Chrono 18.1 – Ouragan

Notes de l’auteur : Bonne lecture :)

Grésillement de diode qui s’allume. Un accord de guitare électrique s’étiole dans l’air. Ma réaction est immédiate, je lève la main et l’abats sur la table de nuit. Rendue maladroite par un sommeil de plomb quitté trop vite, il me faut trois essais avant d’enfoncer le bouton OFF. Réveil neutralisé. Grésillement de la diode qui s’éteint. Silence.

Mon bras pend en dehors du lit, inerte, pas la force de le relever. Trop de fatigue encore imprimée dans mes muscles, rester allongée jusqu’à demain paraît envisageable. Inutile de chercher des excuses à servir aux Anciens pour me justifier. Ils me prennent pour une inconsciente, une irresponsable... Exceptionnellement, on pourrait s’accorder avec plaisir. Au diable la mission.

Mes doigts frôlent le sol de terre ciré et j’enregistre une sensation de tiédeur désagréable. Une sensation qui ne trompe pas : la journée s’annonce brûlante. L’air dans la case est déjà vibrant de chaleur. Malgré moi, mon esprit analyse les paramètres à ajuster pour la mission : risque de choper la Folie augmenté de quarante pour cent. Probabilité de subir une attaque augmentée de soixante-dix pour cent. Note annexe mais utile : penser à l’eau. Désert physiquement impraticable à partir de seize heures... Autrement dit, un départ après sept heures anéantirait toute chance d’atteindre le Rouille dans la journée. Et j’ai là-bas un rendez-vous que je ne peux pas manquer, en dépit de toute la mauvaise volonté que je mets à me réveiller.

J’ouvre les yeux en soupirant. Une fois le ciboulot lancé, impossible de me rendormir ou de profiter d’un instant de paresse. Le soleil se lève à peine pourtant des rayons ardents pénètrent dans ma case. Ils se faufilent entre les lattes mal ajustées des volets et peignent des traits rouge écarlate sur les murs en pisé. Un de ces rais de lumière se tord sur ma table de nuit, un pneu au caoutchouc fissuré par le temps. Les digits de mon réveil affichent cinq heures. J’ai de la marge mais mieux vaut ne pas traîner : il y a toujours des imprévus dans le désert. 

Je me lève. À présent, je sens les brumes du sommeil me quitter tout à fait. Mes muscles se tendent en réponse à la pression qui retombe sur mes épaules. Les derniers jours défilent en flashs dans mon esprit. Je perçois avec une lucidité inédite l’enchaînement implacable des évènements qui m’ont menée à me réveiller à cinq heures du mat’ aujourd’hui. Qui m’ont noyée dans ce merdier sans nom où je suis pieds et poings liés. Toute velléité de sommeil est oubliée désormais. J’ai la mâchoire serrée, les sourcils froncés. J’enfile une brassière et un débardeur blanc à la va-vite. Je m’autorise une minute de miroir. J’arrange mes tresses en une queue brouillonne puis j’attrape ma palette de maquillage. Huit teintes de rouge et deux teintes de bleu. Je prends la couleur rouge la plus vive, celle qui ressortira le mieux sur ma peau ébène. Je veux que ma résolution soit peinte sur mon visage. D’abord le gros pinceau pour le tour de mes yeux, ensuite le pinceau de précision pour affiner la marque de ma paupière inférieure. J’ajoute aussi sur mes lèvres un peu de rouge que j’estompe au doigt. Résultat satisfaisant. Ce maquillage met en avant les deux attributs de mon visage que j’apprécie le plus : mes lèvres et mes yeux. Pour le reste, ma mâchoire anguleuse, mon front large et mon nez aplati semblent désaccordés, placés au hasard dans l’ovale de ma figure par un artiste déprimé. Il est temps d’enfiler une culotte et un pantalon. Je lace mes rangers violemment, presque à me couper le sang. C’est débile mais j’aime le ressenti. Mes gants de pilotes. Le cuir est souple, habitué à mes doigts. Je plaque mon demi-masque sur mon visage. Il est imprégné du parfum de la nuit et le tissu à nanoparticules est frais, comme toujours. Quand je traverse un des fragments d’obscurité qui rôdent encore dans la case, les motifs fluorescents de mon masque apparaissent. Un sourire de démon d’un blanc éclatant se détache du tissu noir et opaque. Les deux canines sont recourbées vers l’extérieur, ce qui donne l’impression que le dessin bouge lorsque je parle. D’une certaine façon, je suis ce masque et de toutes mes possessions, c’est la seule à laquelle je tiens. J’attrape mon sac à dos, préparé la veille. Il est usé jusqu’à la trame, bardé de raccommodages sauvages ou de patchs improvisés. La toile s’abîme trop vite mais j’ai moins la flemme de le recoudre que d’en racheter un. Dernier regard dans le miroir. J’apprécie la silhouette athlétique que je vois. L’aura décidée qui se dégage de moi. Épaules rejetées en arrière, torse bombé. Tenu de pilote expérimentée. Ainsi, rien ne semble pouvoir m’arrêter. Je me sens forte.

Je sors de la case et me lance d’un bon pas à travers les rues du village endormi.

