Comme un petit goût de rhum antique...

Notes de l’auteur : Consigne : Présence du mot mythologie. Ambiance au choix.

La devanture du café claque. C'est le genre de devanture qu'on regarde forcément en passant, le genre chamarré mais joli, old school avec ses boiseries mais moderne avec ses chaises et ses étudiants attablés en mode stress ou débat de jeunesse. Le genre qui accroche forcément le regard et l'attention, voire qui pousse à s'y installer, même si on est pressé. On a l'impression que là bas le temps ne passe pas, ou pas tout à fait comme ailleurs, et que du coup la vie attendra bien un peu qu'on y respire, là, au coin de la terrasse, ou à l'intérieur, attablé au zinc ou lové dans les banquettes confortables. Ça tien un peu du bar d'étudiant et du café huppé, on y trouve toute une faune hétéroclite, de la dame à l'ouvrier, de l'élève au bobo venu prendre son café fair trade, et c'est ainsi que les propriétaires l'on voulu.

Parlons en des propriétaires : elles sont 9, toutes en rondeurs et en courbes (sauf Clio, que ça complexe beaucoup), toutes en sourires et en airs charmeurs. Elles circulent entre les tables avec un mot ou une caresse pour tout le monde, flottant sur leurs roulettes de patineuses, le plateau en l'air ou sur la hanche, le rire au coin des lèvres. Elles ont des noms improbables que personne ne retient jamais, sauf les piliers de comptoir et les habitués qui eux aussi se sont piqués au jeux des noms impossibles. Je jure qu'un soir j'ai rencontré un borgne disant s'appeler Odin débattant avec une gothique acariâtre nommée Kali de la meilleure façon de faire des rissoles. J'y ai croisé des Armand, des Renards, des Krishna, des Ryu-ô et même une fois un gamin malicieux se faisant appeler Loki. J'ai croisé des étudiants en philo passionnés et des poètes en larmes d'avoir enfin composé leur « master piece » ; des sculpteurs aux doigts pleins d'argile et des musicos persuadés d'avoir composé le prochain grand tube. Je suis même certain d'y avoir vu quelques grandes stars du cinéma venues s'y ressourcer.

Il est comme ça, c'est un lieu de passage et de rencontres, de vie et de disputes, de rires et de larmes ; d'amour aussi. Elles raffolent des petits couples qui viennent, main dans la main, se bécoter le temps d'un café sur leur terrasse. Elles disent que ça leur rappelle des histoires... ah... leurs histoires... il suffit que le mot soit lancé pour que Calliope, Polymnie, Thalia et Terpsichore démarrent. Elles remplacent toujours les noms par ceux des personnages de la mythologie, pour ne vexer personne qu'elles disent. Mais je soupçonne que c'est pour gentiment se moquer de leurs habitués ou de ceux qui on vécu l'histoire : en général le nom colle bien aux caractères. C'est toujours un grand moment, leurs histoires : d'un coup, la vie du café s'arrête, on tend l'oreille, on se rapproche les chaises, ceux qui connaissent ont un sourire en coin pour leurs amis perplexes et disent « attends attends, tu vas voir », certains se prennent par la main, le silence se fait, et la magie opère... on est transporté, le temps de quelques mots, dans le cœur d'une histoire. Même la plus banale prend avec elles une dimension épique, et on rage, on s'amuse, on s’émeut, on en sort un peu groggy, un peu pensif... et ils sont nombreux à prendre la plume tout de suite après pour écrire. Ou pour dessiner. Ou pour peindre. Ou à aller les voir pour les remercier. A s'installer confortablement dans une alcôve pour rêver...

Un jour, un ami m'a dit qu'elles le faisaient un peu penser aux lotophages de la mythologie, à faire suspendre le temps et les esprits. Je lui ai dit de ne jamais le leur répéter, elles l'auraient mal prit : elles aiment à penser que leur antre est un endroit certes de rêveries, mais surtout de création et de vie. D’émulsion, pas de mort. Elles ont toujours tout ce qu'il faut en stock pour les rêveurs : quand j'étais étudiant, j'avais un compte illimité chez elles. Ah, j'en ai passé du papier, de l'encre, de la peinture et des plumes avant de trouver ma voie ! Et lorsque le compte a été soldé, on a pleuré, elles et moi. Elles parce que les quittais, moi, pour le vide de mon porte monnaie. Mais qu'importe aujourd'hui ? Je suis là grâce à elles, et je sais, mon fils, que lorsque toi aussi tu iras dans ces rues, porté par le vent de la jeunesse, le hasard de tes pas ou encore l'inspiration, que ton regard accrochera la devanture et qu'il sera encore là. Qu'elles seront encore là. Montées sur les roulettes de leurs vieux patins, rejointes par quelques jeunettes au même sourire facile et aux courbes grasses mais jolies, avec leurs étudiants, leurs habitués, leurs piliers de bar, leurs amants de passage, leurs tables toujours pleines et leurs histoires... elles sont atemporelles, elles sont de ces femmes qui ne vieillissent pas et que le temps à pris en affection, qu'il laisse gentiment tranquilles tant qu'on ne les leur rappelle pas. Car ce serait comme vouloir tuer la poésie, la rhétorique, l'art, la comédie, l'astronomie et la musique, mettre un terme a tout ce qui est beau et bon. Toi aussi mon fils tu usera tes jeans sur leurs bancs, écoutera leurs histoires, noircira des feuilles, et elles t'offriront, comme elles m'ont offert, le plus beau des avenirs : celui du rêveur qui accomplit, de l'homme capable de tout faire, de l'esprit inspiré qui aspire, plus que tout, à réaliser, à créer. A faire.

Si tu demande où est le café, personne ne saura exactement te le dire, il te faut le trouver seul, mais on te soufflera son nom, un sourire au coin de l’œil : La Muse Ment.

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Toluene
Posté le 26/02/2017
Donc les dieux finissent dans un bar branché (étonnant de ne pas y trouver des aztèques). Les serveuses ont l'air sympas mais le nom de l'établissement invite à s'en méfier.
VavaOmete
Posté le 26/02/2017
Eeeh oui... faut dire qu'avec le manque de croyants, ils s'enquiquinent les dieux =D<br />Nan, les aztèques sont assez associaux comme gars... ils ont un peu tendance à déclencher des bagares aussi, du coup on leur a interdit l'endroit !
 
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