Une lumière bleuâtre perça à travers ses paupières closes. Son cœur, qui manquait de sortir de sa poitrine, battait en cadence avec les puissants coups qui tentaient d’ébranler les gonds de la porte de sa chambre. La peur tétanisait ses muscles, alors qu’un étau semblait se resserrer autour de son buste, tandis que sa famille se pressait contre elle dans une dernière étreinte.
Après quelques secondes de flottement, sa terreur disparut, s’évanouissant comme un mauvais rêve. Une vague de chaleur l’enveloppa comme la douceur d’un feu de cheminée, emportant avec elle ses souvenirs. Elle entendait toujours les coups à la porte, sans pour autant se souvenir de leur signification. Elle ouvrit finalement les yeux pour regarder autour d’elle, sans que rien ne lui semble familier.
Deux hommes et deux femmes la regardaient avec tendresse, malgré la lueur de peur qui obscurcissait leurs regards. Derrière eux, un halo bleuté formait un grand cercle lumineux. Le plus jeune des deux hommes, blond comme les blés, grand comme un géant, murmurait un chant dans une langue qu’elle ne comprenait pas, d’une voix basse et chaude. La petite fille sentait au creux de son ventre que quelque chose clochait dans cette grande pièce où ils semblaient tous acculés.
Son regard finit cependant par être attiré par la jeune femme qui empoignait tendrement son épaule. Après avoir levé la tête vers celle-ci, la petite fille fut envoûtée par ses iris émeraudes, irradiant d’une intense tendresse.
Le contact fut brisé lorsque la chaleur de sa main quitta son épaule.
La plus vieille des deux femmes la guida vers celui qu’elle supposait être son mari. Chacun des deux posa une main dans son dos, la menant devant le cercle lumineux, quand elle entendit le fracas de la porte qui s’écrasait sur les dalles en pierre.
Tumulte qui disparu lorsqu’elle fut happée par le halo devant elle. Ses sens furent éclipsés par le plus profond des silences. Plus de haut ni de bas, l’odeur du feu de cheminée qu’elle sentait dans la chambre avait disparu, la chaleur, le froid, elle ne sentait plus rien. Rien ne subsistait si ce n’était cette lueur bleutée.
Instinctivement, elle ferma les yeux en attendant l’inévitable choc.
La bulle hors du temps dans laquelle elle semblait avoir été happée, disparue lorsqu’elle atterrit sur les fesses.
Elle ouvrit un œil, puis l’autre et paniqua en se rendant compte qu’elle se trouvait maintenant dans un champ, en plein jour, à quelques mètres de cet homme sans âge qui l’avait poussé vers le halo magique.
La colline recouverte d’herbe fraîche commença à se brouiller et une lumière perçante lui vrilla les yeux.
Anna venait de se réveiller dans son lit, éblouie par le soleil qui perçait ses rideaux grands ouverts.
Ces temps-ci, elle faisait de plus en plus souvent ce cauchemar qu’elle avait si ardemment souhaité oublier. Ce rêve effrayant tant il lui semblait réel. La présence de son oncle Rupert dans ce cauchemar lui serra le cœur. Sa disparition il y a maintenant plus de onze ans restait toujours aussi douloureuse, malgré la présence de Lou et de sa famille à ses côtés.
En parlant de Lou, qui était maintenant sa colocataire à la fac, ce matin elle n’était pas dans son lit, ce qui rendit perplexe Anna qui se demanda où elle était passée. Sa camarade était une véritable marmotte et rien ne pouvait la réveiller, si ce n’était peut-être la fin du monde, ou plus probablement une fringale matinale.
Anna piocha dans son armoire une de ses dernières robes propres. Il allait falloir qu’elle descende faire des lessives avant que le sol ne soit entièrement recouvert de vêtements sales.
Prenant son courage à deux mains, elle rangea un peu le fouillis ambiant avant de fourrer les vêtements à laver dans les sacs de linges sales.
Des deux colocataires, il était difficile de déterminer laquelle était la plus désordonnée, pour des étudiantes en stylisme c'était le comble du ridicule.
Avant de sortir, la jeune femme passa devant la glace, grimaçant en voyant ses longs cheveux cuivrés aussi secs et emmêlés. Ayant la flemme de les laver, elle se résigna à les coiffer, histoire de ne plus ressembler à un épouvantail. S’armant de sa brosse, elle chassa tous les nœuds que la nuit avait créés, avant de les tresser. Jetant un dernier coup d'œil à son reflet, elle fut plutôt satisfaite du résultat. Son regard se posa sur le collier qui s’arrêtait entre ses clavicules. Seul vestige de son arrivée dans la ville, elle avait oublié jusqu’au jour où elle l’avait obtenu. C’était un bel objet ouvragé en forme de lys, surmonté d’un améthyste de belle taille. Elle ne s’en séparait jamais, ni pour prendre sa douche, ni pour dormir.
Après avoir posé la main à son cou, Anna fourra dans son sac à bandoulière son téléphone ainsi que quelques pièces, avant d’attraper ses clefs et les sacs de linges sales et partit.
