Chrono 18.2 – Ouragan

Notes de l’auteur : Bonne lecture à tous :) si vous voyez des fautes qui résistent, n'hésitez pas à me les signaler :D

J’avance dans l’unique rue du village, déserte, pourtant je sens des centaines de paires d’yeux braqués sur moi. Je ne supporte pas les lâches. À chaque pas, ma gorge se serre, les muscles de mes épaules se nouent. En sécurité derrière leurs volets, dans une fausse pudeur, tiraillés entre la peur de croiser mon regard et une curiosité malsaine, ils sont là, à m’épier traverser leur patelin chéri. Ils espèrent que je ne reviendrais pas. Après tout : un accident de mécanique, une embûche de parcours… les raisons pour dormir entre quatre planches ne manquent pas dans une race et la course du Vieux Milliardaire s’annonce des plus dangereuses.

Ils pensent que je vais concourir pour moi, par vanité, pour ajouter un nouveau trophée à ma collection. Ils se trompent sur toute la ligne : je n’ai pas le choix, je suis obligée de disputer cette course. Si je pars, c’est pour les protéger et quand je reviendrai, victorieuse, ils n’auront d’autre choix que m’accepter, enfin. Ils comprendront que, pour la survie du clan des Hiders, ils ont besoin de moi, l’orpheline, la mal adoptée, et de mes talents de pilote qui aujourd’hui les effraient.

Quand je passe cet infâme repaire à soulards qu’est le Tricks, un vacarme métallique me fait sursauter. Un chien errant, au poil mité, détale d’un recoin insalubre. J’avise des poubelles renversées derrière lui. À part cet incident, le village est figé, pris dans l’immobilité d’une lourde torpeur matinale. On croirait un de ces vieux westerns, le calme avant la tempête…

Je m’arrête juste avant de passer l’arche, sculptée naturellement par le temps dans la falaise, qui marque l’entrée du village. Le martèlement de mes rangers cesse de résonner et soudain, un silence absolu enveloppe le village. J’observe la bourgade que je laisse derrière moi. Les bâtiments de guingois, construits les uns sur les autres le long des parois minérales d’une immense faille géologique. Les arbres rabougris, aux feuilles aussi rouges que la roche et au tronc noir, brûlé par le soleil. Les enchevêtrements aériens des fils pour les communications et l’électricité. Les linges rapiécés étendus aux fenêtres pour sécher au soleil. La grande rue qui traverse le village comme une veine. Cette vision fait naître en moi des sentiments divergents, mitigés. J’ai bon espoir qu’à mon retour, tout sera plus simple et ce décor me paraîtra juste accueillant et chaleureux. Une brise se lève, agite langoureusement les branchages des érables-de-roches, puis retombe comme un soupir. Elle emporte avec elle les derniers restes de la nuit.  

— K’da...

Je fais volte-face et baisse les yeux, car un mouvement rampant a attiré mon attention au sol, en plus de cette interpellation traînante. Au pied de l’arche, comme un cerbère malade, un corps se traîne.

— Chef Alpha ?

Premiers sons que j’émets depuis mon réveil laborieux. Ma voix est cassée, normal. Rien à voir avec une quelconque émotion de pitié ou d’appréhension face à ce spectacle déplorable.

Le chef se fige et me jauge d’un regard vitreux. Un mélange malodorant d’urine et d’alcool assaille mon nez, je retiens un haut-le-cœur.

— Attention, K’da, grince Alpha. Attention…

Il ricane. Il ricane même en portant à sa bouche la flasque métallique et cabossée qui ne le quitte jamais. Un liquide ambré dégouline au coin de son menton à sa poitrine. Il répète, dans un souffle cette fois :

— Attention, attention…

— Attention à quoi ?

— Il est monté trop haut, il s’est brûlé les ailes.

Je reste interdite. Je n’aurais pas dû lui prêter attention et encourager son délire d’ivrogne. Je vais pour repartir, pleine de mépris, quand il ajoute :

— Attention à toujours vouloir plus. Attention à la soif qui ne s’étanche jamais.

— Vous vous y connaissez sur le sujet.

J’indique sa flasque du menton. Il m’adresse un sourire, du moins il essaye mais ses muscles sont trop imbibés d’éthanol pour que l’effet soit réussi.

