Confrontation (partie 1)


Comme bien souvent, Loup avait fui. Le temps semblait s’être écoulé bien plus lentement depuis sa dernière discussion avec Rowan. Au fond, il savait qu’il finirait par rentrer chez lui, que la solitude aurait raison de lui le cas échéant mais il voulait voir les choses de ses propres yeux. Il avait erré des heures et des jours durant, sans réelle destination apparente mais ses pas l'avaient mené là où jamais il n’aurait pensé s’aventurer. La ville. Il avait passé de long moment au cœur d’un parc, à les observer, leurs manies, leurs comportements, les rituels des uns et des autres. Ils lui apparaissaient comme mécaniques, déconnectés. Les yeux rivés sur ces petites machines qu’il avait déjà pu voir lorsqu’ils foulaient sa terre.  Ils les tenaient au creux de leurs mains, ou collées à leurs oreilles, ils ne regardaient pas le monde, ne le voyaient même pas. Le pas toujours pressé, les petits humains baladés ou entraînés comme des marionnettes. Il ne comprenait pas le plaisir qu’ils pouvaient avoir à agir de cette manière. Étaient-ils seulement heureux? Non pas qu’il se sente concerné par leur sort mais le jeune Etre de la forêt essayait de comprendre le lien entre ce qu’il voyait ici et maintenant et ce que Rowan lui avait montré dans la forêt! Ça n'avait pas de sens!

Les réponses ne venaient pas et à la nuit tombée c’était une autre vie qui apparaissait. Le silence n’existait pas tout comme au cœur de la forêt et cet aspect avait pour Loup quelque chose de familier, de rassurant. Certes, les bruits n’étaient pas tout à fait les mêmes, ils paraissaient venir de partout et piqué par la curiosité le jeune esprit avait fini par s’approcher des habitations des humains. Leurs demeures avaient un aspect austère, le peu de verdure qui les entourait était taillée, rasée, coupée. Ce spectacle était, à ses yeux, une vision des plus effroyable mais il n’était pas au bout de ses surprises. Il se déplaçait silencieusement, saluant par la même occasion les animaux qu’il parvenait encore à croiser à cette heure si tardive. Bien qu’ils fussent étonnés de le croiser, ils prenaient plaisir à échanger avec lui, expliquant par la même occasion comment ils avaient dû s’acclimater pour survivre, se faire une place dans ce monde qui devenait toujours plus complexe. Les vieilles histoires de familles se transmettaient de générations et générations et enfin Loup vit se compléter le puzzle entamé des saisons plus tôt. Les humains d’aujourd’hui n’étaient pas ceux d’avant, leurs mœurs et habitudes avaient changé. Pourtant, il le voyait bien, ils n’avaient pas cette notion de respect de l’environnement. Il avait vu, de là où il était, des choses jetés à même le sol, la fumée nauséabonde qui s’échappait des véhicules ou de ces petits tubes qu’ils tenaient dans leur bouche. Ses yeux se fermaient alors qu’il songeait à une manière d’arrêter tout ça, mais rien ne lui venait. Seul, il ne pourrait rien faire, il en avait conscience. Retourner à la clairière, demander une audience avec Rowan, Lysandre et peut-être d’autres, il était important de discuter, de prendre des mesures et surtout, ils devaient agir vite, pour leur bien, pour le bien de tous.

Alors qu’il s’apprêtait à partir, il aperçut une chauve-souris qui lui passa juste au-dessus de la tête puis un autre animal qui venait de grimper dans l’arbre pour le fixer de ses petits yeux ronds. Il ne semblait pas inquiet, ni même décidé à entamer une quelconque conversation avec Loup, mais ce dernier refusait de bouger ou pire de lui faire peur. L’esprit s’était figé, trop habitué aux animaux de la forêt et des alentours il savait que la patience était de mise mais le petit félin finissait par s’approcher de lui, oreilles dressées et queue tendue avant de poser son derrière sur la branche. Un long miaulement quittait ses cordes vocales et Loup lâchait sans ménagement.

- Je suis sur ton territoire n’est-ce pas? Mais, je ne compte pas te faire d’ombre trop longtemps. Je ne suis que de passage et je préfère éviter…les humains, tu vois?
- Les humains? Miaula le chat en se redressant. Ils sont un peu stupides mais pas méchants. Enfin, pas toujours. Que viens-tu faire ici?
- Je cherchais des réponses et j’ai pu en avoir, même si ce n’est que partiellement. Ça m'a beaucoup aidé. Affirma Loup en s’approchant un peu de son interlocuteur pour mieux l’observer.
- Il y a quelques années de cela, quand je n’étais encore qu’un jeune chaton. Il y en avait un comme toi par ici. C’est grâce à lui que j’ai pu me trouver des humains pour me nourrir. Il aura peut-être des réponses lui aussi. Reprit le chat en relevant la tête pour voir passer à toute vitesse le petit mammifère volant qui avait au préalable surpris Loup.
- Un comme moi? Un Esprit tu veux dire? Vraiment? Tu sais où je peux le trouver? Peina à articuler Loup tant son souffle se coupait à cette révélation.
- Pars vers le Sud, tu ne peux le manquer, il a la même lumière que toi autour de lui. Salut le de ma part quand tu l’auras trouvé, je dois me hâter de chasser et déposer un cadeau à mes humains, même si je sais qu’ils vont encore trouver ça horrible! J’adore voir leurs têtes au réveil quand je dépose mes trophées sur leur lit, ça leur rappelle qui est le maître à la maison! Jubila le chat en sautant de l’arbre pour retourner chasser.

