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Joséphine laissa échapper un léger cri de stupeur en regardant Lucas tomber à genoux à ses pieds. Un second coup lui fut assené au niveau de la tête quand il tendit la main et tenta à nouveau de toucher la princesse.
Le temps s'était comme arrêté durant de longues secondes. Devant Joséphine, une fourche à la main, Gabriel retenait son souffle sans quitter l'homme au sol des yeux. Il avait assisté à toute la scène, et prit d'un accès de colère, avait décidé d'arrêter cet ignoble prince en l’assommant du manche de son outil. La jeune femme observa le palefrenier, bien trop choquée de la vitesse à laquelle s'étaient déroulées les choses pour dire un mot.
– Je suis désolé..., balbutia Gabriel sans trop y croire une fois ses esprits recouvrés. Vous allez bien Votre Altesse?
Il releva la tête pour regarder la jeune femme. Ses larmes avaient séchées et créaient des traces sur ses joues rosies. Elle hocha simplement la tête en plongeant son regard dans celui du grand brun qui venait de sauver son honneur.
Après quelques secondes, elle poussa un long soupir de soulagement, comme si ses poumons avaient retenu l'air depuis le début de cette journée.
– Je ne sais pas ce qu'il m'a pris, j'ai tout vu et entendu et j'ai ressenti une certaine haine.
– Merci, le coupa tendrement Joséphine avec un air des plus sincères.
Gabriel tentait tant bien que mal d'expliquer son affreux geste, mais fut étonné que la princesse ne soit pas en colère contre lui. Mieux encore, elle l'avait remercié. Même si cet homme avait l’air ignoble, c’était son mari tout de même.
Le cœur du palefrenier se serra légèrement, elle était vraiment au plus mal pour le remercier d'une telle chose. À leurs pieds, Lucas ne bougeait plus. Sa respiration elle-même était inaudible.
Et comme un rappel, le regard de Gabriel fixé sur le jeune homme remémora à une Joséphine paniquée que sa belle-mère pouvait arriver d'un instant à l'autre. Ses mains se mirent à trembler et le domestique ne comprit pas immédiatement de quoi il s'agissait.
– Je vous en prie, aidez-moi à le ramener dans notre chambre, il ne faut surtout pas que la Reine le trouve ici.
Gabriel, quelque peu gêné d'accompagner la princesse en un tel lieu exécuta tout de même ses ordres et se baissa, attrapant l'idiot de prince comme il le pouvait pour le soutenir et avancer de quelques mètres jusqu'à la chambre. Évidemment il n'oublia pas de prendre sa fourche avec lui pour que personne ne tombe dessus. Après tout, un outil pareil dans un couloir du château ferait tâche. Lui-même était de trop.
Joséphine, après avoir observé les alentours pour s'assurer qu'ils étaient bien seuls, alla lui ouvrir la porte de la chambre. Tous deux se faufilèrent à l'intérieur pour essayer d'arranger les choses.
Gabriel laissa sans remords le corps de Lucas tomber au sol, d'un air détaché. Prince ou non, il n'avait aucun respect à l'encontre de ce genre de garçon. Il ne pouvait concevoir que l'on puisse penser faire du mal à une femme comme Joséphine. Tout le monde ici l'appréciait, et Gabriel avait ressenti toute sa détresse quand ce lâche avait profité d'elle en sachant pertinemment qu'elle ne pourrait fuir. En repensant à la scène, il grimaça, posant sa fourche contre l'un des murs, loin de la porte.
Joséphine, elle, ressentait du dégoût plus que jamais. S'étant approchée du grand miroir de son époux, elle retira vivement son voile et ôta sa couronne qu'elle posa sur une commode. Gabriel la regardait silencieusement, ne pouvant s'empêcher de ressentir une certaine peine.
– Dites-le-moi si vous voulez que je fasse quelque chose Votre Altesse. Je vous dois bien ça, soupira le jeune homme qui l'avait sans doute mis dans de beaux draps.
Il ne s'attendit pas à ce que Joséphine fonde en larmes. Ses deux mains étaient posées sur la commode pour y prendre appui, dos à lui pour ne pas se montrer dans un tel état. Elle avait l'air épuisée. Il ne savait comment réagir, entendre une femme pleurer était pour lui l'une des pires douleurs, et savoir que c'était cette aimable princesse lui faisait encore plus de mal.
– J'espérais tellement que quelqu'un fasse ce que vous avez fait pour me venir en aide.
Joséphine plaça une main devant sa bouche comme si elle s'en voulait d'avoir pensé à ce que l'on fasse du mal à Lucas. Elle était loin d'être une personne violente, mais son cœur ne ressentait à présent que de la haine pour cet homme, du moins si l'on pouvait le nommer comme tel.
Gabriel observa la chambre, et ne trouvant rien qui puisse arranger l'état de la demoiselle, s'approcha simplement d'elle pour glisser sa main dans son dos en signe de compassion. Il était complètement fou d'agir ainsi en présence d'une femme couronnée, mais cette dernière lui inspirait confiance, et il était étonnamment attiré par elle. Ces gestes qui auraient dû être interdits paraissaient tellement naturels.
Les sanglots de Joséphine s'intensifièrent au contact du toucher du jeune homme. Toute la journée, elle avait attendu que quelqu'un lui vienne en aide, que l'on compatisse à sa tristesse infinie, et il avait fallu que ce pourceau qui répondait désormais au statut de mari, commette des gestes inoubliables pour son esprit pour enfin rencontrer cette personne. Elle ne remerciera jamais assez le ciel que Gabriel se soit trouvé par hasard dans ce même couloir au même moment.
Se laissant totalement aller, la princesse se tourna vers le palefrenier et glissa ses bras autour de sa taille, se blottissant tout contre lui. Elle avait besoin de réconfort, que personne d'autre ne pouvait visiblement lui apporter. C'est extrêmement gêné que Gabriel tentait de lui apporter tout le soutien nécessaire en priant intérieurement que le chagrin de la belle princesse passe rapidement. Il n'était pas très bon pour consoler qui que ce soit, et ce n'était pas une chose agréable à voir que le chagrin d'une femme.
Reprenant tous ses esprits, Joséphine s'éloigna de son nouvel allié pour sécher ses larmes comme si elles n'avaient jamais existé. Elle prit une grande inspiration et laissa le jeune homme tout étonné de voir à quelle vitesse elle pouvait se ressaisir. Il voyait de la détermination dans son regard, ce qui lui rappela les embêtements qu'ils avaient.
– Si la Reine arrive et nous découvre, c'en est sûrement fini de moi… Nous allons placer Lucas sur le fauteuil au fond de la chambre et le couvrir, avant de faire appeler un médecin.
Même lorsqu'elle donnait des ordres, son ton de voix était bienveillant. Avec son aide, Gabriel attrapa le bras du prince inconscient et tous deux le firent asseoir sur son fauteuil non sans mal.
En se redressant, Gabriel soupira, s'essuyant le front de sa main. Ce Lucas n'était pas des plus légers. Il trouva Joséphine bien aimable d'ainsi l'installer et de décider de faire appeler un médecin. Avec ce qu'il lui avait fait subir, jamais il n'aurait décidé de lui-même de faire venir de l'aide. Ce garçon trop orgueilleux et irrespectueux ne méritait pas une telle gentillesse, mais il comprit que la jeune femme était dotée d'une âme charitable. Il fut assez impressionné en se rendant compte de toutes ces choses, lui qui ne connaissait que les de Verley, et qui ne pouvait leur faire autant d'éloges. Il y avait quelque chose de rassurant en Joséphine, qui lui plaisait beaucoup. À ces pensées il secoua la tête, ne pouvant s'autoriser de tels propos concernant cette demoiselle venue d'un monde opposé au sien.
– Comment expliquer ce qu'il s'est passé? Si quelqu'un apprend que je l'ai assommé, je suis prêt à parier que je suis mort.
– Pourquoi aviez-vous emmené cette fourche? C'est une chance...
– Le manche a un peu souffert avec la charge de travail... Un des cuisiniers m'avait promis d'y jeter un œil en m'assurant s'y connaître dans le domaine, et je m'y rendais avant de vous croiser.
La jeune femme hocha la tête, heureuse que cet outil ait eu un problème. Cela prouvait aussi que le jeune homme était sérieux et travaillait dur.
– Je vous promets qu’il ne vous arrivera rien.
Joséphine ne pouvait se permettre de créer de grave ennuis à celui qui lui avait sauvé sa nuit, et peut-être plus encore. Lucas était toujours inconscient et elle espérait qu'il puisse être sauvé. Elle s'approcha du fauteuil où il était installé et se pencha pour écouter sa respiration. Elle posa sa main sur son torse pour être sûre que sa poitrine se soulevait au rythme de celle-ci. Rassurée et se persuadant que le prince faisait un petit somme, elle abandonna l'idée d'appeler un médecin pour le moment.
Se redressant, elle glissa sa main dans son dos, effleurant du bout de ses doigts les lacets de son corset qu'elle ne pouvait atteindre. S'éclaircissant la gorge d'un air un peu gêné, elle se tourna vers Gabriel qui ne l'avait quittée des yeux.
– Pourriez-vous m'aider à... desserrer ceci?
Elle avait parfaitement conscience qu'être dans une chambre, complètement déboussolée par les précédents événements, avec un domestique, était défendu, et étonnamment elle se sentait libérée en bravant cet interdit. Elle ne pouvait se cacher d'apprécier la compagnie du palefrenier, qui avait le don d'être très charmant et de lui faire ressentir des choses dont Lucas était incapable.
Quand Gabriel accepta volontiers de l'aider, elle lui adressa un sourire des plus sincères. En ce jour, il n'y a qu'à lui qu'elle avait souri sans se forcer.
Gabriel s'approcha tandis qu'elle lui tournait silencieusement le dos, et de ses doigts il desserra lentement les liens. Joséphine respirait plus rapidement tout en restant bien droite, immobile. Détournant ses pensées du beau jeune homme derrière elle, elle se préoccupa de sa belle-famille. Sa belle-mère la reine avait promis de les visiter après les avoir laissé se découvrir. À cette idée la princesse déglutit. Elle devait trouver rapidement une solution, et cette dernière était déjà toute faite. Mais oserait-elle vraiment poser cette question qui lui brûlait les lèvres depuis qu'elle y avait pensé?
Le corset une fois relâché, elle poussa une longue expiration. Enfin elle pouvait respirer à pleins poumons. Cela fit sourire Gabriel. Il n'avait jamais compris comment les femmes pouvaient endurer une telle torture.
– Merci beaucoup Gabriel.
L'intéressé resta planté derrière elle, complètement troublé lorsqu'elle prononça son nom. Son corps parla pour lui quand il se sentit soudainement avoir très chaud, bien que l'air de la pièce soit assez frais pour assurer un bon sommeil.
Joséphine regardait sa robe, laissant ses mains glisser sur le bas de celle-ci. Qu'elle était belle, cette robe. La tristesse la rattrapa quand elle s'imagina cette petite fille qu'elle avait été rêver de ce mariage qui aurait dû être le plus beau jour de sa vie. Sans y réfléchir une seconde de plus, et oubliant qu'elle n'était pas seule, elle fit glisser le haut de la robe de ses épaules pour la retirer, la laissant ensuite glisser à ses pieds. Elle n'avait que faire des codes, et du fait qu'elle ne devrait jamais ainsi se dévêtir devant un homme, qui plus est n’étant pas son mari. Au diable les bonnes manières, c'était probablement le seul homme à l'avoir respectée.
Tandis que le rouge continuait de monter aux joues de Gabriel, qui la regardait retirer ses couches de vêtements sans comprendre leur utilité, et sans daigner se retourner pour laisser de l'intimité à la jeune princesse, un léger bruit de talons claquant le sol arriva jusqu'aux oreilles de cette dernière. Elle arrêta tout mouvement en se concentrant quelques secondes, puis arriva rapidement à la conclusion qu'une personne se déplaçait dans le couloir, près de la pièce où ils se trouvaient. Le château était très grand, et tout ici résonnait. L'angoisse la submergea de nouveau et elle pivota face à un Gabriel tout perturbé, mais pour des raisons bien différentes.
– Mon Dieu, la Reine arrive.
Joséphine réajusta la légère robe blanche, dernière couche de vêtement qu'elle portait encore, au niveau de son épaule, en examinant chaque recoin de la pièce en quête de solutions. La question qu'elle n'osait poser au jeune homme n'avait le choix d'être prononcée à présent. Elle se déplaça rapidement près du lit et d'un mouvement abrupt ouvrit les draps.
