Choisis-en un !

Bravo mon prince ! Vous êtes vraiment doué ! s'exclama Jimmy, réellement impressionné par le talent du prince Dylior.

Thélio sourit à son tour, content de lui. La flèche avait filé en plein centre de la cible située à une cinquantaine de mètres. Ses yeux glissèrent ensuite sur le résultat de ses camarades d'entraînements et sa satisfaction augmenta de surcroît en voyant les visages maussades et les flèches dispersées. Cette discipline le plaçait sur un pied d’égalité avec les autres loups puisque ces derniers ne le ménageaient pas. Ils en étaient incapables et le prince gagnait presque toujours de petits concours improvisés. Son cœur se gonflait alors de fierté. Il aimait le tir à l’arc parce que les résultats ne dépendaient que de lui et sa technique, la force brute ne faisant pas tout. Son travail acharné payait et il continuait de se perfectionner afin d’atteindre un jour les cibles situées à soixante-dix-mètres et au-delà. Les autres membres de ce groupe ne paraissaient pas aussi déterminés.

Le prince s'entraînait toujours avec les mêmes soldats, choisis personnellement par son père. Des bêtas et des alphas fidèles qui possédaient déjà des compagnons et compagnes afin que l’odeur de l’oméga ne les trouble pas de manière insistante. Seul son garde bêta, en plus de lui, était célibataire dans son entourage.

Un garde qui pestait à chaque fois qu'il ratait son tir. Il était un excellent épéiste et un formidable combattant sous forme lupine. Mais en tant qu'archer, il n'était clairement pas le meilleur. Sa fierté de bêta était mise à mal du fait que le prince oméga soit plus doué que lui. Mais il ne devait jamais le jalouser, jamais.

Thélio étira ses bras avec un grand sourire, de bonne humeur à la fin de cette séance. Il reposa son arc et son carquois, défia la palette de ses doigts, son bracelet de son avant-bras et le plastron de son torse. Diverses protections qui lui permettaient de s'entraîner de nombreuses heures sans se meurtrir idiotement à cause de la corde. Aujourd’hui, elle ne le frustrait pas de son infériorité.

Lorsque l’on frappa à la porte de l’immense salle de bain, le prince sursauta. Jamais quiconque n’osait le déranger dans ses instants de répit. Il s'enfonça dans l'eau en ne laissant que sa tête dépasser, et comme il y avait encore une quantité raisonnable de mousse, il autorisa la personne à entrer. Cela devait être important puisque Jimmy autorisait la personne à se présenter.

La reine Dylior apparut alors dans l'ouverture de la porte et entra dans la pièce. C'était une belle femme blonde, les yeux bruns et les lèvres fines. Elle avait la quarantaine, mais semblait en avoir dix de moins. Et surtout, elle ne dérangeait jamais son fils quand il prenait soin de lui.

— Comment vas-tu, Thélio ? On m'a rapporté tes exploits à l'arc aujourd'hui, lui dit-elle en remontant le bas de sa robe rose-pastel afin de s'asseoir au bord du grand bain et tremper ses longues jambes dans l'eau.

Le prince plissa ses yeux avec méfiance. Il était bizarre que sa mère vienne le trouver seulement pour lui parler de son entraînement.

—  Je vais bien, mère. La séance fut bonne, je dois dire. Avez-vous besoin de quelque chose ? Jamais je ne vous ai pris à venir ici lorsque j'y suis.

La reine sourit doucement. Il est vrai que son fils tenait à son intimité et il devait s'inquiéter de la voir ici.

—  Je n'ai besoin que de te parler. 

Les sourcils du prince se haussèrent d'étonnement. Ce n'était ni le lieu ni le moment pour cela.

—  Êtes-vous sûr que cela ne puisse attendre ? Je ne suis point en tenue pour. 

Thélio attendait sa réponse avec tout l'inconfort que la situation présentait.

— Non, j'estime que c'est le moment idéal. Tu ne peux pas fuir ainsi.

— Fuir ? Pourquoi fuirais-je ? Que se passe-t-il donc ? 

La confusion du prince grandissait. Quel problème pouvait être aussi important ? Et pensait-on à ce point qu'il était un lâche pour que sa génitrice le piège dans son bain ? Sa mâchoire se serra malgré lui, il n'appréciait pas la tournure que prenait la conversation.

— Mon fils, plusieurs gardes ont été agressés cette nuit ainsi que la précédente.. Les bêtas sont gravement blessés et les responsables n'ont pu être attrapés. 

Le blond écoutait sa mère parler, les yeux écarquillés. Pourquoi les attaquerait-on ? Qui diable pourrait leur vouloir du mal ? Ce palais est situé au milieu du pays et sa sécurité est très renforcée. En voudrait-on à sa famille ? Mais dans quel but ?

— Pourquoi ? Combien d'hommes ont été blessés ? 

La reine souffla de dépit.

