Le 13 avril, quelque chose de très banal se produisit. Un fait divers quelconque qui n’a fait sourciller personne. Un entrefilet glissé dans un journal oublié sur un banc mouillé par la pluie. Le 13 avril, un homme est entré dans un dépanneur et l’a dévalisé. C’était un commerce tenu par monsieur Ha, un homme chaleureux qui bredouillait un français incertain. Il a ouvert de grands yeux lorsqu’on a agité une arme factice sous son nez et s’est empressé d’ouvrir grand son tiroir-caisse. Les rentrées avaient été maigres et le cambrioleur a du se contenter de quelques billets chiffonnés. L’intrus eut beau invectiver sa victime, son butin est resté tout aussi dégarni. Frustré, il a disparu dans la ruelle, ne laissant derrière lui que le souvenir d’une personne agitée et pleine de cacophonie.
Toute cette histoire n’avait duré que quelques minutes. Que sont quelques minutes dans le cours d’une vie ? Une succession de secondes qui s’enchaînent pour former la trame du temps qui s’écoule inévitablement. Quelque chose comme le rappel de notre mortalité commune, de nos poitrines qui se gonflent, au rythme des battements de nos cœurs. Quelques minutes encore, c’est ce que le condamné qui espère sa grâce réclame, c’est le temps que la nouvelle accouchée doit tenir pendant qu’un sang tout neuf lui laboure l’intérieur. Quelques minutes, c’est une vie et c’est une mort, c’est ce que nous espérons tous réclamer à celui qui tient les comptes du vivant. Quelques minutes et monsieur Ha avait été dépouillé de son bien par un individu masqué, parti sans demander son reste.
* * *
Marie-Fleur secoue sa longue chevelure blonde et passe une main lasse dans ses mèches bouclées. Elle soupire, l’air découragé. Devant elle, un dossier de police éparpillé, des photos mises côte à côte sur son bureau, montrant les bras couverts d’ecchymoses de la victime. La déclaration de celle-ci dépasse d’une pile de rapports d’agents ayant soigneusement consigné leurs interactions avec son client. Elle prend l’un d’eux et le brandit sous le visage de l’homme penaud assis devant elle.
- Je t’avais dit de ne pas parler.
- Je sais, mais tu ne comprends pas. Ils m’ont dit que c’était ma chance de donner ma version des faits, qu’après les médias s’empareraient de l’histoire et que je ne pourrais plus rien faire. Aussi, ils m’ont dit qu’on serait plus indulgent avec moi si…
- Je t’avais dit de ne pas parler, répéte-t-elle en haussant la voix. Je t’avais dit de me faire confiance, qu’ils chercheraient à te manipuler pour te sortir les vers du nez. C’est sûr qu’ils vont te sortir toutes ces salades, c’est leur travail de te faire passer à table ! C’est à eux de prouver que tu as commis le crime, c’est leur fardeau. Je t’avais dit de te taire et voici ce qu’on m’envoie !
Elle repose violemment le rapport sur la table et frappe du poing sur le bureau. L’homme sursaute.
- Mais ça ne peut pas être si pire ? Je veux dire…
- Tu as avoué que tu étais sur les lieux du crime, que tu connaissais la victime, que tu lui en voulais !
- Mais je n’ai pas dit que je l’ai frappée ! se défend maladroitement l’homme.
- Va dire ça au juge ! Votre Honneur, j’y étais, je me suis disputée avec elle, j’ai ses griffures dans le visage, mais je vous jure que je ne l’ai pas frappée !
- Qu’est-ce qu’on va faire ?
- Ce qu’on va faire ? On va essayer de négocier avec la Couronne. Je vais essayer de ramasser les pots cassés.
Elle se lève et quitte la salle d’entrevue du palais de justice. L’homme au cheveu rare se contente de fixer ses pieds et ne fait pas mine de la saluer lorsqu’elle claque la porte. Elle avance à grandes enjambées, sa toge noire lui battant les flancs. Elle déteste quand on lui fait le coup des aveux après lui avoir juré par tous les dieux qu’on ne dirait rien, qu’on serait plus muet qu’une carpe aphone. Elle devrait être habituée – ils sont rares ceux qui se taisent en interrogatoire – mais à chaque fois elle doit revoir sa stratégie et prendre en considération les épanchements de son client auprès de son adversaire. C’est le besoin de se justifier, lui avait dit Me Legrand, son maître de stage. Le besoin de restaurer notre propre valeur auprès de notre prochain, de montrer qu’on est encore digne de son regard, que l’innommable n’est pas une tache indélébile. Je sais, rétorque Marie-Fleur en pensée. Mais toi, que ferais-tu des aveux de cet imbécile ? Bien sûr, elle sait ce qu’il ferait. Il ne se laisserait pas désarçonner. Il prendrait en compte les événements, les polirait dans son imaginaire et reverrait son jeu en un quart de tour. Il lui dirait que le droit est un jeu d’échec. Le chaud peut devenir le froid sans qu’on s’y attende. Il faut jouer jusqu’au verdict. J’essaye, plaide-t-elle, mais j’espérais seulement lui éviter le pénitencier.