— Et toi, K’da ? T’étais pas mal non plus en pochtronne ! Garde ton mépris, hypocrite ! Peut-être, tu y reviendras ? Je te réserve une belle place à l’ombre, t’en fais pas.

Il s’étouffe dans un nouveau rire gras. Cette fois c’est trop, je m’arrache, avec un doigt d’honneur levé à son intention, pour la forme. Je l’entends crier dans mon dos :

— Tu vas la gagner cette course-là aussi ? Mais oui tu vas la gagner ! Comme toutes les autres ! Et après ? Tu seras plus heureuse ? Tu verras : gagner, des fois c’est perdre. Ouais, des fois pour gagner, il faut perdre. Des fois, mieux vaut perdre...

Je réponds malgré moi, les dents serrées :

— Vu votre état, j’en doute.

— Tu verras !

Il hurle à plein poumon à présent. Sa voix prend des intonations minérales en se répercutant dans la crevasse. J’ai beau m’éloigner, je l’entends comme s’il était à côté de moi.

— Tu veux le titre de championne, tu veux être la plus forte ? Tu devras te battre sans cesse ! Après cette course, y en a une autre, puis une autre, sans jamais de fin ! Un jour, quelqu’un monte sur le podium à ta place. Toi, tu tombes ! À fuir en avant, on finit toujours par tomber, c’est comme courir dans le désert de Feu les yeux bandés. Tu crois qu’on est fort quand on gagne ? On n’est pas fort.

Il se tait. Je continue de marcher sans un regard, sans une pause. Quand je sors de la ravine qui mène au sommet de la faille, je me crois libérée, mais Alpha lance un dernier cri et l’écho de sa voix est si glaçant de haine qu’il me cloue sur place.

— On n’est pas fort quand on est seul, K’da ! Quand on est seul, on est seul !

 

 

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DylanLuka
Posté le 09/07/2020
Avis de Dydy !
Cette partie soulage un peu mes craintes de la première. Au fur et à mesure qu'elle se réveille les phrases semblent "mieux" construites, mais on ne perd pas en qualité de l'univers ou autre, on suit toujours le même personnage. Les descriptions sont finalement efficaces elles aussi. J'aime beaucoup les images que tu ajoutes à cette dernière.
On t'a parlé de Mad Max, c'est vrai que ça y ressemble ! En tous cas, cette histoire de course m'intrigue. Forcément, c'est pas juste une course comme on en voit dans Mario Kart. Y'a forcément une couille, pardonne l'expression xD
LianeSilwen
Posté le 23/04/2021
Héhé oui, il y en aura et pas qu'une :p Merci beaucoup pour ton retour :)
Svenor
Posté le 14/06/2020
Me revoilà pour le deuxième chapitre !
Tout d'abord, j'adore encore une fois l'ambiance du chapitre. Comme tu l'as dis, on a l'impression d'être dans un western dès les premières lignes, et ça rajoute encore un peu à l'ambiance post-apo désertique.
J'ai du mal à comprendre qui est vraiment Alpha, le chef du clan ? En tout cas, son personnage est très intéressant et n'a pas l'air si simple que ça.
Une autre chose que j'aime beaucoup par rapport à ce chapitre, c'est les anglicismes. D'habitude, ça a tendance à me "dégoûter" de ma lecture, mais je trouve que ton utilisation est très bien ici. Tu les utilises pour coller à l'esthétique post-apo américaine de Mad Max ou pour d'autres raisons ? J'ai un peu l'impression d'y voir un reflet du français que nous utilisons aujourd'hui, avec des anglicismes qui se popularisent et finiront par rentrer dans la langue au bout de quelques temps.

J'apprécie beaucoup le nom de l'héroïne aussi, il y a une histoire ou une anecdote autour ? C'est très inhabituel.

P.S. : J'ai lu ce chapitre en écoutant la chanson 60 Feet Tall de The Dead Weather, et je la trouve vraiment approprié, l'ambiance est très ressemblante x)
LianeSilwen
Posté le 14/06/2020
Merci pour ton retour Svenor ! On en découvrira plus sur Alpha dans les chapitres où on comprendra le sens des "chrono + numéro" hihi
je suis contente que les anglicismes te plaisent ! j'ai beaucoup hésité, mais je trouvais que dans un futur, ça semblait logique que les langues se soient vraiment mixées comme ça. Du coup ça va avec l'esthétique des ces ambiances aussi, donc c'est deux en un !

