Chapitre 1 : Chloé Saint-Germain, Super-vétérinaire
Chloé Saint-Germain gonfla les joues et laissa filtrer un soupir contrarié entre ses lèvres. D’un geste machinal, elle repoussa une mèche brune derrière son oreille et recula d’un pas pour évaluer la situation.
« Ok… ok… OOOOKKKK… Qu’est-ce que je fais maintenant ? »
Elle avait deux options. Soit elle tuait ce satané chat et mettait ainsi fin à sa jeune carrière de vétérinaire, soit elle se laissait scalper en espérant sortir victorieuse de ce combat. Deux choix difficiles. Le premier engendrait énormément de conséquences pour son compte bancaire et donc son prêt étudiant; le deuxième s’avérait des plus dangereux. En effet, Chloé estimait qu’elle n’avait rien d’une héroïne et préférait de loin être comparée à un paresseux qu’à un lion courageux. Ceci dit, tuer le chat équivalait à devoir retourner dans la salle d’attente annoncer à Madame Lorette que Bouillon - ça c’était le chat - ne faisait plus partie de ce monde. Une situation embêtante puisque à la base ce devait être un simple examen de routine.
Finalement, n’ayant pas de solution plus gagnante que d’affronter la bête dans son antre, Chloé s’accroupit en position de combat, seringue à la main. Le félin crachat une fois, feula, fit quelques pas de côté, tous les poils hérissés sur son échine. Sa queue battait l’air furieusement laissant présager son attaque imminente. Pourquoi avait-elle l’absolu pressentiment que ce serait elle la victime ?
- Ok... Du calme Bouillon…
Chloé ne termina pas sa phrase qui se voulait pourtant rassurante. De toute évidence, il ne comprenait pas. Quoi de plus étonnant chez un chat, d’ailleurs. Mais en tant que vétérinaire, elle savait d’expérience que les animaux étaient sensibles au timbre de voix. Du moins, la plupart. Or, celui-ci était beaucoup plus réceptif à l’idée de la transformer en un gigantesque hachis humain plutôt que de conclure une trêve « câlins-vaccins ». Dieu qu’elle haïssait ce chat! D’ailleurs, tout le monde détestait Bouillon à la clinique. C’est pourquoi elle avait hérité de cet examen. La petite nouvelle devait se taper le boulot de merde, voilà!
Comme si ce n’était pas suffisant, de l’autre côté de la porte, Chloé entendit son patron parier dix dollars au reste de l’équipe qu’elle ne terminerait pas sa consultation. Suzie, renchérit à quinze, David l’animalier tint le défi et la réceptionniste ajouta sa mise, mais eut au moins la décence de gronder les grands enfants qu’ils étaient. Si ce n’était pas de la loyauté ça!
Furieuse, elle retint de justesse un mot grossier. Cette bande de traîtres ne perdraient rien pour attendre. Sa vengeance serait terrible. Et pour commencer, elle en profiterait pour trafiquer la consultation. Bien fait pour eux! De toute manière, cette sale bestiole était loin de vouloir rendre son dernier soupir. Alors un vaccin de plus ou de moins…
- Allez Bouillon, je te fais un « deal » ; pas de vaccination, pas de température, tu restes bien gentiment où tu es et je dirai à ta maitresse à quel point tu respires la santé, d’accord ?
Et pour respirer santé, Bouillon était un chef. Il avait des gaz… Et pas que des petits vents tout frais. De terribles bombes qui vous donnaient le vertige. Du genre à vous abîmer le cerveau.
- En plus de ça, j’ai d’excellentes croquettes pour toi… Saveurs variées…
Le chat feula de nouveau, lui crachant ainsi tout son mépris. Ce fut donc en désespoir de cause qu’elle tenta une approche par la ruse. Malheureusement, Chloé réalisa trop tard son erreur. Avant même qu’elle n’ait pu faire quoi que ce soit, l’apocalypse s’abattit dans la petite salle de consultation. Son geste fut l’élément fatal qui déclencha la rage féline de Bouillon. Le tout centré vers l’intérieur de sa cuisse droite, exactement là où la chair était le plus tendre. Il s’y logeait aussi une artère principale… Coïncidence ?
