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La porte claqua doucement. Il y eut un silence complet durant quelques secondes, puis Joséphine poussa un long soupir de soulagement. Sa belle-mère venait de quitter la chambre, persuadée que c'était son fils qui était allongé dans le lit.
La jeune femme retira sa main de la nuque de Gabriel, et ce dernier aurait bien voulu qu'elle l'y laisse encore un peu.
Il était temps pour les deux jeunes gens de réfléchir à une solution face au problème nommé « Lucas ». Le prince ne s'était pas encore réveillé, le coup l'avait probablement bien amoché mais il respirait encore et n'avait pas l'air d'avoir de bosse sur le crâne.
C'est sans un mot que les amants d'un soir s'étaient perdus dans leurs pensées respectives, jusqu'à ce que Gabriel ne prenne la parole.
– Je peux vous poser une question Votre Altesse?
Joséphine, qui avait les yeux rivés sur le plafond, les posa sur le jeune homme. Elle avait quelque peu peur que son nouvel ami n'ait pas apprécié leur proximité. Cette simple pensée la peina.
– Bien sûr, répondit-elle néanmoins, redoutant cette fameuse question.
– Dès le début, vous m'avez appelé par mon prénom, mais je n'ai jamais eu l'occasion de me présenter. Quelqu'un vous avait parlé de moi?
La jeune femme remercia le ciel que la pièce se trouvait dans la pénombre, car elle le sentait, ses joues brûlaient. Bien qu'elle n'eût que peu croisé le jeune domestique, elle s'était permise une fois de demander à Maxime le prénom du beau jeune homme qui avait sellé son cheval lors d'une balade qu'ils avaient faite tous les deux.
– Vous aviez fait un travail remarquable avec mon cheval un jour où je suis venue ici. J'ai demandé à Maxime votre prénom. Je ne l'ai pas oublié.
Gabriel afficha un sourire gêné en observant à son tour le plafond de la chambre. Il était honoré que son prénom soit gravé dans l'esprit de la princesse. Peut-être n'était-il pas si invisible pour certains membres de la famille royale.
Joséphine continuait de l'observer tandis que les lèvres de l'intéressé affichaient toujours ce même sourire.
– Pouvez-vous me faire une faveur?
Le jeune homme haussa les sourcils à la soudaine demande de Joséphine en plongeant son regard dans le sien.
– Je pense être en mesure de le faire, oui, répondit Gabriel cette fois-ci avec un petit sourire taquin au coin des lèvres. Après tout, ils n'étaient plus à cela près.
– Appelez-moi Joséphine.
Le jeune homme ne s'attendait pas à cela. Comment pourrait-il se permettre d'appeler par son propre prénom une femme d'un tel rang?
Le voyant ainsi hésiter, ce qu'elle comprenait malgré tout, Joséphine lui offrit un tendre sourire à faire fondre tous les cœurs. Et Gabriel ne dérogea pas à la règle.
– Très bien, dit Gabriel en hochant la tête. Ce serait un honneur pour moi de vous appeler ainsi si vous le souhaitez.
Il n'en fallu pas plus à Joséphine pour être heureuse. Ce fut comme si une barrière entre eux avait désormais disparue. Il était venu à son secours, elle lui devait bien cela.
C'est tout naturellement qu'ils restèrent ainsi allongés durant de longues heures, à échanger, apprenant à se connaître l'un l'autre. Joséphine avait appris que les parents de Gabriel étaient décédés il y a de cela quelques années du choléra, grave maladie contagieuse à laquelle le jeune homme avait eu la chance d'échapper. Il vivait depuis avec sa tante, Louise. Elle avait accepté de bon cœur qu'il vienne vivre chez elle, à condition de trouver un travail pour lui venir en aide.
Joséphine remarqua que Gabriel parlait de sa vie d'une façon très détachée, presque en souriant, et qu'il témoignait d'une véritable admiration pour sa tante. Cette dernière n'avait jamais eu d'enfant, faute de pouvoir en porter, et ce fut tout naturellement qu'elle considéra le fils de son frère comme le sien.
La princesse l'écoutait silencieusement, un léger sourire aux lèvres. Sa vie n'avait pas été facile et malgré tout, il était heureux de vivre. Elle comprenait d'où venait cette force de caractère dont il faisait preuve, mais aussi d'où venait son respect des femmes. Il avait été élevé par l'une d'entre elles.
Le jeune homme la questionna sur sa vie à son tour, et Joséphine ne su par où commencer son récit. Sa vie n'avait rien à voir avec celle de son ami, et elle ressentait presque de la honte de lui expliquer le luxe dans lequel elle avait grandi. Était-ce légitime de se plaindre aujourd'hui alors qu'elle avait toujours possédé tout ce qu'elle voulait? Bien qu'elle n'ait jamais été une enfant capricieuse, son titre lui avait permis bien des traitements de faveur. Elle se mit alors à lui raconter comment tout le monde fut aux petits soins avec son frère et elle, uniquement sous prétexte qu'ils étaient descendants de la famille royale. Rien ne lui était jamais refusé, mais jamais elle ne s'était sentie réellement aimée comme l'avait pu être Gabriel. La plus grande preuve de ce manque d'amour fut lorsque ses parents avaient osé l'offrir au premier venu, qui se trouvait être une très mauvaise personne. S'ils savaient comment avait commencé la soirée... Joséphine en aurait pleuré si elle avait été seule. La moindre pensée consacrée à ses parents la rendait fragile. Toute sa jeunesse, elle n'avait cessé de chercher la fierté dans leurs yeux, et la seule fois où elle en avait perçu un brin, elle était malheureuse comme les pierres.
– Vous ne devriez pas vous sacrifier pour eux, s'exprima Gabriel en toute sincérité.
Joséphine le savait, mais l'entendre de la bouche d'une personne extérieure à sa famille lui faisait du bien. Peut-être que Gabriel avait raison après tout.
– Vous ne le vouliez pas ce mariage, pas vrai? Et vous l'avez accepté juste pour eux?
La jeune princesse hocha la tête en regardant son interlocuteur, qui se redressa légèrement sur son coude sans la quitter des yeux. Il était prêt à écouter attentivement tout ce qu'elle allait lui confier. Il sentait qu'elle avait beaucoup de choses sur le cœur, et que jamais personne n'avait daigné y prêter attention.
– Ils avaient l'air heureux que j'accepte. Je ne pense pas que j'en avais le choix, et puis cela leur garantissait le fait que je reste princesse. Mes parents n'auraient jamais apprécié que je perde ce titre et qu’il ne me serve plus, quand bien même il m'importe peu aujourd'hui...
Comme si la pièce s'était soudainement refroidie, la jeune femme se glissa un peu plus sous la couverture sous l'œil attentif de Gabriel.
– Je rêvais d'un mariage d'amour, avec un homme qui me considère et qui m'aimerait pour ma personne et non ce que je suis aux yeux du peuple. Je ne suis pas juste une fille de riches descendants avec une couronne sur la tête.
– Ça, je le sais.
– C'est vrai? demanda Joséphine comme si elle ne pouvait y croire, remplie d'espoir d'avoir rencontré quelqu'un de différent du monde qu'elle avait toujours côtoyé.
– Ce matin lorsque nous nous sommes croisés, je m'attendais à ce que vous m'ignoriez comme le fait chaque membre de la famille de Verley depuis des années. Pour eux je ne suis qu'un vulgaire domestique qui se tue à la tâche pour leurs propres intérêts sans aucune reconnaissance. Mais vous... vous m'avez vu.
– Difficile de ne pas vous remarquer...
Gabriel fronça les sourcils sans comprendre, avant qu'une Joséphine gênée ne tente de rattraper ses paroles, malheureusement pour elle, déjà prononcées.
– Enfin je veux dire par là, qu'il est bien normal de considérer chacun de vous qui travaillez si dur.
Le jeune homme se mit à sourire en comprenant ce qu'il se passait à cet instant précis. Est-ce que la jeune femme ressentait les mêmes choses que lui en sa présence?
– Qu'est-ce que vous allez faire à présent Joséphine?
Elle haussa les épaules, s'apprêtant à faire part de ses doutes, mais Gabriel comprit avant qu'elle ne dise mot et prit les devants d'un air renfrogné.
– Vous ne pouvez pas rester avec ce ribaud. Ce qu'il a fait ce soir témoigne de ce qu'il vous fera subir toute votre vie. Vous ne méritez pas de souffrir, pas vous. Et je n'ose imaginer ce qu'il vous fera en se réveillant... Hors de question que je le laisse terminer ce qu'il avait commencé, que la famille royale soit d'accord avec moi ou non.
Gabriel refusait de laisser une telle femme entre les mains d'un homme comme Lucas. Maintenant que Joséphine s'était confiée à lui, il comprenait à quel point elle pouvait être fragile et sensible. Pouvait-il laisser filer la seule femme à l'avoir remarqué et fait battre son cœur un peu plus vite? C'était pourtant une princesse... mais Gabriel ressentait cet irrésistible désir de la protéger.