Il y a effectivement une histoire derrière le nom de l'héroïne mais pour l'instant je n'en dirais pas grand chose, car ce sera peut être traité dans le roman... ce que je peux dire c'est qu'il signifie vraiment quelque chose ^^

merci pour la référence musicale, j'aime beaucoup faire des playlists sur mes histoires, ça va me donner une occasion de l'enrichir <3
Kieren
Posté le 08/06/2020
Très ironique ce nom : Chef Alpha, emphase malgré l'ivrogne que l'on a sous les yeux. J'aime. En plus il nous met en garde contre la recherche de pouvoir, sans réel autre but que le pouvoir.

La reconnaissance que recherche K'da, même si elle vient de ceux qui la méprisaient autrefois, il est vrai que ce n'est pas un but très constructif, elle essaye de cicatriser une vieille blessure à son amour propre.

Coquille (je n'en ai vu qu'une seule) :
"Je vais pour repartir", je ne suis pas sûr que cela se dise, "Je m’apprête à repartir"

Je reste à l'écoute des prochains chapitres.
Kieren
Posté le 08/06/2020
"ils ont besoin de moi, l’orpheline, la mal adoptée"
La mal adoptée, c'est triste mais beau comme tournure de phrase.
LianeSilwen
Posté le 09/06/2020
Merci pour ton retour Kieren !
Effectivement "je vais pour partir" je crois que c'est une expression un peu locale de patois et pas très français.

Pour la reconnaissance de K'da, effectivement il y a de ça, et un peu plus je pense, on le découvrira au fil du roman :)

Je suis contente que tu relève "la mal adoptée" car je l'ai ajouté dans un éclair d'idée à la dernière relecture et il me plaît beaucoup aussi :D
Eryn
Posté le 07/06/2020
Coucou !
Sympa comme nom K'da !
Bon j'ai bien aimé cette partie, on est plongé dans l'histoire, sans explications, c'est comme ça et puis c'est tout.
J'aime bien l'expression "ses muscles sont trop imbibés d'ethanol" !
Et aussi ton univers, les quelques descriptions courtes sont esthétiques, et dévoilent sans trop en montrer ! J'ai du mal à donner des critiques pour l'instant, la scène est courte, on suit K'da dans ses interactions et ses pensées, et on s'interroge sur sa mystérieuse course...
Je me demande aussi ce qui va se passer après : pourquoi ces avertissements de la part de l'ivrogne ? Que veut-il dire ?
LianeSilwen
Posté le 07/06/2020
Merci pour ce retour Eryn :)ça me fait très plaisir, je suis contente que tu relèves ces petits détails d'écriture, j'y suis très attachée et du coup c'est valorisant de voir qu'ils fonctionnent ^. ^ je suis très contente que le nom de K'da te plaise !! il a été dur à trouver mais quand il a poppé, c'était évident que c'était lui !
ces deux premiers chapitres sont en effet en direct dans l'histoire qu'on prend en cours, du coup peu d'explications vraiment sur les choses auxquelles K'da peut penser ou faire référence, l'action commence vraiment dans les passages suivants et les explications viendront au fur et à mesure (et j'espère naturellement et à leur juste mesure ^^). J'espère que la suite te plaira aussi :D Pour ce qui est de l'ivrogne, je ne dirais que : garde bien ce qu'il dit en tête, c'est très important ^^
Eryn
Posté le 07/06/2020
Oui, ça se sent, ce qu'il raconte a du sens aussi bien pour le personnage que pour nous les lecteurs, et je l'ai effectivement perçu comme un "avertissement lecteur" je pense que tu vois de quoi je parle ^^ des fois y'a des auteurs qui arrivent à t'indiquer la fin de leur histoire direct dans les premières pages, sauf que tu comprends le clin d'oeil que quand t'as lu la fin ! C'est génial !
LianeSilwen
Posté le 08/06/2020
héhé j'espère être à la hauteur de ces attentes ^^
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