– Gabriel, je vous en supplie, acceptez de prendre la place de Lucas dans le lit pour ce soir. Si la famille de Verley sait ce qu'il s'est passé, je pense qu'ils pourraient me tuer!
La question «voulez-vous bien jouer mon amant pour cette nuit?» ne franchit pas ses lèvres. Au lieu de ça, elle, princesse et fille du Roi et de la Reine de la région de Jabre, venait à l'instant de supplier un domestique.
Gabriel ne perdit pas de temps pour acquiescer et s'avancer vers ce fameux lit, où dormait habituellement l'inconscient.
– Retirez votre veston, je m'occupe du reste.
Il s'exécuta, glissant ce dernier, que sa mère lui avait confectionné afin qu'il soit présentable, sous les draps pour ne pas éveiller les soupçons de la reine. Ce soir-là, Lucas n'en portait pas.
L'inquiétude de Joséphine s'amplifia quand les bruits de pas se rapprochèrent. Elle courut éteindre les lampes à huile, ne laissant qu'une bougie éclairer la pièce. La reine ne pourrait ainsi que les deviner dans l'obscurité.
Se glissant à son tour dans les draps, près de Gabriel, ils ressentirent tous deux de drôles de sentiments. Le palefrenier dû se répéter de nombreuses fois qu'il n'était là que pour aider Joséphine, et que c'était la première et dernière fois qu'il serait si proche de la belle. De ses doux gestes elle approcha son petit corps de celui de Gabriel, ramenant les couvertures sur eux. L'un face à l'autre, ils se regardaient dans les yeux sans dire mot.
La reine s'arrêta face à la porte de la chambre de son fils, qu'il partageait désormais. À cette heure-ci, elle était persuadée de les retrouver endormis, blottis l'un contre l'autre. Elle tendit l'oreille et ne perçut aucun bruit. Elle daigna tout de même frapper à la porte, très légèrement. Ce fut presque inaudible. Après un cliquetis, la porte s'ouvrit légèrement et la reine passa sa tête dans l'entrebâillement de celle-ci. Elle observa la pièce presque plongée dans le noir, avant de jeter un œil au lit. Gabriel se trouvait dos à la porte, seuls ses cheveux étaient visibles hors du drap. Il n'était pas compliqué de le confondre avec le prince, la couleur de leurs cheveux, d'un brun très foncé, se ressemblait.
La respiration de Joséphine s'arrêta, et son cœur aurait bien fait de même s'il avait pu. Le jeune domestique voyait la peur qu'elle ressentait, il espérait sérieusement que la reine ne resterait pas longtemps ainsi, et ne se douterait de rien. C'était d'ailleurs très étrange qu'elle ne se retire pas. Peut-être avait-elle compris le subterfuge? Joséphine ne souhaitait pas y penser. Dans un élan d'espoir, elle posa sa main sur la joue de Gabriel, puis la fit glisser jusqu'à sa nuque, ce que la reine pouvait très bien apercevoir de sa position. Ce geste de tendresse lui ferait comprendre que la princesse était encore éveillée et qu’elle devait s’éclipser.
Un léger frisson parcourut les deux amants d'une nuit, mais un fait affreux vint se glisser dans l'esprit de Joséphine: cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas eu de contact avec un homme qui ne fut pas forcé.
Le plancher craqua alors que la porte grinçait de nouveau, et la jeune femme ferma fortement les yeux de peur d'entendre et de voir apparaître sa belle-mère.
merci pour ton commentaire!!
Il est vraiment l'opposé de Lucas, et c'est dommage qu'il ne soit pas le mari de Joséphine à sa place...
Au moins grâce à cette nuit, ils ont appris à se connaître assez rapidement :) Je me demandais comment on arriverait à ce qui était annoncé dans le résumé et je n'imaginais pas ça. La reine était une bonne idée pour les amener à cette situation ;)
Petites remarques :
-Ses larmes avaient séchées -> séché
-Joséphine ne pouvait se permettre de créer de grave ennuis -> graves ennuis
Voilà, j'ai hâte de lire la suite !
faut que je vérifie, mais souvent je remplace par "prises", j'avoue que c'est pas toujours facile ahah.
merci! j'avais bien écrit "graves" mais j'ai dû tout refaire parce que le site m'avait déconnecté. ^^