Ce matin-là, l’effervescence dans le dortoir des dernières années était à son comble. Filles et garçons allaient et venaient, couraient et draguaient, plus heureux que jamais. Les examens étaient finis, et surtout, ils allaient enfin dire au revoir à l’académie que la majorité d’entre eux avait intégrée dès la maternelle. Anna était arrivée à la fin de la primaire et y avait poursuivi ses études jusqu’à présent. Elle venait de finir son cursus de mode et stylisme, qu’elle avait suivi avec Lou.
Un choc dans l’épaule lui fit lâcher son sac. Elle releva la tête et eut la désagréable surprise de voir Tom la dévisager de haut en bas :
- Tu pourrais pas faire plus gaffe quand tu marches ? persifla-t-il de sa voix rauque.
- Techniquement, on est deux à s’être rentrés dedans, alors toi aussi. Merci bien.
- Oui d’ailleurs tu fais encore quoi ici ? J’aurais pensé qu’avec la fin de l’année scolaire tu serais rentrée… Mmh … rentrée où d’ailleurs ? Pas de parents, pas de maison. Chez les Blackwood ? Franchement White, t’aurais pu trouver un taf pour arrêter de dépendre de leur charité.
Sa réplique n'émut en rien Anna, qui avait entendu largement pire de sa part. Tom avait la désagréable volonté de faire de la vie de la jeune femme un enfer. Le pire étant quand il avait bu et qu’il lui faisait du rentre-dedans, chose qu’il semblait magiquement oublier le lendemain. C’était presque devenu un jeu. Elle le fuyait donc encore plus qu’auparavant.
- Très spirituel Rowley, je te donne un point pour la créativité. Arf, non je déconne. Contrairement à toi, j’ai assez bien travaillé pour avoir le droit à une bourse complète. J’ai mérité ma place, je doute que tu puisses en dire autant. N’est-ce pas ?
Oui, un jeu. Tom sembla se retenir de sourire, avant de rouler des yeux sans répondre.
- Bon, ce petit échange m’a donné du pep’s pour la journée, continua Anna. Mais j’ai des lessives à faire. Bye bye Blondie !
Elle détala après avoir récupéré son sac et fonça au sous-sol. Elle avait évité le pire : rougir devant Tom Rowley. S’il avait remarqué cela, il ne l’aurait plus lâché avec.
Son téléphone sonna. Elle avait reçu un message de Lou :
« J’ai ramené le p’tit déj’ ! T’as disparu où Marmotte ?! Ramène toi ou je vais tout manger et t’auras ma prise de poids sur la conscience ! »
Elle dramatisait vraiment tout, mais Anna lui répondit presque aussitôt :
« Je lave nos fringues dégueulasses, espèce de crado ! Attends-moi le temps que je lance les machines ! »
Cinq minutes plus tard, elle remonta vers leur chambre.
Immédiatement après avoir ouvert la porte, sa folle furieuse de meilleure amie lui sauta dans les bras. Aussi brune qu’Anna était rousse, la peau aussi mate que la sienne était laiteuse, elles étaient le jour et la nuit.
- Anna ! s’exclama-t-elle en desserrant sa grippe. Merci pour les fringues !
Elle la prit par la main pour la mener vers la table basse sur laquelle diverses viennoiseries et petites gourmandises trônaient, côtoyant deux gobelets gigantesques de café fumant.
- Le petit déj’ est servi, princesse !
- Mmmh ça va nettement me remonter le moral ! Je n'ai pas eu ma dose de café aujourd’hui, je ne sais même pas comment j’ai réussi à me motiver à faire le ménage.
- Te remonter le moral ? demanda Lou, étonnée. C’est la fin des exams ! Comment pourrais-tu ne pas avoir le moral?
- Devine ! Sur qui, parmi tous les élèves, je pourrais tomber qui puisse me mettre de si mauvaise humeur ?
- Ah merde… Tom ? Allez, on laisse tomber ce connard, on mange et on part d’ici prendre l’air ! s’exclama-t-elle en sautillant sur elle-même, enfin… Pas avant d’avoir au moins pris une douche…
Une fois leur petit déjeuner avalé, elles filèrent chacune à leur tour prendre une douche, avant de se préparer rapidement.
Comme à son habitude, Lou râla quand Anna eut fini de s’habiller. Elle avait enfilé sa vieille salopette en jean avec un t-shirt blanc brodé d’une petite lune dorée. La brunette s’attendait à ce que son amie se soit pomponnée comme elle l'avait fait. Une jolie robe, les cheveux propres et volumineux, un soupçon de maquillage, un minimum d’effort pour un maximum d’effet. Les efforts d’Anna s’était réduit à vaguement tresser ses cheveux en épi et enfiler une paire de baskets basses.
Bras dessus, bras dessous, elles descendirent les escaliers pour sortir des dortoirs. En débouchant sur la cour intérieure, elles croisèrent Andrew et Alexander, les frères jumeaux de Lou.
Andrew prit sa sœur dans les bras, avant de l’attirer à l’écart pour lui parler en tête à tête.