— Six au total, soupira-t-elle. Actuellement, le royaume voisin change de souverain. Le roi a deux fils qui sont entrés en compétition pour l'héritage au trône. Le pays est divisé puisque le peuple ne soutient pas le même héritier. Nous n'avons accordé notre soutien à aucun d'eux et avons essayé d'intervenir pour calmer la population. Malheureusement, nous avons reçu des lettres de menace du souverain d'Illsis et j'ai peur que ses attaques viennent d'eux dans le but de nous déstabiliser ou de nous désintéresser de leur pays. 

Le prince ignorait tout cela car il n'avait pas accès aux affaires du royaume. On l'encourageait à s'entraîner, mais on négligeait ses cours de politique et il en ignorait la raison. Mais tout ça ne lui disait pas pourquoi il demeurait encore là, dans son bain, en compagnie de sa mère. Il s'exprima d'une manière légèrement plus insolente :

— Et à quel moment étais-je censé fuir ? 

La reine décela la différence de ton, mais ne le releva pas.

— Tu ne me laisses pas finir. Sois un peu plus patient. 

Le prince, exaspéré, leva les yeux au ciel avant de se rendre compte de son acte. Mais il ne s’en s'excusa pas car, encore une fois, elle ne fit aucune remarque. Ce qui l'étonna d'autant plus puisqu'il avait l'habitude de se faire réprimander pour ce genre de comportement. Son inquiétude grimpait. L’annonce de sa mère ne lui plairait pas.

— Ton père et moi-même pensons qu'il serait préférable que tu restes avec un alpha.

— Jimmy veille déjà sur moi. Je ne me sens pas en danger, répliqua-t-il sans attendre.

La reine se pinça les lèvres. Elle n'aimait pas imposer cela à son fils.

— Non.. Je ne te parle pas d'un garde, mais de quelqu'un qui dormirait et prendrait des bains avec toi. Que tu ne sois plus jamais seul, c'est trop dangereux. 

Thélio n'en croyait pas ses oreilles. Ils souhaitaient qu'un alpha dorme avec lui ? Au moment où il était le plus vulnérable ?

— Hors de question.

— Thélio, il faut que tu comprennes que c'est pour ta sécurité. Jimmy est quelqu'un de fort, mais il ne fait pas le poids face à un alpha bien entraîné. 

Le prince se braqua et sa mâchoire serrée fit crisser ses dents. Sa langue se coinça contre ses incisives pour retenir ses paroles insolentes. Sans cette nudité, il serait parti s'enfermer dans sa chambre. Il ne lui restait qu’à essayer de négocier avec la reine pour qu’elle comprenne son point de vue. 

— Mère, je serais d'autant plus en danger avec un alpha. Vous connaissez bien notre rang et l'effet que notre odeur a sur eux. Je ne me sentirais pas plus en sécurité.

— Un bal est prévu samedi prochain. Choisis-en un, tu n'as pas le choix, ordonna-t-elle d'un ton sans appel.

L'oméga se tourna violemment en frappant du poing dans l’eau.

— Je refuse ! Il souffla pour reprendre son calme. Mon partenaire légitime sera le seul à voir mon corps. Il hésita avant de continuer. Sortez d'ici.

— Thél-

— Majesté, partez, s'il vous plaît. 

La reine soupira et se releva, laissant son fils assimiler la grande nouvelle. Elle avait tenté de lui faire comprendre que c'était pour son bien, mais il restait têtu. Elle referma la porte avec un souffle compatissant, jetant un dernier regard sur le dos de son précieux oméga.

Ses épaules montaient et s’abaissaient avec rage. La colère grimpait et fourmillait dans ses veines à l’en faire grogner. Il sauta hors de son bain et enfila son peignoir qu’il prit à peine le temps de fermer. La porte qu’il poussa avec violence manqua de frapper le pauvre garde derrière elle. Son énervement empestait l’air alors le garde recoiffa ses cheveux en retenant un soupir et lui emboita le pas. Des serviteurs s’empressèrent derrière eux en tenant les vêtements du prince.

L'oméga refusait catégoriquement de choisir un alpha en tant que garde, car un alpha, peu importait ses bonnes intentions, perdrait face à son loup et céderait à ses pulsions. Ses parents désiraient qu’il dorme et se lave avec lui ? Leur inconscience le surpassait ! Voulaient-ils qu’il soit marqué de force ou bien ?  

Il sauta sur son lit et frappa rageusement l'un de ses nombreux oreillers. Jimmy rentra à sa suite et ferma la porte aux nez des serviteurs. Puis il lâcha un soupir face au jeune blond dans tous ses états. Pris de peine, il vint s'asseoir à ses côtés. Une amitié liait leurs mères donc ils se connaissaient depuis leurs naissances, si bien qu’il pouvait se permettre de lui caresser le dos.

— Mon prince, votre sécurité est la priorité de vos parents. Imaginez qu'une personne malfaisante entre par la fenêtre et vous kidnappe. Vos parents seraient détruits.

Le prince cessa de martyriser son oreiller innocent en tout point et se tourna vers son confident.

— Toi, tu n'as qu'à dormir avec moi, mais je ne veux pas d'un alpha. Résonnes le roi, je t'en prie, fais quelque chose. Les loups présents lors de ses bals désirent la couronne. Celui que je choisirai ne résistera pas et me marquera.

