Ce capitaine l'amusait grandement.
Il était sur le point de vivre l'un des pires moments qu'elle avait prévu de lui faire passer, et il sautillait en rond, exultait de sa découverte plutôt passable. Bien entendu, c'était elle qui avait disposé le post-it, elle qui avait forcé Meunier à lui révéler son mot de passe, enfin elle qui avait récupéré les enregistrements pour les laisser ici. Et, bien que Chagot soit une source de divertissement grandissante, ce qui était le plus drôle à ses yeux était que ses troupes pensaient qu'elle avait un plan, dont ces indices faisaient partie.
Bien sûr que non.
Il aurait été trop facile de triompher d'une adversité inexistante. Les indices étaient des vrais, et criaient "Voyez, Elle a vaincu en s'infligeant elle-même un handicap ! Personne ne peut la battre". Personne, à part peut-être cette indigestion. Elle se leva et se dirigea vers les toilettes pour la quatrième fois de l'après-midi.
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Serge paniquait et jubilait en même temps. D'un côté, il était franchement plaisant d'avoir des vidéos d'un des nombreux meurtres à Aigreville, mais il était en revanche plutôt fatigant de rester baissé derrière une table en écoutant les gémissements apeurés de Magnier. Enfin, la première détonation retentit et Serge esquissa des rapides pas de danse lorsque les lamentations du technicien cessèrent. La balle s'était logée dans un fauteuil, lequel servait de protection à un Sylvain terrifié. Serge était en effet ravi que la sélection naturelle se soit étendue aux sièges. Ça t'apprendra à ne pas être vert et confortable et paisible, tout en étant solide et portant une douce odeur ! Non pas qu'il ait un fauteuil particulier en tête, bien entendu. Se souvenant de la situation, il rédigea un rapide message à l'intention d'Émile :
Salut, je crois qu'on aura besoin d'aide.
On menait l'enquête au 24, rue de la Peste quand Pierre a remarqué un hélicoptère.
Bref, ils ne semblent pas trop amicaux pour l'instant (mais leurs armes ont l'air efficaces), est-ce que tu pourrais envoyer de l'aide ?
C'est plutôt urgent, ils ont probablement un bon stock de munitions, et je sais que tu te débrouilles pas mal en communication.
Voilà, à bientôt :)
Serge et sa nouvelle meilleure amie (une table ma foi assez trouée).
Après s'être assuré d'avoir correctement expédié le message, Serge rangea son portable et sortit cette fois-ci son arme de sa poche. La dernière fois qu'il s'en était servi remontait à il y avait quelques années de cela, lors de la visite trisannuelle de l'inspecteur de police.
Tout en espérant que les tutoriels en ligne de la même année avaient fait leur œuvre, il visa patiemment vers ce qu'il supposait être le moteur. Évidemment, quelque chose bloqua la détente, et Serge se donna une tape sur le front en désactivant le cran de sûreté. Ajustant à nouveau le canon, quelque chose le frappa : Leurs adversaires ne les visaient pas et tentaient simplement de les intimider. Cela marchait assez bien sur le technicien et l'adjoint, mais seulement s'ils ne réalisaient pas qu'il s'agissait juste de poudre aux yeux. Il interpella Malaca :
-Bouge pas, ils te tireront pas dessus !
-Ah ? Ils font bien semblant pourtant…
Pendant ce temps là, leur adversaire retroussait ses lèvres dans un sourire. Ses micros étaient efficaces, et elle ne perdait pas une miette de la conversation. Elle ordonna aux occupants de l'hélicoptère :
-Retirez vous, ils ont eu leur dose. Et l'équipe 4 a dû avoir le temps de préparer la surprise suivante.
Elle coupa la communication, enfila ses gants et mit sa cape avant d'attraper le chapeau qui trônait jusque là sur la tête de Banquier. Elle avait un rôle à jouer.