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DylanLuka
Posté le 09/07/2020
Avis de Dydy ! C'est prometteur !
On t'en a déjà parlé, mais j'aime beaucoup le rythme de tes phrases, surtout au début. Elles transmettent à elles seules un certain atmosphère. Un aspect un peu mécanique, que ce soit dans la façon de penser, de tourner les phrases, que dans les mots choisis... et qui rendent ce réveil pour le moins original ! (et ça manque, les réveils originaux, surtout dans les débuts d'histoire)
L'aspect s'allonge au fil du chapitre, et on comprend l'était d'esprit de l'héroïne. D'ailleurs, j'aime bien comment elles voient l'univers, qui me semble lui aussi être très intéressant. Toutefois, ça me fait peur quand à la suite, car ça peut facilement tomber dans une liste d'actions (je fais ci, il se passe ça, etc...) sans émotions, ce qui est pour moi très important dans un roman.
Néanmoins je te fais confiance, car je me répète, c'est prometteur !
DylanLuka
Posté le 09/07/2020
elle voit*
LianeSilwen
Posté le 23/04/2021
Merci beaucoup pour ce retour :)
Svenor
Posté le 14/06/2020
Salut ! Je t'ai croisé sur le forum et ton synopsis m'avait intéressé, alors quand j'ai vu ton histoire sur la page d'accueil je suis venu immédiatement x)

J'aime énormément ce premier chapitre. Ta plume s'accorde magnifiquement bien avec l'ambiance du récit, et l'univers "à la mad max" que j'apprécie beaucoup. Ce premier chapitre permet de présenter la personnage principal (ou du moins ce qui ressemble à la personnage principal), et elle est déjà très attachante. Par ses traits d'esprits, sa flemmardise, et en quelque sorte, sa "dureté" qui est bien en harmonie avec le monde dans lequel elle vit, de ce qu'on en sait jusque là. J'aime aussi beaucoup son masque, même si il est présenté très rapidement. Le langage utilisé permet aussi de s'identifier au personnage, et c'est très cool !

J'ai seulement deux remarques/questions :
Qu'est-ce que tu entends par "sol de terre ciré" ? Je n'arrive pas bien à me représenter ce à quoi ça ressemble...
Et je sais pas si c'était volontaire, mais tu as une grosse répétition (toute la phrase) de "Et j’ai un rendez-vous que je ne peux pas manquer." qui m'a un peu gêné dans ma lecture. Les deux phrases sont un peu trop éloignées pour que je trouve la répétition "rythmée", cependant on la remarque tout de même.

Bref, c'est très cool, et je vais sans aucun doute lire la suite !
Svenor
Posté le 14/06/2020
P.S. : (parce que j'ai oublié de le dire), j'aime vraiment BEAUCOUP tes noms de chapitres et la façon dont tu les comptes, même si je ne comprends pas encore la raison derrière ces noms
LianeSilwen
Posté le 14/06/2020
Bonjour Svenor :) très heureuse de te croiser ici :D Je suis vraiment contente que l'ambiance te plaise, ainsi que l'héroïne :)

pour le sol de terre ciré : c'est un détail coupable de ma part, car je suis architecte à la base. En fait le béton ciré existe pour faire des sols (tu vois le béton mais il est tout lisse) et bien la terre ciré existe aussi (en somme, tu prend de la terre, tu la compacte et tu mets un petit vernis dessus). Je trouve ça à la fois très "brut" et très "distingué" comme détail architectural, alors j'avais envie de montrer que les Hiders avait un peu de bon goût malgré tout ce qu'on va apprendre de pas joli-joli à leur sujet ^^ pour voir des images de ce à quoi ça peut le plus se rapprocher, je te conseille de taper "dalle en terre crue" ou "sol finition argile" dans les moteurs de recherches-images.

je suis contente que tu es noté le chapitrage :D l'explication de ces noms viendra toute seule à partir de certains chapitres ;)

Encore merci pour ton retour ! A bientôt :)
LianeSilwen
Posté le 14/06/2020
PS pour la répétition au début je trouvais que ça faisait bien mais à force de relire (à chaque fois que j'ajoute un chapitre ^^') je l'ai trouvée lourde aussi du coup je l'ai enlevée sur mon doc word mais pas ici, je corrige ça :D
Kieren
Posté le 08/06/2020
Très sympa ce texte. Le hachage des phrases en mots décisifs font transpirer le coté mécanique et donc professionnel de notre narratrice, comme si ellle avait un coté cyborg, ce qui se marie parfaitement avec cet univers science fiction type Dune.
On sent le sable rouge et les maisons de taule du village. Vie rude genre la horde du contrevent.
La narratrice est belle, juste pour ses tresses, son maquillage et son masque. J'apprécie énormément. Je lis et j'attends la suite.
LianeSilwen
Posté le 08/06/2020
Bonjour Kieren, merci pour ce retour et cette analyse du style qui me fait extrêmement plaisir ! Je suis contente que la narratrice te plaise :)
Eryn
Posté le 03/06/2020
Salut salut !
J'aime bien cette entrée en matière, et le ton sur lequel c'est écrit ! L'univers qu'on découvre tout juste et le personnage attirent l'attention, et j'aime bien aussi le fait que des mots familiers soient utilisés dans le texte, ils sont bien dosés et ça passe bien dans le ton.
De la même manière, il y a du rythme dans tes micro phrases, "Grésillement de la diode qui s'éteint. Silence." et c'est sympa !
Quelques coquilles par-ci par-là, sinon ce texte éveille l'intérêt !
LianeSilwen
Posté le 04/06/2020
Merci pour ton retour Eryn, ça me fait très plaisir et ça me motive pour la suite !
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