Un sourire désolé se dessina sur le visage de Jimmy. Toutes ses actions seraient vaines, les invitations avaient déjà été envoyées.

—  Vous pourriez enfin rencontrer celui que vous cherchez tant ! Cet espoir ne vous quitte jamais et le destin sera peut-être généreux avec vous. Priez la Déesse et elle vous écoutera. Elle croisera vos futurs.

Thélio soupira et ses épaules tombèrent. Il ne pouvait que patienter et souhaiter que son âme-soeur daigne se montrer. Il implorait pour qu'il soit à ce bal afin que partager ses appartements lui soit plus appréciable. Mais les années s’écoulaient et le désespoir lui était bien proche. 

— Il tarde tellement à venir. Imagine qu'il soit déjà marié ou même mort et que j'attende pour rien ! 

La fatigue titillait Jimmy, mais il se devait de remonter le moral de son prince en mal d’amour.

— Mon prince, je suis persuadé que votre alpha vous cherche. Il doit être quelqu'un de très fort et vaillant pour vous correspondre. Croyez en lui, il viendra. 

Les épaules de Thélio s'affaissèrent. Il désirait si fort un alpha comme le décrivait Jimmy. Fort et vaillant avec une pointe de douceur pour son partenaire. Au fond, peu importait le caractère de l’alpha car Thélio s’y soumettrait sans en avoir le choix. Le lien d’âme-soeur les lierait de manière incontestable. Dès qui le sentirait, son alpha sortirait griffes et crocs pour le posséder. L’oméga ne pourrait résister ou le repousser. Il le savait. Son enseignant lui avait appris qu’il serait soumis plus que jamais à cette personne. L’oméga ne pouvait qu'espérer un alpha bon et gentil puisqu'il ne pourrait lutter contre.

Alors, dès qu’une mise en contact avec des alphas se prévoyait, son impatience grimpait en même temps que son stress.

— Jimmy, j'espère vraiment le rencontrer et qu'il aura bon caractère. Ses yeux descendirent sur sa couette qu'il tortilla entre ses doigts. Me soutiendras-tu si jamais il est plutôt... Mmh... Brutal ou quelque chose comme ça ?

Jimmy lui répondit avec un sourire rassurant:

— Bien sûr. Je ne vous abandonnerais pas.

Thélio lui rendit son sourire et se mit sous ses draps.

— Demain, baladons-nous à cheval. J'ai besoin de sentir la liberté peut-être pour la dernière fois. Ce loup que je choisirais sera mon mari et je me retrouverai en cage.

— Vos parents n'ont jamais parlé de faire de lui votre mari. Ne perdez pas espoir. Bonne nuit mon prince. Faites de beaux rêves et priez beaucoup.

— La démarche le laisse sous-entendre. Qui de sensé pourrait imaginer qu'un alpha et oméga enfermé dans une chambre ne finissent pas nus et mordus. Il soupira en secouant la tête. Bonne nuit à toi aussi. 

Le garde, compatissant, caressa ses cheveux jusqu'à ce qu'il s'assoupisse. Son regard se durcit alors et son nez s’agita. Il vérifia que la fenêtre de la chambre soit bien fermée et ajouta une chaise devant. De même qu’il verrouilla la porte en sortant et salua les gardes qui veillaient sur la pièce avant de rejoindre sa chambre.

L’ambiance au Palais s’alourdissait de jour en jour. Les criminels n'avaient toujours pas été capturés et aucune revendication n’avait été déposée. Jimmy espérait que le prince choisirait un compagnon qui le mettrait en sécurité. Lui-même serait moins tendu face aux dangers potentiels et il gagnerait du temps pour lui-même. Actuellement, il dépendait du jeune homme et le suivait à la trace. Il ne pouvait se permettre de chercher une partenaire pour le moment. Dès que l’alpha serait désigné, son emploi du temps s’allègerait et il pourrait s’intéresser à la louve qui attirait beaucoup son attention.Il n’avait eu que très peu l’occasion de lui parler mais il rattraperait le temps perdu. 

Pour autant, il ne voulait pas jeter son prince dans les bras du premier venu. Son mari devait être son âme-soeur, et, espérait-il, une personne qui le rendrait heureux.

Certains alphas, si ce n’était la majorité, se sentaient supérieurs aux bêtas et aux omégas par la force naturelle qu’ils possédaient. Ils aimaient user de cette force à l’encontre des plus faibles. Le prince était oméga. Grâce à son titre de noblesse, il se plaçait au-dessus des autres loups, mais son mari le surpasserait dans la hiérarchie. Tout alpha qui se respectait désirait plus de pouvoir et de contrôle, alors aucun ne résisterait à la tentation vivante qu’était le prince. La marque serait douloureuse et le prince se trouverait dans un état déplorable s’il n’était pas rassuré ou câliné par celui à qui il dévouera sa vie.

Les élans de violence et domination des alphas étaient effrayants pour n'importe qui, mais être le compagnon de l'un d'eux devait être un véritable supplice. Jimmy soupira et ferma les yeux, heureux de ne pas être lui-même un oméga, mais désolé pour tous ceux qui l'étaient.

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