Elle sort dehors. L’automne bruisse le long de la rue Notre-Dame et sème d’ocre et d’or les feuilles des érables qui prennent la brise. Autour d’elle, des journalistes s’ameutent près de l’entrée, attendant les dernières nouvelles d’un procès-fleuve qui défraie la manchette. Des collègues pressés tirent péniblement des caisses chargées de dossiers et de pièces. Un homme pleure silencieusement penché sur un banc. Ses souliers usés béent à la semelle. Elle dévale les marches et s’engouffre dans la rue Saint-Laurent, puis Saint-Paul. Son cabinet est perché au-dessus d’une galerie d’art. Alors qu’elle s’apprête à taper son code, son cellulaire sonne.
- Me Laforest ? Ici la détention du poste 29. J’ai un dénommé Michel Deslormes qui s’est fait arrêter. Il veut vous parler.
Elle réfléchit à toute vitesse. Michel Deslormes ? Ça ne lui dit rien, absolument rien.
- Passez-le moi, merci.
J’aime ce genre d’introduction décomplexée qui déplace le rythme à chaque changement de paragraphe. Un autre paragraphe, on bascule encore : on est au poste de police, une avocate engueule son client ? : est-ce déjà la fin ? On a trouvé le coupable ? Ben non. C’est juste un prétexte pour expliquer l’enjeu de la joute : dire ou ne pas dire.
On pénètre d'emblée dans le vif du sujet, grâce à un fait divers d'apparence ordinaire. Le décor est posé. Les questions aussi : qu'est-ce qui dans cet évènement peut retenir l'attention ? Est-ce l'acte en lui même ? La personnalité de la victime ou celle du coupable ?
Le commerçant ne croule pas sous l'or et l'assaillant use d'une arme factice. Ces deux éléments soulèvent d'autres interrogations : le choix de la cible d'une part, facile et démunie et les "précautions" de l'assaillant (arme factice, extrême nervosité) qui relèvent d'une forme d'amateurisme.
L'attention du lecteur est accrochée. C'est un excellent point de départ et souvent le plus difficile.
L'écriture est assez fluide, les dialogues sont percutants. Donc affaire à suivre.
Comme tu le découvriras bien vite, je me permets des remarques et des suggestions, (?) ni vois pas une critique de ton travail. ça ne l'est pas. Je crois que l'on est ici pour s'entraider dans le but de s'améliorer mutuellement, c'est ce que je tente de faire, mais tu restes le capitaine de ton récit.
Dans le première paragraphe, tu commences a relaté au passé. Je garderais les temps du passé pour rapporter l'évènement.
- "C’était un commerce tenu par monsieur Ha" : Ce commerce, était tenu par M Ha ?
N'hésite pas a donner quelques explications (astérisque et explication en bas de page) pour les termes typiquement canadien : dépanneur par ex.
- bredouillait : on bredouille sous le coup d'une émotion vive, on en perd ses mots mais je dirais qu'on baragouine un français incertain.
-"son butin est resté tout aussi dégarni" :
- insignifiant ?
- n'en avait pas été augmenté pour autant ?
- "ne laissant derrière lui que le souvenir d’une personne agitée et pleine de cacophonie. " : ne laissant derrière lui qu'une personne agitée, en pleine cacophonie ?
Le deuxième paragraphe est parfait, remarquablement bien écrit.
-"les épanchements de son client auprès de son adversaire" : les épanchements incontrôlés ?
- "Le besoin de restaurer notre propre valeur " : sa propre valeur auprès de son prochain, de montrer qu'il est... Me Legrand parle de l'accusé ?
- "Elle sort dehors." : c'est comme elle rentre dedans, c'est un pléonasme :
- Elle sort. Dehors l'automne....
- "d’un procès-fleuve qui défraie la manchette" : je rajouterais actuellement pour marquer la temporalité.
-"chargées de dossiers et de pièces" : de pièces à conviction ?
-"Un homme pleure silencieusement penché sur un banc. Ses souliers usés béent à la semelle. " Je me demande s'il ne faut pas aller à la ligne. C'est une parenthèse dans la succession des évènements. Le regard s'arrête sur cet homme, une autre réalité.
A très bientôt
L'éternel combat des avocats pour leur client que tu nous décrits a l'air bien compliqué. Non seulement ils doivent se "battre" contre la police, mais aussi contre les fautes de leur clients? Ça n'a pas l'air d'être un travail de tout repos ! XD
Ta Marie-Fleur a du courage et du caractère, je l'aime déjà. Tu nous poses bien les bases de ton histoire et on y entre comme dans du beurre, Chapeau ! ^^
Bravo, donc, et bonne continuation ! =^v^=
Emmy
C'est une jolie entrée en matière ! Une écriture alerte, fluide et touchante!
J'aime vraiment beaucoup la façon dont tu parles des minutes qui filent, de ce temps qui s'écoule de façon relative.
A suivre...
Bien à toi,
Ella
Ah Montréal ! ^^
Alors cette joute, cette fameuse joute !
C'est engageant, on a envie de savoir. Il y a une suite j'espère. Je te donnerai mon avis dès que tu l'auras postée.
Bref, je suis embarqué ! À très bientôt !
Bien à toi !
J'ai deux nouvelles sans commentaire !
Tu peux en choisir une des deux !
Les titres :
La maman qui portaient un continent sur son dos.
Et :
La rose éternelle.
Bien à toi !