Serge émit un sonore soupir de soulagement. Enfin ils étaient partis ! Comme pour une mauvaise blague, il entendit enfin les sirènes des voitures des renforts. La cavalerie arrivait, comme toujours, en retard. Puis, ses traits se figèrent. Il venait de penser au rapport qu'i allait devoir faire, et qui inclurait -encore une fois- "violation de scène de crime", qu'il connaissait plus sous le nom de "analyse méticuleuse des effets personnels de la victime".
Cette fois ci, elle se retenait de rire. Une fois arrivée à destination, elle enleva les affaires qu'elle avait prélevées sur Banquier avant de les jeter dans une poubelle au hasard, mais en prenant bien soin de conserver ce masque vénitien en cuir noir qu'elle aimait tant. Qu'il serait hilarant de regarder leur air de déjà-vu ! Alors qu'elle pensait à la chance qu'elle avait eu que la famille d'Étienne Meunier n'ait pas été réveillée par la détonation, elle aperçut une femme qui patientait, elle aussi, avant d'entrer dans le bâtiment. Elle l'aborda :
-Céleste ! Dis moi, cela fait longtemps qu'on ne s'est pas vues, n'est-ce pas ?
-Et comment ! Il y a quatre ans, pour ta "commande spéciale" ?
-Quelque chose de ce goût là, oui. Céleste commençait déjà à l'horripiler, toujours toute rire et sourire, il devenait fatigant de ne rien laisser transparaître en sa présence.
-Mais au fait, que fais-tu ici ?
Elle ne semblait pas se douter de l'identité de son "amie", celle qui était à la tête du plus gros cauchemar de la police Aigrevillaise.
-Eh bien, disons que je passais faire un coucou à un ami. Et toi ?
-J'ai encore mes clés dans le métro, je pense que je vais finir par les laisser en permanence sous le pot de fleurs. En attendant, je vais déposer une main courante
Bon dieu et tout Ses anges miséricordieux ! Comment, elle, qui dirigeait plus gros réseau criminel d'Europe, voire même du monde, pouvait elle craindre cette gamine incapable de garder un œil sur ses affaires ?
-Ce ne seraient pas elles ? Demanda-t-elle tout en extirpant lesdites clés de sa poche -bien évidemment que c'était elle qui avait commandité ce délit mineur.
-Ah oui, merci, où les as-tu trouvées ?
-Aux objets trouvés, à l'agence de transports. J'avais prévu que tu trouverais un moyen de perdre quelque chose.
Alors, Céleste éclata de ce rire clair qu'elle haïssait tant. Enfin, il cessa lorsqu'elles virent l'inspecteur Chagot approcher. Duval leva les bras en l'air comme pour saluer un vieil ami, et son amie dut se retenir de se cogner la tête contre le mur. Comment. Avait. Elle. Pu. Oublier. Que. Céleste. Avait. Rendu. Visite. À. La. Police. Fort heureusement, Serge les regarda avec une moue circonspecte, et elle se sentit soulagée d'annoncer:
-Bon, je te donne tes clés, finalement je vais renoncer à lui faire ma surprise.
Ce qui était un mensonge, un prétexte pour quitter cette Céleste qui était heureuse de tout, même des plus grands malheurs -qui allaient se produire bien assez tôt.
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Sous son sourire de façade, Céleste avait envie de détruire quelque chose, de le réduire en tellement de minuscules morceaux que même le plus patient des grands sages tibétains s'exaspérerait à tenter de le reconstituer. Ce quelque chose allait très probablement être ce mannequin qui trônait dans un coin de son salon depuis qu'elle l'avait "emprunté" dans un magasin de mode à la vitre brisée durant une manifestation, il y avait quelques mois de cela. Il lui prenait souvent cette envie de répandre le chaos dans sa vie depuis cette chute, le 23 novembre quelques années auparavant. Il était franchement dommage que son "amie" ait décidé de l'empêcher de mener l'enquête sur cet évènement charnière ! Après tout, elle n'avait de cesse de lui répéter qu'elle ne voulait que son bien… Céleste secoua la tête pour chasser ses pensées, sortit l'enveloppe contenant toutes les informations qu'elle avait rassemblé sur son amie, et rentra dans l'hôtel de police.