Joshua. Le jeune homme sentait qu’on les observait ainsi qu’une extrême hostilité.

Ce soir-là, Joshua prit à nouveau le premier tour de garde. Plusieurs heures s’écoulèrent sans aucun incident, puis le vent se leva et rapidement le blizzard se mit à souffler sur le camp. Cela ne fit qu’accroître le malaise du Guerrier-cuistot. Malgré sa volonté de rester monter la garde, il fut trainé dans le chariot autour duquel la troupe avait monté une immense tente, dans le but de se défendre efficacement en cas de nouvelle attaque et bien sûr de se réchauffer correctement. Joshua s’assit en tailleur, sa poêle au côté et sa perche en travers de ses genoux.

Quatre feux brûlaient dans la tente, malgré cela le froid se faisait sentir. Sophia était emmitouflée dans deux couches de fourrures, ses gardiennes et les militaires avaient fait de même. Seul Joshua ne semblait pas avoir froid et c’était le cas. Le Guerrier-cuistot ressentait ce froid comme une simple brise fraiche. Sa nièce sembla s’en rendre compte et se rapprocha de lui à quatre pas et ignorant ses gardes se blottit contre le corps trapu et ambré.

Joshua frémit au contact du petit corps frigorifié et sans trop savoir pourquoi, il entoura la fillette de l’un de ses bras. Sophia sentit alors la puissante chaleur de son oncle se répandre dans tout son être, moins d’une minute plus tard elle s’endormit. Rassuré, le Guerrier-cuistot remit sa nièce à Torya, la guerrière prit la princesse dans ses bras et la coucha sur un lit de fortune dans le chariot.

Permettre à sa nièce de dormir en toute tranquillité libéra Joshua d’une part de sa frustration. Cela faisait trois nuits qu’il montait la garde et dormait à peine, de peur d’être pris par surprise par le prédateur mystérieux qui arpentait le col.

Ce soir, le repas cuisiné par le Guerrier-cuistot avait été un plat de riz argenté de la vallée des bambous, avec une bonne quantité de jambon fumé de sanglier de la forêt des hauts pins de l’ouest. Tous étaient rassasiés, mais l’estomac plein ne protégeait pas de l’air gelé.

Curieuse, Shilva s’approcha de Joshua et tenta se blottir contre lui. Au contact du corps de l’elfe noir, le jeune homme eu un mouvement de recul. Mais la soldate ne s’en préoccupa gère et poursuivit son geste. Sans rien pouvoir faire, le Guerrier-cuistot se retrouva enlacé par les bras musclés couleur d’onyx de la guerrière.

Aussitôt, la drow sentit la chaleur qui émanait du jeune humain et telle un gros chat elle se mit à ronronner. Si elle avait pu, Ombra aurait rougie jusqu’aux oreilles. Joshua était tétanisé, le contact avec l’elfe l’effrayait, mais il n’osait pas bouger de peur de vexer la Chouette-Blanche.

Afin d’oublier le contact avec Shilva, Joshua se focalisa sur son ouïe et son odorat. Plusieurs minutes s’écoulèrent ainsi, dehors le vent semblait souffler de plus en plus fort. Tout à coup, le Guerrier-cuistot entendit un souffle fendre le courant du blizzard, un autre souffle suivit, puis un autre. Joshua réalisa ce qu’était ce bruit : un battement d’aile. Le jeune homme renifla, humant l’air, mais la tente et la neige couvraient toutes les odeurs.

Joshua se leva d’un bond, faisant sursauter tout le monde, le battement s’accélérait et se rapprochait dangereusement de la tente. Le jeune homme estima rapidement la taille de la créature qui s’approchait, elle était grande, très grande.

            -Tous dans le chariot ! hurla le Guerrier-cuistot.

Sans comprendre, le groupe resta de marbre, avant que Joshua ne jette Borbon et Shilva dans la charrette. Réalisant l’urgence de l’ordre du Guerrier-cuistot, tous se pressèrent dans le véhicule, armes tirées.

