Craquage

Par Isapass

Craquage

 

Accrochée derrière la plaque, Oxan serrait les paupières pour s’efforcer d’oublier les protestations des muscles de ses bras. Elle avait naïvement cru que les cybersoldiers finiraient par partir, mais ils tiraient depuis une heure sur leur abri de tôle sans se lasser. Les premiers impacts lui avaient donné envie de hurler, mais à présent elle ne réagissait plus. Leur bouclier était heureusement épais, mais la posture en équilibre sur les montants, très inconfortable.

– Je vais plus tenir très longtemps, grimaça-t-elle.

– Moi non plus, répondit Ulys. Et si on attend que leurs batteries s’épuisent, on sera encore là dans trois mois. Il va falloir tenter quelque chose.

Il se décala avec précaution jusqu’au bord de la plaque et risqua un coup d’œil vers les robots, puis vers le sommet de la tour.

– Il reste moins d’une dizaine de mètres. On a pas tellement d’options : il faut foncer en espérant qu’ils ne nous toucheront pas.

C’était bien ce qu’Oxan craignait. La perspective d’escalader les derniers barreaux sous les tirs des soldiers avec les membres ankylosés lui noua l’estomac, mais ils n’avaient pas d’autre choix. D’autant que Diego et le reste du commando devaient s’impatienter en attendant de pouvoir lancer leur assaut. En espérant que ce n’était pas déjà fait…

– Après tout, ils nous ont ratés, tout à l’heure, soupira-t-elle.

Ulys avança prudemment la main vers l’échelle. Quand il l’eut attrapée, il murmura « un, deux, trois ! » et se lança. Les rayons bleus se réorientèrent immédiatement vers lui, mais il ne ralentit pas. Oxan entendait les frottements de ses semelles sur le métal des barreaux et ses ahanements d’efforts. Elle agita le bras pour faire diversion. Avec succès, d’ailleurs, puisqu’un tir lui effleura le poignet en laissant une marque rouge.

– J’y suis ! cria Ulys.

Un instant, Oxan se dit qu’elle n’arriverait pas à se décider. Son coeur battait trop fort, elle allait tomber ou rester paralysée comme une gourde en attendant un tir mortel. Puis elle inspira profondément en fermant les yeux. Lorsqu’elle les rouvrit, elle se jeta à l’assaut de l’échelle en hurlant pour couvrir le bruit des rayons. Ne pense qu’à tes mains et à tes pieds ! Compte les barreaux ! Deux tirs lui chauffèrent les épaules. Elle cria plus fort. Dix ! Au-dessus d’elle, elle percevait les mouvements d’Ulys qui tentait d’attirer l’attention des robots. Vingt ! Oxan s’égosillait toujours. Vingt-cinq !

– Continue, tu y es presque ! l’encouragea Ulys.

Trente barreaux ! Un rayon l’éblouit en rasant sa joue droite. Elle monta encore trois degrés avant de sentir une odeur de roussi.

– Mes cheveux ! hurla-t-elle en se tapant sur la tête pour éteindre ses mèches.

Des larmes d’angoisse envahirent ses yeux et dans l’affolement, elle faillit lâcher l’échelle, mais la poigne d’Ulys agrippa son bras pour la tirer vers le haut. Elle se jeta à plat ventre à côté de lui en se frottant frénétiquement la tête. Son cousin lui serra l’épaule.

– C’est bon, tu as tout éteint. T’es à peine décoiffée.

Elle hésita à le gifler, mais éclata de rire. Puis, reprenant son souffle, elle leva les yeux pour observer les lieux. Les montants de la tour se rejoignaient en pointe plusieurs mètres au-dessus de la plateforme circulaire où ils se trouvaient. Un énorme élément transparent en forme de goutte dans lequel on distinguait des composants électroniques et des solénoïdes y était suspendue par des câbles.

– C’est quoi, ce truc ? questionna Ulys.

– C’est l’antenne. Enfin, son organe principal qui capte et diffuse à longue portée.

Oxan repéra le boîtier du terminal.

– Les cybersoldiers ne peuvent pas nous atteindre ici, remarqua-t-elle en ouvrant le couvercle.

Lorsqu’elle toucha l’écran, celui-ci s’alluma sur un menu proposant diverses instructions : « Diffusion message audio privé », « Diffusion message audio région », « Communication intersystème », « Brouillage ondes courtes », « Pilotage automatique véhicules », « Ordre groupé robots ménagers », « Ordre groupé robots militaires ».

– Mouais... ils continuent à tirer, mais je ne sais pas sur quoi, rétorqua enfin Ulys penché au bord de la plateforme.

Concentrée sur sa tâche, l’adolescente ne répondit pas. Elle sélectionna la dernière proposition de la liste, ce qui ouvrit un second menu : « Activation », « Surveillance », « Attaque », « Anti-intrusion », et enfin l’instruction « Désactivation » sur laquelle elle cliqua. Le message « Cet ordre nécessite un code » apparut, suivi d’une zone de saisie de quatre caractères. Elle y était ! Elle tapa la ligne de commande permettant d’accéder au langage machine, puis un programme pour rappeler les précédentes instructions passées au terminal. Au-dessus d’elle, elle entendait vaguement les rayons s’écraser sur la structure de métal.

– Euh… t’en as pour longtemps ? demanda Ulys d’une voix inquiète.

L’historique s’afficha. Malheureusement, le code à quatre chiffres ne s’y trouvait pas. Elle allait devoir le décrypter elle-même.

– Mmmmh ? fit-elle en se rappelant que son cousin lui avait posé une question.

– Parce que je crois que je sais ce qu’ils visent, dit Ulys.

À ce moment, un bruit effrayant de ressort qui se détend déchira les tympans d’Oxan. Au-dessus d’eux, l’un des câbles qui tenaient le cœur de l’antenne venait de céder sous un énième tir de rayon.

– Ils essaient de nous faire tomber ça dessus ? s’exclama-t-elle.

– Je crois bien ! Dépêche-toi !

Oxan se remit à dialoguer à toute vitesse avec le terminal, mais le tremblement de ses doigts ne lui facilitait pas les choses. Maintenant qu’ils avaient ajusté leurs tirs, les cybersoldiers faisaient mouche beaucoup plus souvent sur les câbles. Le ciel était zébré de bleu et l’air sentait le métal chaud. Soudain, le second filin céda à son tour, déséquilibrant la goutte géante qui percuta l’un des montants.

–  Plus que trois ! gémit Ulys. Tu le trouves, ce code ?

– Je lance le programme !

Elle regarda les commandes s’exécuter les unes après les autres, retenant son envie de taper sur la machine pour qu’elle accélère. Son cœur battait à un rythme effréné et les flashs bleutés des rayons lui faisaient mal aux yeux. Elle poussa un cri quand le troisième câble cassa.

« Échec » lui répondit le terminal. Elle modifia ses instructions, puis relança. Si ça ne fonctionnait pas, elle serait à court de ressources. Levant le regard à la verticale, elle aperçut le quatrième filin qui s’effilochait sous les brûlures des rayons. Il céda au moment où elle observait de nouveau son écran.

« Échec ».

– Tant pis ! lâcha Ulys. Il faut qu’on retourne à l’abri ou on va se faire écrabouiller ! Ils attaquent le dernier câble !

Tout ça pour rien ! Oxan abattit son poing sur la plateforme.

– Oxan ! Vite ! l’appela Ulys qui avait rejoint l’échelle.

Elle jeta un ultime regard exaspéré à l’écran tandis qu’au-dessus d’elle, le filin émettait des grincements glaçants. De dépit, elle revint au menu précédent et tapa rageusement « 0000 », puis écrasa la touche de validation.

