COMMENT ON JOUAIT

— Ne sois pas ridicule, Chat, si tu mets un pont entre chaque tour, ça va ressembler à une toile d’araignée.

— Moi, j’ai une idée, moi j’ai une idée ! s’exclama Inès pour la quatrième fois.

— Continue de réfléchir, dit Chat, qui avait calculé que la cadette avait les idées claires seulement à partir de la cinquième fois qu’elle levait la main.

Elles regardaient une maquette de ville faites avec des jouets, des morceaux de bois, des ustensiles de cuisine, des carrés de papier. La construction était tentaculaire et complexe : elles y travaillaient manifestement depuis des mois.

— De toute façon, continua Chat, moi je dis que ce serait mieux de mettre des cabanes dans des arbres.

— Et comment tu brancherais la radio ?

Chat réfléchit. Elle adorait la musique et rendait folle ses sœurs à force de siffler les mêmes mélodies en boucle.

— C’est pas faux.

— Bon, donc c’est bien ce que je dis, on mettra les arbres dans les tours plutôt.

— Moi j’ai une idée, moi j'ai une idée ! dit Inès pour la cinquième fois.

— On t’écoute.

— Et si les tours, elles étaient sous l’eau ? Comme ça on verrait les poissons !

Ses deux grandes sœurs soupirèrent.

— Non mais voilà, si c’est pour ça dire ça, aussi, grogna Astrée.

— Peut-être la prochaine, dit Chat.

— Mais tu dis toujours ça, souffla Inès. Si c’est comme ça, je m’en vais !

— Non, non, d’accord, d’accord, céda Astrée. Tiens, regarde, on n’a qu’à dire que c’est une île.

— Avec des algues ?

— Avec des algues.

— Beurk.

— Tu veux pas les algues ?

— Si, si, je les veux !

— Et pour la nourriture, on fait comment ? demanda Chat.

— Ça pousse sur les arbres, non ? Sur les branches ?

Les trois sœurs haussèrent les épaules.

— Je demanderai à la maîtresse, dit Inès.

— Bonne idée, l’encouragea Chat.

Astrée regarda la maquette avec un sourire.

— On a bien avancé. On continuera demain.

Inès attendit qu’Astrée sorte de la pièce pour chuchoter à Chat :

— Pourquoi on fait ça, déjà ?

Par la fenêtre, sa sœur regarda les lumières clignoter dans la nuit : les affiches publicitaires couvraient des immeubles entiers ; des néons en forme de flèches attiraient les passants dans les centres commerciaux, les casinos et les franchises de restauration rapide ; les phares des voitures s’impatientaient dans les embouteillages ; des avions tournaient au-dessus de la ville parce qu’il ne restait plus de place pour se garer dans les aéroports ; les réverbères éclairaient les landes grisâtres de béton mouillé jusqu’à perte de vue.

Ne voulant pas effrayer Inès, elle répondit juste :

— Au cas où.

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