Face à l’attaque, les muscles de Chloé réagirent aussitôt. En un mouvement, tel « Super-Vet », elle esquiva l’agression d’un pas arrière. Son coude en profita pour heurter les bocaux de son comptoir d’examen, lesquelles se répandirent sur le sol en un vacarme assourdissant. Rien de très rassurant pour les clients qui patientaient dans la salle d’attente. Tant pis! Elle n’avait pas le temps de s’en soucier. Ici c’était la guerre. Un combat pour la survie!
Sa cuisse sauvée, elle eut à peine le temps de reprendre ses esprits que le sale chat s’agrippa à son mollet. Sa réaction la plus naturelle fut bien évidement de tirer sur la bête pour tenter de libérer sa jambe. Ce fut une toute aussi mauvaise idée que sa tentative de ruser avec le monstre. La douleur fut telle, qu’elle lâcha une bordée de jurons.
- Ok monsieur Bouillon, l’hystérique de mes deux, rugit-t-elle en secouant la pelote de poils roux qui pendait désormais au bout de son bras. Si tu tiens à la vie, je te conseille d’oublier toutes les autres parties de mon corps où tes jolis petits rasoirs pourraient se planter…Sinon, je t’arrache les pattes, « capiche » ?
Pour toute réponse, le chat continua de gronder furieusement. Malheureusement pour lui, sa position inconfortable ne lui permettait pas d’aspirer à autre chose que la soumission. Voilà qui égalisait le pointage. Du moins, pour le moment.
Triomphante, Chloé savoura son sentiment de supériorité tout en échafaudant les plans machiavéliques au sujet des petites boules poilues de son tortionnaire. Et si elle se trompait de dossier et qu’elle castrait « accidentellement » le fauve au lieu de lui administrer son vaccin contre la rage… Qui pourrait le lui reprocher ? L’erreur n’est-elle pas humaine ?
Chloé en était rendue là dans ses réflexions lorsqu’elle sentit une inquiétante humidité se répandre le long de sa jambe. Elle jeta un premier regard vers son mollet, là où provenait la sensation suspecte, puis reporta aussitôt son attention sur celui qu’elle avait affectueusement surnommé « l’enculé ». Elle répéta aussitôt son geste, mais cette fois elle lâcha un tel juron qu’on l’aurait facilement prise pour un charretier. Et pour cause, là où il y avait un pantalon et un mollet en parfaite santé, gisait troue béant et des lambeaux de chaires sanguinolentes.
- L’enfoiré m’a pratiquement amputée! Espèce de foutu sac à merde!
Littéralement hors d’elle, elle se mit à invectiver la bête qui pendouillait encore au bout de son bras, suspendu par le chignon. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, Suzie, sa collègue de travail, profita de cet instant pour pénétrer dans la salle d’examen.
- La vache! s’exclama-t-elle en jetant un coup d’œil à la scène puis autour d’elle.
- C’est un félin Suz, pas un bovidé, répliqua Chloé, sarcastique.
Pour toute réponse, Suzie lui adressa un grand sourire avant de désigner le bordel qui régnait dans le cabinet. Chloé haussa les épaules.
- Je t’aurais bien vue à ma place, bougonna-t-elle tout en déposant le chat sur le comptoir. Cette bête est pire qu’un diable de Tasmanie.
Le diable de Tasmanie, aussi connu sous le nom de sarcophile – ou plus précisément « qui aime les cadavres » - est un marsupial originaire d’Australie extrêmement agressif. Et vu l’état de son mollet, Chloé soupçonnait fortement que monsieur « Bouillon-casse-noisette » soit issu de cette portion du monde.
- On y est tous passé Clo, c’est un habitué de la clinique. Au fait, tu veux de l’aide ?
Elle ne répondit pas à sa question. À la place, elle enchaîna sur cette histoire de pari fait à ses dépens.
- Alors qui a gagné ?
Suzie comprit immédiatement à quoi elle faisait allusion.
- Personne…
Elle hésita, puis ajouta, penaude :
- Aucun de nous ne croyait que tu y arriverais.
- C’est vraiment gentil. J’apprécie la solidarité… Une équipe forte qui se tient, voilà tout ce dont on a de besoin dans la vie.
Le ton renfrogné qu’elle utilisa eut le don de faire rire Suzie. Aussitôt, son visage constellé de taches de rousseur s’illumina comme un soleil tandis que ses mains expertes l’aidaient à immobiliser Bouillon. Chloé lui tira la langue, mais en voyant la mine réjouie de son amie, elle sourit à son tour. Personne ne résistait à son charme. Sauf le chat, évidement. Lui essayait vainement de les intimider par des grognements sonores et répétés. Pour toute réponse, Chloé lui enfonça le thermomètre en plein dans le derrière.