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Edouard PArle
Posté le 13/05/2023
Coucou Isa !
J'ai été un peu perturbé par l'enchaînement d'émotions d'Oxan à un moment du chapitre, en plus pas forcément celles que j'attendais. Ce n'est pas gênant, il y a moyen de jouer là dessus mais je trouve que ça mériterait d'être un chouilla plus développé.
Pas mal le titre du chapitre, qui peut être à double-sens. Bien trouvé.
Sinon, ça fonctionne bien Oxan qui cherche désespérément le code. J'aime bien l'idée du 0000 désespéré qui fonctionne (je m'avance peut-être un peu), en vrai ça me choquerait pas tant que ça en terme de vraisemblance. Parfois, on a tendance à mettre des codes bidons pour des choses importantes.
Bref, un plaisir comme toujours,
A bientôt !
Isapass
Posté le 17/05/2023
Oui, tu n'es pas le seul à avoir trouvé confuses les émotions d'Oxan. En fait, elle a évidemment très peur, puis elle est soulagée quand elle arrive en haut, puis elle est vexée par la remarque de son cousin et comme elle est un peu sur les nerfs, elle a envie de le gifler. Mais finalement, le soulagement l'emporte et elle rit. C'était l'idée, mais apparemment ce n'est pas bien sorti XD
Je porte toujours beaucoup de soin aux titres de chapitres et j'adore trouver des titres à double sens, en effet.
Le code 0000, c'était aussi pour souligner la flemme des Stadiens qui n'ont même pas changé le code pour un accès de haute sécurité. Et aussi pour le dernier essai désesperé qui est celui qui fonctionne alors qu'elle s'est cassée la tête avec des choses beaucoup plus compliquées. On s'amuse comme on peut XD
Jowie
Posté le 20/06/2021
Oxan est tellement badass avec ces compétences de hackeuse !
J'avoue que moi aussi ça m'étonne que les tirs des robots n'aient pas au moins éraflé quelqu'un, mais je comprends bien que tu ne veuilles pas blesser ou tuer tes personnages principaux!

Petit pinaillage: "Elle hésita à le gifler, mais éclata de rire. " -> Je n'ai pas bien compris pourquoi elle veut le gifler.

Vite, la suite !
Isapass
Posté le 21/06/2021
C'est vrai que j'ai un peu choisi la facilité avec mes cybersoldiers qui ne tirent pas très bien. Mais j'espère quand même avoir rendu le truc à peu près crédible : j'ai expliqué qu'Ulys et Oxan étaient très haut par rapport aux robots et puis Oxan est quand même touchée au poignet et ses cheveux prennent feu. Mais c'est vrai que je n'avais pas envie de leur faire trop de mal.
Oxan hésite à gifler son cousin parce qu'il plaisante alors qu'elle a eu très peur, mais finalement, elle préfère rire avec lui. Je note que ce n'est pas si évident, j'essaierai de préciser.
Je suis contente que tu aies eu envie de poursuivre ;)
Laure
Posté le 13/03/2021
Super ce chapitre ! Comme Rachael, je me dis que c'est assez étonnant que les robots tirent si mal. Peut-être qu'ils pourraient au moins blesser quelqu'un ? :D Loin de moi l'idée de voir des enfants souffrir, hein !! Mais bon hihi.
Isapass
Posté le 14/03/2021
Je me suis bien amusée avec ce chapitre, en effet.
C'est vrai que les robots tirent comme des pieds... mais ils mettent quand même le feu aux cheveux d'Oxan ! Et pour la vraisemblance, j'ai précisé que c'est parce que les enfants étaient déjà hauts... XD Ouais, je sais, c'est un peu limite cette histoire, mais si les robots tuent tout le monde, la fin ne va pas être terrible !
Rachael
Posté le 10/03/2021
Ca fonctionne bien encore, ce chapitre, si on accepte le fait que les robots tirent bien mal. Oxan devient vraiment notre héroïne, ici, avec ses compétences informatiques qui ont l’air bien avancées. Le coup du code 0000, c’est assez drôle !
Isapass
Posté le 12/03/2021
J'ai eu une fulgurance pour le "0000". Ce n'est absolument pas crédible mais bon, on en est plus là XD
Et en effet, je crois que c'est Oxan qui se sort de cette histoire avec l'aura la plus brillante :) Son pétage de plomb dans la scène de l'avant dernier chapitre (puisque tu as tout lu) est là pour qu'elle reste modeste, quand même XD
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