« Je veux voir Maman. »
Un chuchotis comme une supplique dans la nuit.
« Tu sais bien que ce n’est pas possible, Claris, pas maintenant. »
Une voix mal-assurée qui se veut rassurante.
Accompagnée d’un geste peut-être, d’un câlin.
On ne voit rien. Il fait noir.
« Je sais, Sara, mais j’ai peur. Je veux Maman. »
Ce n’est plus une supplique, mais un gémissement.
Un murmure de tristesse de ceux qui fendent le cœur et l’âme.
« Je suis là, moi », dit Sara.
Son ton tremble et froisse le silence nocturne.
« C’est pas pareil, Sara, chuchote Claris, plaintive.
- On a pas le droit, pas la nuit, c’est interdit et tu sais pourquoi. »
Les draps bruissent.
Le calme reprend sa place pour un instant.
On entend un sanglot réprimé.
Un corps remue dans un lit, écrase les plumes d’un oreiller.
Au craquement d’une allumette suit le sifflement de la flamme sur la mèche qu’on allume.
Dans la lueur orangée, on voit une main fine, la manche d’une chemise de nuit de flanelle.
Puis le bas d’un visage, une bouche inquiète.
« Allez, viens, mais pas un bruit ! »
Claris renifle, se mouche.
Quatre pieds touchent le sol dans un son feutré.
Dans le halo de la chandelle, un doigt posé sur des lèvres.
Sara entrouvre la porte dans un léger chuintement.
Leurs regards se rencontrent.
Les fillettes ont les mêmes traits que quelques années séparent. Et la couleur des yeux.
La bougie quitte les visages pour le couloir.
Une obscurité compacte, une noirceur sans fond.
On n’aperçoit pas le bout du couloir.
Claris ne voit pas ses pieds. Sara non plus.
« Attrape ma robe », murmure l’aînée.
Sous ses doigts, elle sent la pierre.
La roche froide et humide des murs la nuit.
Claris se cramponne au tissu.
Les yeux rivés sur la flamme qui éclaire un peu les ténèbres, le bras de sa sœur.
On sent un courant d’air et une odeur de suie.
À tâtons, Sara atteint une autre porte.
Après la pierre glaciale, le bois semble presque tiède.
Elle s’ouvre en silence.
Derrière, il fait toujours noir.
Un pied cherche le sol et manque de trébucher.
C’est un escalier, en voilà le premier degré.
La descente n’en finit pas.
Palier après palier, vers les profondeurs, toujours.
Jusqu’à la dernière marche.
Claris tombe et perd un chausson.
Pas le temps de le récupérer.
La chandelle se noie dans sa propre chair et l’obscurité envahit tout.
Les mains des deux sœurs se cherchent. Se trouvent.
Une autre suit le mur.
Un air frais refroidit leur nez.
« Elle est au bout du couloir, Maman ? » demande Claris.
Pierre après pierre, les murs emportent l’écho de ses murmures.
Plusieurs étages plus haut, une porte claque.
Sara serre les doigts de sa sœur dans les siens.
Elle avance encore, tirant sa sœur après elle.
Le mur s’interrompt sous sa main et son pied glisse.
Le sol s’affaisse.
Il y a de l’eau par terre. Ses chaussons sont mouillés et, dedans, ses pieds aussi.
L’humidité remonte sur ses chevilles, s’accroche à ses mollets, escalade ses jambes, de plus en plus haut.
Claris geint. Elle aussi est mouillée.
Elle avance malgré tout.
« On est bientôt arrivées, hein, Sara ? »
Le silence les écrase à nouveau. Sara ne répond pas.
Elle marche encore. Elle frissonne.
Le seul repère qui lui reste est le sol sous ses pieds.
Son pas ralenti. Elle a froid.
Sara serre fort Claris dans ses bras.
Elles tombent à genoux.
Tout autour d’elles, des milliers de bougies, de cierges de chandelles. Allumées d’un seul coup.
Claris se relève et relève Sara.
Il n’y a plus d’eau par terre. Juste des pavés froids.
Elles clignent des yeux sous la lumière soudaine.
La pièce est ronde. Immense.
Des statues s’entassent sous des tissus diaphanes.
Claris court, elle va de l’une à l’autre, soulève les draps, inspecte les traits de pierre.
« Je ne trouve pas Maman, Sara, elle n’est pas là ! »
Sara court après elle.
On entend les échos de leur pas et des voix.
« Là ! » s’écrie l’une.
Les boucles de marbres ramenées en chignon, un coude posé sur son giron.
C’est elle.
Elle ne bouge pas quand ses filles s’approchent.
Elle reste immobile, le visage impassible figé dans la pierre.
Claris se précipite à ses pieds.
Elle touche le bras de sa mère, retire ses doigts saisis par le froid, rapproche sa main, plus doucement.
« Maman », gémit la cadette.
Sara est là, elle aussi.
Aucun mot ne franchit ses lèvres.
« Maman, je veux rester avec toi », chuchote Claris.
Un murmure, une supplique comme il plaît à la nuit.
Sara se penche vers sa sœur, caresse ses cheveux, son dos.
Sous ses doigts, les boucles se figent, la peau refroidit.
La joue posée contre la cuisse maternelle, Claris a retrouvé sa maman.
Sara ajuste le voile de tissus sur les deux silhouettes.
Une larme coule le long de sa joue, de son cou.
Un millier de bougies s’éteignent dans un souffle.
On n’y voit rien. Il fait noir.
Le bruit feutré de pas trouble à peine le silence.
Sara s’en va.
Seule.
J'ai trouvé ce texte vraiment super !! J'ai pris une vraie claque en le lisant ! Merci, Olek ! :D
Tu arrives à distiller une ambiance d'abord feutrée puis glaçante, et inquiétante. J'aime aussi toutes les questions qui restent en suspens, et interrogent le lecteur : d'où viennent ces statues ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Comment s'opère la transformation ?
Le tout parle à mon Imaginaire et m'embarque carrément !
Et puis il y a le rythme... très court, très efficace, avec certaines phrases que j'ai trouvé belles, et d'une immense justesse.
Bref, vraiment très intéressant, et parfaitement dans le thème !
Ouais, je tue pas les enfants moi, mais pas loin quand même ^^
Je suis heureuse que le rythme t'ait convenu, c'était une de mes hésitations.
Non, je n'ai pas glissé de vers (à ma connaissance ^^) mais c'est vrai que ça aurait été dans l'esprit ^^
Très joli texte et en même temps tellement triste. Je lis ton texte juste après celui d'HP et je crois que mon coeur va exploser :D
Bravo à toi d'avoir relevé le défi :)
Et désolée, prends soin de ton coeur on tient à toi ici !
La fin est touchante, tout en étant pénible pour Sarah qui se retrouve seule.
L'idée que la petite se transforme en pierre, et rejoigne ainsi sa mère, est magnifique !
Merci pour ta lecture !
Oh :( C'est super triste !
Ta nouvelle est super touchante, c'est une excellente idée !
Ta plume est fluide et agréable...
J'ai été embarquée par ton univers, et ces deux filles sont super touchantes !
J'ai adoré, bravo !