- T’inquiète, la rassura Suzie tandis qu’elle lui montrait ses blessures, moi j’ai littéralement fondu en larmes après ma première auscultation…
À cet aveu, Chloé haussa les sourcils.
- Quant à Eric, poursuivit-elle, il s’est fracassé le nez en voulant maitriser la bête.
Cette fois, la surprise fut telle qu’elle relâcha sa garde. Putain! Ils étaient face à un véritable « Terminator » (1) félin. Décidément, elle n’était pas pire que les autres avec sa jambe mutilée. Et elle n’était pas aussi médiocre qu’elle l’avait cru au départ. En fait, c’était Bouillon le vrai vainqueur. Il les avait bien eu le sale chat.
Un cri strident l’arracha de ses pensées, juste à temps pour voir sa collègue s’étendre sur la table d’examen et le fauve par la même occasion. Son moment d’inattention avait permis à la bête de tenter une évasion et comme elle était à deux doigts d’y arriver, Chloé n’eut d’autre choix que de réagir rapidement. À présent, elles étaient toutes les deux couchées sur l’animal.
- Ça va ? s’inquiéta-t-elle, tandis qu’elle écrasait Suzie sous son poids.
- Ouais… Dit-donc, tu as eu le temps de retirer le thermomètre ou tu l’as perdu dans le trouffion de notre patient ?
Un grand silence interrogatif s’abattit dans la petite salle d’examen, suivi aussitôt d’un incontrôlable fou rire qui agita les épaules de Chloé et lui coupa le souffle. Bien entendu, sa réaction fit boule de neige et contamina sa voisine du dessous qui s’esclaffa à son tour. Ensemble, elles riaient tellement qu’aucun son ne franchissait leurs bouches grandes ouvertes. Et comme si la situation n’était pas suffisamment risible, leurs soubresauts euphoriques rythmaient les protestations du félin faisant jaillir ses grondements par intermittence. L’espace d’un instant, le chat perdit toute sa crédibilité, au même titre que les deux vétérinaires qui le « soignaient ».
Il leur fallut quelques bonnes minutes et beaucoup de discipline avant d’arriver à retrouver un semblant de sérieux. Heureusement pour le chat – et pour elles aussi – Chloé avait eu la présence d’esprit de retirer l’instrument avant de se jeter sur le tas. Elle n’osait même pas imaginer la tête de madame Lorette si elles avaient abîmé le petit trésor barbare.
- La bonne nouvelle c’est que le postérieur de notre ami est intact, déclara Chloé après avoir repris son calme. Mais la mauvaise c’est que nous devons recommencer le procédé.
Et durant tout le temps que dura la manœuvre de reprise, elles eurent le sourire fendu jusque derrière la tête. Bouillon, quant à lui, ne goûta pas la plaisanterie. Il avait les oreilles tellement plaquées sur le crâne, qu’en y regardant bien, la ressemblance entre lui et un ovni était frappante.
Une fois l’examen complet effectué, les deux vétérinaires se dépêchèrent de remettre le tigre dans sa cage. Ainsi, Bouillon retrouva toute sa courtoisie. Plus sage qu’une image, l’agréable matou ronronnait. Comme si aucun combat ne s’était déroulé en ces murs, comme s’il n’avait pas saccagé la jambe de Chloé et son pantalon neuf par la même occasion. Vu de l’extérieur, le traitre était on ne peut plus mignon… Attitude trompeuse, Chloé l’avait appris à ses dépens.
La première fois qu’on lui avait parlée de Bouillon, elle était en pleine consultation avec un Golden Retriever particulièrement excité. Elle n’avait donc pas prêté attention aux jérémiades de ses collègues qui pour l’occasion avaient envahi sa salle d’examen. Tout en maintenant le chien en place, à demi assise sur lui, Chloé s’était moquée d’eux. Comment un chat pouvait-il être qualifié de « terreur apocalyptique » ? Ils avaient tous ri, sans exception. Le genre de rire gras qui voulait tout dire. Puis, ils avaient décidé de lui refiler l’horreur sur quatre pattes, trop contents d’en être débarrassés. La petite nouvelle de la clinique devait être baptisée selon eux. La prochaine fois, Chloé fermerait sa grande gueule. Foi de vétérinaire.
- Merci Suzie pour le coup de pouce. Reste plus qu’à affronter Madame Lorette et tenter de lui faire comprendre que les produits laitiers sont bannis pour Bouillon. Le petit chéri a des gaz à vous brûler les poils du nez!
Et comme pour corroborer ses dires – ou peut-être par pure vengeance – Bouillon émit un petit vent odorant et ferma les yeux à demi, l’air infiniment satisfait.
- Pourquoi ne l’ai-je pas euthanasié lorsque j’en avais les moyens ? marmonna Chloé, rageuse.
Suzie éclata de rire et disparut par la porte arrière de la salle, celle qui menait aux cages de leurs pensionnaires. Quant à Chloé, elle afficha sur son faciès une expression joviale qu’elle était loin de ressentir, pour le plus grand bonheur de Madame Lorette qui vint à leur rencontre.
***
« Mon p’tit Bouillon chéri, est-ce que l’affreuse madame t’a fait du mal ? »
- Reste un peu tranquille Clo…
Couchée sur sa table d’examen, Chloé imitait Madame Lorette d’une voix amère pendant que l’animalier de la clinique, David, se penchait sur sa jambe mutilée et s’improvisait infirmier pour l’occasion. Ses commentaires et jurons visaient principalement la femme qui avait permis à Bouillon de devenir le monstre qu’il était et quelque fois, elle adressait une œillade meurtrière à ses collègues qui s’étaient réfugiés dans un coin de la salle.
- Alors, tu crois à la légende de Rambo (2) version félin maintenant ? rigola David, tout en appliquant un tampon imbibé d’alcool sur ses plaies.
Pour toute réponse, elle agita sa main et laissa apparaître le signe universel du « va te faire voir ».
- Oh! Ce qu’elle est vilaine la survivante, se moqua Eric, son patron. Tu veux qu’on t’appelle Potter, désormais ? Chloé Potter, celle qui a survécu à Bouillon-le-chat-qui-tue-tous-les-vetos.
Chloé plissa les yeux dans une expression vengeresse.
- Et toi, tu veux qu’on parle de ton nez ? railla-t-elle méchamment. Je trouve qu’il dévie un tantinet vers la gauche, tu m’expliques comment ça s’est produit ?
Bien sûr, Chloé plaisantait. Son patron n’avait pas vraiment le nez croche. En fait, rien en lui n’était déplacé, disproportionné ou choquant. Eric était beau comme un dieu. Le genre de mec sur lequel les femmes fantasmaient l’imaginant comme un vaillant guerrier, un peu brutal, mais tendre et passionné dans l’intimité. Ou bien un sultan qui les aurait maintenues captives jusqu’à ce qu’elles acceptent de l’épouser. Bref, le héros principal d’un roman Harlequin pourri que personne ne lit, mais dont les maisons d’édition tueraient pour obtenir le chiffre d’affaire.
- C’est un coup en bas de la ceinture, protesta David, prêt à défendre son patron.
Suzie, qui savait pertinemment qu’elle paierait pour s’être ouvert la bouche, resta silencieuse dans son coin tentant vainement de se faire toute petite. Tous la virent se glisser vers la porte dans l’espoir de s’éclipser en douce. Malheureusement, une tignasse rousse comme la sienne était loin d’être discrète.
- Je me demande qui a bien pu laisser échapper une telle information ? persifla Eric, sur un ton faux de conversation.
Et il n’en fallut pas plus à Suzie pour décamper de la salle, Eric sur les talons. Quelques secondes plus tard, un grand hurlement résonna dans le couloir et tous surent que le prédateur avait capturé sa proie.
- Tu devrais avoir honte, rigola David en lui donnant une petite tape sur la cuisse pour lui signifier qu’il en avait fini avec ses plaies.
- C’est moi la mutilée, je te signale! Et par votre faute qui plus est…
Ce faisant, Chloé se remis sur pieds et inspecta rapidement ses blessures désinfectées.
- Eh bien, à entendre le vacarme de l’autre côté, je parie que tu auras une compagne estropiée avant la fin de la soirée.
En effet, de grands éclats de rire accompagnés de supplications leur parvenaient de la salle voisine, là où Eric chatouillait leur collègue sans défense. Chloé avait déjà été témoin des méthodes de torture de son patron et savais qu’il ne lâcherait pas le morceau tant que Suzie n’aurait pas fait pipi dans sa petite culotte. Soudain, elle se sentit légèrement coupable.
- On l’aide ? demanda-t-elle à son pseudo infirmier tout en mâchouillant sa lèvre inférieure.
- Laisse, c’est une affaire interne, lui déconseilla-t-il. Mais sors ton portefeuille, je crois que Suzie aura besoin d’un verre pour s’en remettre.
Chloé fit un calcul rapide de l’argent liquide qu’elle avait sur elle et décréta aussitôt que son amie aurait droit à une tournée en règle pour se faire pardonner. Quitte à sortir sa Visa.
- On se voit au coin ? poursuivit David, tout en retirant sa veste bleue pâle d’animalier.
- Sûr! Après le joug de Bouillon, j’ai besoin de boire pour oublier…
David eut un dernier éclat de rire avant de disparaître de la salle, la laissant seule face à son bordel. Elle entreprit donc de ramasser les cotons-tiges qui s’étaient répandus sur le sol et les jeta à la poubelle. Elle releva la chaise de fortune destinée aux maîtres désireux d’accompagner leur protégé pour les examens de routine, replaça un cadre sur le mur et entreprit de nettoyer la table de consultation afin que tout soit bien propre pour lundi.
Une fois la pièce rangée, elle passa elle-même à l’inspection. Dans le miroir, au-dessus de l’évier, de grands yeux bleus pâles apparurent cernés de mascara dégoulinant. Elle arrangea les dégâts du mieux qu’elle put et pinça ses joues livides pour leur redonner un peu de couleur. Elle refit sa queue de cheval, stricte mais pratique pour les consultations, et glissa une mèche brune derrière son oreille. Elle aurait bien voulu se reculer afin d’apercevoir le trou dans son pantalon, mais elle était trop grande et ne cadrait pas dans le rectangle de la glace.
Finalement, Chloé quitta la pièce en éteignant les lumières, heureuse du week-end qui se profilait à l’horizon.
***
Le Chien d’or, communément appelé « le coin », était en réalité un petit pub désuet situé à deux pas de la clinique. L’équipe avait adopté cet endroit en raison de sa proximité, de son nom et du peu d’achalandage qui leur permettait d’obtenir des prix raisonnables et un service rapide. Tous les vendredis, la bande s’y retrouvait après les heures de clinique pour y faire un survol de la semaine et engloutir quelques pots de bière. S’il y avait un match de sport, les paris étaient ouverts. Des hurlements, des chants de partisannerie et des insultes à deux balles venaient pimenter la soirée.
Lorsque Chloé pénétra à l’intérieur, d’entêtants relents d’alcool agrémentés d’une odeur de vieux mais soufflé lui souhaitèrent la bienvenue. Elle se dirigea aussitôt vers ses collègues qui comme à leur habitude avaient assailli les deux tables au milieu de la salle et commandé un grand pichet de bière. Il y avait bien quelques clients, mais pour l’heure l’endroit était plutôt désert.
- Eh Chloé, l’apostropha David, sans même lui donner le temps de se dévêtir, tu votes pour qui au bras de fer ?
La jeune vétérinaire leva les yeux au ciel. Quel pari stupide avaient-ils encore inventé ? Chaque fois, l’histoire se répétait. Les gars, gonflé à bloc de testostérone un peu trop vivante se relançaient à qui mieux mieux pour le titre de mâle alpha. C’était ridicule à la fin.
- Eric! décréta-t-elle, oubliant sa rancune l’espace d’une seconde.
Elle aurait bien voulu choisir David - n’aurait-ce été que pour irriter son patron - mais le pauvre avait les biceps aussi musclés que ceux de sa grand-mère. Celle-ci venait d’atteindre l’âge vénérable de quatre-vingt-deux ans, alors même un idiot aurait compris qu’aucun espoir ne subsistait. Bien sûr, elle eut droit à la moue réprobatrice et au regard piteux, mais immunisée contre ce genre de tactique, elle haussa les épaules et se tourna vers Suzie.
- Alors, la petite culotte, ça va ? demanda Chloé repentante.
- Ouais, marmonna-t-elle, je n’en ai plus…
Un peu surprise par cette réponse, Chloé fronça les sourcils tout en retirant son bonnet de laine et son manteau.
- Je n’allais quand même pas me pointer avec le fond de culotte tout mouillé… Je l’ai mise dans mon sac à main.
- Rappelle-moi de ne pas tenter de te le voler ce soir, d’accord ? Au fait, je suis désolée de t’avoir vendue…
Cette fois, Chloé abordait une mine piteuse. Suzie haussa les épaules, désinvolte.
- Bah, il avait bien mérité cette traîtrise. Après tout, ce n’était pas très « fair-play » de te refiler la terreur sans même te donner un coup de main.
Ayant entendu la conversation, Eric leur adressa un grand sourire et Suzie lui tira la langue. Quant à Chloé, elle retint de justesse un autre doigt d’honneur.
- Allez, pour me faire pardonner, je te paye la tournée ce soir. Et toi Eric, lança-t-elle d’un ton autoritaire, il faudra que tu m’expliques pourquoi tu n’as pas encore viré ce foutu Bouillon de mes deux… Et aussi, comment tu es parvenu à te péter le nez en pleine consultation.
Et c’est ainsi qu’ils entamèrent la fête. Les vodkas succédèrent au pot de bière, suivit de beaucoup, beaucoup d’autres consommations. Ils accompagnèrent le tout de chants glorieux, tous hurlés à l’unisson sur une note plus ou moins fausse jusqu’à ce que le barman les mette à la porte décrétant ainsi qu’ils avaient assez bu.
Bras dessus, bras dessous, ils quittèrent donc le pub, passablement éméchés, voire carrément bourrés. Juste assez pour que David décide de baisser son pantalon et d’exhiber son postérieur au profit d’un connard en grosse voiture qui passait à toute vitesse et les aspergea de neige sale. Pourtant, c’est à cet instant précis que Chloé réalisa à quel point leur amitié lui était précieuse. David, les culottes descendues jusqu’aux genoux, Eric tentant de le convaincre de ranger ses atouts masculins et Suzie tenant à peine sur ses jambes, un sourire idiot sur le visage…
Oui, elle avait beaucoup de chance d’avoir un jour croisé ces hurluberlus finis et excentriques. Huit mois plus tôt, ils lui avaient probablement sauvé la vie.
À suivre…
(1) Terminator est le titre d’un film de James Cameron mettant en vedette Arnold Schwarzenegger dans le personnage du Terminator.
(2) Rambo est le titre d’un film de Ted Kotcheff mettant en vedette Sylvester Stallone dans le rôle de John Rambo, héros de la guerre du Viêtnam.
Oui, je suis venue relire cette désopilante histoire de Bouillon le chat. Comme tu le sais, j'ai attendu un peu avant de revenir à cause de Lilou et de ses derniers instants dans un lieu comme celui que tu racontes. Mon deuil se réalise petit à petit et me voici avec un peu de temps pour rattraper mon retard de lecture sur PA.
Certes, l'ambiance est toute autre, ici, dans ta clinique vétérinaire, et bien heureusement. J'ai autant ris que la dernière fois que je l'avais lue mais c'était il y a déjà un bail. Je ne saurais dire vraiment ce que tu as changé dans l'écriture car j'y retrouve toute ta verve et ton humour que j'avais gardé dans mon souvenir. Cela étant, il me semble que dans la scène de "combat" avec Bouillon, il manque des petits détails comme par exemple la piqûre effectivement administrée. Chloé ne devait-elle pas le piquer pour un vaccin avant de se faire lacérer le mollet ? Certes, pour la température c'est fait. Mais j'ai trouvé un peu étrange la manière dont Chloé se trouve allongée sur la table d'osculation avec Suzie. Bref, ce sont des petits détails qui m'ont un tantinet déstabilisée en lisant la description.
En tous cas, ton style s'est affiné me semble-t-il et j'aime tes comparaisons avec "Terminator" et autres qui donnent de l'ampleur et beaucoup d'humour à l'épreuve de Chloé. Je me souvenais aussi que l'équipe de la clinique était une joyeuse bande de bras cassés, mais pas à ce point. Là, ils sont carrément déjantés. Eric est toujours aussi canon que dans mes souvenirs. Le coup du Harlequin m'a bien fait rire. Et les chatouilles à en faire pipi dans sa culotte, là, quel patron inflige un tel sévice ? ... il n'y a bien que toi pour inventer ça. hihi !
