Chp 6

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Papa avait réfléchi toute la journée, et maman n’avait pas tort d’évoquer le mal de tête de son mari, car il en  gagna un avant que le soleil ne se couche.

Sa fille devenait une islamiste, une islamiste intégriste ! Lui qui toujours avait refusé les mascarades de ce gouvernement religieux, le décorum abêtissant les classes populaires pour mieux les asservir. Il avait éduqué en son sein une fille islamiste… une islamiste intégriste.

Après avoir pleuré sur son destin miséreux, après s’être interrogé sur les raisons de cette malédiction, il consacra le reste de la journée à trouver une stratégie de riposte, car non ! Il ne sacrifierait pas sa fille aînée, ni aucune d’entre elles d’ailleurs, sur l’autel de l’islam ignorant. Il en allait de son intégrité. Il était prêt à faire beaucoup pour son pays : taire ses idées politiques, faire profil bas, même auprès de ses collègues, rire dans la cave avec les voisins les jours et les nuits de bombardements… mais pas risquer de s’éloigner de Bella, Vanouché ou la Petite.

Or, dans ce pays, rien ne pourrait changer avant longtemps. Déménager dans une ville plus petite ne ferait qu’aggraver les superstitions des filles quant aux interdits des femmes, s’exiler en pleine montagne ne leur laisserait aucun avenir possible dans la poursuite de leurs études.

Quand la lune fit son apparition au dessus de la Méditerranée, il convint qu’une seule solution restait possible. Partir, mais loin de son pays. Là où elle pourrait à la fois faire leurs études, devenir adulte, se construire comme il avait toujours rêvé qu’elle soit : une part de lui-même, mais une part libre de le surprendre agréablement. Il ne pouvait en tout cas  imaginer ses filles devenir les femmes au foyer obéissantes, de stupides islamistes iraniennes!

Sa femme vint le retrouver après le départ des invités. Elle semblait surprise de le trouver dans son bureau, comme s’il était parti en voyage pour cette journée, et qu’elle le découvrait déjà rentré à la maison.

Il pensa qu’il fallait battre le fer tant qu’il était encore chaud. Voilà des mois qu’elle se plaignait de la vie qu’ils menaient entre deux bombardements, toujours inquiète, toujours geignarde. Voilà qu’aujourd’hui elle semblait avoir retrouvé la sérénité des temps de paix, preuve que la fête avait été réussie malgré son absence. Ce dont il se réjouissait, car jamais il n’aurait voulu lui causer de la peine. Belle entrée en matière. Son sourire et le rose de ses joues le firent déborder de tendresse pour son épouse encore si belle et si jeune. Il se prit lui-même à son jeu d’arguments. Il en oublia l’origine de sa décision. Il plaida pour une vie tranquille dans un pays qui ne connaissait pas la guerre, pour le plus beau pays du monde après l’Iran : en somme, pour la France qu’il avait tant chérie dans ses souvenirs et dans son réseau de relation.

Il leur fallait quitter l’Iran pour connaître le bonheur. Il leur fallait refaire leur vie ailleurs, loin de leur famille, certes, mais près d’amis qui les soutiendraient. Il ne pouvait supporter de voir sa femme dépérir sous les bombardements, se laisser ensevelir par la peur d’une canonnade. Il sut en tout cas la convaincre dès le premier soir, et si par la suite elle fit mine de remettre en doute son acceptation, il savait quelle corde frôler pour qu’elle retrouve ses convictions.

Le sort était scellé : la famille émigrerait en France.

 

 

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