Alexander, lui, se rapprocha d’Anna, qui courut s’enfermer dans les toilettes. Incapable de réfléchir correctement en présence de celui-ci, elle avait choisi la facilité de la fuite. Simple, efficace, en plus de lui permettre d’éviter de faire une bourde supplémentaire avec le frère de sa meilleure amie, cela avait le mérite de lui donner quelques instants de répit avant de se retrouver dans la foule de la ville, qu’elle ne supportait uniquement pour Lou et sa passion des longues balades citadines.
Lou l’appela sur son téléphone, inquiète de ne pas la retrouver près de son frère.
Après les avoir rejoints, ils discutèrent de futilités, omettant de mentionner la disparition de la rouquine. Quand ils eurent épuisé leurs sujets de discussion, les jumeaux les saluèrent avant de partir vers le café le plus proche, tandis que les filles se dirigeaient vers l’arrêt de tramway. Lou attendit que les garçons ne soient plus à portée d'oreille pour commencer son interrogatoire :
- Que s’est-il passé ? s’enquit-elle.
- Rien, répondit évasivement Anna. Ton frère a commencé à s’approcher de moi, j’ai paniqué et je suis allée me cacher dans les toilettes.
Lou hocha la tête pensivement, avant de lui sourire.
- C’est pas si grave, mon frère est lourd la plupart du temps, tu t’es rendu service en fuyant. Changeons de sujet, on a moins d’un mois pour préparer l’arrivée de tes 21 ans…
- Bof on en parlera plus tard, raconte-moi plutôt la raison de ce tête à tête avec Andy, la coupa Anna.
Les filles montèrent dans la rame de tramway en continuant à discuter. Lou lui expliqua ce pourquoi Andrew voulait lui parler. Alors qu’il travaillait avec son jumeau à la police municipale de Whiteridge, au bureau des plaintes, il lui arrivait de tomber sur quelques pépites qu’il adorait raconter à sa sœur. Ce jour-là, ces nouvelles étaient un peu plus inquiétantes.
Une multitude de bizarreries avait été recensée par leur service. De multiples disparitions, des plaintes vis à vis de groupes d’étranges personnages qui se réunissaient la nuit dans les forêts des environs, effrayant les populations des villages entourant la capitale. Dit comme cela, toute cette affaire pourrait plutôt faire rire tant elle semblait absurde. Sauf que lorsque le premier plaignant disparut, rapidement suivi par d’autres, la police trouva l’affaire beaucoup moins drôle.
Les habitants des petits villages proches de ces forêts se terraient chez eux dès la nuit tombée, par peur de représailles. Quand aux coupables, la police semblait incapable de les retrouver. Les portraits robots ne donnaient rien, aucune nouvelle arrivée n’avait été recensée. Andrew lui avait dit de faire attention à elles, même si la forêt la plus proche se trouvait à des kilomètres du campus.
Silencieuses, les filles semblaient perplexes quant à cette affaire trouble, et lorsque le tramway s’arrêta au centre, elles étaient encore un peu sonnées par ses nouvelles. Le train les avait amenées à quelques mètres seulement de leur destination : le marché aux tissus. Les filles voulaient s’y rendre pour compléter les tenues qu’elles avaient cousues à l’occasion de la soirée de fin d’année.
L’association des étudiants de la fac avait organisé un bal masqué, et les deux amies étant en section stylisme, elles s’en étaient données à coeur joie.
Lou avait besoin de fines chaînettes dorées pour habiller sa lourde chevelure brune, ainsi que pour donner un peu plus de détails à sa robe empire, inspirée de la Rome antique. Avec sa création vaporeuse faite dans une mousseline bronze de belle qualité, elle espérait briller un peu, elle qui avait eu tant de mal à apprendre l’art de la couture.
Quant à Anna, elle avait choisi de travailler un satin moiré d’une profonde couleur vert émeraude, qui mettait en valeur ses longueurs cuivrées, ainsi que ses grands yeux ambrés. L’encolure danseuse du devant du vêtement mettait port de tête à l’honneur, tandis que le dos nu apportait une touche de sensualité qui s’alliait avec perfection avec le style très sobre qu’elle avait choisi. Sa morphologie gracile ressortait avec beaucoup de douceur avec les longueurs vaporeuses de la robe.
Anna s’enquit de perles, dont elle avait besoin pour décorer les épingles qu’elle voulait mettre dans ses cheveux, tandis que Lou se dirigea derechef vers l’étal des rubans et chaines. Elles y avaient passé de nombreuses nuits blanches, mais le résultat était somptueux.
Une petite heure plus tard, elles avaient déniché tout ce dont elles avaient besoin. Après quoi, les filles décidèrent de prendre un café assises à une terrasse ensoleillée.
Silencieusement, elles avaient repris le tram sitôt leurs boissons finies, tant elles avaient hâte d’aller à cette soirée, qu’elles avaient tant méritée.
J'aurais juste mis au début qu'elles étaient en section stylisme, quand tu expliques qu'elles finissent leurs examens.
J'ai noté une petit coquille ! "Lou lui expliqua ce que Andrew voulait lui parler."
Voilà, je continuerai de te lire avec plaisir.
D'ailleurs je vais de ce pas voir la suite de ton histoire et poster la suite de la mienne haha