À Thibault
J’aurais voulu que le temps cesse de s’écouler.
J’aurais voulu rester ici pour toujours. La terre dans mon dos, la rosée mouillant mes cheveux, les brins d’herbe qui chatouillaient mes chevilles. Le monde s’était effacé pour ne laisser que les paillettes dans le ciel obsidienne et la lune qui souriait de travers. Les bruits de la fête s’étaient estompés depuis longtemps, laissant place au grésillement des cigales, au murmure du vent et à sa respiration aussi douce qu’une berceuse.
J’aurais voulu rester avec elle. Ses cheveux éparpillés en soleil noir, sa chaleur caressant mon corps, ses doigts qui venaient frôler les miens, timidement.
Clémence.
Clémence et sa peau dorée, Clémence et sa minuscule cicatrice sur le nez. Je ne l’ai plus jamais revue, mais comment oublier ? Ses yeux en amande qui riaient discrètement, ses pommettes rosées, son maquillage presque invisible. Je me souviens de son mètre cinquante-six, de son français maladroit. Elle fronçait les sourcils, quand elle ne comprenait pas.
Nous étions seuls au monde, allongés entre les fleurs closes. Je brûlais de lui prendre la main, sa main si douce, si réconfortante, si pleine de promesses. Et si elle partait ? Et si elle se levait et m’abandonnait aux marguerites et aux boutons d’or ? J’avais détaché mes yeux des constellations pour l’observer briller. Elle avait senti mon regard, avait tourné la tête. Ses yeux brûlaient d’été.
Qu’avais-je à perdre ? Pourquoi avoir hésité ? J’aurais dû arrêter de réfléchir dès le début. Ne perdre aucun instant. Alors doucement, j’avais entrelacé nos doigts. Elle n’avait pas bougé, sa respiration s’était affolée. Clémence ne m’avait pas repoussé. J’avais dessiné des petits cercles de mon pouce. Elle m’avait souri, s’était rapprochée.
Je me souviens de sa tête contre mon épaule, la peau nue de son bras contre le mien. Je me souviens de nos murmures sous les étoiles qui nous observaient. Peut-être pouvaient-elles nous entendre ? Savaient-elles ? Mais nous n’étions que poussière.
Clémence partirait. Elle partirait aussi silencieusement qu’elle était venue, des fleurs séchées dans ses cheveux tressés. Elle partirait en laissant une caresse dans mes mèches humides et une trace de gloss sur mes lèvres. Elle disparaîtrait en me promettant de revenir.
Je ne l’ai jamais revue.