À peine le groupe se fut il massé dans le chariot, qu’une paire de griffes aussi larges que des poignards s’abattirent sur la tenture, la déchirant comme du papier. Joshua fit volteface et inspira autant que ses poumons lui permirent, mais au lieu d’avaler de l’air, se furent les flammes du feu de camp qu’il avala. Les flammes se levèrent en une myriade de spirales incandescentes, pour s’engouffrer dans la trachée et les narines de Joshua. Brillant d’une lueur orange, l’abdomen du cuisinier se gonfla, à un tel point que Sorya crut qu’il allait exploser.

Alors que la tente tombait en morceaux, un rugissement titanesque retentit couvrant le blizzard. Les griffes monstrueuses ouvrirent finalement un trou béant dans la tenture, une gueule féline garnie de crocs apparut et une paire d’yeux flamboyants brilla.

À cet instant Joshua expira avec force, relâchant le flot de flammes prisonnier de ses poumons. Ce « souffle du fourneau » fut dix fois plus dévastateur que celui qu’il avait lancé sur la meute de gobelins. Le cône de feu déferla sur l’assaillant inconnu comme une éruption volcanique.

Un cri de douleur suraigüe déchira le vacarme de la tempête. Blessé, ou simplement effrayé, le monstre recula et dans un son mat atterrit dans la neige à environ trente mètres du chariot. Tandis qu’il reprenait son souffle, Joshua siffla et Hortho accourut, son chargement cliquetant sur le dos. Le jeune homme fouilla en toute hâte et en sortit une flasque. Il la déboucha et but une grande rasade de son contenu. La boisson chaude et amère se répandit dans le gosier de Joshua.

Sa soif étanchée, le Guerrier-cuistot sortit de la tente en essuyant sa bouche. Depuis le chariot, ses camarades l’avaient observé, si son souffle de feu les avait fascinés, son action suivante en avaient laissé plus d’un circonspect.

Seul Torya et la princesse n’étaient pas étonnées, pour elles les actes de Joshua étaient tout à fait censés. Sorya tenta de sortir avec le reste de l’unité, mais le jeune homme stoppa la capitaine d’un geste accompagné d’un puissant « STOP ». Les Chouettes-Blanches voulurent protester, mais Sophia et la meneuse des gardiennes approuvèrent le choix de Joshua.

Le jeune homme, à présent les deux pieds dans la neige jusqu’aux chevilles, fit à nouveau appel à son fourneau intérieur. Il distinguait l’énorme masse du prédateur à travers le rideau de neige, mais cela ne suffirait pas pour combattre. Comme lors de la première bataille, Joshua utilisa le « Déluge de Friture », mais au lieu de viser son ennemi, il dispersa ses crachats enflammés sur un large périmètre entourant le camp.

Alors que ses compagnons s’attendaient à voir ses flammes s’éteindre au contact de la neige, les boules incandescentes se fixèrent sur le manteau neigeux comme des feu-follets. Les Chouettes-Blanches et une grande partie des gardiennes ne comprirent pas ce qu’il se passait.

Le liquide que Joshua avait bu quelques instants plus tôt était de l’alcool d’orge des plaines tropicales du sud. Cette liqueur avait pour singulière propriété non-seulement d’être très inflammable, mais aussi d’être insoluble à l’eau. En associant le « souffle du fourneau » et cette boisson, Joshua avait considérablement économisé ses forces pour l’affrontement qui allait suivre. Le campement était à présent entouré d’une myriade de braséros, éclairant une large zone.

Un grognement roula comme le tonnerre et le rugissement du vent se calma, comme s’il répondait à un ordre extérieur. Alors le son d’une démarche lourde et pesante se fit entendre sur la couche de neige. Émergeant des méandres de la nuit, le monstre se dévoila : un immense lion trois fois plus gros qu’un cheval, pourvu d’une paire d’ailes membraneuses et de cornes torsadées sur le sommet de son crâne massif. Quant à sa queue, c’était un membre dénudé couvert d’une carapace, se terminant en un dard de scorpion. Le monstre ouvrit la gueule, dévoilant ses crocs jaunes longues comme des fers de lances, pour rugir à nouveau.

Alors que les soldats et le groupe de la princesse étaient terrassés par l’effroi que leur inspirait ce prédateur sorti tout droit des entrailles primitives de la terre, le Guerrier-cuistot arborait un sourire sauvage à la vue du monstre. Face à Joshua Gril, se dressait un manticore impérial, un monstre qu’il n’avait encore jamais eu l’occasion de chasser, ni de cuisiner.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez