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Vanouché et Bella restèrent bouche bée en apprenant la nouvelle : elles allaient vivre en France et quitter l’Iran, pour toujours, c’est-à-dire définitivement. Enfin, pas tout à fait, elles reviendraient, parfois, en vacances, avec maman, ou papa, ou les deux. Elles rendraient alors visite à la famille et les amis…. Au moment de quitter leur pays natal, elles passaient plus de temps à discuter de leurs retours que de leur départ. Mais nul ne savait quand aurait lieu ces visites. Dans un pas où la guerre et l’obscurantisme rétrécissent la vision de l’avenir, comment prévoir ? Tout à la surprise de cette décision qui leur paraissaient saugrenue, Bella et Vanouché n’émettaient aucune critiques ou suggestions.
Elles pourraient toujours écrire à leurs amies pour rester en contact avec elles !
Elles téléphoneraient aux mamis et papis pour leur donner des nouvelles en direct.
On garderait nos habitudes : l’an prochain, pour fêter la nouvelle année, comme aujourd’hui, maman posera un œuf sur la table, au-dessus d’un miroir, ainsi que tous les symboles du nouvel an, et quand la terre aura fait exactement le tour du soleil, à la minute, à la seconde prêt, les filles verront, comme chaque année, l’œuf et son reflet trembler.
Tout à coup, au rappel de ces traditions, Vanouché se pose une question : et comment fera-t-on pour les feux de nouvel an ? Les Français en allument-ils eux aussi dans les rues de la ville ? Pourra-t-on sauter au-dessus des brasiers créés par tout le voisinage, en signe de bonne chance pour le reste de l’année ? Un silence entre les parents. Les fêtes rituelles du nouvel an viennent tout juste de se dérouler, et l’inquiétude à imaginer cette nouvelle vie en France provoque la nécessité de trouver quelques artifices, afin que le projet ne soit pas rejeté. Oui, les Parisiens aussi sautent au-dessus de feux de nouvel an en faisant des vœux, évidemment !
Et puis nous verrons la Tour Eiffel, ce merveilleux bâtiment de fer. Et nous mangerons des baguettes et du camembert. Et voilà papa parti dans ses souvenirs d’étudiant, décrivant la vie douce et tumultueuse à Paris. Si ! Si ! Les deux sont possibles simultanément ! Car les Français sont toujours vifs et joyeux, mais ils savent profiter de la vie dans les plaisirs ancestraux : la flânerie, la discussion, la nourriture délicate, et les soirées qui s’allongent jusqu’au petit matin par une soupe à l’oignon dans l’arrière boutique d’un restaurant complaisant. A moins que ce ne soit par des croissants tout frais, sortant du four du boulanger ! Ah ! Les croissants parisiens ! Rien à voir avec ses pâles imitations que l’on fabrique dans nos pâtisseries ! Bella et Vanoushé ont déjà maintes fois entendu les souvenirs de papa, mais ils n’avaient pas alors la saveur de la proche réalité. Ils ne sonnent plus pareil aujourd’hui.
Papa semble avoir puisé dans une énergie nouvelle. Son rire tonitruant et sa bonne humeur électrisent tout le quartier. Pendant qu’elle trie ce qui sera emmené et ce qui sera donné aux cousins, voisins et amis, maman sourit, mais ses yeux sont brillants. Et dès qu’une voisine vient lui faire ses adieux, elle part dans des flots de larmes et de sermons. Chaque fille a le droit d’emporter, en plus de ses vêtements, une valise de jouets, souvenirs et fariboles. La Petite change d’avis tous les jours et pique une crise de colère si maman lui dit qu’il est trop tard pour refaire les valises. Vanouché a pris négligemment quelques jouets et sa poupée préférée, Bella peste contre l’exigüité de son bagage dans l’intimité de l’appartement mais se pare des qualités mesurées d’une jeune fille sérieuse et posée devant son entourage. Même sur le départ, chacun garde donc ses habitudes.