Joséphine le regardait d'un air impénétrable tout en analysant chacune de ses paroles. L'homme qu'elle avait toujours rêvé de rencontrer se trouvait en ce moment même dans son lit, et elle ne pouvait lui témoigner toute son affection comme elle le devrait et le voudrait. Cette pensée la rendit triste. Pourquoi avait-il fallu qu'elle se marie pour rencontrer la première personne sensible à ce qu'elle ressentait vraiment? Elle se mit néanmoins à lui sourire tendrement, et il n'en fallut pas plus à Gabriel pour déchanter.
À se regarder sans ciller dans les yeux, les deux jeunes gens ne s'étaient pas rendu compte de s'être tant rapprochés l'un de l'autre, jusqu'à finir presque collés corps contre corps. La princesse avait poussé légèrement les couvertures, ressentant désormais une chaleur inexplicable alors même que rien, si ce n'est l'attraction entre eux, n'avait réchauffé la chambre.
Gabriel sentait sa gorge devenir sèche et l'assurance dont il avait fait preuve quelques minutes auparavant disparaissait peu à peu. Jamais lui, un simple domestique, ne serait digne d'une femme comme celle qu'il admirait.
Ses doutes se dissipèrent quand Joséphine se redressa légèrement à son tour, prenant également appui sur l'un de ses coudes. Leurs visages se retrouvaient soudainement l'un face à l'autre, avec si peu de distance les séparant. Ils étaient comme deux aimants, attirés l'un à l'autre par une force inouïe, et Joséphine, qui plus tôt dans la journée ne s'était pas sentie prête à s'offrir à un homme, se serait donnée sans hésiter à celui qui se trouvait face à elle. Les yeux mi-clos, leurs lèvres se rencontrèrent pour seulement se frôler, un doux sentiment de plaisir les envahissant tous deux.
Une plainte de douleur venant de l'autre côté de la chambre les interrompit. Sursautant au même instant, leurs têtes se tournèrent ensemble en direction de Lucas sur le fauteuil, qui gémissait doucement en portant une main à sa tête.
C'est après un regard horrifié à l'attention de Gabriel que Joséphine s'extirpa du lit. Le jeune palefrenier, lui, dû attendre quelques secondes que les battements de son cœur ne cessent de s'emballer avant de se lever à son tour.
Avec ses mouvements toujours aussi doux, Joséphine se pencha au-dessus de Lucas, étrangement inquiète après tout ce qu'il lui avait fait traverser.
– Comment vous sentez-vous?
Lucas la dévisagea avec son air mauvais, comme d'habitude. Il regardait tout le monde de cette façon, y compris son frère.
- Apportez-moi quelque chose de frais à poser sur mon front.
Lentement, Joséphine s'exécuta, se dirigeant vers la petite salle de toilette. Trouvant un petit linge, elle le glissa sous l'eau froide avant de bien l'essorer, jugeant que cela ferait l'affaire. Elle revint vers Lucas qui attendit impatiemment qu'elle le pose sur son front comme s'il en était incapable lui-même.
Gabriel restait à l'écart, les bras croisés, tout en fixant le prince d'un œil mauvais. Il détestait cet énergumène et ne comptait rien faire pour lui.
– Que m'est-il arrivé? J'ai atrocement mal au crâne.
La jeune femme ouvrit la bouche pour s'exprimer mais elle hésita, ne sachant pas si elle devait lui dire la vérité ou mentir. Gabriel ne put s'empêcher de lui répondre à sa place.
– Vous étiez saoul et vous vous êtes cogné.
Lucas soupira fortement avant de se mettre à ricaner, un rire presque malsain. Il devait avoir l'habitude de boire pour croire à cette invention.
– Je me souviens maintenant, je m'apprêtais à enconner une nouvelle proie. Et vous deux, qui vous êtes?
Joséphine tomba de haut à l'entente des mots horribles que prononça son mari à son encontre. Elle n'eut même pas le réflexe de répondre tant elle était sous le choc. Gabriel serrait les dents, la colère l'envahissant immédiatement et il fusilla le prince du regard. Ce dernier n'y prêta aucune attention.
– Retenez-moi Joséphine, ou je le frappe.