Alors cette fois, c'est vrai ? On va vraiment pouvoir lire le 2e chapitre ? Vraiment j'ai hâte de savoir la suite.
Biz Vef'
Mais je tiens à préciser que ce n'est pas l'histoire de Bouillon le chat, mais bien de Chloé et ses copains vetos, hein... XD Une vrai vedette, ce petit diable. Je pense même à écrire le journal intime de Bouillon : ma vie, mon enfer avec Madame Lorette. MDR!
Pour l'écriture, oui elle s'est affiné en plus d'avoir changer de type de narration. Le premier jet était à la première personne tandis que celui-ci est à la troisième. Cette narration me convient beaucoup plus. J'avais voulu tenter quelque chose de différent, mais ça ne m'était pas naturel. Du coup, j'ai réécrit le chapitre dans un style plus "moi".
Pour la scène de la tantative d'évasion, je ne saurais te dire s'il manque quelque chose. Pour moi, c'est clair, mais en même temps je suis consciente de ne plus avoir un regard nouveau sur mon récit. Il y a eu beaucoup trop de relecture et de réécriture et de paufinage pour être objective, mais je te crois sur parole. :oP Je vais laisser un peu de temps et peut-être que j'arriverai à corriger la chose. ^_^
Quant à ce patron déjanté qui chatouille ses victimes, tu comprendras mieux si tu lis les autres chapitres. Je ne peux rien te dévoiler, mais c'est certain que tu n'as pas tous les éléments en main pour comprendre les relations qui unissent nos amis.
Bref, merci pour ton passage et ton commentaire. Je suis contente de te lire ici, surtout que je connais la perte que tu as subit.
A bientôt,
Honey
Merci pour ce magnifique cadeau de Noël. A défaut d'une lettre hilarante adressée au Papa Noël comme tu as su en écrire l'année passée, on dirait que cette fois-ci, te voilà élevée au rang de romancienne, ce qui n'est pas pour nous déplaire, nous, tes petites plumes adorées (kof kof kof !)
Je suis à la fois étonnée qu'il y ait si peu de commentaires pour le moment. La dernière parution de ce seul chapitre avait mis le feu aux poudres de bon nombre d'entre nous tant il était hilarant et déjà très bien écrit. Si Bouillon n'avait pas paru si puant, Flammy aurait sans doute eu du soucis à se faire ! (ça reste entre nous, uh ?)
Du coup, talonnant Cricri, je me lance pour te commenter histoire de te donner un peu de lecture =) et je lui laisse toute la partie concernant la correction (flemmarde moi ?)
Tout d'abord, méaculpa, j'étais persuadée que Chloé était blonde. Rien à voir avec sa psychologie de personnage, mais toutes les chloés que je connais sont blondes aux yeux bleus. Enfin ce n'est pas grave. Ensuite, elle m'a beaucoup fait rire avec sa spontanéité et ses réactions. Elle a du caractère et ne manque pas de courage. C'est fortement appréciable parce que tu as su tout bien doser pour ne pas en faire une sorte d'héroïne parfaite stéréotypée comme on a l'habitude dans lire dans une kirielle de romans.
En parlant de roman, ta mention éclairée sur Harlequin, en la lisant j'ai failli ne pas m'en remettre tellement j'étais morte de rire.
Après, l'intervention avec Bouillon était épique, drôle et très imagée. Chloé ne manque pas de réflexes, c'est certain. Les descriptions sont efficaces sans être lourdes ou denses, elles ne cassent pas l'action. Donc c'est du beau travail en mon sens. Le chat en lui-même m'a fait penser à un autre specimen de la même espèce ( mêmes griffes, même dents, même fourrure) qui est apparu dans un roman policier américain dont je te retrouverai le titre et le nom dès que mon Alzeimer précoce m'aura libéré la mémoire :P
Pour ce qui est de l'équipe de vétos et des dialogues, je les ai trouvés fluides, efficaces et porteurs d'une ambiance agréable à découvrir. Il y a entre eux une synergie qui donne à penser que d'autres évènements les lient en dehors de leur travail. Il me tarde d'en découvrir plus si d'aventure tu arrives à poster la suite.
Enfin niveau style, il est simple et efficace. Pas de phrases compliquées, pas d'arrières pensées cachées derrière les mots, pas de philosophie obscure. Tout est utile à l'histoire en cours et énonce des faits, décrit des actions, dévoile des pensées. Le minimum syndical bien utilisé. La lecture est donc rapide, sans croiser de difficulté particulière.