Estomaqué par ce qu’il avait entendu, Loup dirigea son regard vers le Sud comme le lui avait indiqué le chat. Là-bas, y avait-il vraiment un autre esprit? Pour l’heure il n’en avait aucune certitude mais le temps lui était compté. Il voulait le trouver avant que le Soleil ne se lève et son regard se braqua vers le ciel et les étoiles qui semblaient toutes lui indiquer le chemin de la maison. Ses pensées vaquaient un instant vers Isla, Anthéa, Renard, les loups, Florie! Pourquoi Florie? Pourquoi penser à cette petite humaine? Il songeait à tout ce qu’il avait pu voir ces derniers jours et bien malgré lui, devait l’admettre. Elle était sûrement mieux avec eux qu’ici, parmi ses semblables! Quel genre de personne serait-elle devenue autrement? Quel genre de vie aurait-elle pu avoir? C’était avec ces questions que Loup avait cessé de regarder le ciel et après avoir salué brièvement les animaux nocturnes il profita de la brise pour se laisser guider. Les arbres n’avaient aucun secret pour lui, il empruntait branches et feuilles pour accélérer le rythme. Il glissait, se fondait dans le décor, l’heure n’était plus aux vieilles rivalités, l’avenir en dépendait! Il n’était plus qu’une ombre, faisant frémir chaque feuille, chaque branche jusqu’au moment où enfin il aperçut ce halo vert, significatif des Esprits de la nature et se stoppa net. L’esprit semblait être un arbre assez jeune, ses racines ne faisait qu’un avec le sol et dans ses branches quelques nids. Il était penché en avant, ses longues branches servant de jouets pour quelques petits chats qui se cachaient dedans et Loup se surprit à esquisser un sourire avant de les interrompre dans un toussotement. Il se sentait pris au dépourvu, ne savait pas comment amorcer une discussion avec un Esprit qu’il n’avait jamais vu de sa vie mais ce dernier se retourna avec un franc sourire avant de le détailler les yeux écarquillés et s’empressa de le saluer avec une joie non dissimulée..

- Et bien ça alors! Cela faisait des lunes que je n’avais vu personne s’aventurer jusqu’ici! Sois le bienvenu, je me nomme Saul. Et tu es?
- Loup, je m’appelle Loup. Bredouilla l’intéressé en esquissant un sourire.
- Loup? Drôle de nom pour un chêne! Attends! Tu es bien un chêne?! Je n’en crois pas mes yeux, je croyais que tous les esprits des chênes avaient péri il y a des années! Quand les autres vont savoir ça! s’esclaffa Saul dans un sourire radieux.
- Oui je…enfin ce n’est pas nécessaire d’en faire toute une histoire, amorça Loup en détournant légèrement le regard avant de reprendre. Un chat m’a conseillé de venir te voir. Un que tu as aidé à amadouer des humains pour qu’ils le nourrissent. Il t’en remercie d’ailleurs paraît-il. Mais voilà la raison de ma venue. Les humains. Que peux-tu m’en dire vraiment?
- Il y a tant à dire sur eux mais je peux en revenir à toi d’abord? Raconte-moi! Comment es-tu arrivé ici et pourquoi? Tu es loin de chez toi? J’ai tant de questions excuses moi je te laisse en placer une! Finit-il par rire en lui faisant signe de le suivre malgré tout.

Si Loup ne savait pas réellement par quoi commencer, il fit un récit condensé de ce qu’il a vu et vécu depuis qu’il avait franchi le portail du royaume de Rowan. Tout n’était pas très clair, il arrivait même qu’il se mélange un peu les racines mais dans l’ensemble Saul suivait son récit et le ponctuait parfois de remarques ou de simples hochements de tête pour signifier qu’il comprenait ou qu’il compatissait. Loup n’avait pu s’empêcher de parler de ses amies, Isla et Anthéa, mais une grande partie de son récit évoquait également les loups et Renard. Ce dernier, bien que souvent très occupé avec ses petits protégés, avait toujours été un ami loyal et fidèle. Ils pouvaient ne pas se voir pendant des jours et passer ensuite des heures à converser de tout et de rien. Renard avait de surcroît été dans le premier à lui faire découvrir la vie dans la forêt. Lui avait montré tous ses endroits favoris pour qu’ils puissent s’y retrouver et les deux avaient la même vision des choses. Même après toutes ces années, rien ne changeait entre eux et si les loups n’approuvaient pas totalement cette entente, tant que l’Esprit des Renards ne faisait rien contre eux ils arrivaient parfois à le tolérer sur leur territoire au grand bonheur de Loup qui pouvait voir ses amis ainsi cohabiter. Enfin, il terminait son récit mais ne comptait pas s’arrêter en si bon chemin. L’une des remarques de Saul l’avait ébranlé au début de leur conversation et le Chêne l’interrogeait sans attendre.

- Enfin, voilà, maintenant tu sais tout mais, un détail m’a échappé tout à l’heure. Tu as dis  quand les autres vont savoir ça. C’est qui exactement, les autres? Tu n’es pas seul ici?
- Et bien, tu ne pensais tout de même pas que les Esprits ne vivaient que dans la forêt quand même? Si? Nous sommes partout, tout dépend de notre lieu de naissance si je peux le dire ainsi. Tout être vivant a un esprit qui le régit, le protège. Affirma Saul qui affichait toujours un sourire égal.
- Mais….Est-ce Rowan qui…enfin. Je ne comprends pas bien! Balbutia Loup embourbé dans la surprise de ces révélations.
- Non, c’est Urbain! Notre Grand arbre, tu sais c’est un Ginkgo Biloba, mais il n’est pas toujours facile à approcher! C’est un arbre presque sacré si je puis dire. Ils pensent tous que c’est un porteur d’Espoir, et d’Amour! Ce que je sais par contre c’est qu’il est né de Rowan, comme tu es né de ton vieux Chêne, et il lui a conféré les mêmes pouvoirs grâce à la Lune., Ton Rowan, je ne le connais que de nom. Vous êtes un peu sauvage vous autres de la forêt. C’est pour cela que j’ai été si étonné de te voir ici! S’amusa l’esprit devant l’air déconfit de Loup.
- Jamais il ne nous a parlé de tout ça! Urbain est…enfin c’est son descendant direct! Pourquoi nous a-t-il caché tout ça? Lui! Vous! Le fait qu’il y ait d’autres esprits ailleurs!  Et nous ne sommes pas sauvages, on préfère juste rester discret et loin des humains. Je n’arrive pas à croire que vous viviez aussi près d’eux sans craintes! Ils sont dangereux et cruels! Protesta l’Héritier dans un soupir.
- Tu es drôle et tu as un avis bien tranché jeune Loup mais le temps passe et les humains deviennent plus un danger pour eux-mêmes que pour nous. Ils s’oublient bien vite mais certains tentent par tous les moyens de faire en sorte de collaborer avec la nature. Alors d’accord, ils coupent l’herbe, les branches des arbres qui les gênent et tout ce qui s'ensuit mais, regarde, ils nous arrivent aussi de dérailler et d’être un peu envahissant. Demande à l’Esprit du Lierre, ou celui des Ronces. Leur jeu favoris est d’envahir les jardins, de s’accrocher dans les cheveux des humains quittent à les blesser! Reprit Saul très sérieusement avant d’entendre un rire franc quitter Loup. Définitivement ils n’avaient pas le même humour mais il se doutait bien que ces trois là s’entendraient à merveille.

Deux journées durant, Loup resta en compagnie de Saul, ce dernier lui fit découvrir un autre aspect de la ville, lui permit même de rencontrer d’autres Esprits qui, comme lui, vivaient ici, entre ombre et lumière. Aucun ne semblait craindre les humains, d’autres les trouvaient même sympathique mais tous s’accordaient à dire la même chose sur un point crucial. Les humains devaient comprendre qu’ils n’étaient pas seuls et que toutes leurs actions n’affectaient pas qu’eux.
Quand vint le moment pour Saul et Loup de se dire au revoir chacun y alla de ses recommandations envers l’autre. Rester prudent, rester en vie et surtout, se promettre mutuellement que ce n’était bien qu’un au revoir et non un adieu. Saul restait un esprit très doux et bienveillant et ne put s’empêcher de hurler, lorsque le Chêne commença à s’éloigner, qu’il n’attendrait pas plus de trois lunes avant de venir lui rendre visite dans son pays sauvage. De dos, Loup leva malgré tout les yeux au ciel avant de disparaître telle l’ombre qu’il pouvait devenir et retournait, enfin, de là où il venait. C’était difficile pour lui de l’admettre mais sa terre natale lui manquait, lui qui ne l’avait jamais quitté et qui ne se privait pas pour râler et remettre en cause bien des aspects, avait ressenti ce manque plus que n’importe quoi d’autre lors de son périple, mais il revenait plus fort et plus déterminé que jamais à faire entendre sa voix.

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