Si elle avait eu le courage, elle l'aurait giflé elle-même. Au lieu de ça, craignant qu'il ne réplique, elle continuait de le fixer complètement abasourdie, avant de se mettre entre les deux hommes quand Gabriel s'approcha.
Lucas haussa les sourcils en regardant le palefrenier, le détaillant d'un œil mauvais. Ce garçon était irrécupérable.
– Vous devez sans doute travailler pour moi... Venez là et aidez-moi à me lever pour que j'aille m'allonger.
Aucune de ses phrases n'était ponctuée d'une marque de politesse. À avoir été privilégié toute son enfance, il avait oublié d'être respectueux avec les autres.
Les deux amants d'un soir l'ignorèrent et se regardèrent quelques secondes avant que la princesse ne prenne la parole.
– Restez avec lui Gabriel, je vais chercher de l'aide.
Profitant du fait que Lucas regardait dans une autre direction et ne leur donnait plus aucun intérêt, elle s'approcha du domestique pour placer un furtif baiser sur sa joue avant de se diriger vers la porte, attrapant et enfilant sa robe de chambre au passage.
Une idée lui était soudainement venue, et elle savait qui pouvait l'aider. Elle pouvait compter sur cette personne.
Gabriel restait de marbre malgré le tendre baiser de la demoiselle. Cela avait suffi à apaiser son cœur, mais la vue de Lucas pleurant sur son sort le renfrognait au plus haut point.
– Alors comme ça vous ne savez pas ce qu'il s'est passé avant ça? Aucun détail?
Lucas tourna la tête vers son interlocuteur, un air faussement choqué sur le visage. Il était persuadé que ces jeunes gens travaillaient pour lui. Comment ce jeune homme avait-il le culot de s'adresser à lui sans l'appeler "Votre Altesse"?
– Ne croyez pas que je vais vous respecter. Si votre sort n'avait dépendu que de moi, vous seriez déjà enterré six pieds sous terre à l'heure qu'il est, dans l'indifférence la plus totale. Vous avez eu de la chance d'être tombé sur la plus belle personne que vous ne connaîtrez jamais.
Si le palefrenier avait eu l'occasion de pouvoir frapper ce garçon pernicieux, il l'aurait fait volontiers. Seulement, il se faisait violence pour une seule et unique personne, celle dont le sort pouvait dépendre selon les décisions qu'il prenait.
– Vous n’avez pas le droit de me parler et de me traiter ainsi. Je vous ferai renvoyer dès demain.
– Votre parole contre celle de la princesse. Je ne pense pas avoir fait quelque chose de répréhensible, contrairement à d’autres.
Lucas le fixa méchamment. Il avait la tête bien trop douloureuse pour continuer d’argumenter sur un sujet où il était sûr de lui.
– À défaut de ne point savoir vous adresser à une personne comme moi, aidez-moi à me lever, je dois m'allonger, cracha Lucas en l'inspectant de la tête aux pieds.
Gabriel s'approcha et l'attrapa brusquement par le col pour le soulever, avant de le pousser jusque sur son lit. Il était temps d'arrêter de le ménager et de le traiter comme il le méritait.
– Vous êtes complètement fou!
Ne doutant absolument pas de son comportement envers les autres, le prince avait le culot de s'insurger. Il se redressa pour appuyer son dos contre l'oreiller contre lequel était posé Gabriel il y a quelques minutes, alors qu'il s'apprêtait à embrasser Joséphine... Le domestique chassa pour l'instant cette douce pensée, qui eut pour effet de le rasséréner un peu.
Glissant ses mains sur ses vêtements pour les lisser, faisant comprendre à Gabriel qu'il lui avait froissé sa belle chemise de soie, Lucas reprit son air supérieur.
– Dites-moi, d'où vient cette fourche là-bas, posée contre mon mur?
Gabriel ne put s'empêcher d'esquisser un sourire des plus ironiques.
– Oh, ne me tentez pas une nouvelle fois…
j'ai trop envie de voir Gabriel se défouler.
mais peut-être qu'il fait exprès. qui sait ?
super chapitre merci !!! j'attend la suite avec impuissance !!
je suis très heureuse que tu aimes!! tu auras tes réponses dans peu de temps ahah.
Incroyable ce chapitre ! Gabriel est vraiment adorable et en plus, il est drôle (que demander de plus ?) J'aime beaucoup la phrase de fin, elle est super drôle.
Ainsi Lucas aurait perdu la mémoire, du moins en partie, voilà qui nous arrange ;) J'ai hâte de voir la suite !
j'ai hâte d'avoir ton avis!