Je te souhaite une bonne continuation et à très bientôt !
Enjoy !
Spilou
Je suis contente que mon minimum syndical n'ait pas dérangé ta lecture. Je sais que les descriptions son ma bête noire. Du coup, je n'en mets pas beaucoup. Je suis plutôt centré sur l'action, comme tu l'as mentionné, et aussi les sentiments. On m'a souvent mentionné les sentiments que étaient un de mes points forts. Maintenant, ce sera à vous de me le dire.
Au moment où j'écris ces lignes, je viens de mettre le deuxième chapitre en ligne. Si d'aventure tu te risquais à le lire, j'espère qu'il te plaira. On n'en saura un peu plus sur Choé et ses amis de la clinique. Je tiens tout de même à rappeler que c'est une histoire mettant en vedette Chloé et non Bouillon le chat... Juste au cas où il y aurait des plaintes à formuler. XD
Merci encore une fois pour ton passage et ta relecture.
A bientôt,
Honey ^_^
En tout cas, c'est toujours un plaisir de lire ton écriture hyper-vitaminée. Les personnages sont tous très expressifs et la narration, même à la troisième personne, est très imprégnée de la personnalité de Chloé. Beaucoup de passages très drôles, certains dont je me souvenais parfaitement, d'autres que j'ai (re)découverts (la trêve « câlins-vaccins »,Chloé Potte et les fesses de David). Je suis sûre que tu pensais à Flammy en écrivant les passages avec Bouillon, avoue !
J'aime toujours autant le contraste entre la tonalité générale du chapitre, très légère et colorée, et la dernière phrase qui donne une profondeur soudaine à la narration, révèle une fragilité, un passé douloureux... et du coup donne envie de tourner la page.
J'ai profité de cette relecture pour m'attarder sur tes tournures de phrases et tes expressions. Franchement aucun souci dans l'ensemble, il n'y a rien de bizarre ou de choquant. J'ai juste relevé deux expressions que je connaissais pas (ou pas sous cette forme) :
"qui savait pertinemment qu’elle paierait pour s’être ouvert la bouche" >> je connais "pour avoir ouvert sa bouche".
"une odeur de vieux mais soufflé" >> là, je ne sais pas du tout ce que c'est ! ^^
Et j'en profite pour relever quelques petites fautes, essentiellement d'accords :
"Le félin crachat une fois, feula, fit quelques pas de côté" >> cracha.
"rugit-t-elle en secouant la pelote de poils roux qui pendait désormais au bout de son bras." >> rugit-elle
"gisait troue béant et des lambeaux de chaires sanguinolentes." >> trou <br /><br />"Il les avait bien eu le sale chat." >> eus<br /><br />"adressait une œillade meurtrière à ses collègues" >> je te le dis, car je faisais l'erreur aussi : oeillade ne s'utilise que dans le registre de la séduction, de l'amour ou de la complicité amicale.
"Ce faisant, Chloé se remis sur pieds" >> remit <br /><br />"Chloé avait déjà été témoin des méthodes de torture de son patron et savais" >> savait
"de grands yeux bleus pâles" >> quand une couleur est associée à un adjectif, elle devient invariabl, donc "bleu pâle" (ouais, je sais, c'est choquant...)
"Les vodkas succédèrent au pot de bière, suivit de beaucoup, beaucoup d’autres consommations."aux pots / suivis
Voilà ^^ ce sont des petites coquilles de rien du tout, mais comme j'aime bien qu'on récolte les miennes, j'en fais autant pour les autres quand j'ai le temps !
Bonne continuation, Honey, j'ai hâte de savoir ce qui se passera après (et ce qui s'est passé avant) !
Tu ne sais pas ce qu'est du mais soufflé ? Du Pop Corn ? Tu sais ce que c'est, si ? Mais soufflé est le mot français de Pop Corn, tout simplement. Merci pour les petites coquilles. Je vais les corriger. ^_^ Et voici maintenant le deuxième chapitre en ligne. J'espère que tu l'aimeras autant que le premier. J'en dévoile un peu plus sur Chloé, mais pas tout, naturellement. Il faut bien que je garde un peu de suspense. ^_^
Encore merci pour ton commentaire et tes encouragements.
A+ ^_^